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Quand allons-nous dépasser l’objectif +1.5°C ?

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Le dépassement de l’objectif +1.5°C de réchauffement mondial est un sujet qui revient fréquemment sur la table. Pour certain(e)s, il n’y a aucune chance de préserver cet objectif. Pour d’autres, à l’instar du célèbre climatologue Michael E.Mann, c’est encore possible.

Si le titre de l’article n’est pas “allons-nous dépasser l’objectif +1.5°C”, c’est bien parce qu’il est trop tard pour l’éviter, en tout cas sans dépassement. C’est une certitude, sauf évènement exceptionnel comme une météorite tuant la quasi totalité de la population humaine. Tous les modèles l’anticipent.

A l’instar du +4°C annoncé par le gouvernement en février 2023, il existe beaucoup de confusion autour de la valeur +1.5°C. Quelle est son origine ? Est-ce une valeur scientifique ? Pourquoi est-il si important de tenir nos engagements climatiques ? Cet article revient sur la genèse de cet objectif, sur ce qu’en dit le GIEC et les dernières publications scientifiques sur le sujet.

C’est quoi, +1.5°C ?

Les limites de température de +1.5°C ou +2°C de réchauffement climatique mondial au-dessus des niveaux préindustriels ont connu leur premier intérêt médiatique important lors de la COP15 à Copenhague. Mais c’est surtout leur inclusion dans l’Accord de Paris et dans le rapport spécial du GIEC 1.5°C que ces températures limites (ou seuils) sont devenues “mainstream”.

Il existe beaucoup d’interprétations différentes de ces deux limites, et de nombreuses idées reçues circulent[1]article mis à jour et corrigé le 08/12/2023 suite à ce fil de Loïc Giaccone sur Twitter . Des interprétations disent que l’objectif est +1.5°C et que bien en dessous de +2°C est une limite, comme par exemple les petits états insulaires. Le +1.5°C a été fortement poussé par AOSIS (Alliance des petits États insulaires) au moment des négociations à la COP, avec la meilleure littérature scientifique disponible à l’époque.

Les limites de température de +1.5°C ou +2°C de réchauffement climatique mondial au-dessus des niveaux préindustriels ont connu leur premier intérêt médiatique important lors de la COP15 à Copenhague. Mais c'est surtout leur inclusion dans l'Accord de Paris et dans le rapport spécial du GIEC 1.5°C que ces températures limites (ou seuils) sont devenues "mainstream".
Source : Accord de Paris

D’après Yann Robiou Du Pont, chercheur à l’Université d’Utrecht, “L’objectif est bien de limiter le changement climatique à 1.5°C. Bien en deca de 2°C est une limite à ne pas dépasser.”.

En terme d’atténuation, l’objectif est de poursuivre +1.5°C tout en restant bien en dessous de 2°C, et atteindre des émissions nettes nulles dans la seconde moitie du siècle, le tout conformément a des critères d’équité. Cet objectif est légalement contraignant mais pose des questions d’interprétation par les cours de justice, notamment concernant la probabilité avec laquelle ces objectifs doivent être poursuivis et les risques de dépassement.

Les pays signataires de l’Accord de Paris insistent sur l’objectif de 1.5°C (pays vulnérables et insulaires) ou sur la limite des bien en dessous de +2°C selon leurs intérêts lors des négociations sur la mise en œuvre de l’accord.

Au-delà de la sémantique, ces deux limites de températures doivent être tenus, ce n’est pas “au choix”. D’après Robiou Du Pont, “la température de +1.5°C doit évidemment être vue comme une limite et non un réchauffement à atteindre. Les états se sont engages à adopter des objectifs de la plus haute ambition possible et équitables. L’objectif initial de la CCNUCC de 1990 est lui de stabiliser “les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique”. Or, on observe déjà des perturbations dangereuse, et beaucoup d’états ont des objectifs bien loin de la plus haute ambition possible ou d’être équitables.”

Une formulation ambiguë ?

