Texte d’Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports
En inaugurant l’A355 (à l’ouest de Strasbourg), le Premier Ministre a affirmé que cette autoroute “sera utile […] pour le combat que nous menons pour la transition écologique“.
Son affirmation est-elle vraie ? Est-ce bien raisonnable de continuer à construire des autoroutes alors que la France s’est fixé comme objectif l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 ? Quels sont les arguments utilisés pour essayer de justifier une contribution positive pour la transition énergétique des transports ?
Les 4 argument clés qui reviennent souvent seront décryptés. Nous identifierons en parallèle les raisons pour lesquelles ces infrastructures encouragent des mobilités carbonées et à quel point. Enfin, pour prendre du recul, il s’agira de questionner l’avenir à réserver aux autoroutes existantes, si l’on décidait d’être sérieux avec nos engagements climatiques.
Sommaire
ToggleContexte : les projets d’autoroutes en France
Le graphique ci-dessous montre l’évolution des kilomètres d’autoroutes en France, et les trafics des différents véhicules routiers sur ces autoroutes entre 1960 et 2017.
On y voit que les constructions d’autoroutes ont eu lieu essentiellement sur la fin du 20e siècle, en particulier durant les décennies 1970 et 1990, portant à la hausse les trafics sur les autoroutes.
Côté bonne nouvelle, on observe un fort ralentissement des constructions depuis la fin des années 2000. Ainsi, moins de 300 km ont été mis en service sur la décennie 2010, soit à peine plus de 2 % des 11 660 km d’autoroutes françaises existantes en 2020.
Côté mauvaise nouvelle, on voit que malgré la relative stagnation du linéaire d’infrastructures, les trafics continuent d’augmenter. Aussi et surtout, de nombreux projets de construction d’autoroutes sont encore en cours, avec de nombreux soutiens récents au plus haut niveau de l’Etat.
De nombreux projets encore en cours
Fin septembre 2021, le Premier ministre Jean Castex a annoncé dans le Tarn qui serait le concessionnaire du projet de liaison autoroutière Castres – Toulouse. Le 11 décembre, il inaugurait l’A355, qui correspond au contournement ouest de Strasbourg. Moins d’une semaine plus tard, il validait la participation de l’Etat au contournement est de Rouen.
Au-delà de ces annonces récentes, il est difficile d’avoir une vision précise des projets en cours, qui subissent généralement de nombreux rebondissements et dont les débuts datent souvent d’il y a plusieurs décennies (signe qu’ils sont bien des projets du 20e siècle ? …). Dans la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) de 2019, l’Etat privilégie les grands projets cités dans le scénario 2 du Conseil d’Orientation des Infrastructures, qui comprend un certain nombre d’aménagements routiers dans les prochaines années (voir p15 Synthèse).
En parallèle de ces documents de politiques publiques, on retrouve quelques inventaires plus ou moins à jour sur le site du ministère de la transition écologique, quelques dizaines de projets autoroutiers et d’élargissements autoroutiers sur WikiSara, ou encore sur Wikipédia.
Une trentaine de projets routiers ou autoroutiers (créations, rocades, contournements, élargissements ; hors échangeurs ou ponts) peuvent aussi être dénombrés sur la carte des luttes locales. Car ces projets autoroutiers rencontrent aussi généralement des contestations importantes au niveau local, de la part d’associations, de collectifs citoyens ou d’élus. Par exemple, sur le contournement est de Rouen, la Métropole de Rouen elle-même a voté contre le projet et retiré sa participation financière au projet.
Des projets repeints en vert, en faveur de la transition écologique ?
Que ce soit dans les discours officiels des élus qui font la promotion de ces projets, dans les documents de communication des porteurs de projet ou même dans les évaluations environnementales réalisées par les maîtres d’ouvrage, il n’est pas rare de voir que le projet permettra de faire baisser les émissions de CO2 ou qu’il sera utile pour la transition écologique des transports tel que l’a affirmé Jean Castex pour l’A355.
