Le rapport annuel 2023 du Haut Conseil pour le Climat vient de sortir, et le moins que l’on puisse dire, c’est que la France n’est pas prête pour le changement climatique en cours et à venir.
Après une année 2022 où “le changement climatique dû à l’influence humaine a entraîné des impacts graves en France en 2022 pour les personnes, les activités économiques, les infrastructures et les écosystèmes”, force est de constater que les dispositifs de prévention et de gestion de crise actuels ont été dépassés, faisant plusieurs milliers de morts, dans un silence médiatique assourdissant.
En 10 points, cet article revient sur les principaux éléments du rapport du Haut Conseil pour le Climat (HCC).
1/ La gestion de crise dépassée : des milliers de morts en 2022
La France n’est pas prête, et l’impréparation est mortelle. C’est le message principal de ce rapport du HCC. Les dispositifs de prévention et de gestion de crise actuels ont été dépassés en 2022. L’Etat a réagi dans l’urgence, débordé par les évènements, avec des conséquences mortelles. En effet, le Haut Conseil pour le Climat évoque 2 816 décès pendant les canicules. Précisons que ce chiffre a depuis été mis à jour par Santé Publique France, qui évoque désormais environ 7000 morts des canicules en France en 2022.
Le HCC souligne l’importance de pouvoir gérer une année 2022 comme une année normale et non exceptionnelle. Car c’est bien ce qui nous attend, compte tenu des trajectoires de réchauffement climatique.
2/ Le changement climatique a eu de multiples impacts
Au-delà des milliers de morts, le changement climatique d’origine humaine a eu en 2022 des impacts sur les activités économiques, les infrastructures et les écosystèmes. Cela a nécessité des mesures d’urgence et d’indemnisations, dont 8 000 demandes de communes pour “catastrophes naturelles”, avec un coût pour les assureurs de 2,9 milliards d’euros.
La sécheresse historique a mené à une sécheresse des sols exceptionnelle pour les trois quarts du territoire métropolitain, avec -10 à -30% de production agricole selon les filières, et une production hydroélectrique en baisse de 20%. Le changement climatique met en péril notre agriculture, notre industrie, nos maisons, mais aussi nos emplois, l’accès à l’éducation, à la santé, au sport…
Si la lumière est surtout mise sur le climat, n’oublions pas que cela a eu aussi de graves conséquences sur la biodiversité, qui observe une chute record ces trente dernières années sur notre territoire. Enfin, les territoires en outre-mer tropicaux ont subi de plein fouet le changement climatique, avec de très fortes précipitations. Pour en savoir plus, voici un excellent article d’Audrey Garric pour le Monde.
3/ Les émissions doivent baisser 2,5 fois plus vite
Les émissions ont baissé de 11M CO2eq en 2022, soit une baisse de -2,7% d’émissions brutes. Nous avions déjà expliqué dans un article sur Bon Pote pourquoi cette baisse est très insuffisante. Une baisse conjoncturelle et non structurelle, notamment grâce à une météo clémente. Mais cette fois, nous avons la confirmation via les chiffres du Haut Conseil pour le Climat que la France devrait baisser au moins 2,5 fois plus vite ses émissions, notamment avec l’état de ses puits de carbone.
Christian de Perthuis explique dans un papier pour The Conversation que la baisse devrait même être 3 fois supérieure à ce qu’elle est actuellement. Rappelons que l’objectif de la baisse des émissions de l’Union Européenne, -55% d’émissions d’ici 2030, n’est non seulement pas basé sur la science (aucune étude ne l’explique), mais il est surtout insuffisant.
En prenant en compte l’équité, l’objectif devrait être de -62% si la France souhaite vraiment avoir une trajectoire d’émissions nationales compatible avec un réchauffement mondial de +1.5°C. Nous l’avions expliqué dans cet article sur l’objectif “2 tonnes“.
4/ Des secteurs clefs où les émissions sont encore en hausse
Alors que nous devrions avoir une baisse conséquente des émissions dans chaque secteur, les secteurs des transports et de l’énergie ont observé une hausse de leurs émissions.
