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Le Name and Shame écologique est-il efficace ?

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le Name and Shame n’a rien de nouveau. De Mandela pour dénoncer l’Apartheid, à Greenpeace qui en a fait sa stratégie préférée, voilà des décennies que le Name and Shame est utilisé. C’était d’ailleurs une promesse du Président E. Macron, qui souhaitait que l’on puisse se servir du Name and Shame pour inciter les entreprises à améliorer leurs pratiques en matière d’égalité professionnelle.

La mise en œuvre des objectifs ambitieux de l’Accord de Paris dépendra des contributions des États et des acteurs non étatiques, en particulier des grandes multinationales. Ces entreprises ont des obligations particulières en matière de protection de l’environnement, mais il n’y a pas de consensus sur la nature et l’étendue de ces obligations. En l’absence de réglementations pertinentes (et exigeantes), le Name and Shame écologique est-il une arme efficace pour parvenir aux résultats escomptés ?

Même si le principe du Name and Shame est très facile à comprendre, en mesurer son efficacité (et sa légitimité) est une toute autre chose.

Qu’est-ce que le Name and Shame ?

Littéralement, “name and shame” veut dire “nommer et faire honte”, ou “nommer et couvrir de honte”. Une pratique consistant à publier le nom de personnes physiques ou morales impliquées dans des activités tenues pour répréhensibles. C’est l’une des mesures phares de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, avec la mise en place d’un «name and shame» à la française.

L’année dernière, la loi 2019-486 du 22 mai 2019, dite Loi PACTE, relative à la croissance et la transformation des entreprises ajoute que : ‘la décision prononcée (c’est-à-dire l’amende administrative) par l’autorité administrative peut être publiée sur le site internet, et aux frais de la personne sanctionnée sur d’autres supports‘.

En d’autres termes, en plus d’être un mauvais élève, vous pourriez avoir votre nom affiché au tableau. C’est donc une nouvelle donne pour les entreprises : l’atteinte à la réputation est désormais un risque à prendre en compte, au même niveau (voire plus) que les sanctions financières. La perspective d’un bad buzz ou d’une réputation ternie peut potentiellement coûter bien plus cher à une entreprise que quelques milliers d’euros.

Brune Poirson, amatrice de Name & Shame

Avant de rentrer dans l’analyse approfondie de son efficacité, il est intéressant de voir quelle a été l’utilisation du Name and Shame ces deux dernières années. Prenons comme exemple Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire avant le remaniement. Souhaitant promouvoir la #LoiantiGaspillage, elle s’est servie du Name and Shame en glissant un tacle à E.Leclerc directement sur Twitter. ATTENTION ! Ce qui va suivre pourrait heurter la sensibilité des plus jeunes. Ci-dessous, rare image qui résume l’action de Brune Poirson au gouvernement Macron en 3 ans :

Name and Shame de Brune Poirson avec Leclerc
Source : https://twitter.com/brunepoirson/status/1268883276715917312?s=20

Je vous l’avais dit, que c’était choquant. D’ailleurs, le président de Leclerc, acculé, s’est senti obligé de répondre. Je vous laisse juger de la qualité de sa réponse ci-dessous. Nous pouvons tout de suite constater que ces dirigeants ont bien pris la mesure des enjeux et ne sont pas du tout hors-sol :

Name and Shame et réponse de Michel-Edouard Leclerc
Source : https://twitter.com/Leclerc_MEL/status/1269024572197797888?s=20

Pourquoi utiliser le Name and Shame ?

Bien sûr, chacun y est allé de son interprétation. Pourquoi ce shaming ? Brune Poirson s’est-elle jetée sur l’occasion pour promouvoir la loi Anti Gaspillage, rappelant ainsi sa grande utilité dans l’action publique pour la cause écologique ? J’imagine qu’E.Macron a été convaincu et l’a reconduite dans le gouvernement Castex…

Revenons à la question initiale. Ce shaming a-t-il été efficace ? La réponse est oui. Le magasin a été rappelé à l’ordre et ne devrait certainement pas recommencer. C’est également un avertissement potentiel pour tous les autres qui seraient dans le même cas. Ce Name and Shame a également été pertinent pour plusieurs raisons : Un tweet, c’est 15 sec d’effort. Ensuite, ce n’est pas vraiment coûteux (allez, au prorata du salaire de B. Poirson).