Comme les arguments sont souvent du même ordre parmi les promoteurs des projets d’autoroutes, décryptons 4 arguments régulièrement avancés.
Argument 1 : se focaliser sur les ajustements… qui cachent un projet à contresens
Pour reprendre le cas de l’A355 à Strasbourg, à regarder les vidéos ou articles publiés sur le projet au moment de l’inauguration, il semblerait que la nouvelle autoroute soit une très bonne nouvelle pour l’environnement, tant l’argument est donné régulièrement pour justifier l’utilité du projet.
Sur le site de Vinci Autoroutes, on peut même lire : “L’objectif ? Accélérer la décarbonation des transports” !
On peut lire dans le détail du texte, que sont proposés quelques ajustements qui semblent aller dans le bon sens : pôle multimodal, futures voies de covoiturage ou pour les transports en commun, évocation de pistes cyclables…
Sauf que la fonction même de l’autoroute est de fluidifier, donc d’accélérer et donc de faciliter l’usage des modes parmi les plus carbonés, en particulier les voitures, les véhicules utilitaires légers et les poids lourds (voir graphique plus haut), à la base de la grande majorité des émissions des transports. Ainsi les bus et cars, souvent mis en avant dans ces projets, ne représentent que 0,3 % du trafic sur les autoroutes. Même en tenant compte de leur meilleur remplissage, leur nombre de passagers transportés reste au moins 10 fois plus faible que pour les voitures.
Aussi, il suffit de regarder les autres contenus qui défendent l’utilité de cette infrastructure, pour voir qu’elle soutient un modèle d’aménagement carboné. L’objectif est ainsi d’implanter des entreprises à proximité de ces voies rapides, de fluidifier les trafics poids lourds, de raccourcir les temps d’accès à l’aéroport, etc. Et surtout, de réduire les temps de trajets des automobilistes, coincés dans les embouteillages. Ce qui nous amène au 2e argument.
Argument 2 : pour régler les embouteillages, il faut plus de routes
Cet argument paraît logique à première vue, et il est souvent l’argument clé pour faire croire qu’une nouvelle route réduit les émissions. Il consiste à avancer que la nouvelle route ou l’élargissement va permettre de réduire les embouteillages, et comme on consomme moins pour une même distance parcourue en trafic fluide que dans les bouchons, cela va permettre de réduire les consommations et les émissions.
Sauf qu’avec une route plus rapide, le trafic se restructure, à la fois par des effets immédiats de changements d’itinéraires, de mode ou d’heure de départ, mais aussi à plus long terme, en encourageant à de plus longues distances. Comme les trafics augmentent, les embouteillages sont loin de disparaître voire peuvent se recréer et être supérieurs à la situation initiale (des phénomènes fortement étudiés en économie des transports, sous le nom de paradoxes de Braess, de Pigou–Knight–Downs, de Downs-Thompson…).
Ces phénomènes sont connus depuis de nombreuses décennies. Continuer à les ignorer et ajouter de nouvelles capacités routières pour remédier aux embouteillages, c’est alimenter le cercle vicieux de la dépendance automobile aux conséquences environnementales et sociales fortes.
Dans les études de trafics en amont des projets, visant à informer des impacts futurs des projets, le Cerema a ainsi observé des évolutions de trafics sur les autoroutes (donc sans compter les routes indirectement impactées) assez contrastées par rapport à ce qui était prévu, mais en moyenne sous-estimées de 20 %.
L’argument selon lequel les embouteillages vont diminuer est donc loin d’être évident, et les baisses d’émissions espérées par ce biais le sont tout autant.
Oubli (volontaire) des promoteurs ?
