Claude Allègre n’est pas n’importe quel climatosceptique. C’est probablement l’une des personnes qui a le plus semé le doute quant à la responsabilité humaine dans le changement climatique.
En 2010, un débat a lieu à Paris entre Claude Allègre et Valérie Masson-Delmotte, alors paléoclimatologue et déjà une scientifique spécialiste du climat reconnue. Claude Allègre y étale son arrogance, enchaînant tour à tour les arguments d’autorité et les arguments climatosceptiques.
Pour comprendre le présent et mieux agir dans le futur, il est indispensable de comprendre le passé. Alors que les climatosceptiques pullulent sur les réseaux depuis l’été 2022, revoir cette séquence peut être utile pour deux raisons principales.
Premièrement, observer à quel point le débat télévisé n’a rien à voir avec le débat scientifique, écrit, revu par les pairs. Deuxièmement, c’est un excellent entrainement pour répondre aux arguments climatosceptiques, qui sont, malheureusement ou heureusement, toujours les mêmes en 2023.
Mise en contexte : qui est Claude Allègre ?
Comme il n’est pas n’importe quel climatosceptique, il faut tout de même préciser le parcours de Claude Allègre pour comprendre son arrogance sur le plateau. D’abord scientifique en tant que géochimiste, ses travaux lui ont valu plusieurs prix, dont la médaille d’or du CNRS en 1994. Un argument de taille pour assoir sa notoriété médiatique, puisque c’est la plus haute distinction scientifique française.
Il a par ailleurs écrit plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique, chose qu’il adorait rappeler dans ses interventions médiatiques. Une personne qui base son argumentation sur le nombre d’articles ou de livres qu’il ou elle a écrit devrait être un avertissement de taille quant à sa crédibilité. C’est également le cas de Didier Raoult ou de Christian Gérondeau, spécialiste de la sécurité routière, tous deux climatosceptiques notoires. En d’autres termes, avoir une compétence dans un domaine ne vous donne pas autorité dans un autre domaine.
Claude Allègre a également eu une carrière remarquée en politique et fut notamment ministre de l’Education nationale, de la Recherche et de la Technologie dans le gouvernement Jospin. Très loin de faire l’unanimité, y compris au sein de son propre parti. A l’instar du désormais célèbre “il faut dégraisser le mammouth“, ses sorties fallacieuses et controverses répétées avaient mené Lionel Jospin à lui demander sa démission moins de trois ans après.
Claude Allègre a-t-il toujours été climatosceptique ?
Un fait plutôt surprenant que j’ignorais avant la préparation de cet article, c’est que Claude Allègre n’a pas toujours été climatosceptique. Dans 12 clés pour la géologie, un livre d’entretien avec Emile Noël (Allègre et Noël 1987), il affirme que “l’homme perturbe le climat” et que “que l’impact du CO2 entraîne une élévation de la température du globe alors que les paramètres astronomiques (influençant le climat) devraient conduire à un lent refroidissement”.
Ce n’est qu’après le second rapport du GIEC, en 1995, qu’il commence sa volte-face avec une chronique dans Le Point intitulée “Fausse alerte”. Selon lui, il s’agit d’un danger imaginaire inventé par des lobbies. C’est pourquoi, malgré l’évidence, “on continue à affirmer l’existence de l’effet de serre et ses dangers imminents”.
Une déclaration pareille souligne surtout une méconnaissance du fonctionnement du GIEC, ou justement un intérêt politique ou financier à le faire. Le fameux lobby du GIEC, dont le budget n’est que de quelques millions par an… contrairement à Total qui a financé ses recherches et celles de Vincent Courtillot, un autre célèbre climatosceptique.
Conflits d’intérêt ? Les intéressés disent que non. Mais ce ne serait pas la première fois que les industries payent des scientifiques pour semer le doute. Pas la première fois non plus qu’on verrait un scientifique changer de discours, et passer plus de temps à taper sur les activistes climat que sur Total.