Si la formulation du texte peut paraître ambiguë, c’est normal, et probablement intentionnel afin de faciliter l’obtention d’un accord lors des négociations. Que signifie exactement “bien en dessous de 2°C” ? Limiter à +1.5°C ? Comment est-ce calculé ? Est-ce pour une journée ou une moyenne long terme ?

Il est important de retenir que ces limites sont des limites politiques et non physiques. Elles servent également à déterminer les politiques de baisse des émissions des Etats et entreprises car il existe une relation proportionnelle entre le niveau de réchauffement global et le cumul des émissions de gaz à effet de serre depuis le début de l’ère préindustrielle. En revanche, les limites de +1.5°C et +2°C ne sont pas des points à partir desquels le monde va s’effondrer.

Il ne s’agit pas d’une falaise d’où on tomberait, où tout va bien à +1.4°C et où tout bascule à +1.6°C. Nous savons que les risques sont beaucoup plus élevés dans un monde réchauffé de 2°C vs un monde à +1.5°C. Et c’est une certitude.

Il ne s’agit pas d’une falaise d'où on tomberait, où tout va bien à +1.4°C et où tout bascule à +1.6°C. Nous savons que les risques sont beaucoup plus élevés dans un monde réchauffé de 2°C vs un monde à +1.5°C. Et c’est une certitude.
Figure SPM 3 du 6e rapport du GIEC, groupe 2

Quels éléments prendre en compte pour l’objectif +1.5°C ?

Pour interpréter le chiffre +1.5°C correctement, et notamment pour éviter de tomber dans le piège des gros titres de la presse, il faut au moins retenir trois éléments.

+1.5°C sur un jour, une année, une décennie ?

La chose la plus importante à retenir : un jour ou même une année au-dessus de +1,5°C (ou 2°C) ne signifie pas que le monde a dépassé cet objectif de température. Dans un document du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), il est indiqué par exemple que 86 jours ont été enregistrés avec des températures dépassant de 1,5°C les niveaux préindustriels pour la seule année 2023. Nous verrons par la suite que les données journalières sont à prendre avec précaution.

Après avoir utilisé une moyenne mobile de 30 ans dans le rapport spécial 1.5, le GIEC utilise dans son 6e et dernier rapport des moyennes mobiles de 20 ans, approuvées par tous les gouvernements, pour définir la durée de franchissement des seuils de température globale.

A titre d’exemple, en 2023, il est très probable (90 % de chances) que la moyenne dépasse de plus de 1,5 °C le niveau de référence de 1850-1900. En effet, “nous pourrions effectivement atteindre chaque année un réchauffement de 1,5 degré par an pendant toute une décennie avant que la moyenne à long terme ne dépasse ce seuil, déclare Zeke Hausfather.

Augmentation de la température mondiale.  En bleu les années, en noir les mois, dont certains qui sont au-dessus du seuil de +1.5°C. Crédit : Timothy Osborn
Augmentation de la température mondiale. En bleu les années, en noir les mois, dont certains qui sont au-dessus du seuil de +1.5°C. Crédit : Timothy Osborn

La limite de +1.5°C peut donc l’être pour un mois, pour une année, ou même dépassée dans une région du monde. C’est le cas pour la France. En effet, nous sommes en France déjà à +1.7°C depuis le début de l’ère industrielle. Mais cela ne veut pas dire pour autant que l’objectif des +1.5°C d’un réchauffement mondial au sens GIEC et négociations politiques dans les COP soit atteint ou dépassé.