Les promoteurs se gardent bien de mentionner également que si les émissions sont minimales par kilomètre parcouru pour une vitesse moyenne de l’ordre de 70 km/h, et donc plus élevées sous cette vitesse, elles sont également plus élevées au-dessus de cette vitesse. C’est d’autant plus le cas pour des vitesses de 110 ou 130 km/h comme le permettent généralement les autoroutes (cela fait référence à la fameuse courbe en U évoquée dans cet article sur le 30 km/h).
Ces réflexions sur les émissions par kilomètre parcouru ont cependant leurs limites. Raisonner en émissions par heure de déplacement permet de mieux comprendre les effets sur le long terme de l’accélération des mobilités, avec des émissions d’autant plus importantes que la vitesse augmente. La métrique des émissions par heure permet en effet de tenir compte du fait que les hausses de vitesse entraînent aussi des hausses de distances parcourues. Ce qui nous amène au 3e argument.
Argument 3 : le trafic restant stable, il n’y a pas d’effet à la hausse sur les émissions
Comme cela a été évoqué dans l’argument précédent, la réduction des embouteillages repose sur l’hypothèse d’un trafic constant. Une autre conséquence de cette hypothèse est que cela permet d’éviter d’avoir des effets à la hausse sur les émissions. Puisque le trafic global n’augmente pas (il y a simplement des changements d’itinéraires), pourquoi y aurait-il des hausses d’émissions ?
Pourtant, un détour historique est nécessaire concernant les effets de la vitesse sur les kilomètres parcourus, et in fine sur les émissions. Car depuis deux siècles, la vitesse moyenne des mobilités a été multipliée par plus de 10. Résultat ? On n’en a pas profité pour gagner du temps, puisque les temps de déplacement sont restés relativement stables autour d’une heure par jour et par personne en moyenne (phénomène connu sous le nom de conjecture de Zahavi). En revanche, on en a profité pour augmenter les distances par personne, multipliées par plus de 10 sur la période !
Et si on regarde depuis 1960, on voit que les courbes de vitesse moyenne des mobilités, de distances parcourues et d’émissions par personne ont été très proches, avec une hausse forte jusqu’à un pic ou du moins une saturation de ces variables depuis le début des années 2000.
L’augmentation de vitesse a entraîné les kilomètres à la hausse, jusqu’à saturation et à un effet à la baisse de la mise en place des radars automatiques sur les routes à partir de 2003. Et l’évolution des distances a aussi impacté l’évolution des émissions liées au transport de voyageurs, puisque les émissions moyennes par kilomètre parcouru ont très peu baissé sur les dernières décennies.
Oui, mais ça c’était avant ? Désormais on a des véhicules zéro émission, me direz-vous ! Oui, ou presque. En tout cas, voilà qui nous amène au 4e argument.
Argument 4 : les véhicules seront bientôt décarbonés
Cet argument a été utilisé à deux reprises par Jean Castex. Lors de l’inauguration de l’A355, il affirme ainsi : « nos objectifs sont clairs, on va vers des véhicules décarbonés, on va vers des véhicules électriques, hybrides, donc si on a des véhicules qui polluent peu ou pas, il n’y a absolument aucune raison qu’on ne fasse pas des infrastructures routières pour les accueillir. ». Puis à propos du contournement est de Rouen : « Ce projet […] contribuera à accompagner le développement des véhicules électriques, notre meilleur allié pour réduire nos émissions de CO2. ».
Il est assez difficile de deviner en quoi un projet d’autoroute accompagne le passage à l’électrique. De même, avec déjà plus d’un million de kilomètres de routes en France et plus de 10 000 km d’autoroutes, il n’y a pas forcément besoin de construire de nouvelles routes pour accueillir les véhicules électriques.
Mais passons, et reformulons la question du lien entre véhicules électriques et autoroutes. Est-ce que le fait que l’on aille vers des véhicules électriques est un bon argument pour construire de nouvelles autoroutes ?
Plus de véhicules électriques, plus d’autoroutes ?