Enfin, c’est surtout terriblement rapide et efficace : plutôt que de passer par le tribunal, la politique s’est servie du tribunal de l’opinion publique, qui on le sait, peut peser très lourd à l’heure des réseaux sociaux.
Nous avons donc un premier élément de réponse. Oui, le Name and Shame peut-être efficace. Mais est-ce que son utilisation est réservée à la sphère politique ?

Le Name and Shame comme contre pouvoir citoyen

Evidemment, le Name and Shame paraîtra complètement inutile aux personnes heureuses dans ce système, qui pensent que le gouvernement et les entreprises font leur maximum pour lutter contre le changement climatique et le massacre de la biodiversité. Oui, cela existe, si vous habitez dans une grotte, ou que vous n’en avez tout simplement rien à faire des autres et de l’avenir d’une partie de l’espèce humaine.

Pour les autres, cela diffère légèrement. Nous avons très souvent le réflexe de penser que nous ne pouvons rien contre les ‘multinationales’, contre le ‘système’. Il est certain qu’obtenir un changement systémique ne se fera pas uniquement grâce à votre seule bonne volonté. C’est ici qu’intervient l’effet groupe. Les class actions n’ont certes pas vraiment eu de succès en France, mais il existe un autre moyen de se regrouper facilement et rapidement : les réseaux sociaux.

2 exemples de Name and Shame réussis

A travers deux exemples, je vous prouve qu’il est possible de faire bouger les lignes. Premièrement, en interpellant Air France en juillet dernier. En plus de mentir sur sa communication, l’entreprise mentait sur les calculs de l’impact de l’avion :

Name and Shame de Bon Pote avec Air France qui ment sur ses vols neutre en CO2
Source : https://twitter.com/bonpoteofficiel/status/1287322345934393346?s=20

Résultat : effet boule de neige, Valérie Masson-Delmotte est taguée plusieurs fois et fait le lendemain un tweet pour reprendre la communication mensongère d’Air France. Ils ont depuis corrigé ce mensonge du ‘vol neutre en CO2’.

Deuxième exemple avec Laydgeur qui rappelle à l’ordre Dassault, qui outre sa communication à vomir sur l’impact climatique de l’avion, n’avait pas publié son bilan carbone, ce qui pourtant est une obligation. Miracle ! Quelques jours plus tard :

https://twitter.com/OpenCarbonWatch/status/1307918500179120128?s=20

Encore une fois, est-ce que le Name and Shame a été efficace ? La réponse est oui.

Précisons tout de même une chose : ce n’est en aucun cas le rôle des citoyens de s’assurer que des groupes qui font des milliards de CA respectent les règles. Personne ne me fera croire qu’Air France n’a pas sciemment écrit ”vol neutre en CO2″ sur son site internet pour soulager la conscience de l’usager, afin qu’il puisse croire que prendre l’avion n’a finalement pas vraiment d’impact. Ce n’est pas aux professionnels des sujets de neutralité carbone, à l’instar de Renaud Bettin, de rappeler à l’ordre Velux sur sa communication mensongère. Nous avons tous mieux à faire.

Notons également que ce Name and Shame concerne un périmètre d’action très restreint, et qu’il faut avoir les moyens de le faire. Inutile de rappeler ce qu’il arrive aux lanceurs d’alerte lorsqu’ils dénoncent de vrais scandales. Voyez donc une première limite au Name and Shame, que nous expliciterons plus largement ci-dessous : vous pouvez déranger certaines entreprises, mais uniquement jusqu’à un certain point.

Pas de règle universelle pour l’efficacité du Name & Shame

L’efficacité du Name & Shame partage une caractéristique commune avec le point de bascule : elle est hétérogène dans le temps et l’espace.