Anomalies de la température moyenne annuelle mondiale résultant de l'exécution d'une moyenne sur 21 ans pour 24 modèles climatiques et la période 1900-2090 (scénario historique et RCP2.6 combinés). Niveaux indiqués pour quatre probabilités relatives à la limite de 1,5°C, la ligne centrale en gras de chaque courbe indiquant la température moyenne équivalente à long terme.
Anomalies de la température moyenne annuelle mondiale résultant de l’exécution d’une moyenne sur 21 ans pour 24 modèles climatiques et la période 1900-2090 (scénario historique et RCP2.6 combinés). Niveaux indiqués pour quatre probabilités relatives à la limite de 1,5°C, la ligne centrale en gras de chaque courbe indiquant la température moyenne équivalente à long terme.
Remarque : il s’agit d’une approximation de la variabilité naturelle, car elle ne tient pas compte de la variabilité à basse fréquence, et elle inclut également des variations dues à des changements dans le forçage solaire et volcanique naturel historique. Crédit : Joeri Rogelj

Effets court terme vs effets long terme

La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) définit le “changement climatique” comme des changements causés par l’activité humaine, sans tenir compte de la variabilité naturelle.

Pour les négociations, on ne tient pas compte des effets de la variabilité interne même si les scientifiques la simule. En effet, la réponse anthropique et la variabilité interne peuvent s’estimer à partir d’observations ou de l’estimation des modèles selon certaines hypothèses et cadre conceptuel.

Qu’est-ce que cela signifie ? Si les émissions humaines de gaz à effet de serre sont à l’origine de la tendance au réchauffement à long terme, la variabilité d’une année sur l’autre est dominée par les phénomènes comme El Nino et La Nina sur le Pacifique ou l’Oscillation Nord Atlantique qui affecte le continent Européen

Ces cycles naturels redistribuent la chaleur entre les océans et l’atmosphère et entraînent une élévation des températures à la surface du globe lors des phénomènes El Niño et une baisse des températures lors des phénomènes La Niña. “Toutefois, il ne s’agit que d’une redistribution de la chaleur à l’intérieur du système climatique, et non d’un apport de chaleur nouvelle exogène au système, et il existe une fluctuation irrégulière allant entre 3 ans et sept ans entre les phénomènes El Nino et La Nina“, déclare Zeke Haustafer.

Température moyenne à la surface du globe relevée par Berkeley Earth, ainsi qu'une variante (en bleu) où les effets d'El Niño et de La Niña ont été supprimés en utilisant l'approche de Foster et Rahmstorf (2011)
Crédit : Zeke Hausfather
Température moyenne à la surface du globe relevée par Berkeley Earth, ainsi qu’une variante (en bleu) où les effets d’El Niño et de La Niña ont été supprimés en utilisant l’approche de Foster et Rahmstorf (2011)
Crédit : Zeke Hausfather

Avec un réchauffement climatique supérieur à +0.2°C par décennie et un super El Niño qui pourrait ajouter jusqu’à 0,2 °C aux températures mondiales d’une année donnée en raison de la variabilité naturelle, il est possible d’avoir plusieurs années qui dépassent 1,5 °C pendant une décennie entière, alors que l’objectif de +1.5°C ne serait toujours pas atteint.

Avoir les bonnes données, sur la bonne période

C’est probablement le point le plus technique et le moins médiatisé, mais c’est pourtant indispensable si l’on souhaite éviter les attaques des climatosceptiques en tout genre.

Il faut tout d’abord comprendre comment est calculé une température mondiale moyenne et les incertitudes associées. Les séries chronologiques des estimations mensuelles de la température mondiale remontent à 1850. Les incertitudes concernant les moyennes annuelles sont plus importantes au XIXe siècle (±0,15°C dans les années 1850) que dans les décennies plus récentes (±0,05°C depuis les années 1960) et encore moins depuis l’ère satellitale (depuis 1979).

Il existe aussi des discussions au sein de la communauté scientifique pour définir exactement ce que signifie “période pré-industrielle”. Pour certains, il faudrait utiliser la période 1850-1900, pour d’autres comme Hawkins & al. (2017), il faudrait utiliser la période antérieure de 1720-1800, soit un meilleur choix pour cette base de référence. En effet, les principaux facteurs naturels qui influencent le climat de la Terre – les niveaux d’activité solaire et volcanique – étaient tous deux à des niveaux similaires à ceux d’aujourd’hui.