Il faut d’abord se rappeler que ce qui compte pour le changement climatique, c’est le cumul d’émissions et non pas uniquement le niveau d’émissions en 2050. Alors que nous devrions réduire les émissions au plus vite, les nouvelles autoroutes vont avoir des effets à la hausse sur les trafics et donc sur les émissions à court et moyen termes, alors que le parc est très largement carboné.
Ainsi, comme l’indique le graphique ci-dessous, les voitures électriques ne représentent que 1,1 % de l’ensemble du parc de voitures à fin novembre 2021, puisque le renouvellement du parc est un processus lent. Et même si on a eu une forte accélération des ventes de voitures électriques pour atteindre 9,3 % des ventes entre janvier et novembre 2021, il se vend encore 9 fois plus de voitures thermiques que de voitures 100 % électriques, qui sont de plus des véhicules trop souvent lourds (43 % de SUV) qui vont rester dans le parc pour une bonne quinzaine d’années.
Mais même les véhicules électriques ne sont pas 0 émission dès qu’on regarde les choses en analyse de cycle de vie. Et encourager des trafics rapides, c’est encourager une décharge plus rapide des batteries et des autonomies plus faibles. Pour pallier ces augmentations de consommation, le risque est de continuer la course à la hausse des emports de batteries, au détriment du coût environnemental (consommations de métaux, pollutions, etc.) et économique des voitures électriques, une partie importante de ces coûts étant liée aux batteries.
La sobriété, grande oubliée des politiques publiques
Le passage à l’électrique, bien qu’il soit majoritairement une évolution technologique, doit donc se faire en interaction avec des évolutions vers plus de sobriété (réduction du poids des véhicules et des vitesses, baisse des distances, report sur le train et les cars pour la longue distance, etc.), qui sont pour l’instant beaucoup trop absentes des politiques publiques favorisant son développement ou les politiques de décarbonation des transports.
Aussi sur les autoroutes circulent d’autres véhicules et notamment des poids lourds, bien plus difficiles à électrifier. Le développement des autres énergies alternatives (hydrogène, biogaz, agrocarburants) est encore très faible pour ces véhicules lourds, parmi le parc de véhicules et/ou en raison de quantités d’énergies décarbonées très limitées à ce jour, plus de 90 % des productions d’hydrogène, de gaz naturel véhicule (GNV) et de carburants liquides provenant actuellement des énergies fossiles. Leur décarbonation sera encore plus lente que celle déjà très progressive du parc de voitures.
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En résumé, une contribution négative sur 3 des 5 leviers de transition
Pour résumer l’effet des autoroutes sur les émissions de CO2 des transports, on peut reprendre les impacts sur les 5 leviers d’action de la transition énergétique des transports, cités dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).
Il apparaît ainsi que l’effet des autoroutes est négatif sur 3 des 5 leviers de transition :
- Demande de transport : de nouvelles infrastructures et la hausse de vitesse qu’elles entraînent, ont un effet à la hausse sur les km parcourus ;
- Report modal : l’infrastructure routière favorise l’usage de modes routiers fortement émetteurs, encourageant un report défavorable depuis des modes plus vertueux ;
- Efficacité : ces nouvelles infrastructures ne réduisent pas forcément les embouteillages, et encouragent au contraire des vitesses importantes, plus émettrices par kilomètre parcouru ;
Enfin, sur le levier d’intensité carbone ou de décarbonation de l’énergie, les effets sont plus indirects, mais les circulations rapides (pour les véhicules électriques) et les hausses de consommation (carburants liquides, gazeux, hydrogène) qu’entraînent ces infrastructures auront plutôt tendance à retarder ou à limiter les gains liés à une décarbonation de l’énergie déjà trop lente.
Quelles évolutions pour nos autoroutes pour s’aligner avec nos objectifs climatiques ?
