Getting your Trinity Audio player ready... |
La Cour Internationale de Justice (CIJ) vient de prononcer un avis historique sur les obligations des Etats dans la lutte contre le changement climatique.
Cet avis consultatif aura des répercussions dans le monde entier et sera mobilisé “dans tous les contentieux climatiques, qu’ils soient dirigés contre les Etats ou les grandes entreprises”, précise Sébastien Mabile, docteur en droit et avocat au Barreau de Paris.
C’est probablement l’une des meilleures choses qui soit arrivée sur le plan climatique depuis une décennie. Une excellente nouvelle pour la lutte climatique, et le début d’une avalanche de procès à venir pour de nombreux acteurs qui continuent à précipiter l’humanité vers une planète en partie inhabitable.
Que dit cet avis de la Cour Internationale de Justice ?
Cet avis rendu dans un document de 140 pages sera scruté par les juristes du monde entier dans les semaines et mois à venir… tout comme les gouvernements et entreprises susceptibles d’être condamnés. A l’instar de l’Accord de Paris, chaque phrase écrite dans ce document pourrait coûter des milliards de dollars.
Une affaire déclenchée par des étudiants des îles du Pacifique et portée à l’ONU par un petit état insulaire du Pacifique, Vanuatu.
Cet avis s’appuie notamment sur le meilleur état des connaissances scientifiques, et notamment le 6e rapport du GIEC comme le rappelle Valérie Masson-Delmotte, alors Vice-Présidente du groupe 1 du GIEC et qui a répondu aux questions techniques des juges.

Sébastien Mabile a retenu 6 points importants de l’avis de la CIJ que nous explicitons et commentons ci-dessous.
1) Les changements climatiques constituent une “menace urgente et existentielle”, “de portée planétaire qui met en péril toutes les formes de vie et la santé même de notre planète”
Impossible d’être plus clair. Si une personne vous explique que le changement climatique n’est pas un problème grave ou un problème à traiter dans le futur, rappelez ces mots de la CIJ : une “menace urgente et existentielle”, “de portée planétaire qui met en péril toutes les formes de vie et la santé même de notre planète“.
C’était déjà une certitude depuis plus d’une décennie, notamment grâce aux synthèses de la littérature scientifique faites par le GIEC. Mais la question juridique gagne du terrain, et les gouvernements et entreprises vont de plus en plus être tenus de rendre des comptes.
2) La Cour considère qu’il convient, au titre de l’Accord de Paris, de limiter le réchauffement à 1,5°C et non 2°C
A la suite de l’Accord de Paris, les interprétations possibles autour de l’objectif de réchauffement planétaire est parfois discuté. Est-ce +1,5°C ? +2°C ? La différence est gigantesque et les conséquences concerneraient des milliards de personnes. Nous avons expliqué les dessous de cet objectif +1.5°C dans cet article complet.
Il y a un risque, un réel danger de mauvaise communication et de mauvaises intentions autour de ces deux objectifs +1,5°C et +2°C, certains acteurs irresponsables faisant croire que l’objectif est seulement de +2°C de réchauffement planétaire.
Dans son avis, la Cour Internationale de Justice met les points sur les i et rappelle que l’objectif est bien de limiter le réchauffement à +1.5°C et que cela devrait être considéré comme “l’objectif principal” des pays en matière de température.

Un avis lourd de sens et une victoire pour de nombreux pays très vulnérables au changement climatique, notamment les pays qui sont exposés à des risques graves liés à l’élévation du niveau de la mer à l’intensification des cyclones. Dès aujourd’hui, pas en 2050. Tuvalu est par exemple en train de planifier la migration de sa population vers l’Australie. Relisez bien : un pays entier migre sa population à cause de la montée des eaux et du changement climatique.
3) Le fait pour un Etat de ne pas prendre les “mesures appropriées pour protéger le système climatique”, par exemple en accordant des “subventions pour les combustibles fossiles” peut constituer un “fait internationalement illicite”
C’est un fait très peu médiatisé, et jamais rappelé aux dirigeants d’entreprises d’énergies fossiles interviewés, mais non seulement nous ne devrions plus ouvrir un nouveau puits de gaz ou de pétrole dans le monde pour respecter l’Accord de Paris, mais en plus, nous devrions fermer certains puits en fonctionnement de façon anticipée.
C’est ce que rappelait le 3e volet du dernier rapport du GIEC en 2022 :
Les émissions cumulées de CO2 projetées pour la durée de vie des infrastructures d’énergies fossiles existantes et planifiées, sans réduction supplémentaire, dépassent les émissions cumulées nettes de CO2 dans les trajectoires qui limitent le réchauffement à 1,5 °C (>50 %), sans dépassement ou avec un dépassement limité. C’est un point extrêmement important : sans fermeture anticipée d’une partie des exploitations de charbon, gaz et pétrole, nous dépasserons un réchauffement de +1.5°C.
La CIJ rappelle ici que l’octroi de licences pour de nouveaux projets liés aux combustibles fossiles pourrait être illégitime et cela exposerait les États à des litiges internationaux. C’est un “game changer” pour de nombreux pays et traités en cours, à l’instar du Traité sur la Charte de l’Energie.