De la complexité des indicateurs qui paraissent simples au premier abord…

D’après cet excellent article du climatologue John Kennedy, il faut toujours vérifier l’origine des données car elles n’ont pas toutes la même fiabilité.

Nous disposons d’un certain nombre de jeux de réanalyses, mais seulement deux d’entre elles sont produites en assurant  la stabilité à long terme qui est nécessaire pour les études de climat : JRA-55 et ERA5. Seule l’une d’entre elles publie des températures mondiales quotidiennes (ERA5) depuis 1940 et aucune ne remonte jusqu’à 1850.

Les températures de l’air au niveau du sol (température à 2 mètres dans les standards météorologiques) sont surveillées 24 heures sur 24 par des milliers de stations météorologiques terrestres. Les données fournies par les satellites et les bouées permettent de combler les lacunes au-dessus des océans. Plusieurs organismes, dont la NOAA, la NASA, l’Agence météorologique japonaise et COPERNICUS pour l’Union européenne, effectuent des analyses mensuelles et annuelles de la température de l’air à la surface de la planète. Des différences mineures dans les classements des agences peuvent résulter des différentes manières dont elles traitent les régions pauvres en données, telles que l’Arctique, en particulier avant le début de l’ère satellitale.

Le choix des données et de la période de référence sont fondamentales pour savoir si l’objectif +1.5°C est donc dépassé ou pas. Selon la manière dont le calcul est effectué, un ou plusieurs ensembles de données peuvent dépasser 1,5 °C, ou non alors que l’on est proche de ce seuil.

Il appelle également à prendre avec précaution les données journalières, comme ici avec les données ERA5 (ECMWF) où pour la première fois, la planète Terre aurait franchi le 17 novembre 2023 la barre des +2°C de réchauffement mondial, par rapport à la période de référence 1850-1900 :

Eviter les polémiques

Betts & al (2023) suggèrent que “les chercheurs et les politiques doivent se mettre d’accord de toute urgence sur une mesure permettant de déterminer le niveau actuel du réchauffement climatique à des fins politiques. Une fois définie, cette mesure devrait être officiellement adoptée pour être utilisée dans le cadre de l’accord de Paris. Elle devrait être cohérente avec les pratiques établies du GIEC et permettre de reconnaître sans délai le franchissement de la barre des 1,5 °C“.

Dans cette étude, ils recommandent que les chercheurs veillent à ce qu’une méthode soit prête et validée bien avant que ne commence la controverse sur la question de savoir si le réchauffement de la planète a dépassé 1,5 °C. En effet, cela risque de faire polémique et des gouvernements pourraient être susceptibles de jouer sur l’incertitude pour justifier leur manque d’initiatives en matière de réduction d’émissions de GES.

Que dit le GIEC sur le seuil +1.5°C ?

L’une des questions lors de la sortie du premier volet du 6e rapport du GIEC en août 2021 portait sur l’échéance du franchissement  du fameux seuil des +1.5°C : allons-nous atteindre 1.5°C 10 ans avant les estimations précédentes tirées des synthèses précédentes?

Réponse : pas vraiment. Dans cet article de Realclimate.org sorti le lendemain de la sortie du rapport, nous apprenions que les différences dans les estimations sont avant tout une question méthodologique. “En résumé, lorsque l’on compare des pommes avec des pommes (c’est-à-dire les meilleures estimations des temps de dépassement fondées sur les scénarios), le SR1.5 et l’AR6 fournissent des chiffres moyens remarquablement cohérents : 2034,5 contre 2035“.

