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Le rapport de synthèse du GIEC est sorti lundi 20 mars 2023 et est, comme les trois derniers, passé à la trappe médiatique. Plutôt que de revenir sur ce manque de couverture comme ce fut le cas pour les précédents rapports, revenons ici sur un autre phénomène particulièrement préoccupant : la récupération politique des travaux de synthèse du GIEC par certains acteurs.
Ce n’est pas forcément un phénomène nouveau. Dans les années qui ont précédé le 6e rapport, certaines grandes entreprises se servaient du GIEC pour justifier leur politique ou business model, principalement pour justifier leur méthode de compensation carbone. Pourquoi changer de modèle quand vous pouvez tout simplement écrire que vous allez compenser vos émissions en plantant des arbres, comme “le GIEC l’évoque” ?
Air France avait été directement épinglé par Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du 1er groupe de travail du GIEC, et avait mis à jour son site dans les 48h. Mais ici, ce sont directement des journalistes, politiques et autres comptes influents sur les réseaux sociaux qui sèment la désinformation pour servir leurs intérêts politiques et/ou financiers.
A droite comme à gauche, des politiques pas au niveau
Notre monde n’est plus celui de nos parents. Les enfants nés aujourd’hui ne connaitront jamais le monde tel que nous le connaissons. Le choix de garder une Terre habitable pour le plus grand nombre dépend des choix que nous faisons aujourd’hui. C’est l’une des conclusions du rapport de synthèse qui vient d’être publié, et illustrée dans ce graphique :
Si aucun parti politique français d’envergure n’est aujourd’hui climatosceptique, la majorité d’entre eux sont climato-rassuristes. Ils reconnaissent que l’homme est responsable du changement climatique, mais vous diront plutôt que ce n’est pas si grave, que l’on exagère et que l’homme s’est toujours adapté, ou que la solution est technique et que l’innovation et la croissance verte vont tout solutionner.
C’est le cas David Lisnard, maire de Cannes et à la tête du parti Nouvelle Energie. Une semaine avant la sortie du rapport du GIEC, il avait multiplié les mensonges et approximations sur le plateau de Quotidien. Lors de la sortie du rapport, il a mis en avant les notions de “TECHNOLOGIE” et FINANCES” pour surmonter les problèmes climatiques, en citant Hoesung Lee, et présentant le rapport du GIEC comme un message d’espoir.
C’est un exemple de cherry-picking, procédé qui consiste à mettre uniquement les faits ou les données qui soutiennent une thèse en délaissant ou cachant celles qui la contredisent. D’après David Lisnard, la croissance verte est la solution. Comme il lui plait de parler d’idéologie, rappelons que la croissance verte est également une idéologie qui se révèle être un échec pour éviter un réchauffement mondial de +1.5°C. Mais visiblement celles et ceux qui le soulignent, y compris des scientifiques, sont des idéologues.
Des attaques sur des autrices et auteurs du GIEC
Plus inquiétant, David Lisnard lui-même et certains membres de son parti politique s’en sont pris directement à des autrices et auteurs du GIEC :
Ces attaques reproduisent les mêmes procédés que les climatosceptiques : attaquer directement les scientifiques et les discréditer, eux et/ou leurs travaux. Ici, Yamina Saheb et sa “croyance collectiviste totalitaire”, et “le GIEC est un lobby”. Des mots particulièrement injustes et infondés lorsque l’on sait les centaines d’heures de travail bénévole que les autrices et auteurs ont passé afin de synthétiser la littérature scientifique. Pour comprendre le fonctionnement du GIEC, lire cet article.
Servir son agenda politique avant tout
David Lisnard n’est pas un cas isolé lorsqu’il s’agit de se servir du dernier rapport du GIEC et de servir son agenda politique. A droite comme à gauche, nous avons pu constater le même procédé de cherry-picking.
Ci-dessous, deux exemples avec Julie Laernoes et Cyrielle Chatelain :
En aucun cas le GIEC n’a dit qu’il fallait privilégier les ENR au nucléaire ou que le nucléaire n’était pas “la solution face au réchauffement climatique”. Dans un article dédié au GIEC et au nucléaire, j’avais expliqué que le GIEC ne recommandait rien, qu’il ne faisait pas de modèles, qu’il n’était ni POUR ou CONTRE le nucléaire et que cela dépendait des modèles et hypothèses de départ, et qu’enfin et surtout, ce sont aux politiques de dire comment arriver à X ou Y type de société, en recommandant et en prenant des décisions. Pas au GIEC.
Le gouvernement a lui aussi tenté de récupérer le rapport du GIEC, notamment par le biais de Bruno Le Maire sur LinkedIn, qui a directement interpellé Thomas Wagner et Bon Pote. La réponse est claire. Malgré les promesses et discours, le gouvernement français est loin, très loin de faire ce qu’il faudrait pour respecter les engagements climatiques de la France et protéger les Françaises et Français des aléas climatiques.
