Il y a exactement un an, le 24 avril 2022, Emmanuel Macron était réélu président de la République. Une semaine avant sa réélection, le 16 avril 2022, il déclarait lors d’un meeting d’entre-deux-tours à Marseille que son second mandat serait “écologique ou ne sera pas”. Un an après, quel est le bilan de l’action de la politique du gouvernement ? Est-ce qu’Emmanuel a respecté sa promesse ?
Sans aucun suspense, la réponse est non. Mais il ne suffit pas de dire que ce n’est pas assez. Alors qu’il n’y a plus aucun doute sur l’urgence à agir, il faut expliquer pourquoi l’inaction climatique du gouvernement est aujourd’hui criminelle.
Des milliers de morts, une couverture médiatique quasi nulle
2022 fut l’année la plus chaude jamais enregistrée en France, avec le 2e été le plus chaud jamais connu. 33 jours de vagues de chaleur, accompagnées d’une sécheresse historique, de méga-feux et de canicules océaniques en Méditerranée. Les alertes n’ont jamais cessé, que cela concerne les pertes agricoles dues aux sécheresses jusqu’aux glaciers déclarés officiellement morts.
Les canicules ont fait des milliers de morts dans une indifférence quasi générale. Aucun membre du gouvernement n’a été interpellé par un journaliste dans une matinale ou une interview. Aucun compte à rendre. Vous avez bien lu : des milliers de morts en France à cause des canicules et le gouvernement n’a jamais été interrogé dessus. La probabilité de vivre un été similaire voire pire est non nulle, mais rien n’a été fait pour empêcher un nouveau scénario catastrophe.
Cela résulte d’une faillite politique, mais pas seulement. A l’instar de Sébastien Julian (Rédacteur en chef adjoint climat et transitions à L’Express) qui confond “état des connaissances scientifiques” et “discours” du GIEC”, les médias ont leur part de responsabilité. Tant que l’urgence climatique ne fera pas partie des priorités de tous les médias, que les journalistes ne seront pas formés correctement, et tant que les politiques pourront continuer à raconter n’importe quoi sur les sujets énergies et climat sans être réfuté(e)s, nous serons tous perdant(e)s.
Qui aurait pu prédire que le Président ignore les scientifiques ?
Ce nouveau quinquennat est aussi victime d’une multiplication d’erreurs de communication du gouvernement sur le climat. Des choix désastreux ont été faits, comme celui du président Macron de se rendre deux fois au Qatar lors du Mondial de football 2022, alors qu’en même temps se jouait l’avenir de l’humanité à la COP15 sur la biodiversité à Montréal.
Mais peut-être que l’apothéose fut lors de son discours du 31 décembre, où le président Macron déclara “qui aurait pu prédire la crise climatique”.
Une phrase qui a non seulement agacé les personnes engagées dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi certains scientifiques et auteurs du GIEC qui ont “cru à une boutade, une phrase sortie de son contexte“. Ce n’est malheureusement pas le cas. C’est une phrase relue par une équipe de communication et totalement assumée par le Président qui cherchait peut-être un échappatoire au cas où un jour, il aurait à rendre des comptes sur son inaction climatique et les milliers de morts.
Des ministres anti-science
La communication douteuse et fallacieuse ne s’arrête pas qu’au président Emmanuel Macron. Depuis un an, les ministres du Gouvernement français ont enchaîné les sorties de route et prouvent bien que ce Gouvernement ne respecte les travaux scientifiques uniquement quand ils vont dans le sens de leurs intérêts.
Les exemples ne manquent pas. Peut-être que le plus symptomatique est le refus de réguler les jets privés, alors qu’aucune étude scientifique ne justifierait leur usage actuel dans le cadre du respect de l’Accord de Paris. Une défense d’un système économique où les plus riches peuvent continuer à faire ce qu’ils souhaitent, pendant que le président appelait les Français en octobre dernier à plus de sobriété pour “passer l’hiver”.
Après que le député les Républicains Nicolas Ray a déclaré qu’interdire les jets privés serait “se priver d’un outil de désenclavement pour nos territoires ruraux” (ce n’est pas une info Gorafi), la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a défendu le projet d’autoroute A69 Toulouse-Castres en prétextant que cela participait au désenclavement des territoires.