La littérature scientifique suggère que le Name and Shame peut contribuer à un changement de comportement parmi les entreprises, mais “le degré auquel la honte fonctionne pour changer le comportement varie largement selon les entreprises et les secteurs” (Haufler 2015, 199). Difficulté supplémentaire : cela dépend également du régime politique.

Les incitations à modifier un comportement face à une condamnation internationale varient selon les types de régime. Dans les démocraties et les régimes hybrides – qui combinent des éléments démocratiques et autoritaires – les partis d’opposition et la presse relativement libre rendent paradoxalement les dirigeants moins susceptibles de changer de comportement lorsqu’ils sont confrontés à la critique internationale. En revanche, les autocraties, qui ne disposent pas de ces sources d’information nationales sur les abus, sont plus sensibles à la ‘honte’ internationale.

En utilisant des données sur le Name and Shame tirées de rapports de la presse occidentale et d’Amnesty International, Virginia Haufler démontre que le Name and Shame est associé à une amélioration des résultats en matière de droits de l’homme dans les autocraties, mais sans effet ou avec une détérioration des résultats dans les démocraties et les régimes hybrides. Ce constat m’a immédiatement fait penser à la nomination de Gérald Darmanin par E. Macron : dans notre belle démocratie, vous pouvez être accusé de viol et être ministre de l’intérieur. Sans shame donc.

L’efficacité du Name and Shame est-elle la même pour toutes les entreprises ?

Il n’y a pas de solution unique pour toutes les entreprises. Il existe 3 types de relations entre entreprises : les relations entre entreprises et consommateurs (B2C), les relations entre entreprises et gouvernements (B2G) et les relations entre entreprises (B2B). Bien sûr, une entreprise peut avoir deux, voire trois types de relations. Que nous dit la littérature scientifique sur ces relations ?

Les exemples les plus marquants dans lesquels la ‘honte’ a influencé le comportement des entreprises concernent les questions liées à la RSE et à la gestion de l’environnement. Dans ces exemples, l’humiliation s’avère efficace car ces entreprises sont en contact direct avec leurs consommateurs (B2C). Rappelez-vous par exemple le scandale du Slip Français, ou encore Findus et la viande de cheval : ces 2 évènements ont coûté très cher à ces entreprises. L’atteinte à leur image nuit directement à leurs activités, surtout si les consommateurs décident de boycotter la marque.

Relation B2B et B2G

De nombreuses grandes entreprises sont engagées dans des relations d’entreprise à entreprise (B2B) ou d’entreprise à gouvernement (B2G), dans lesquelles la pression des consommateurs individuels est moindre, parfois même inexistante. Le Name and Shame fonctionne alors différemment. Les États sont en principe en mesure d’utiliser ce procédé sur une entreprise pour non respect de la loi. Il existe cependant au moins 3 limites à cela.

Premièrement, les États peuvent être enclins à blâmer à tort les entreprises, pour par exemple couvrir leur propre incompétence ou le non-respect des accords internationaux (ohhhh ”Redirect responsability, cela vous rappelle quelque chose ?).

Deuxièmement, dans les États économiquement moins puissants, il peut y avoir une sérieuse réticence à utiliser le Name and Shame sur des entreprises, fonction de leur poids économique. Imaginez-vous le gouvernement finlandais en mesure de faire du Name and Shame avec Nokia, qui représentait 70% de la capitalisation boursière de la bourse d’Helsinki au début des années 2000 ?

Troisième et dernier cas de figure, les relations interentreprises dans lesquelles ni l’atteinte à la réputation ni une relation directe avec l’État ne seraient dissuasives. Un exemple simple qui parlera à tout le monde : Bruno Le Maire qui souhaitait taxer Amazon (à juste titre, qui pratique une évasion optimisation fiscale honteuse depuis des années). Malheureusement, son courage n’a pas duré bien longtemps. Quand Jeff Bezos souffle, Bruno le Maire prend une tornade. Maintenant, imaginez Barbara Pompili interpellant Amazon pour sa neutralité carbone…

Argent ou Climat, il faut choisir

Je ne compte plus le nombre de politiques que j’ai entendus dire ‘j’attends des entreprises qu’elles prennent la mesure du changement climatique et agissent en conséquence’. C’est bien simple, AUCUNE entreprise cotée en bourse n’a jamais pris le pari de réduire son bénéfice pour le climat, sans y être contrainte. Les raisons, vous les connaissez : pression des actionnaires, maximisation de la valeur des actifs.