Alors que les transports représentent 32% des émissions territoriales de notre pays, les émissions ont augmenté de +2.9% en 2022 (données provisoires). C’est tout simplement catastrophique. L’une des raisons principales est l’électrification trop lente du parc automobile, la voiture thermique dominant encore très largement les débats et les ventes neuves de véhicules. La deuxième raison, c’est le poids des véhicules. Les constructeurs continuent de vendre des SUV bien trop grands et lourds, à l’encontre de nos objectifs climatiques et des recommandations des experts sur le sujet.
A noter également, il n’y a toujours aucune trace de changement structurel du secteur aérien pour baisser ses émissions. Le HCC recommande par ailleurs de “définir une feuille de route de maîtrise de la demande applicable dès 2025“. C’est indispensable, et très important que cela soit écrit dans le rapport. Nous allons enfin pouvoir indiquer aux constructeurs et compagnies aériennes que réguler le trafic aérien est indispensable pour atteindre nos objectifs climatiques.
PS : une analyse sectorielle avait été réalisée dans cet article il y a deux mois sur Bon Pote.
5/ Nos forêts ne jouent plus aussi bien leur rôle de puits de carbone
Les événements climatiques vont continuer à s’intensifier tant que le réchauffement climatique ne sera pas stoppé. Pour cela, nous devons atteindre la neutralité carbone. Pour atteindre la neutralité carbone, il faut que les puits “compensent” les émissions. C’est très simple à comprendre, mais un peu plus difficile à rendre concret.
La Stratégie Nationale Bas-Carbone prévoit de doubler les puits de carbone grâce aux contributions de la forêt, de l’agriculture et des technologies de captage et stockage géologique de CO2. Non seulement le niveau de 80 millions d’émissions paraît optimiste, mais il en est de même pour le niveau des puits de GES !
Mauvaise nouvelle, nous apprenions en avril dernier par l’intermédiaire de Philippe Ciais, chercheur au LSCE, que les forêts françaises absorbent deux fois moins de carbone qu’il y a dix ans. Nos forêts vont mal à cause des sécheresses, des incendies et espèces invasives, des parasites et insectes dits ravageurs.
Si les puits n’absorbent pas in fine autant que prévu, il faudra forcément baisser nos émissions pour atteindre la neutralité carbone.
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6/ Le Budget carbone ne sera pas respecté
D’un coté, et c’est positif, la baisse des émissions se poursuit en France, avec une baisse des émissions de 2,7% en 2022, soit environ 25% depuis 1990. Sur 2019-2022, la loi énergie-climat de 2019 a établi des budgets carbone par période de 5 ans pour la France, qui sont des seuils à ne pas dépasser. Nous tenons ce budget, en partie grâce au COVID.
Mais le 2e budget carbone est en voie d’être dépassé sur la période 2019-2022 si nous prenons en compte les émissions nettes, et donc la baisse de l’efficacité des puits de carbone (notons que les chiffres d’absorption de 2022 ne sont pas encore disponibles et qu’ils seront pires que 2021). Moins les puits de carbone jouent leur rôle, plus nous devons faire d’efforts pour respecter nos objectifs.
A retenir lorsque le gouvernement se vante de ses efforts. Ce qui n’a pas tardé d’ailleurs, à la sortie du rapport le 28 juin à 22h, le greenwashing avait déjà commencé…
7/ L’adaptation n’est pas du tout au niveau
Concernant l’adaptation, le Haut Conseil pour le Climat rappelle que le gouvernement actuel doit passer d’un mode réactif à un mode transformationnel, qui inclut les connaissances scientifiques dans les décisions, anticipe les coûts et prévoit les risques d’amplification et d’impacts majeurs.
Dans son communiqué de presse, le HCC indique que la France “doit systématiser l’opérationnalisation de toutes les composantes de son cadre d’action stratégique climatique. Elle doit transformer sa politique économique, y compris budgétaire, fiscale, commerciale, industrielle, et de l’emploi, mobiliser les ressources et les financements nécessaires, soutenir les plus vulnérables dans un esprit de transition juste, tout en évitant la maladaptation“.
