Ce 18 janvier 2022, des scientifiques du Stockholm Resilience Center (SRC) confirment que nous avons franchi une 5e limite planétaire : la limite “pollution chimique” ou “introduction d’entités nouvelles dans la biosphère“. La 5e, sur les 9 limites planétaires identifiées.
Cette nouvelle est pourtant complètement passée inaperçue. En France, aucun média mainstream n’y a consacré du temps, préférant débattre sur la dernière sortie de Zemmour ou sur les vacances de Jean-Michel Blanquer.
Une forte impression de vivre le film Don’t Look Up, ou de revivre la sortie du rapport du GIEC, quand les médias avaient préféré s’intéresser à Messi. Nous parlons tout de même ici d’une menace de la stabilité des écosystèmes mondiaux dont l’humanité dépend.
Qu’est-ce qu’une limite planétaire ?
Avant de rentrer dans les détails, définissons ce qu’est une limite planétaire. En 2009, Johan Rockström mène un groupe de 28 scientifiques internationaux afin d’identifier les processus qui régulent la stabilité et la résilience du système Terre. Ils proposeront une mesure quantitative des frontières planétaires dans lesquelles l’humanité peut continuer à se développer et à prospérer. Voici le résultat en 2015 :
Les limites planétaires répondent donc à cette question : « jusqu’à quelles limites le système Terre pourra absorber les pressions anthropiques sans compromettre les conditions de vie de l’espèce humaine ? ».
Les limites planétaires ne sont pas aussi simples qu’au premier abord…
Les limites fournissent un cadre quantitatif et qualitatif assez rigoureux sur les impacts environnementaux de nos sociétés. Franchir ces frontières écologiques revient à dépasser la limite de durabilité de notre environnement, et invite à modifier nos modes de production/consommation.
Ces limites commencent à être reconnues et prises en compte par de nombreux organismes et États (ONU, UE, France), même si elles soulèvent des critiques, comme tout modèle.
Quelques subtilités importantes à retenir :
- Comme expliqué par le SRC, “il paraît plus judicieux et prudent de définir des frontières planétaires (soit la valeur basse de l’incertitude, qui équivaut à un risque accru de perturbation du processus de régulation) que des limites (point de basculement ou tipping point). En effet, les points de rupture sont imprévisibles [Zimmer, 2009], voire pratiquement inexistants dans la plupart des cas (CNRS, 2020)“.
- Aspect systémique : les processus de régulation interagissent et la perturbation de l’un affecte la régulation et/ou la résilience des autres. L’infographie ci-dessous permet de visualiser les interactions. Exemple : le changement climatique qui a une relation directe de cause à effet avec l’acidification des océans (dont on ne parle pas assez, et pourtant, c’est une vraie catastrophe).
- Les limites planétaires sont encore le sujet de recherches par les scientifiques. Elles font l’objet de critiques par des spécialistes des sciences naturelles et sociales, des chercheurs en sciences humaines, ainsi que par le grand public et la communauté politique. Personne ne sera surpris : elles démontrent que la croissance verte s’annonce “compliquée” !
- C’est un parfait rappel que les enjeux climatiques ne concernent pas uniquement le climat et le CO2. C’est important de le rappeler, à l’heure où l’immense majorité des débats sur l’énergie en France se focalisent le mix électrique français et la guerre nucléaire vs ENR.
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La 5e limite planétaire :”pollution chimique” ou “nouvelles entités”
La cinquième limite planétaire à être officiellement dépassée est celle qu’on appelle la pollution chimique, ou les “nouvelles entités” (novel entities) – créées ou introduites par les Humains. Vous retrouvez les deux appellations utilisées, pollution chimique étant plus parlante pour le grand public (et préférée par Kate Raworth pour son donut).
Grâce à leurs travaux, les chercheurs ont réussi à quantifier l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère et ont donc conclu qu’une nouvelle limite planétaire avait été franchie. Voici le nouveau graphique mis à jour :
Sur les réseaux sociaux, la communauté scientifique a unanimement alerté sur la gravité de la situation. Si ce n’était toujours pas clair, la réaction d’Olivier Fontan, ancien directeur exécutif du Haut Conseil pour le Climat, est sans équivoque : “on meurt étouffés de nos produits chimiques et plastiques“.