Au final, les autoroutes apparaissent comme des infrastructures soutenant des mobilités fortement consommatrices d’énergie et émettrices de CO2. S’il reste des projets en cours qu’il faudrait stopper au plus vite, pour beaucoup le mal est déjà fait. Nous avons construit un réseau très maillé d’infrastructures rapides (auxquelles on pourrait ajouter les quasiment 10 000 km de routes nationales) qui n’est plus adapté aux enjeux environnementaux et en particulier à l’urgence de réduire fortement nos émissions.
Il faudra pourtant transformer les usages également sur ces infrastructures pour aller vers des transports plus sobres et décarbonés. Voici 3 évolutions possibles.
Passage à 110 km/h sur les autoroutes
C’est sans doute l’évolution la plus simple, avec l’avantage d’impacts positifs sur les émissions à très court terme, ce dont peu de mesures ou d’évolutions dans les transports peuvent se targuer. Si l’acceptabilité reste limitée à ce jour (42 % des Français pensent que cette mesure est souhaitable à ce jour, d’après la dernière enquête ADEME, +7 % par rapport à 2019), cela faisait néanmoins partie des 149 mesures de la Convention Citoyenne pour le Climat.
Les conséquences négatives se résument essentiellement à des temps de parcours légèrement allongés pour un trajet donné, avec des avantages sur les baisses de consommation et donc les économies réalisées par les automobilistes, la pollution, la congestion ou encore la sécurité.
Aussi, si le passage à 110 km/h permet des gains via le levier de l’efficacité énergétique des véhicules (avec un gain direct attendu de l’ordre 1,5 à 2 MtCO2), il y a aussi des gains indirects qui ne sont généralement pas pris en compte dans les analyses sur les émissions, à savoir des gains via les leviers de modération de la demande et de report modal vers le ferroviaire notamment.
Encourager les mobilités partagées, décarbonées
Parmi les voies à suivre, la réaffectation d’une voie existante en voie réservée pour le covoiturage et les transports en commun peut être un incitatif intéressant, à condition de développer également l’offre et encourager la demande pour ces mobilités partagées.
Les infrastructures de recharge électriques devront aussi se développer, pour que le véhicule électrique puisse parfois aussi être un véhicule permettant de plus longues distances que celles du quotidien, quand les transports en commun ferroviaires et routiers ne sont pas possibles. Ces bornes de recharge pourront aussi servir à l’avenir à des véhicules utilitaires ou des poids lourds électriques, à condition que l’offre pour ces véhicules se développe.
Des autoroutes électriques pour les poids lourds (avec une caténaire comme pour les trains électriques… en version moins efficace) pourraient éventuellement être développées à l’avenir, à la condition d’une coordination sur des corridors suffisamment vastes, de leur pertinence économique et environnementale.
Enfin, les stations-service devront aussi s’adapter aux nouvelles motorisations qui se développeront pour ces poids lourds, aujourd’hui encore soumis à de fortes incertitudes entre l’électrique, l’hydrogène ou le biogaz.
Transformer les infrastructures
En poussant plus fortement encore la transformation des usages et à l’inverse des projets d’extension actuels, il est possible de requalifier les infrastructures. C’est déjà un processus en cours pour de nombreuses villes à travers le monde, par la transformation de voies rapides en avenues urbaines. Tout comme ajouter des infrastructures routières peut mener à une hausse de la congestion, supprimer des autoroutes peut à l’inverse permettre de réduire les embouteillages, comme l’évoquait un récent article faisant le point sur les expériences connues à ce jour, et sur le phénomène trop peu connu d’évaporation du trafic.
Comme l’a montré la crise Covid, les idées ne manquent pas pour de nouvelles utilisations de cet espace public libéré : donner plus de place aux piétons, faire des pistes cyclables ou des voies pour les modes partagés, accueillir des terrasses, végétaliser la ville, créer des aires de jeux pour enfants, etc.