Cet élément de langage fait pale figure à côté des travaux scientifiques qui soulignent unanimement qu’une nouvelle autoroute est contraire à nos objectifs climatiques, mais c’est aussi artificialiser les sols, couper des arbres centenaires, participer à l’effondrement de la biodiversité… pour gagner environ 30 minutes.
Les actions et les discours ne sont pas à la hauteur de l’urgence climatique. Et ce n’est pas le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu qui sauvera la médiocrité générale. Le 11 avril, il déclarait à l’Assemblé nationale que le “dérèglement climatique est une réalité qui n’est pas politique, mais qui est naturelle“.
Une terrible erreur de communication, puisque le changement climatique est bien d’origine humaine (voir la synthèse du dernier rapport du GIEC). Nous pouvons bien sûr espérer que le ministre ne soit pas climatosceptique. Mais déclarer cela, alors que selon les sondages 20 à 40% des Français sont climatosceptiques, c’est terrible. Les mots ont un sens et il serait souhaitable que les ministres arrêtent les approximations qui brouillent une communication qui érode un peu plus la confiance des Français.
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Une baisse des émissions conjoncturelle et insuffisante
Dire que le gouvernement n’est pas à la hauteur n’est pas réservé aux ONG environnementales et aux activistes climat. C’est aussi la conclusion du Haut Conseil pour le Climat, qui répète depuis deux ans que le gouvernement doit réduire les émissions au moins deux fois plus vite. C’est également le résultat d’une mission parlementaire avec un député LR et un Renaissance, dont le résultat a été rendu le 12 avril. Difficile d’accuser son propre camp de ne pas être objectif.
Dans un article publié plus tôt ce mois-ci, nous expliquions pourquoi la baisse des émissions de 2.5% en 2022 en France était très insuffisante. Une baisse conjoncturelle, avec des hausses d’émissions dans des secteurs clefs comme les transports, et surtout, la France est toujours très loin de respecter ses engagements climatiques.
Les émissions baissent à peine, et nos puits de carbone sont menacés. En effet, les forêts françaises absorbent deux fois moins de carbone qu’il y a dix ans. Chaque année où le gouvernement continue sa politique des petits gestes, comme mettre un col roulé ou arrêter d’envoyer des emails rigolos, repousse un peu plus la très faible chance que nous avons de respecter nos objectifs climatiques.
Sans changement radical, la seule issue sera l’échec
Le rapport de synthèse du GIEC rappelle qu’une baisse radicale, rapide et soutenue des émissions et une mise en œuvre accélérée des mesures d’adaptation au cours de cette décennie permettraient de réduire les pertes et les dommages prévus pour les humains et les écosystèmes“.
Partant de ce constat, seuls des changements structurels peuvent permettre de respecter nos objectifs climatiques, c’est un fait scientifique établi. Il y en a eu 0 en 6 ans. Le gouvernement doit arrêter de se satisfaire et de communiquer sur des micro mesures comme l‘arrêt des publicités lumineuses dans les aéroports (la nuit) comme si c’était exceptionnel.
Il est également urgent d’arrêter de financer des projets climaticides, que ce soit avec des subventions publiques ou privées. Comment est-il possible que 530.000 euros du Fonds vert créé par le gouvernement soient utilisés pour que des yachts puissent s’amarrer à des coffres dans le golfe d’Ajaccio en Corse ? Ou encore que 3 millions d’argent public soient utilisés pour une nouvelle liaison aérienne Paris-Brest, alors que comme le rappelle le Haut Conseil pour le Climat, le secteur aérien n’a pas commencé sa décarbonation ?
Comment est-il possible que la banque BNP Paribas, qui s’autoproclame leader de la transition énergétique, finance à nouveau 20 milliards de dollars d’énergies fossiles en 2022 ? Dont des nouveaux projets, alors que cela nous fait sortir de l’Accord de Paris et aura pour conséquences des morts par milliers. Alors que Bruno Le Maire appelle “la place financière à faire plus pour le climat”, il serait temps de réguler les activités bancaires et d’arrêter d’attendre que les établissements bancaires décident par eux-mêmes de faire moins de profit. Cela n’arrivera jamais.
Ne plus attendre
S’il ne fallait retenir qu’une chose de cette première année, c’est que ce quinquennat ne sera jamais écologique par la seule volonté d’Emmanuel Macron et de son gouvernement.