L’urgence d’agir pour baisser nos émissions est au moins dans les discours un constat partagé par l’ensemble de la classe politique (mis à part Eric Zemmour et Marine Le Pen, qui n’ont par exemple jamais évoqué le GIEC dans leur communication sur Twitter, pourtant réseau social préféré des politiques).
Mais la science ne doit pas servir d’alibi pour faire perdurer le système mortifère dans lequel nous sommes. Combien de limites planétaires faudra-t-il officiellement franchir pour reconnaître que nous ne pouvons pas continuer ainsi ?
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Méga-bassines, nucléaire… la désinformation en hausse depuis une semaine
Chaque actualité autour du GIEC donne lieu à une recrudescence de la désinformation autour du rapport. Il y a bien sûr les climatosceptiques qui en profitent pour exister, comme l’ont rappelé David Chavalarias et son équipe sur les antivax complotistes. Mais le plus inquiétant est l’utilisation du rapport par des journalistes et comptes influents pour justifier tout et n’importe quoi.
Le 19 mars 2023, Géraldine Woessner (journaliste au Point) attaquait Bon Pote sur LinkedIn en indiquant “qu’informer est un métier et que cela implique des méthodes et une déontologie qu’il a choisi de ne pas respecter“.
Il est certain que les méthodes de Bon Pote ne sont pas dire que “le GIEC recommande”, comme elle le fait ci-dessous.
Pour cela, il faut comprendre le fonctionnement du GIEC, lire les rapports, et/ou ne pas mentir sur son rôle. Mais que voulez-vous, c’est sûrement la très grande déontologie journalistique qui a poussé Géraldine Woessner à interviewer Sylvie Brunel pour un dossier sur l’eau sorti le 16 mars dans Le Point. Peut-on réellement donner des leçons aux autres quand on interviewe des climatosceptiques en 2023 ?
“Le GIEC recommande les méga-bassines !!”
Sujet d’actualité et particulièrement électrique, les méga-bassines ont été le sujet brûlant du week-end. Et comme à peu près tous les sujets, le GIEC a à nouveau été instrumentalisé, comme le souligne Christophe Cassou, auteur du groupe 1 du GIEC :
A nouveau, le GIEC ne fait aucune recommandation, y compris sur les méga-bassines. C’est ce que rappelle également Gonéri Le Cozannet, co-auteur du rapport du GIEC sur les conséquences du changement climatique et les stratégies d’adaptation. Il rappelle entre autres que “les bassines coûtent cher, ont des impacts environnementaux négatifs et ne seront pas suffisants partout au-delà de certains niveaux de réchauffement climatique“.
Celles et ceux qui disent “le GIEC recommande les méga-bassines” mentent et ont probablement un intérêt à le faire. Même chose pour les personnes qui citent le rapport du BRGM. Les autrices et auteurs du rapport du BRGM ont eux-mêmes réfuté les arguments des personnes qui disaient “basé sur le BRGM et donc la science, les méga-bassines dans les Deux-Sèvres est une bonne idée”.
Bien sûr, les démystifications des autrices et auteurs du GIEC feront 10 à 100 fois moins de réactions sur les réseaux sociaux que la désinformation, y compris lorsqu’elle vient de journalistes TV comme Pascal Perri sur LCI ou directement des ministres Christophe Béchu et Marc Fesneau.
Pour aller plus loin sur le sujet des méga-bassines, vous pouvez lire cet article co-écrit par Magali Reghezza et Florence Habets, et écouter l’audition de Michèle Rousseau, Présidente du BRGM.
Le mot de la fin
Si l’urgence climatique fait plutôt consensus, les moyens de lutter contre le réchauffement climatique vont probablement faire débat jusqu’à ce que le réchauffement ne soit plus une réalité. L’un des risques principaux est l’instrumentalisation des propos des scientifiques par des politiques ou journalistes qui ont des intérêts à le faire. Le cherry-picking est de mise, bien souvent pour défendre à tort une vision biaisée sur le nucléaire ou les ENR.
Les politiques, de droite comme de gauche, devraient tout faire pour que les citoyennes et citoyens puissent vivre dans une société soutenable et juste. Comprendre que la justice sociale et climatique sont indispensables pour atteindre nos objectifs climatiques. Comprendre la responsabilité historique des émissions et comprendre que la France doit faire bien plus que ce qu’elle fait actuellement dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Aucun parti politique n’a un programme crédible pour atteindre nos objectifs climatiques. Pendant que certains pratiquent la langue de bois et le greenwashing, des milliers de Français meurent de votre inaction. Femmes et hommes politiques français, soyez à la hauteur.
9 Responses
Si une bassine, c’est du technosolutionisme alors que c’est juste un trou, qu’est ce que sont les éoliennes et les panneaux solaire? Du Méga Néo technosulutionismes?
Bonjour et merci pour cet article. Juste un point quand vous dites
“Aucun parti politique n’a un programme crédible pour atteindre nos objectifs climatiques”.
Non en fait, c’est faux : voir https://reseauactionclimat.org/presidentielle-candidats-climat/
Merci pour cette petite nuance 😉
Réseaux action climat qui a “sortir du nucléaire” dans son réseau qui souhaite “lever le tabou du charbon et du gaz pour pouvoir sortir du nucléaire”… c’est une blague?