Si ce mouvement de transformation concerne essentiellement les voies urbaines à ce jour, il n’est pas exclu que ce mouvement puisse s’étendre à l’avenir : dans des scénarios de prospectives à 2050 misant fortement sur la sobriété, les trafics automobiles peuvent être divisés par 2. Quelles pourraient être les évolutions imaginées dans un tel scénario, avec des autoroutes deux fois moins utilisées qu’actuellement ?
D’autres enjeux plus larges à considérer
L’avenir des autoroutes s’inscrit dans des questions bien plus larges que celles liées aux émissions de CO2 liées à leur usage, qui doivent néanmoins faire partie des enjeux centraux si l’on souhaite être cohérents avec nos objectifs climatiques.
Parmi les questions qui se posent notamment sur ces projets d’infrastructures nouvelles, se pose notamment la question de l’aménagement du territoire. A l’avenir, on ne peut plus considérer les liaisons routières rapides et le transport aérien (via les liaisons d’aménagement du territoire, fortement subventionnées) comme les principaux outils d’aménagement du territoire, et mettre des moyens si importants sur ces mobilités carbonées. Il faut penser l’aménagement à partir de mobilités plus sobres, qu’elles soient ferroviaires (trains de nuit, Intercités, TGV, TER) ou routières via les mobilités partagées (autocars, covoiturage).
Se pose aussi la question des priorités dans les politiques de mobilités. Ainsi ces projets autoroutiers semblent bien loin des déclarations de juillet 2017 du Président nouvellement élu annonçant que « Le temps des grandes infrastructures de transport est terminé » et que la priorité est désormais pour les déplacements du quotidien. Ce même questionnement sur les priorités se pose aussi en termes de moyens financiers dans l’utilisation de l’argent public, quand la contribution annoncée par l’État pour le contournement est de Rouen représente la coquette somme de… 245 millions d’euros, soit l’équivalent de presque 5 années de plan vélo actuel de l’Etat (350 M€ sur 7 ans) !
Les questionnements sur ce type d’infrastructure ne peuvent pas non plus s’arrêter aux seules émissions de CO2 à l’usage sur le volet environnemental, comme le fait cet article. D’autres impacts environnementaux sont loin d’être négligeables, et rendent d’autant plus malvenus les affichages de projets positifs pour la transition écologique. On peut ainsi citer les impacts sur la biodiversité, l’artificialisation des sols, la fragmentation des espaces, les paysages, les consommations de matières et d’énergie à la construction, ou encore le déplacement de bruit et de la pollution de l’air dans de nouvelles zones (bien que d’autres peuvent y gagner ailleurs, selon les reports de trafics), et ainsi la qualité de vie des communes et habitants concernés par le tracé des nouvelles autoroutes.
Réorientation de l’emploi
Enfin, les enjeux d’emplois sont souvent cités parmi les principaux bénéfices de ces infrastructures routières nouvelles. Cependant, dans un monde qui viserait une forte sobriété des mobilités, de nombreuses transformations seraient nécessaires, telles que la sécurisation de la pratique du vélo sur l’ensemble du territoire (y compris dans les zones peu denses !), le développement des véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture, le rééquilibrage de l’espace public au profit de mobilités sobres (marche, cyclologistique, etc.) et de la végétalisation, ou encore l’intermodalité entre les modes les plus vertueux (vélo et train, bus, etc.).
Idéalement, ces transformations profiteraient notamment des opérations d’entretien et de modernisation des infrastructures pour les transformer, et s’appuieraient autant que possible sur l’existant. Mais à coup sûr, adapter les infrastructures pour de nouveaux usages plus sobres demandera plus de transformations que de ne chercher qu’à garder les usages actuels des infrastructures.