Au 1er avril, 75 % des nappes affichaient des niveaux modérément bas à très bas. Nous allons tout droit vers une une sécheresse pluriannuelle, où les plantes, les animaux et les humains vont souffrir. Pendant ce temps-là, le ministre de l’agriculture Marc Fesneau fait le pari des méga-bassines, plutôt que de repenser les usages de l’eau. Le maintien d’une agriculture que nous savons non soutenable, plutôt que de changer, de végétaliser nos assiettes.
Ces changements n’ont rien d’une écologie punitive et ne sont pas souhaités par les scientifiques et les activistes climat pour emmerder les Français. Au contraire. Mais ils sont nécessaires pour baisser nos émissions et améliorer la santé des Français. En accompagnant les agriculteurs et en sauvant leurs emplois, leurs conditions de travail et rappeler leur rôle dans la transition vers un monde neutre en carbone.
Dans ce contexte, il est évident que la priorité absolue du gouvernement Macron devrait être autre chose qu’une réforme des retraites dont la majorité des Français ne veut pas. Une réforme idéologique et à rebours de ce qu’il faudrait faire pour lutter contre le changement climatique.
Tout, absolument tout
La France avait vécu un été très difficile, avec des canicules à répétition et une sécheresse historique. Une étude du CNRS a relié la sécheresse 2022 aux activités humaines. Inutile d’attendre une étude pour 2023 pour savoir que la situation sera critique.
Si l’information est clef, il serait utopique de croire qu’il suffit de savoir pour changer. Le changement climatique est politique et se battre politiquement sera indispensable pour avancer, ou du moins ne pas reculer. Plus facile à dire qu’à faire quand on observe l’inaction du gouvernement depuis un an, bien aidée par la droite et l’extrême-droite, qui ne s’embarrassent pas de savoir si ce qu’ils disent est vrai ou faux et sabotent depuis le début de leur mandat les lois qui pourraient nous aider à atteindre nos objectifs climatiques.
Que faire en tant que citoyen ? Cette conclusion devrait ponctuer chaque article :
Tout. Absolument tout, selon ses moyens. Agir à son échelle, et toujours recentrer son action dans un objectif collectif. Soutenir la presse indépendante et les personnes qui alertent sur le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Soutenir les scientifiques qui, après des décennies de rapports scientifiques occultés, font le choix délibéré d’aller s’allonger sur des routes ou s’enchainer aux portes d’une banque climaticide pour alerter.
Le courage ne viendra certainement pas d’un gouvernement qui n’est toujours pas capable de limiter la vitesse sur l’autoroute à 110 km/h. Il faudra une pression citoyenne et politique pour se faire entendre, sous peine d’avoir les mêmes regrets à la fin de l’année 2023.
10 Responses
Le premier l’était mais les gilet jaunes n’en ont pas voulu…
Entièrement d’accord avec cet article.
Même si savoir ne suffit à changer les pratiques, j’insiste sur l’inculture scientifique partagée par la plupart des français. Dans les médias, y compris ceux qui se considèrent comme étant une référence à gauche, les approximations et les opinions mal fondées se répandent. Il faut souvent aller chercher dans les blogs un peu d’information consistante. Un indice de cette inculture : si la réforme du lycée a fait tiquer de nombreux spécialistes de l’éducation, peu d’entre eux ont dénoncé le fait que l’organisation actuelle des études permet à un élève de faire entièrement l’impasse sur les enseignements scientifiques (sciences de la matière et de la vie) et les mathématiques en cycle terminal. De quels moyens intellectuels disposeront les élèves qui auront fait ce choix pour comprendre les enjeux climatiques et pour porter un regard critique sur la politique ?
Quant à la cohérence entre la connaissance et l’action politique, il faut bien dire que même certains scientifiques ne donnent pas une image de rectitude. La crise du Covid a été un révélateur de ce que les préoccupations économiques (liens avec les industriels) et politiciennes (ne pas fâcher le pouvoir et l’opinion considérée comme majoritaire) peuvent l’emporter sur la reconnaissance de l’état des savoirs et les précautions méthodologiques inhérentes à la construction de la science.
Une note d’espoir : il me semble qu’un phénomène de convergence est en train de s’affirmer avec une nouvelle intensité entre les chercheurs et les militants (voir l’épisode Darmanin avec les Soulèvements de la Terre) et entre les différents mouvements écologistes qui apprennent à affirmer la convergence des savoirs plus que leurs différences ainsi qu’ à apprendre les uns des autres sur les tactiques à mettre en œuvre. Un effet de l’intransigeance obtuse du gouvernement ?
