“Tu devrais partager plus de bonnes nouvelles, les gens adorent ça”. Les bonnes nouvelles climatiques, c’est un bon créneau. Ça donne du baume au cœur, ça rassure, et ça marche très bien sur les réseaux sociaux.
Mais rappelons les faits. Lorsque vous suivez l’actualité sur le climat et l’environnement, la réalité est que l’immense majorité des nouvelles est mauvaise. Prétendre le contraire, ou montrer le contraire, c’est soit mentir, soit faire du cherry-picking. Il est certain qu’un média peut faire le choix de mettre en avant une majorité de bonnes nouvelles, mais nous serions alors très loin de présenter un constat factuel de la situation, tant sur les politiques d’atténuation que d’adaptation au changement climatique.
Qui aurait pu prédire une telle année ?
Sans surprise, l’année climatique 2023 a été mouvementée. Et cela risque d’être la norme pour les décennies à venir. Si vous n’avez pas eu le temps (ou l’envie) de suivre l’actualité cette année, il n’est jamais trop tard pour se tenir informé(e).
En mars, le rapport de synthèse du GIEC rappelait que chaque dixième de degré de réchauffement planétaire compte et que nous n’étions pas sur une trajectoire de baisse des émissions. Depuis le 1er volet du 6e rapport du GIEC sorti en août 2021, il n’y a pas eu de surprise majeure, ni de bonne nouvelle qui aurait pu faire la une des journaux. L’année 2023 est par ailleurs l’année record des émissions de CO2, avec environ 40,9 milliards de tonnes, et la plus chaude depuis l’ère industrielle.
Certains trouveront des motifs de satisfaction après la COP28, où les énergies fossiles sont enfin évoquées pour la première fois dans un texte final. Mais la réalité, c’est qu’il est possible de faire du cherry-picking dans ce texte qui contente beaucoup de monde, y compris sur le fait de continuer à produire des énergies fossiles. Aucune obligation de réduire la production d’énergies fossiles ni aucune piste sur comment financer une transition juste et équitable. C’est cela aussi, apporter une information factuelle, comme dans cet article.
Un traitement médiatique à la hauteur ?
Y a -t-il eu du mieux du côté des médias concernant le traitement médiatique du réchauffement climatique ? Là aussi, une réponse nuancée est de mise. Il existe des motifs de satisfaction et des améliorations certaines pour nombre de médias mainstream, du service public à des médias comme TF1 ou Les Echos. Le journal météo climat de France 2 est par exemple un réel succès et le format a même inspiré d’autres chaines comme M6.
Mis à part des médias poubelles comme CNews ou Sud Radio, les climatosceptiques se font extrêmement rares sur les ondes. Être climatosceptique coûte trop cher, tant sur le plan médiatique que politique. A l’exception de quelques politiques et figures médiatiques complotistes qui surfent sur la vague, le climatoscepticisme n’a pas le vent en poupe.
Prudence tout de même. Premièrement car la part des Français climatosceptiques se situe encore entre 25 et 40% selon les sondages (ADEME 2023). Et deuxièmement car les vrais ennemis de la lutte climatique sont désormais les climato-rassuristes, ces personnes qui reconnaissent le problème mais qui auront tendance à dire que ce n’est pas si grave, qu’on exagère, que l’homme s’est toujours adapté et que l’innovation technologique nous permettra de tout régler. Une tendance majoritaire sur l’échiquier politique, du centre à l’extrême-droite.
Cherry-Picking vs ordres de grandeur
S’il faut insister sur la nécessité de nuancer cette amélioration médiatique, c’est bien parce que nous sommes encore loin, très loin de ce qu’il faudrait. Pour la seule année 2023, vous pourriez très facilement trouver des centaines de mauvaises nouvelles climatiques, tant sur les évènements mortels que sur les décisions politiques allant à l’encontre des objectifs climatiques. Faire le même exercice pour les bonnes nouvelles serait beaucoup plus difficile.
C’est pourtant l’heureuse histoire d’une ville ou d’un habitant qui a planté une centaine d’arbres qui fera exploser l’algo et mener “aux likes”. “Quand on veut on peut”. “C’est simple pourtant”. Ces histoires de plantation d’arbres et de compensation carbone, vantées sur Linkedin et Instagram comme la panacée, ne résistent pourtant pas aux faits. En moyenne, la superficie des forêts brûlées par les incendies entre 2001 et 2022 est 11 fois supérieure à celle des forêts plantées par l’homme au cours de cette période. Vous avez dit ordre de grandeur ?
D’autres nouvelles sont quasiment passées à la trappe médiatique. Lorsqu’une étude nous apprend en juin que l’Arctique pourrait avoir des étés sans glace de mer dès 2030, l’une des pires nouvelles climatiques des cinq dernières années, la couverture médiatique est extrêmement faible. A des années lumières de la couverture dont ont bénéficié quelques ultra-riches qui avaient souhaité se faire quelques frissons en allant voir l’épave du Titanic d’un peu plus près. Bon à savoir : l’avenir de l’humanité n’est pas assez important pour avoir son direct sur BFM.
Nous pourrions également nous interroger sur le traitement “occidental” de l’info. Si un évènement extrême exacerbé par le changement climatique tuait 10 personnes à Paris ou New-York, vous en entendriez beaucoup plus parler que 10 000 morts en Libye. Mais peut-être que 10 000 vies ont moins d’importance en Libye qu’ailleurs. Allez savoir.