Les auteurs du papier alertaient déjà sur la possibilité d’une exagération des médias, dans la mesure où la réalité n’était pas très excitante. Pas de surprise, les chiffres étaient en ligne…

Extrait du chapitre 4 du rapport AR6 du GIEC, indiquant le moment où le niveau de réchauffement de 1,5C sera franchi dans le cadre du scénario bas SSP1-1,9
Extrait du chapitre 4 du rapport AR6 du GIEC, indiquant le moment où le niveau de réchauffement de 1,5C sera franchi dans le cadre du scénario bas SSP1-1,9

Le GIEC dans l’AR6 suggérait alors que le niveau de 1,5°C serait dépassé pour la moyenne 2021-2040 dans le scénario que nous suivons actuellement, soit le SSP2-4.5. Il est également précisé que l’occurrence d’années individuelles avec une température globale supérieure à un certain niveau n’implique pas que ce niveau de réchauffement global a été atteint. C’est conforme avec ce que nous venons de voir auparavant.

Que disent les études les plus récentes sur la date de franchissement du seuil +1.5°C ?

Plus de 2 ans se sont écoulés depuis la sortie du 6e rapport du GIEC, et près de 3 ans pour les études alors prises en compte. Une étude de Lamboll & al. (2023) arrive à des estimations qui se situent bien dans les fourchettes indiquées par le GIEC en 2021, mais plutôt dans la moitié inférieure des valeurs de la  fourchette possible.

En effet, ne jamais oublier que les estimations ne se réduisent pas à un seul chiffre mais toujours à une plage des possibles, le chiffre correspondant au meilleur estimateur, statistiquement parlant. D’après le chercheur Joeri Rogelj, deux raisons principales à cela.

Premièrement, nous sommes trois ans après la sortie du rapport du GIEC et continuons à émettre environ 40 milliards de tonnes de CO2 par an. Deuxièmement, les auteurs estiment que les aérosols refroidissent plus fortement le climat et ont donc joué un effet masquant le réchauffement plus marqué, ce qui conduit à réduire le budget carbone dans la mesure où les émissions d’aérosols diminuent fortement pour des enjeux de qualité de l’air et de santé publique. (Pour comprendre l’effet des aérosols, voir cet article sur le forçage radiatif).

Si nous voulons avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement de la planète à 1.5°C, nous ne pouvons émettre que 247 gigatonnes de CO2 supplémentaires. Au rythme actuel, cela ne laisse au monde que six ans pour parvenir à la neutralité carbone…

Notons que le budget restant pour atteindre le seuil 1.5°C avait déjà fait l’objet de débats entre auteurs du groupe 1 et du groupe 3 du GIEC, le budget ayant été revu significativement à la baisse depuis pour être de 250 GT au début 2023.

Le monde devrait réduire ses émissions de carbone de 8 % chaque année d’ici à 2034 pour conserver une chance sur deux de rester en dessous de 1,5 °C de réchauffement. C’est consistant avec le dernier papier de Jeff Tollefson publié dans Nature où il est écrit que “dans un peu plus de cinq ans, la planète aura brûlé suffisamment de carbone pour provoquer un réchauffement d’environ 1,5 °C“.

Avec les promesses de baisse d’émissions actuelles (NDC), les Etats prévoient de baisser leurs émissions de 2% d’ici 2030, au lieu de 43%.

Peut-on redescendre en dessous d’un réchauffement de +1.5°C ?

Le seuil des +1.5°C sera dépassé quoi qu’il arrive, mais est-il possible de redescendre en dessous ?

Dans le dernier rapport du GIEC, tous les scénarios SSP prévoient que la planète connaîtra un réchauffement de 1,5°C. La projection d’émissions la plus ambitieuse prévoit que nous atteignions 1,5°C dans les années 2030, puis un pic de températures à +1,6°C, avant de redescendre à 1,4°C à la fin du siècle.

Extrait du résumé pour les décideurs du 6e rapport du GIEC indiquant quand nous allons atteindre un réchauffement climatique de +1.5°C
Extrait du résumé pour les décideurs du 6e rapport du GIEC indiquant quand nous allons atteindre un réchauffement climatique de +1.5°C

Fin du siècle ? En effet, les objectifs de l’Accord de Paris font spécifiquement référence à la fin du siècle, de sorte que des scénarios tels que SSP1-1.9 – qui dépassent 1,5°C au milieu du siècle avant de faire redescendre les températures grâce à un déploiement à grande échelle d’émissions négatives – sont compatibles avec les objectifs, même s’ils peuvent dépasser 1,5°C au cours du 21e siècle.