Les acteurs du secteur l’ont pour partie compris, et n’hésitent pas à mettre en avant leurs initiatives positives sur le sujet. Mais comme souvent dans la transition, le plus difficile n’est pas forcément de développer des projets vertueux, mais surtout d’avoir le courage d’abandonner les activités les plus préjudiciables. S’aligner sur l’objectif de neutralité carbone pour le secteur des travaux publics devra donc aussi s’accompagner d’une baisse aussi rapide que possible des travaux de nouvelles routes soutenant l’étalement et l’émiettement urbain (et les hausses de distance qui en résultent), et aussi … l’abandon des projets de créations et d’élargissements d’autoroutes. Les Pays de Galles et l’Autriche l’ont fait, pourquoi pas la France ?
15 Responses
Cet article est extremement riche et va etre signalé en lien avec la petition action que je vous invite à signer en faveur du 110 km/h sur autoroute: https://agir.greenvoice.fr/petitions/sur-autoroute-110-pour-le-climat-du-concret-pour-la-presidentielle?just_launched=true
Cette petition est en soutien de la mesure proposée par la Convention Citoyenne pour le Climat. Merci de prendre le emps de la lire, la signer et en parler autour de vous!
J’ajouterai quelques points qui me semblent très importants ici :
– Nous sommes tous plus ou moins captif de cette technologie (la bagnole) et c’est probablement le point le plus critique qui fera capoter la “transition” énergétique. 70 années de structuration de l’occident autour de cet outil seront extrêmement difficile à modifier dans les délais qui nous sont impartis. Le sujet principal est donc celui ci : comment restructurer nos territoires pour avoir à faire moins de voiture !
– L’illusion de la voiture élec doit être fermement combattue avec une argumentation acérée. Les impacts environnementaux autre que Co2 sont à quantifier avec rigueur et ils comptent tout autant dans la balance. Et surtout l’impact C02/km doit être précisé ici, car selon le véhicule utilisé et l’élec qui l’alimente. Typiquement pour une Telsa, les émissions par km ne sont baissée que de 50% (avec de l’élec peu carbonée, c’est encore pire en Allemagne), contrairement à ce qu’affirme ladite entreprise.
– Enfin, le calcul de la vitesse généralisé est toujours d’actualité et permet de saisir que les couches populaires n’avancent pas un caramel avec leur jolie voiture, c’est plus rapide en vélo ! J’ai un petit outil pour calculer tout ça, c’est très facile à montrer.
une communication gouvernementale bien repeinte en vert pour continuer à foncer dans le mur à 130km/h.
La décarbonation des transports, marche, vélo et trains mis à part, c’est de la fumisterie.
Sauf changement majeur, l’hydrogène sans carbone existe, mais sur Jupiter ! L’électricité ne sort pas du mur par miracle, il a fallu la produire auparavant, et sauf déploiement nucléaire à la même échelle que dans les années 70-80, c’est impossible (et en fait on ne sait plus faire comme à cette époque).
Et toutes ces niaiseries passent évidemment sous silence l’impact climat de la fabrication (depuis la mine) et du démantèlement de tous ces joujoux de plus d’une tonne ! Grosso modo le poids d’un objet donne l’ordre de grandeur du poids de CO² émis pour le produire.
!
La réalité c’est que la seule solution c’est de moins se déplacer, moins loin, moins vite.
Ajoutons que l’impact climatique des déplacements n’est absolument pas le même selon les revenus des gens. En ordre de grandeur, les 10% les plus riches sont responsable de la plus forte partie de cet impact.
Au passage, pour les réacs, j’habite en banlieue de Paris, n’ai pas de voiture, vais au travail à vélo (12km matin et soir soit 45 minutes, c’est du transport, pas du sport) et utilise aussi les transports en communs. Je constate être en meilleur santé et forme physique que mes collègues qui passent plus de temps dans leur bagnole pour des distances moindres.