Rien à voir avec la réforme, j’ai fais tout le cycle terminale sans maths et sans svt il y a 20ans. Spoiler : ça ne m’a pas empêché de me cultiver à ce sujet.
Analyse de comptoir :
Plus vous êtes à l’aise financièrement et/ou plus vous êtes vieux, plus vous avez voté E. Macron (source franceinfo/public senat) ; et ce au premier comme au second tour.
Cet électorat va donc percevoir la moindre mesure de lutte contre le réchauffement climatique comme une menace pour son train de vie ou sa « libertée ».
Il n’y a donc pas 20 à 40 % de climatoseptiques mais, ce qui est bien pire, au moins 20 % de gens qui se fichent royalement des bouleversements climatiques et qui préfèrent passer pour des septiques que des je-m’en-foutistes. C’est un problème.
Comme la grande majorité des français résidant à l’étranger j’ai voté Macron au deuxième tour (pas au premier tour) des élections présidentielle et législative. Je ne regrette pas d’avoir fait ce choix car bien que le bilan des gouvernements Macron en matière de lutte contre le changement climatique soit décevant, je suis convaincu qu’un gouvernement Marine Le Pen aurait été pire. Quant à un hypothétique gouvernement Nupes, sa majorité parlementaire très relative, disparate, et trop à gauche pour pouvoir trouver suffisamment d’appuis au centre ou à droite, n’aurait pas non plus permis à un tel gouvernement d’être efficace.
Je ne dis pas que les autres candidats auraient fait mieux ou pire (en fait, on en sait rien et on le saura jamais). Ce que je dis c’est qu’on peut difficilement prendre des mesures qui vont (ou semble) aller contre les intérêts de son électorat de base (pas celui qui vote par défaut au second tour, mais celui qui est convaincu dès le premier tour).
Votre commentaire est donc assez représentatif de l’impasse politique dans laquelle nous nous trouvons (ce n’est pas un reproche à votre égard) : beaucoup de ceux et celles qui ont voté en 2022 ont fait leurs choix non pas par véritable conviction mais par élimination. Une des solutions est de réformer urgemment et profondément ce système de vote qui est aussi archaïque que la mentalité de style ancien régime qui gangrène cette république en loque. La « république exemplaire » ne le fût que sur le papier et brièvement, le temps d’une campagne électorale en 2017.
Je ne vois pas trop le lien avec la réforme des retraites, dont parait-il “les français ne veulent pas”, (c’est le cas de toutes les réformes des retraites), mais qui était au programme du candidat Macron.
Le sujet est de prioriser. Cette réforme accapare la quasi totalité des efforts de communication du gouvernement (un échec), alors que les priorités sont ailleurs et bien réelles. La réforme n’est pas nécessaire, pour un déficit potentielle. Le changement climatique est réel, inévitable, et fait déjà des morts dans notre pays.
Plutôt d’accord – je suis contre cette réforme, mais comme vous le sous-entendez, puisque vous parlez de “courage”, les réformes écologiques que nous souhaitons (décroissance, sobriété, taxation, etc.) vont certainement aussi être impopulaires. Le 110 lèverait certainement des boucliers, autant, sinon plus que le 80, idem sur d’autres mesures pourtant nécessaires…
Tres bien cet article qui pointe les graves erreurs de communication de ce gouvernement confirmant son absence d’action concrete pour la reduction des émisions de gaz à effet de serre.
Et bien aussi sur ce que chacun peut faire, en y ajoutant qu’il y a une action citoyenne en cours depuis fin 2021 pour mettre en place le 110 sur autoroute, courageusement proposé par la Convention Citoyenne pour le Climat. Venez y participer, on a déjà reçu 178 reponses de députés sur le 110, si votre député n’a pas répondu, ou si sa réponse ne vous convient pas faites le lui savoir. Lien: https://www.taca.asso.fr/319+interpellons-notre-depute-sur-le-110-sur-autoroute.html
Comme le dit tres justement Bon Pote, c’est tres important de s’organiser collectivement car ce n’est qu’à cette échelle qu’on est à la hauteur du problème à résoudre. C’est plus difficile, mais c’est ça qu’il faut faire.