Source : Accord de Paris

Emissions négatives… un mirage risqué ?

Quand vous rentrez en détail dans le scenario SSP1-1.9, il suppose une énorme quantité d’émissions négatives au cours du 21e siècle. Le “budget carbone” évalué pour limiter le réchauffement à 1,5°C dans le rapport du GIEC est d’environ 500 GtCO2. Or, le scénario SSP1-1.9 émet 700 GtCO2 au cours du 21e siècle, dépassant largement le budget carbone restant. Dans le même temps, il déploie 430 Gt CO2 d’émissions négatives.

Les émissions négatives peuvent prendre plusieurs formes. Certaines avec des “interventions”  naturelles, telles que la plantation de forêts et la modification subtile de la chimie des océans, afin de favoriser l’absorption du carbone. D’autres utilisent des solutions industrielles, notamment le captage et l’enfouissement des émissions des centrales électriques et des aciéries ou l’extraction directe du CO2 de l’atmosphère.

Crédit : WWF

La nécessité des émissions négatives pour atteindre la neutralité carbone est bien établie et synthétisée dans le dernier rapport du GIEC. Le problème, c’est que nous savons que les technologies nécessaires pour avoir des émissions négatives dans ces ordres de grandeur n’existent pas, ou n’ont jamais été testées à cette échelle. Il existe également des effets secondaires potentiellement dangereux, notamment via la modification du rayonnement solaire (SRM).

Ce sont pourtant les émissions négatives qui permettent à de nombreux scientifiques et commentateurs d’affirmer que l’objectif de +1.5°C de réchauffement mondial est encore techniquement réalisable. Sans compter que ces scénarios ne comblent en rien les inégalités, en particulier entre les pays du Nord et les pays du Sud, voire les accentuent en introduisant des risques de sécurité alimentaire via un usage des sols incompatible avec la demande et les pratiques agricoles.

Comment communiquer sur la limite de +1.5°C ?

Il est maintenant très probable que nous allons observer en 2023 la première année où la température moyenne mondiale sera supérieure de 1,5 °C aux niveaux préindustriels. Les journaux friands de titres choc ne louperont pas l’occasion d’en faire leur une, et il y a de fortes chances que la confusion règne. Comme expliqué dans cet article, il faudra prendre en compte la moyenne mobile sur 20 ans pour lisser variabilité naturelle d’une année sur l’autre et considérer aussi la gamme d’incertitudes sur les données.

Cependant, une chose est certaine : plus nous attendons pour agir à la hauteur, plus il sera dur de respecter les objectifs de l’Accord de Paris. Glen Peters a une expression très efficace sur le sujet :

Nous sommes arrivés à un stade où le budget carbone de 1,5 °C est si faible qu’il perd de son sens. Si votre visage est sur le point de percuter un mur à 160 km/h, il importe peu que votre nez se trouve à 1 ou 2 millimètres du mur.

La conclusion est et sera toujours la même. Pour limiter le réchauffement, il faudra des actions fortes, rapides et durables de réduction des émissions de CO2, de méthane mais aussi des autres gaz à effet de serre dans une transformation sociétale juste et équitable. Cela réduirait non seulement les conséquences du changement climatique mais améliorerait aussi la qualité de l’air et tout simplement le bien-être.

Dépasser l’objectif +1.5°C ne signifie pas que le combat contre le réchauffement climatique est perdu. Chaque tonne de CO2 émise aggrave le réchauffement climatique. Chaque tonne compte.