C’est un peu ce que j’ai pensé en lisant l’article et plus encore en lisant les 4 scenarii de l’ADEME (quoi que le 4 est encore envisageable) mais néanmoins, le gouvernement pourrai juste dire, on fait une autoroute car on aime le profit, çà c’est plus ancré dans la réalité, 😉
Les écologistes zélés en général ont une vision trop citadine de la vie quotidienne, comme si c’était simple de faire du vélo quand on habite à plus de 20km d’une grande ville, que peu de bus passent et que les petits gares on été supprimées il y a des années…Et je parle pas de vivre cloîtré les uns sur les autres en se prêtant les appareils electro ménagers et tout ce que cela englobe ! Après il y a peut être un juste milieu entre les deux malgré tout ! En ce qui me concerne j’ai essayé de prendre le Flixbus car les billets de trains sont trop cher au lieu de mon véhicule personnel, malgré la perte de temps et bien…çà m’a pas réconcilié avec les transports en communs à quasi tout les points de vues;-)
Il me semble qu’il a toujours été dit que le véhicule électrique était le transport par excellence des milieux ruraux, alors que le vélo devait être le roi de la ville à terme.
Sinon, je partage l’avis sur Flixbus. J’ai moi aussi été assez vite flixé sur mes intentions de le reprendre : j’espère jamais.
Mais quand tu as le malheur d’être juste entre dans la classe qui gagne un peu plus que la moyenne mais pas non plus au point de ne pas checker ton compte en banque régulièrement, va te payer un véhicule électrique quand tu n’as pas d’aide de l’état! Sans parler si tu as de la famille à différents endroits de la France, dont certains non desservis pas les transports en commun , alors à moins que tous ce petit monde se mettent à électrique. Tu la sens ma mauvaise foi 😉
L’hybride est déjà un bon compromis je trouve ! Ça viendra, le temps d’user mon véhicule encore 4 ou 5 ans comme il se doit et on devrait trouver des modèles sur le marche plus intéressant, en attendant qu’ils installent un tramway à côté de chez moi !
Tes bon article, et Ivan Illich avait donc bien raison sur le transport, déjà en 1960 1970.
Quand on relié 2 villes par un moyen de transport plus rapide, la grosse ville grossit, l autre devient une cité dortoir.
Si on poussait notre modèle au bout, autoroute et TGV partout, convergeant a Paris où il y aurait 90% des emplois , des universités, des hôpitaux etc et des villes banlieues.
Quand a certains commentaires presque haineux, c est pathétique.
Oui, mais les limites :
Le jour ou vous devrez subir une intervention chirurgicale lourde , préférerez vous l’hôpital local, avec une équipe médicale qui fait une intervention de votre type tous les 2 ans, ou préférerez vous pendre le TGV, l’autoroute, ou même l’hélicoptère pour aller dans un hôpital centralisé dont l’équipe médicale fait tout les jours une intervention de votre type ?
La meilleure équipe médicale, par définition, il n’y en a que UNE et UNE SEULE.
Et pour les études, c’est quasi pareil. Il vaut largement mieux être un élève moyen dans une “bonne” classe, que bon dans une classe moyenne. Cf. la réalité presque caricaturale des classes préparatoires aux grandes écoles.
Une source Franck sur “Quand on [a] relié 2 villes par un moyen de transport plus rapide, la grosse ville grossit, l autre devient une cité dortoir”
Article qui brasse du vent, écrit par un citadin, avec des propositions complètement déconnectées de la réalité de la vie quotidienne des automobilistes.
N’hésitez pas à faire un commentaire constructif avec vos propositions Antoine Lamarche !
Il y a déjà eu une consultation de Valérie Pécresse concernant nombre des mesures proposées. 90% d’opposition de la part des banlieusards franciliens (ceux qui ne circulent pas qu’en trottinette). Seule réponse de la mairie de Paris -> attaquer en justice Mme Pécresse pour consultation non autorisée…
Article très instructif, comme souvent. Merci beaucoup.
déprimant….
Eh oui, l’enfumage continue, et pas que celui des pots d’échappement…