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Quand la presse soutenait Claude Allègre
Claude Allègre n’est pas étranger dans le retard de la prise de conscience du réchauffement climatique anthropique en France. Mais son impact négatif n’aurait jamais été aussi grand sans qu’une partie de la presse ne l’y aide. Bon client, grande gueule, adepte de la polémique, les recettes d’aujourd’hui marchaient déjà dans les années 2000. Grâce à de nombreuses invitations dans des médias grand public, il a pu propager des contre-vérités sur le climat pendant des années.
Des journaux comme Le Point et l’Express ont très largement participé à relayer ses idées climatosceptiques, mais ils ne sont pas les seuls. David Pujadas était déjà dans les bons coups, ainsi que Gérald Bronner, aujourd’hui président de la commission de lutte contre les fake news, qui relayait en 2010 des propos climatosceptiques.
Heureusement, certaines personnes lui tenaient déjà tête. La journaliste Jade Lindgaard pour Médiapart, Sylvestre Huet dans son livre ‘L’imposteur, c’est lui“, mais aussi et surtout les six cents chercheurs en science du climat qui avaient publié un courrier de protestation accusant Claude Allègre et Vincent Courtillot de “ne pas faire passer leurs philippiques par le “filtre standard des publications scientifiques”. Valérie Pécresse (alors ministre de la Recherche) avait alors dû intervenir, réaffirmant son soutien aux chercheurs et chercheuses en sciences du climat.
Cette riposte avait très largement entaché la crédibilité scientifique de Claude Allègre, mais cela ne l’a pas empêché de vendre son livre L’imposture climatique à plus de 100 000 exemplaires. Un niveau de désinformation climatique rare en France.
Comment répondre à ces arguments ?
Un débat télévisé n’est pas un exercice aussi facile que de répondre à l’écrit, calmement, avec les sources à disposition. A en croire Jean Jouzel, débattre avec Claude Allègre n’était pas de tout repos :
Et pendant toutes les années 2000, il a continué à nous attaquer. Dans les journaux, les livres, à la radio. Lors d’une émission télévisée, il nous a tous traités d’escrocs. C’était si violent que la fois suivante, moi qui disais toujours qu’il fallait discuter, convaincre, j’ai refusé d’y aller. Valérie Masson-Delmotte m’a remplacé et elle a été bien meilleure que moi.
Il est aujourd’hui “facile” de réfuter tous les arguments de Claude Allègre. Le réchauffement climatique anthropique était déjà évoqué dans les rapports du GIEC en 2010 et il est écrit dans le 6e rapport du GIEC, qu’il est “incontestable que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, les océans et les terres.”
Répondre aux arguments fallacieux et mensonges de Claude Allègre est un excellent entrainement. Tout est à disposition sur le site Bon Pote pour se former et y répondre avec des sources :
- Les 20 articles co-écrits avec le CNRS
- Les 3 synthèses du dernier rapport du GIEC
- 100 discours et idées reçues d’inaction climatiques refutés dans le diner du siècle
Bonus : l’antisèche spéciale Claude Allègre
Voici une antisèche si vous souhaitez réfuter les propos de Claude Allègre. Pour les personnes qui iront au bout du débat, courage, car il est insupportable à écouter. En évitant tout de même de tomber dans la loi de Brandolini, voici 5 erreurs évidentes :
2.08 : “Le traitement de données dans le GIEC est nul, c’est scientifiquement nul”
Les données sont transparentes, accessibles, et tout le monde pourra juger de leur véracité. C’était déjà vrai en 2010, et c’est toujours le cas aujourd’hui.
2.36 : Confusion entre météo et climat, puis moyenne mondiale
Claude Allègre fait un classique : confusion entre météo et climat. Mais le plus important, comme le rappelle à juste titre Valérie Masson-Delmotte, c’est la tendance.