Références

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1article mis à jour et corrigé le 08/12/2023 suite à ce fil de Loïc Giaccone sur Twitter
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3 Responses

  1. “Nous sommes arrivés à un stade où le budget carbone de 1,5 °C est si faible qu’il perd de son sens. Si votre visage est sur le point de percuter un mur à 160 km/h, il importe peu que votre nez se trouve à 1 ou 2 millimètres du mur.”
    => certains sont considérés comme climatosceptique pour moins que ça…

    ET sinon
    SSP => se serait bien de dire ce que ça veut dire
    idem les différentes trajectoires des pays vu qu’il n’y en a pas qu’une (STEP, APS, SDS, NZT)

  2. Merci pour cet article.
    pour ma part je ne comprend pas trop pourquoi on se focalise sur la date de dépassement, cela me semble être un peu comme calculer la date du choc pour le Titanic au lieu de mettre tout les efforts pour ralentir l’impact.
    250 GT de budget carbone au début 2023 et 40 milliards de tonnes de CO2 par an -> comment arrivez-vous à un budget restant de 247GTco2e actuellement ? je compte 213GTco2e (250-11/12*40)

    ce qui m’amène à ma question : pourquoi dire qu’il impossible scientifiquement de rester sous les 1.5° ?
    statistiquement SSP1-1.9 prévoit une fourchette de haute probabilité qui inclus des températures <= 1.5°
    et donc faire un peu mieux que SSP1-1.9 (par ex -9% par an) permet encore scientifiquement de rester sous les 1.5°
    le problème est plutôt humain : on n'ambitionne que de réduire de 2% en 2030 et non la division en 2 nécessaire.
    Pour ma part, un lissage sur 20 ans, c'est aussi et surtout le problème qu'on actera le dépassement quand on l'aura en réalité fortement déapssé depuis longtemps.
    un moyenne beaucoup plus dynamique en neutralisant les variations naturelles m'aurait paru plus intéressant.
    Il me semble d'ailleurs assez incohérent, en terme tant pédagogique que juridique, de pouvoir dépasser un seuil et avooir comme objectif de "pouvoir le dépasser si on revient en dessous en 2099". une entreprise écocide vicieuse (qui a dit que c'est un pléonasme) pourrait bâtir une stratégie "on continue comme actuellement et on capture en fin de siècle" tout en se disant respectueuse des accords de Paris,
    comme dit le proverbe : les promesses n'engagent que ceux qui les écoute… et si en plus si c'est la fin du sciècle quand celui qui la fait serra mort…

    1. > pour ma part je ne comprend pas trop pourquoi on se focalise sur la date de dépassement, cela me semble être un peu comme calculer la date du choc pour le Titanic au lieu de mettre tout les efforts pour ralentir l’impact.

      La réponse démagogique serait de dire que ça fixe les échéances. Moi je pense plutôt que c’est parce qu’on sait faire l’un et pas l’autre.

      > donc faire un peu mieux que SSP1-1.9 (par ex -9% par an) permet encore scientifiquement de rester sous les 1.5°

      probablement. Mais ce n’est pas la trajectoire empruntée actuellement.

      > le problème est plutôt humain

      sans blague…

      > Pour ma part, un lissage sur 20 ans, c’est aussi et surtout le problème qu’on actera le dépassement quand on l’aura en réalité fortement déapssé depuis longtemps.

      oui. comme pour les pics de production de pétrole. Il faut d’abord redescendre pour constater que c’était un pic.

      > un moyenne beaucoup plus dynamique en neutralisant les variations naturelles m’aurait paru plus intéressant.

      Le but de la moyenne glissante est justement de neutraliser les variations naturelles. Je ne connais pas de solution en temps réel pour faire ça.