Lorsqu’il est écrit que cet avis de la CIJ pourrait avoir un impact sur des dizaines de milliards de dollars, c’est probablement sous-estimer l’impact réel d’un tel avis. Les entreprises exportatrices d’énergies fossiles ne laisseront probablement pas faire mais les faits scientifiques et désormais le droit international ne vont plus dans leur sens.
Chaque semaine, nous filtrons le superflu pour vous offrir l’essentiel, fiable et sourcé
4) Cette obligation de préserver le système climatique s’impose à tous les Etats, qu’ils soient ou non parties aux accords internationaux pertinents (effet “erga omnes”)
Cette obligation de préserver le système climatique s’impose à tous les Etats, avec un effet “erga omnes”. On dit ainsi qu’une décision juridique a autorité de chose jugée erga omnes, opposable à tous, et non uniquement à l’égard des parties prenantes.
Malgré le retrait des Etats-Unis par Donald Trump de l’Accord de Paris, cela signifie bel et bien que le pays 1er producteur de gaz et de pétrole dans le monde est concerné par cet avis de la Cour Internationale de Justice. Notez que le pays n’est pas directement nommé par la CIJ dans cet avis, mais tout le monde aura bien compris à qui l’avis pouvait faire référence.
5) Les manquements des Etats peuvent engager leur responsabilité, y compris pour la réparation des dommages subis par un autre Etat et sous réserve d’établir le lien de causalité
La notion de réparation apparait 30 fois dans l’avis de la CIJ, et c’est l’un des points les plus marquants. Le sujet des Pertes et Dommages (ou Pertes et Préjudices) est en discussion depuis plus de 30 ans et le fonds de Pertes et Dommages n’a vu le jour qu’à la COP28, avec un montant très inférieur à 1 milliard, alors qu’il faudrait le financer à des centaines de milliards de dollars.
Attention, ce n’est pas parce qu’un pays donne de l’argent au fonds de Pertes et Dommages qu’il ne sera pas sujet à un procès après cet avis de la CIJ. On pense par exemple aux Emirats Arabes Unis qui avaient abondé le fonds de 100 millions de dollars à sa création lors de la COP28, ou encore l’Allemagne et la France…
La difficulté sera à nouveau d’établir le lien de causalité entre les pertes constatées et le rôle qu’a joué le changement climatique. Nous avons dédié un article entier sur la science de l’attribution, à lire absolument pour comprendre quel rôle peut jouer la science dans les procès en cours et à venir.
6) Les Etats les plus développés, y compris la France, ont l’obligation d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques en limitant leurs émissions de gaz à effet de serre
Dans un précédent article, le chercheur Yann Robiou Du Pont avait expliqué que la France ignorait la science pour ses objectifs climatiques.
En effet, les principes d’équité et de « responsabilités communes mais différenciées » signifient que tous les pays sont responsables du changement climatique, mais que leurs obligations à lutter contre varient selon leurs capacités et leur responsabilité historique. Contacté à nouveau par Bon Pote, Yann Robiou Du Pont précise que :
les contributions des états doivent refléter la plus haute ambition possible et doivent a minima, être alignées avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique a 1.5 °C d’ici la fin du siècle. Étant donné la responsabilité et la capacité des pays les plus riches, cela implique entre autres :
- des mesures bien plus ambitieuses, dont des régulations des entreprises
- un soutien financier international qui doit être immédiatement relevé,
- des compensations pour les dommages causés
Alors que la diplomatie et dans une certaine mesure la législation climatique reculent, les procès climatiques, comme la victoire des ainées suisses devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2024, se multiplient et parviennent a imposer des garde-fous bases sur la science.
Les études scientifiques se multiplient pour croiser les obligations juridiques avec les normes climatiques et mieux informer les cours de justice pour les procès climatiques.
Le 3 juillet 2025 le Haut Conseil pour le Climat rappelait que la France n’en faisait pas assez pour lutter contre le réchauffement climatique et que sauf miracle ou changement radical de politique, le pays ne respecterait pas ses objectifs climatiques d’ici 2030. Le gouvernement Macron sera-t-il (enfin) tenu responsable de son inaction et des milliers de morts du changement climatique en France ?
Juristes, activistes climat, citoyens : il est temps de faire payer les responsables
Cet avis de la Cour Internationale de Justice sera une référence dans les mois et années à venir pour évaluer l’action, ou plutôt l’inaction des Etats. Il est à prévoir que les procès vont se multiplier contre les Etats et les entreprises qui savent que leurs activités tuent et ne font rien ou pas assez pour arrêter ce phénomène.
Si le réflexe est de penser aux entreprises exportatrices d’énergies fossiles, à l’instar de TotalEnergies qui souhaite augmenter sa production de gaz d’ici 2030, cet avis insiste aussi sur les contributions déterminées au niveau national (CDN), soit les engagements des états pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Cet avis renforce les risques des Etats d’être attaqués en justice si ces dernières ne sont pas crédibles. Il est certain que cela aura un impact diplomatique avant et pendant la COP30 à Belém au Brésil. Le pays hôte se prétend à la pointe de la lutte contre la désinformation climatique, soutenu par des ONG crédules ou payées pour l’être, mais prévoit “en même temps” d’augmenter sa production de pétrole de 36% d’ici 2035. Le mirage de la compensation carbone sera lui aussi au cœur de procès dans les années à venir, et il est plus que temps que les menteurs et fossoyeurs du climat mondial passent à la caisse.
4 Responses
On ne peut qu’être heureux de l’aboutissement de la requête des pays directement en danger.
Mais attendons-nous à l’expression de toute la malhonnêteté des pays les plus concernés par les sanctions !
Au delà des états, ce serait normal que les dirigeants politiques aux responsabilités de ces mêmes pays soient nommément associés aux poursuites
Qui va payer?
Une chose est sûre, ce n’est ni Trump, ni Poutine, ni Xi Jinping.
Les seuls qui paieront ce sont les états européens comme toujours. Et la facture sera réglée par le contribuable.
On aimerait savoir ce qu’il y a de « scientifique » dans cette notion ahurissante de « santé de la planète »… L’idée de « préserver » un « système climatique » est à peine moins absurde. Rappel : seule certitude scientifique : nous sommes dans une ère interglaciaire.