Source svp ?
Bonjour Thomas, est-ce que vous ferez une infographie sur le rapport du GIEC, comme celle de l’an dernier qui était si claire et si didactique ? Merci !
Bonjour, c’est déjà disponible, en bas de l’article de la synthèse du rapport du GIEC 😉
Oups, merci pour votre précieux travail !!
Bonjour Thomas. Je voudrais apporter un éclairage complémentaire sur le volet “Eau et désinformation” de votre article, en ciblant le dossier « le scandale de l’eau » piloté par Géraldine Woessner, qui a été publié dans Le Point daté 16 mars 2023. En plus de la présence de Sylvie Brunel, le dossier est inexact et biaisé sur beaucoup d’aspects. Il aurait presque mérité un “fact checking” complet… En voici une version rapide et partielle, puisque je suis moi-même journaliste écrivant régulièrement sur l’eau :
1. L’un des articles du dossier, intitulé « l’écologie se bat contre les moulins », est consacré à la continuité écologique. Il tire à boulets rouges sur ce principe bien connu en gestion des milieux aquatiques et ainsi il omet totalement les réussites, décrivant une réalité quasi alternative ! Les réussites sont pourtant bien documentées (1), par exemple en termes de réduction du risque d’inondation fluviale (crue). Il est frappant de voir l’article citer autant de défenseurs des moulins patrimoniaux, sans aucun recul ni point de vue contradictoire (à peine une citation rapide de FNE et d’un ministère). Pourtant la donnée indépendante et pertinente est facilement accessible : il suffisait de lire l’excellent rapport (ou son résumé) que le Conseil général de l’Environnement et du Développement durable (CGEDD) a écrit sur le sujet en 2016 (1). Toujours d’actualité, il est intitulé « Concilier la continuité écologique des cours d’eau avec la préservation des moulins patrimoniaux, la très petite hydroélectricité et les autres usages ». Ses auteurs y présentent les réussites de la continuité écologique, ainsi que les effets négatifs de certaines suppressions de seuils de moulins…Car il y a du positif et du négatif dans la continuité écologique, ce que le Point ne dit pas. Le rapport fait aussi toute une série de recommandations et de solutions qui restent d’actualité. Mais là aussi, le Point ne s’y est pas intéressé. A l’évidence, ce n’était pas la ligne éditoriale du Point sur cet article, qui préfère induire le lecteur en erreur, avec un message martelé dans l’article : la continuité écologique, ça serait “tout pourri, un cauchemar d’écolo khmers verts” (je force à peine le trait, lisez l’article).
(1) https://www.vie-publique.fr/rapport/36557-concilier-la-continuite-ecologique-des-cours-deau-avec-la-preservation
2. Parmi les défenseurs de moulins interviewés figure Charles-François Champetier, présenté comme « auteur d’un millier d’articles sur le sujet ». Ce monsieur, qui énonce tout de même quelques vérités intéressantes sur les moulins, a pendant des années été un virulent climato-sceptique. Lui aussi ! Il a été animateur du blog climat-sceptique.com et on lui doit une perle du climato-scepticisme français, l’article « Climat : quelques éléments de critique sceptique », publié sur Science & pseudo-sciences en 2008. Je ne dis pas qu’il faut le censurer, il a peut-être reconsidéré sa position depuis 2008. Mais sa présence procure une saveur particulière au dossier du Point : avoir réussi la prouesse (peut-être involontaire ?) d’interviewer deux personnalités climato-sceptiques ou ex climato-sceptiques dans un même dossier de 2023 sur l’eau ! C’est tout de même assez étonnant.
https://www.afis.org/Climat-quelques-elements-de-critique-sceptique#:~:text=Pour%20l'Afis%2C%20le%20consensus,l'association%20%5B1%5D.
3. L’article central écrit par Géraldine Woessner est parsemé d’affirmations non vérifiées, d’opinions idéologiquement situées : on y trouve par exemple un jugement à l’emporte-pièce sur l’agence de l’eau Loire Bretagne provenant… d’un grand connaisseur des politiques de l’eau, Laurent Wauquiez. Autre exemple, à propos de la crise de l’eau sur le bassin du Têt, la journaliste n’apporte pas l’ombre d’une perspective historique sur le déséquilibre quantitatif de l’eau, alors qu’il a été constaté localement il y a plus de 10 ans. Ni ne prend pas la peine d’interroger FNE, qui dispose pourtant d’une expertise reconnue sur la situation, loin de la caricature qu’elle voudrait faire de FNE, assimilé (quelle marque d’ignorance) à “une frange d’écologistes”.
Le dossier aura aussi réussi cette ultime prouesse : ne mentionner dans aucun de ses 5 articles, la crise de la biodiversité, alors qu’elle est clairement au coeur de la crise de l’eau, en interaction avec la crise climatique.
LePoint quoi…
Merci pour votre éclairage cela dit !