      > une entreprise écocide vicieuse (qui a dit que c’est un pléonasme) pourrait bâtir une stratégie “on continue comme actuellement et on capture en fin de siècle”

      D’un autre côté les entreprises et les dirigeants n’ont même pas besoin de cacher qu’ils ont en rien à foutre. Alors le fait qu’ils peuvent trouver des arguments marketing foireux…

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Auteur
Thomas Wagner
Prendra sa retraite quand le réchauffement climatique sera de l’histoire ancienne

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3 Responses

  1. “Nous sommes arrivés à un stade où le budget carbone de 1,5 °C est si faible qu’il perd de son sens. Si votre visage est sur le point de percuter un mur à 160 km/h, il importe peu que votre nez se trouve à 1 ou 2 millimètres du mur.”
    => certains sont considérés comme climatosceptique pour moins que ça…

    ET sinon
    SSP => se serait bien de dire ce que ça veut dire
    idem les différentes trajectoires des pays vu qu’il n’y en a pas qu’une (STEP, APS, SDS, NZT)

  2. Merci pour cet article.
    pour ma part je ne comprend pas trop pourquoi on se focalise sur la date de dépassement, cela me semble être un peu comme calculer la date du choc pour le Titanic au lieu de mettre tout les efforts pour ralentir l’impact.
    250 GT de budget carbone au début 2023 et 40 milliards de tonnes de CO2 par an -> comment arrivez-vous à un budget restant de 247GTco2e actuellement ? je compte 213GTco2e (250-11/12*40)

    ce qui m’amène à ma question : pourquoi dire qu’il impossible scientifiquement de rester sous les 1.5° ?
    statistiquement SSP1-1.9 prévoit une fourchette de haute probabilité qui inclus des températures <= 1.5°
    et donc faire un peu mieux que SSP1-1.9 (par ex -9% par an) permet encore scientifiquement de rester sous les 1.5°
    le problème est plutôt humain : on n'ambitionne que de réduire de 2% en 2030 et non la division en 2 nécessaire.
    Pour ma part, un lissage sur 20 ans, c'est aussi et surtout le problème qu'on actera le dépassement quand on l'aura en réalité fortement déapssé depuis longtemps.
    un moyenne beaucoup plus dynamique en neutralisant les variations naturelles m'aurait paru plus intéressant.
    Il me semble d'ailleurs assez incohérent, en terme tant pédagogique que juridique, de pouvoir dépasser un seuil et avooir comme objectif de "pouvoir le dépasser si on revient en dessous en 2099". une entreprise écocide vicieuse (qui a dit que c'est un pléonasme) pourrait bâtir une stratégie "on continue comme actuellement et on capture en fin de siècle" tout en se disant respectueuse des accords de Paris,
    comme dit le proverbe : les promesses n'engagent que ceux qui les écoute… et si en plus si c'est la fin du sciècle quand celui qui la fait serra mort…

    1. > pour ma part je ne comprend pas trop pourquoi on se focalise sur la date de dépassement, cela me semble être un peu comme calculer la date du choc pour le Titanic au lieu de mettre tout les efforts pour ralentir l’impact.

      La réponse démagogique serait de dire que ça fixe les échéances. Moi je pense plutôt que c’est parce qu’on sait faire l’un et pas l’autre.

      > donc faire un peu mieux que SSP1-1.9 (par ex -9% par an) permet encore scientifiquement de rester sous les 1.5°

      probablement. Mais ce n’est pas la trajectoire empruntée actuellement.

      > le problème est plutôt humain

      sans blague…

      > Pour ma part, un lissage sur 20 ans, c’est aussi et surtout le problème qu’on actera le dépassement quand on l’aura en réalité fortement déapssé depuis longtemps.

      oui. comme pour les pics de production de pétrole. Il faut d’abord redescendre pour constater que c’était un pic.

      > un moyenne beaucoup plus dynamique en neutralisant les variations naturelles m’aurait paru plus intéressant.

      Le but de la moyenne glissante est justement de neutraliser les variations naturelles. Je ne connais pas de solution en temps réel pour faire ça.

      > une entreprise écocide vicieuse (qui a dit que c’est un pléonasme) pourrait bâtir une stratégie “on continue comme actuellement et on capture en fin de siècle”

      D’un autre côté les entreprises et les dirigeants n’ont même pas besoin de cacher qu’ils ont en rien à foutre. Alors le fait qu’ils peuvent trouver des arguments marketing foireux…

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