6.42 : “C’est une imposture de dire qu’on peut prévoir les choses à 100 ans”
Les prévisions faites il y a 20 ans sont en accord avec ce qui est observé aujourd’hui. Vous pouvez imaginer qu’avec l’amélioration des moyens techniques 20 ans après, les modèles se sont améliorés et ont donc augmenté leur précision… Les modèles sont extrêmement fiables et le réchauffement climatique dépendra de décisions politiques ! Pour mieux comprendre comment marchent les modèles climatiques, un article complet a été rédigé sur Bon Pote
C’est exactement le même principe pour la hausse du niveau des mers, comme l’explique très justement Valérie Masson-Delmotte.
12:10 : Est-ce qu’ajouter du CO2, cela réchauffe le climat ?
Claude Allègre répond ici à côté, en disant “je ne sais pas de combien, et il faut que tout le monde sache que c’est quand même 0,03%”. Il fait référence à un argument classique des climatosceptiques, facilement réfutable.
Les données montrent que le CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 280 ppm* (parties par million en volume) en 1850 à plus de 400 ppm aujourd’hui. Techniquement, cela veut dire qu’actuellement le CO2 représente une fraction du volume atmosphérique équivalent à 0, 04 %.
Cela peut sembler insignifiant mais la croissance observée représente une augmentation relative de 42% en 170 ans ! Nous reviendrons plus bas sur les conséquences.
PS : il reprend le même argument à 15.18 de la vidéo, en disant qu’il n’y a pas de preuve. C’est également faux, cf l’article en lien ci-dessus.
13:51 : “l’Homme s’est adapté depuis la nuit des temps”
C’est faux, et nous l’avons expliqué avec Magali Reghezza dans cet article. Transformer les sociétés et les habitats, modifier les pratiques, développer des solutions techniques a pris des siècles !
Le changement climatique d’origine anthropique est unique, tant par sa vitesse que son ampleur. Les humains n’ont jamais eu à s’adapter à de tels bouleversements. C’est en cela que dire “l’homme s’est toujours adapté” est faux, ou a minima fallacieux. Il s’est peut-être adapté, mais à quoi et à quel prix ?
9 Responses
Article très instructif, comme souvent sur bonpote, merci 😍!
Par contre, possible de configurer les vidéos intégrés pour ne pas se lire automatiquement 🤗 (c’est bon pour la planète ^^) ?
Et si on parlait plutôt de Marcel Leroux, un vrai climatologue, pour le coup et l’un des meilleurs ? Ah ben non, il est mort et totalement blacklisté par les médias subventionnés ! Bon, tant pis, on dira qu’on en a juste rien à foutre de votre “réchauffement climatique”, à défaut de prouver quoi que ce soit.
Cet homme est puant de suffisance et un menteur invétéré. C’est dur de réfuter calmement …
Cette vidéo me fait l’effet d’un cours en gestion des émotions face à des climatosceptiques – sans compter l’attitude bien propre au patriarcat, Valérie Masson-Delmotte coupée quinze milliards de fois par Claude Allègre. Franchement si je sors de là détendu je crois que je peux surmonter n’importe quel dîner familial !
Je confirme qu’il faut avoir une ceinture noire de patience ici 😉
Cette vidéo est vraiment anxiogène. Claude Allègre est insuportable.
Pour Gérald Bonner, le lien cite une page web qui n’existe plus… impossible de savoir ce qu’il en ressort exactement…
mais ce n’est pas faux que dire que l’effet de serre ne fonctionne pas du tout comme 99% des gens pensent (et j’en fais partie car je ne comprends pas l’explication)
Si vous voulez vous y essayer: https://youtu.be/oqu5DjzOBF8
Vous avez un lien pour le financement de Courtillot par Total ?
Bon, j’ai trouvé sans vous, mais c’est bien de sourcer…
https://www.slate.fr/story/13619/faut-il-bruler-les-climatosceptiques