Quelques ordres de grandeur sur cette 5e limite planétaire qui donnent le vertige :
- Il existe aujourd’hui environ 350.000 différents types de produits chimiques manufacturés sur le marché. Selon Patricia Villarrubia-Gómez, leur production a été multipliée par 50 depuis le début des années 1950, et pourrait encore tripler d’ici 2050.
- La production de plastique a augmenté de 79% entre 2000 et 2015. 79% !!!
- La masse totale de plastiques sur la planète représente désormais plus de deux fois la masse de tous les mammifères vivants, et environ 80 % de tous les plastiques jamais produits restent dans l’environnement.
- Les plastiques contiennent plus de 10 000 autres produits chimiques, de sorte que leur dégradation environnementale crée de nouvelles combinaisons de matériaux – et des risques environnementaux sans précédent.
- La production de plastiques est appelée à augmenter et les prévisions indiquent que les rejets de pollution plastique dans l’environnement vont également augmenter, malgré les efforts considérables déployés dans de nombreux pays pour réduire les déchets.
Arrêter le massacre avant qu’il ne soit trop tard
“Certains de ces polluants se retrouvent dans le monde entier, de l’Arctique à l’Antarctique, et peuvent être extrêmement persistants. Nous disposons de preuves accablantes de leur impact négatif sur les systèmes terrestres, notamment la biodiversité et les cycles biogéochimiques”, a déclaré Bethanie Carney Almroth, l’une des autrices de l’étude.
Il est donc tout à fait possible aujourd’hui de polluer l’Antarctique et de saccager le sommet de l’Everest sans que cela n’inquiète nos dirigeants politiques.
Une chose est sûre, nous ne réalisons pas ce qu’il nous arrive. Nous avons déjà un océan de plastique, mais certains voudraient produire plus, toujours plus, en espérant qu’un miracle technologique arrive. Depuis malheureusement trop longtemps, les politiques et industriels trompent la population avec leur économie circulaire, dont les limites sont connues depuis longtemps et démontrées dans la littérature scientifique.
II est urgent d’arrêter de croire que l’économie circulaire est la panacée de tout. Oui, nous devons tendre vers une économie plus circulaire, avec une très nette amélioration du recyclage et de l’efficacité des processus de production. Mais Il faut surtout radicalement réduire la production menant à cette pollution chimique, notamment dans les pays du Nord. C’est une question de survie.
En d’autres termes, il n’y a rien à attendre de la croissance verte, ni de la croissance bleue, ni de l’écologie de production. Doit-on vraiment attendre que les neufs limites planétaires soient franchies pour enfin comprendre que cela nous mène chaque jour un peu plus vers une catastrophe climatique et qu’il faut changer ce système capitaliste et productiviste mortifère ?
Doit-on faire confiance aux industriels, gaziers et pétroliers en tête, qui dépensent des millions en communication pour expliquer que la seule solution c’est le recyclage, et pas de réduire la production ?
La 5e limite planétaire… avant la 6ème ?
Chaque jour d’inaction climatique est une chance en plus d’avoir une mauvaise nouvelle. C’est le cas avec cette officialisation d’une 5e limite planétaire franchie, et au rythme où nous allons, il n’y a aucune raison que nous ne fassions pas un grand chelem.
Dans un monde où nous prendrions la crise écologique au sérieux, cette publication scientifique aurait fait la une de tous les journaux. Mais il y a toujours plus urgent, plus important, plus rentable que le climat. La situation est catastrophique, et l’immense majorité des médias et politiques drogués à la croissance verte ne font que l’empirer.
Combien d’alertes, de rapports scientifiques, de films, de personnes en grève de la faim ou d’activistes climat en prison faudra-t-il pour que les médias s’emparent du sujet ?
Il serait temps de collectivement comprendre qu’il n’y aura pas de profit sur une planète morte et de planifier la sortie progressive des énergies fossiles, seule solution pour respecter nos engagements climatiques et espérer limiter le réchauffement à +1.5°C.
Pour aller plus loin :
- Les limites planétaires de Natacha Gondran et Aurélien Boutaud : ce court ouvrage décrit les neufs grandes “limites planétaires” (changement climatique, biodiversité, usages des sols, cycles du phosphore et de l’azote, etc.)