Traduction : il faut un changement de système économique. Il faut un changement profond, et arrêter la politique des petits gestes. Arrêter de rediriger la responsabilité vers les citoyennes et citoyens et mettre en place des changements structurels. Rappelons que notre pays n’est pas prêt à un réchauffement climatique de +4°C.
Se préparer à +4°C, c’est s’adapter, rendre notre pays plus résilient, et ainsi réduire les pertes et dommages. Les efforts d’adaptation ne seront pas les mêmes pour un monde à +2°C ou +4°C. La réussite de l’adaptation dépend donc très directement de celle de l’atténuation. Pourquoi?
L’atténuation va permettre de contenir la fréquence et l’intensité des aléas. L’adaptation doit permettre de réduire l’exposition et de diminuer la vulnérabilité, sachant qu’un certain nombre de paramètres nous échappent : vieillissement de la population, changement des valeurs sociales, crise économique, etc. Aléas, vulnérabilité et exposition évoluent en permanence. Raison de plus pour agir sur ce que nous pouvons contrôler.
8/ En 2023, nous subventionnons encore les énergies fossiles
C’est l’un des constats les plus durs du Haut Conseil pour le climat. “Les dépenses défavorables au climat ont fortement progressé en 2022 du fait du bouclier tarifaire, représentant 80 Mrd€ de dépenses publiques cumulées sur la période 2021-2023 dont 43 Mrd€ prévus en 2023, alors que les niches fiscales identifiées dans le budget vert augmentent légèrement, dépassant les 10 Mrd€, et que les autres dispositifs fiscaux néfastes aux politiques climatiques atteignent au moins 6,3 Mrd€ additionnels.”
Le HCC poursuit en rappelant que “la fiscalité sur les énergies fossiles varie fortement selon les secteurs et les usages, avec un effet significatif sur les émissions et les finances publiques, sans que cela ne soit suffisamment justifié et évalué, et avec peu de visibilité sur son évolution en cohérence avec les objectifs climatiques.”
Traduction : le gouvernement navigue à vue. Ils subventionnent les énergies fossiles en cas de crise sans enclencher de changement structurel qui rendrait la France plus résiliente en cas de crise énergétique comme ce fut le cas en 2022.
9/ La production des énergies renouvelables est 3 fois trop lente
C’est un constat connu depuis des années et confirmé par le Haut Conseil pour le Climat : l’augmentation de la production des énergies renouvelables électriques est trois
fois trop lente. Malgré la désinformation immense qui frappe les éoliennes et le photovoltaïque en France, le pays doit accélérer le rythme de production.
En France, RTE a présenté dans le rapport Futurs énergétiques 2050 une comparaison des émissions en cycle de vie pour les différentes filières, et c’est intéressant pour comprendre à quel point le gaz, le pétrole et le charbon sont à éviter/bannir.
10/ La maîtrise de la demande n’est toujours pas à la hauteur
Dans son rapport 2022, le Haut Conseil pour le Climat avait mis en lumière la sobriété, en reprenant la définition donnée dans le 3e volet du 6e rapport du GIEC : “l’ensemble des mesures et de pratiques quotidiennes qui permettent d’éviter l’utilisation d’énergie, de matériaux, de terres et d’eau tout en garantissant le bien-être de tous dans le cadre des limites planétaires“.
Ce levier indispensable pour atteindre la neutralité carbone ne fait toujours l’objet d’aucune mesure sérieuse, comme si le gouvernement comptait encore et toujours sur une technologie salvatrice qui allait régler tous nos problèmes et permettre d’atteindre la neutralité carbone. Réduire la taille des véhicules, réduire le trafic aérien, réduire la sur consommation, voici des chantiers indispensables qui ne sont toujours pas considérés.
A suivre dans les prochains mois, avec peu d’espoir que ce gouvernement ait le courage politique nécessaire. Rappelons qu’il a refusé la régulation des jets privés, et qu’une mesure aussi rapide, simple, efficace et juste que limiter la vitesse sur les autoroutes à 110km/h n’est toujours pas effective.