Dans la même logique, les entreprises continueront à faire un arbitrage entre gains et pertes avec l’écologie. Tant que les pertes sont insignifiantes, aucune raison de changer de modèle. Si elles le font, c’est qu’il y a un intérêt court terme à le faire. Pas à long terme. Court terme. C’est exactement la même logique avec le Name and Shame écologique.

Les entreprises continueront à jouer avec les limites de la légalité, tout en jouant avec les limites physiques de notre planète. Compter sur le volontariat (excuse n°9) des entreprises est une folie, que seuls des irresponsables peuvent espérer.

Le mot de la fin

Le Name and Shame peut être une stratégie efficace pour inciter les entreprises à réduire leurs émissions de GES, mais seulement sous certaines conditions. Tout d’abord, il faut que les engagements (en l’occurrence RSE) présentent des avantages importants, comme une reconnaissance publique d’une politique RSE réussie. Ensuite, il faut un mécanisme d’amende ou de ‘shame’ qui coûte très cher à l’entreprise si elle ne respecte pas les règles. Nous avons vu ici que cela peut potentiellement coûter plus cher aux entreprises avec une relation B2C.

En effet, dans les relations B2G, la honte peut perdre de son efficacité, selon la volonté et la capacité des États. Dans les relations B2B, le Name and Shame n’est pas vraiment la meilleure stratégie : il y a peu d’informations publiques sur ces interactions et surtout, l’atteinte à la réputation n’est plus un élément dissuasif potentiel.

La bonne question à se poser n’est donc pas ‘le Name and Shame écologique est-il efficace, mais plutôt, à quel point ? Qu’Air France retire ‘neutre en CO2’ sur son site est une bonne chose, mais Air France va-t-il pour autant faire les efforts nécessaires et chercher à atteindre la neutralité carbone ? Compte tenu des mensonges à répétition de leurs dirigeants, bien aidé par Jean-Baptiste Djebbari, j’en doute fort. Cette question politique sur la gouvernance du climat est d’ailleurs explicitée dans le livre de Dahan et Aykut Gouverner le climat, que je vous recommande à nouveau.

Que faire quand les règles ne suffisent plus ?

Enfin, deux derniers points. Le Name and Shame concerne le cadre légal et le non respect des règles. Très bien. Mais que faire lorsque les règles sont insuffisantes ? Prenons par exemple les efforts de la France pour décarboner son économie, absolument insuffisants par rapport à nos engagements lors de l’Accord de Paris. Nous devons baisser nos émissions de 7.6%/an. Regardez ce que la SNBC annonce, repris dans le dernier rapport du Haut Conseil pour le Climat :

Source : https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2020/09/hcc_rapport_grand-public_2020_-2.pdf

Compte tenu des conséquences du changement climatique, nous pouvons tout simplement dire que nos objectifs (et résultats), en étant très insuffisants, seront responsables de milliers de morts. Aussi, comprenez que le Name and Shame aura ses limites et que la violence de l’inaction climatique aura comme seule réponse la désobéissance civile. C’est inévitable.

J’anticipe ainsi une augmentation très nette du procédé de Name and Shame écologique en France dans les mois et années à venir. Au fur et à mesure que les français se rendront compte de l’urgence climatique, ils passeront par les étapes du déni et colère, où ils chercheront à rejeter la faute sur les autres et à trouver des coupables. Notre procrastination coûte et coûtera de plus en plus cher : il est temps d’agir.

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Auteur
Thomas Wagner
Prendra sa retraite quand le réchauffement climatique sera de l’histoire ancienne

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