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Des bonnes nouvelles, tout de même ?
Si les bonnes nouvelles sont rares, et pas à la hauteur de ce qu’il faudrait pour espérer freiner les catastrophes en cours, elles existent. Malgré la désinformation constante sur le sujet, les ventes de voitures électriques sont en hausse dans le monde et en France. Le mix électrique mondial n’a jamais été aussi décarboné, grâce notamment aux ENR qui poursuivent leur croissance à un rythme historique. S’il est encore trop tôt pour affirmer que ce sont les politiques de Lula qui ont porté leur fruit, la déforestation baisse au Brésil. Un enjeu de taille pour éviter un point de bascule en Amazonie.
D’autres signaux faibles de ce type sont également à saluer, comme la baisse des émissions sur le territoire français de -4,6% sur les neuf premiers mois de l’année 2023. C’est sans contestation possible une bonne chose, la baisse des émissions étant toujours une bonne nouvelle, que cela soit pour raisons conjoncturelles ou structurelles. Ou encore les équipes de France de football qui prendront le train pour les trajets courts… qui aurait pu prédire cela il y a encore trois ans ?
Le verre à moitié plein
Une nouvelle pourra être bonne, très bonne ou mauvaise selon le traitement journalistique qui lui est attribué et les explications disponibles.
La réponse politique au désastreux projet d’autoroute A69 pourrait tout à fait être interprétée comme une bonne nouvelle. En effet, alors que les scientifiques sont unanimement d’accord sur le fait que ce projet soit une aberration écologique, le gouvernement n’a cessé de mentir sur le projet, prétextant des excuses toutes invalidées par les faits. Lors d’une manifestation autorisée et pacifique, les gendarmes ont chargé et interrompu une conférence scientifique où des membres de l’Atécopol ont dû fuir les grenades lacrymogènes.
Si vous aviez encore un doute sur le sérieux du quinquennat écologique d’Emmanuel Macron, il doit désormais être dissipé. Ce gouvernement ignore les scientifiques quand les études ne vont pas dans son sens, balaye les engagements climatiques de la France du revers de la main, et va jusqu’à décorer Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, de la légion d’honneur.
Le constat est tout aussi accablant côté biodiversité, où la stratégie nationale Biodiversité 2030 n’a aucune valeur juridique. Cette SNB 2030 comporte des grands objectifs, des vœux, des bonnes intentions, des mesures générales (“accompagner”, “mobiliser”..) qui existent souvent déjà mais ne comporte aucune précision engageante sur ce que l’Etat va faire pour réduire l’effondrement de la biodiversité, déclare Arnaud Gossement, avocat professeur associé à l’université Paris I. Droit de l’environnement et de l’énergie.
Multiplier les modes d’action
S’il est important de communiquer sur les bonnes nouvelles, il est tout aussi important d’avoir un regard lucide sur la situation actuelle. Attendre un miracle des gouvernements, d’une COP ou d’une multinationale comme TotalEnergies ou BNP Paribas serait une erreur grossière. Année après année, déclaration après déclaration, les faits et les ordres de grandeur sont là pour rappeler que les leviers sont et seront principalement ailleurs.
Si les entreprises et les États jouent l’inaction climatique, les activistes climat ont plus que jamais la possibilité d’utiliser la justice pour les rappeler à l’ordre. Deux exemples marquants cette année, BNP Paribas est au cœur d’un procès pour sa contribution au changement climatique depuis février dernier, une première mondiale. En fin d’année, la Belgique fut sanctionnée par la justice pour insuffisance de son action climatique. “La cour d’appel de Bruxelles évoque l’existence de « fautes » et enjoint aux différents pouvoirs de prendre les mesures nécessaires pour freiner les émissions de gaz à effet de serre, soit au moins une réduction de 55 % en 2030 par rapport à 1990.“
Les progrès notables dans la science de l’attribution sont également un réel espoir pour la suite :
En continuant de progresser, comme suggéré par Robert Vautard, la science de l’attribution pourrait aider les plaignants à répondre aux exigences légales en matière d’établissement de la causalité. Si les plaintes aboutissent à un procès où les responsables devront payer, ces travaux scientifiques pourraient coûter des milliards aux entreprises et aux Etats.
Comme le rappelle le dernier rapport du GIEC, nous avons notre avenir climatique entre nos mains. Il n’est pas “trop tard” pour agir, et il ne sera jamais trop tard. Naviguer entre les fausses promesses et le greenwashing éhonté ne sera pas une tâche facile mais si vous souhaitez éviter au maximum de vous laisser prendre dans un tourbillon d’éco-anxiété, nous savons désormais que passer à l’action peut être l’un des meilleurs remèdes pour l’éviter.
Enfin, si vous manquez d’arguments pour lutter contre le changement climatique, trouvez des sujets qui peuvent faire consensus, comme la santé. Tout ce qui est bon (ou presque) pour le climat est bon pour la santé. Et quelle meilleure raison pourrions-nous avoir de lutter contre le réchauffement climatique si ce n’est d’être en meilleure santé ?
2 Responses
La conclusion est très forte.
Mais dans le bilan médiatique de 2023, on peut regretter votre story instagram invraisemblable sur les émeutes. Pour quelqu’un qui lit le Giec et qui prône la sobriété, c’est décevant.
Le lien “Télécharger en grand format” sous l’infographie (qui est top !) pointe vers l’article qui contient tout à la fin cette même infographie. Peut-être à modifier.
Bel article bien équilibré, merci !