Conclusion : un constat cinglant du Haut Conseil pour le Climat
L’année 2022 est emblématique de l’intensification des effets du changement climatique. Dans une France à +4°C, autrement dit ce qui nous attend si les émissions de gaz à effet de serre restent sur la même trajectoire, l’été 2022 serait un été froid.
Nous ne sommes pas prêts pour affronter le changement actuel et à venir, nous ne mettons pas les moyens ni dans l’atténuation des émissions, ni dans l’adaptation. Certains aspects de la politique climatique du gouvernement Macron sont même totalement à contre courant, en témoignent les milliards de subventions balancés dans les énergies fossiles pour assurer le court terme, plutôt que de préparer le pays sur le long terme et le rendre plus résilient.
Ce rapport est une excellente synthèse. Certains aspects manquent, comme la non mention d’EACOP ou de la régulation concrète des marchés financiers, mais il permettra à quiconque le lira de réfuter le greenwashing du gouvernement. La baisse rapide des émissions est plus que jamais essentielle pour contenir l’intensification des risques climatiques graves. C’est aujourd’hui une question de survie pour des milliers de Français, et bien plus dans les années à venir.
Mis à jour 02/10/2023 : le rapport grand public est désormais disponible
5 Responses
la figure 4.4b explique tres bien pourquoi rien de significatif sera fait : les gens serieusement impactés (qui vivront ce que le graphique met en rouge) sont nés apres 2010. Ils ont donc 13 ans au plus et ne votent pas. Aucun politicien va saborder sa carriere pour des gens qui ont un poids electoral de 0.
Pour le reste, il faut relativiser les 7000 morts (si ce chiffre est juste, car c est souvent difficile de determiner la cause de la mort : par ex vous etes cancereux et vous attrapez une grippe, c est quou la cuase ? la grippe ? le cancer ?)
De toute facon il y a 68 millions d habitants en France, donc 7000 morts c est pas grand chose et 3 fois moins que ceux qui meurent d un accident domestique (genre tomber dans l escalier)
Concernant le point 5 de l’article : y a t-il une étude d’impact des éclairages nocturnes sur les plantes ? Car avec une constante lumière jour et nuit, des plantes ne se “reposent” pas, la nuit, de leur croissance. Cela faisait des lustres qu’elles étaient “habituées” au cycle du soleil. La nuit, elles ne font que respirer : absorber de l’oxygène et rejettent du CO2. Alors que le jour elle respirent toujours et en plus absorbent du CO2 et rejette donc du O2, en plus grande quantité qu’elles en respirent. Les humains n’ont-iels pas années après années, altéré leur “santé” avec cet éclairage?
Y a t-il aussi des recherches sur la lumière de la pleine lune sur elles ? Comme il ne fait pas nuit plus noire si nous ne sommes pas à une certaine distance des villes, la lumière est-elle un effet comme une pleine lune sur les plantes ?
Bonjour,
Faire un article sur les violences actuelles serait une bonbe idée.
J’aimerais connaitre le bilan carbone d’une voiture brûlée, d’un bus brûlé, d’une mairie brûlée. Ce serait intéressant de comparer le bilan carbone d’une voiture brûlée et d’un voyage à New York. Et aussi savoir si c’est compatible avec l’accord de Paris.
Voilà, c’est une suggestion d’article. Passez un bon week-end.
Merci pour cet article mais serait-il possible d’éviter tout le bazar venant de Twitter ? Non seulement je ne peux pas agrandir le graphique ou consulter le fil de Philippe Ciais au paragraphe 5 (obligation de se loguer sur le site), mais en plus à chaque fois que je surligne une phrase dans le texte, j’ai droit à une icône du piaf qui vient s’ajouter par dessus ! C’est assez pénible.
Dans une interview sur Terrestres, Jean-Baptiste Fressoz dit que dès les années 1970, nos élites ont acté le réchauffement climatique et décidé que les efforts seraient uniquement portés sur l’adaptation. La transition énergétique n’ayant qu’une fonction idéologique dans les pays riches. Dont acte.