- Le dossier très bien documenté du CERDD sur les limites planétaires
- L’économie du Donut : définition et analyse critique
- L’excellent dernier livre de Mickaël Correia : Criminels climatiques. Un chapitre entier est dédié sur le plastique et les industriels fossiles
- Les 10 actions simples pour passer à l’action
- The Boundaries of the Planetary Boundary Framework : A Critical Appraisal of Approaches to Define a “Safe Operating Space” for Humanity
16 Responses
Bonjour, quel est l’indicateur scientifique qui permet de dire que cette frontière “pollutions chimiques” est dépassée ?
Dans l’inforgraphie de Millénaire3 (cellule prospective du Gd Lyon), il n’y a pas d’indicateur indiqué pour cette frontière.
https://www.millenaire3.com/ressources/11-infographies-Limites-planetaires
Merci !
Merci beaucoup pour cet article. Dommage simplement que le titre laisse entendre qu’on vient de dépasser cette 5ème limite. Si j’ai bien compris, on l’a dépassé il y a bien longtemps mais on vient d’évaluer l’ampleur de la situation. En tout cas ce qui est sûr, c’est que la majorité des gens s’en foutent comme vous le dites très bien.
Merci BonPOte pour cet article très intéressant (comme d’hab).
Je rebondi sur la présence des déchets plastiques dans notre environnement (60% du plastique produit se retrouve sous forme de déchet) , j’ai lu dernièrement que des chercheurs en avaient retrouvé sous la forme de nanoplastique dans les chutes de neige dans les Alpes et dans les Pyrenées!
https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/pollution/il-neige-du-microplastique-sur-les-alpes-et-sur-les-pyrenees_161045
La RTBF (Radio et Télévision Belge Francophone) a fait un article à ce sujet : https://www.rtbf.be/article/climat-biodiversite-pollution-chimique-nous-avons-desormais-franchi-cinq-limites-planetaires-10921085
Cela fait au moins un média grand public qui s’en préoccupe, ne perdons pas espoir … 🙂
Merci pour cet article synthétique et très clair, qui permet de montrer que le problème est systémique et lié au mode de vie des pays développés principalement et à son extension en cours au reste du monde. Je recommande le texte de Jean-Pierre Dupuy, qui a maintenant une vingtaine d’années, qui s’appelle “Pour un catastrophisme éclairé”, et permet de réfléchir à notre façon collectivement de conduire la réflexion citoyenne mais aussi notre action. Il y a des pertes irrémédiables en cours, et va falloir apprendre à vivre avec. Mais nous devons selon Dupuy nous garder de deux formes de renoncement à agir : l’excès d’optimisme (ceux qui prétendent que la science nous sauvera, que la techno trouvera des solutions > renoncement 1, il suffit d’attendre les solutions miracles, sans rien changer dans nos modes de production, de consommation, de vie), et l’excès de pessimisme (“à quoi bon agir puisque tout est foutu et ce sont les scientifiques qui nous le disent” > renoncement 2 “à-quoi-bonisme”, continuons à polluer, on ne sait pas changer et c’est trop tard). Non, il faut se résoudre à essayer de faire tout ce que l’on peut, si possible d’intelligent, et de collectif (solidaire à tous les niveaux) en mobilisant des solutions quand elles sont pertinentes, et en changeant d’imaginaires sur ce qui fait le bonheur. Voir par exemple : https://www.resistanceclimatique.org/inventons_nos_vies_bas_carbone. Bon courage à toutes et tous, la situation est grave mais les raisons d’espérer en nous réelles.
Bonjour,
Quand j’essaie de sensibiliser à tous ces sujets, auprès de CSP++ type ingénieur, il y a toujours quelqu’un qui oppose le fait que la science nous sauvera et qu’il est possible qu’on fasse une découverte sur l’énergie, l’utilisation du co2… et qu’on ne peut pas présager de la vitesse de nos découvertes, ni de leur mise en oeuvre. Sur les réseaux, courant Constructif fait un peu ça. Le problème, c’est que cet individu a tendance à rallier à sa cause plus facilement que les arguments en opposition : trop peu, trop long, incertain dont risque maximum dans garantie, etc.
Avez-vous des arguments sur ce point précis ?
Merci et courage
Bonsoir, oui bien sûr, la littérature scientifique infirme ce genre de discours. Notre article co-écrit avec le CNRS : Non, l’Homme ne s’est pas toujours adapté
Je ne suis pas sur de comprendre pourquoi on est dans le vert sur l eau, vu ce qui se passe en californie, les sécheresses à répétition, et l augmentation de nos besoins en eau.
Bonjour,
Auriez-vous la possibilité suite à ce message d’alerte de nous orienter, public et entreprise, sur les actions prioritaires à mener ?
De passer d’un problème à l’élaboration d’une solution.
Bonjour,
Bien sûr, la première des choses, c’est de se former, de bien comprendre le problème avant d’agir : https://bonpote.com/10-actions-simples-pour-devenir-ecolo/
C’est même encore pire. Il ne s’agit pas de 5 limites sur 9 dépassées, si je comprends bien il s’agit de 5 limites dépassées sur les 7 mesurables aujourd’hui. Ne sachant pas où l’on en est sur les deux dernières limites à mesurer, on ne peut décemment pas affirmer qu’elles ne sont pas dépassées.
Ça fait déjà plus de 50 ans que Meadows nous a prévenu . Nous sommes aujourd’hui au pied du mur ….mais on parle de Zemmour ou de l Ukraine . Que pouvons nous attendre d un monde gouverné par des hommes ( au masculin) pour des hommes ?? Je vous l affirme : rien !! Le colibrisme n’a aucune chance . Bcp trop tard . Don t look up ! Arrêtons de Rêver et laissons la place pour une biodiversité sauvegardable .
Zemmour on peut s’en moquer mais l’Ukraine, ça craint carrément.
En période de conflit, les gouvernements se contre-fichent de l’écologie et de l’environnement.
Cet article me rappelle la phrase de De Gaulle : “il y a ceux pour qui l’Europe consiste à dire l’Europe, l’Europe ! en sautant sur la table”. Ceux qui alertent sur le changement climatique ont droit à des articles de Presse tous les jours, les portes des médias leur sont grandes ouvertes. Ceux qui soumettent des propositions en revanche, sont censurés par tous les médias.
Merci pour cet article…
J ai lu plus tôt dans la journée un article sur le glacier Thwaites (la relève et la pedte ou Mr mondialisation je ne sais plus), maintenant le tien sur toutes ces pollutions et le dèpassement planétaire… Je sais qu on a plus le temps pour déprimer, qu il faut agir, avancer mais y a des jours ou c est comment dire…. compliqié.
On va se planifier une promenade avec un sac pour ramasser ce que l on trouvera… ça fera du bien à la tête, j espère….
Continue Bon Pote et si avec ton réseau y a un truc qu on peut faire tous ensemble pour les secouer un peu là-haut… passe le mot…
Bonjour, merci pour cet article synthétique, qui montre bien que le problème est systémique. Je conseille la lecture d’un texte court mais très puissant de Jean-Pierre Dupuy, “pour un catastrophisme éclairé”, qui montre que nous avons deux écueils de pensée à éviter, qui conduisent tous les deux à renoncer à agir (et même penser) : 1/ Renoncer à agir parce que l’on croit que la technologie un jour résoudra tout (excès d’optimisme), 2/ Renoncer à agir parce que l’on croit que la situation est désespérée et qu’il est trop tard. Pour s’en sortir, et se sentir mieux individuellement et collectivement, il faut agir, en sachant que le résultat de notre action sera incertain : agir intelligemment, en recourant à la technologie quand elle est pertinente et seulement dans ce cas, et agir collectivement (solidairement à toutes les échelles) pour faire le mieux que nous pouvons à tous les niveaux, en modifiant nos modes de vie / de production / de consommation, par l’invention de nouveaux imaginaires. Il y aura des pertes irrémédiables, il faudra vivre avec. Mais renoncer à agir c’est à coup sûr tout perdre, y compris notre dignité d’êtres humains conscients. Penser ensemble, agir ensemble, nous re-solidariser, ça a pour première conséquence immédiate : de lutter contre la mélancolie des constats. Bon courage à toutes et tous. Pour ceux qui ne connaissent pas, un jeu à faire avec vos proches, collègues etc : https://www.resistanceclimatique.org/inventons_nos_vies_bas_carbone