Bonne fin du capitalisme (et Joyeux Noël !)

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Chaque année, au mois de décembre, notre économie se turbocharge comme un Mario sous champignon. C’est un moment de frénésie acheteuse, une orgie matérialo-énergivore où l’on se chasse-croise pour s’offrir des trucs autour d’un arbre coupé et d’un buffet d’animaux morts.

Curieux au premier abord, c’est un rituel que nous avons complètement normalisé. Seul le grinch n’achète rien pour Noël et toute tentative de remise en cause de tout ce qui touche aux fêtes de fin d’année est immédiatement censurée comme un écologisme insupportable. Comme si nos habitudes de consommation étaient innées et immuables. Or, c’est loin d’être le cas – nos pulsions d’achats ne sont pas une cause mais plutôt une conséquence. Oubliez le striatum, la nature humaine, et autres pseudo-théories qui nous enferment dans un consumérisme génétique. Le problème est ailleurs.

Le consumérisme est une stratégie capitaliste

« L’approche consumériste, c’est considérer que, face à la surproduction, il faut provoquer de la surconsommation – et non diminuer ou ralentir la production », explique la philosophe Jeanne Guien dans Le désir de nouveautés. C’était une grande problématique au début du 20ème siècle dans les pays industrialisés : comment parvenir à écouler une production en constante augmentation ? La solution : inciter à consommer davantage. Les stratégies pour y parvenir son nombreuses ; on peut créer des désirs avec la publicité, accélérer les achats via l’obsolescence organisée, ou imposer des dépenses contraintes en marchandisant les besoins essentiels.

Premier élément de la triade consumériste : la publicité. Chaque année, les entreprises dépensent plusieurs dizaines de milliards pour faire de la publicité en France (34 milliards d’euros en 2019). C’est beaucoup d’argent mais, en réalité, très peu d’acteurs. Seulement 1,6 % des entreprises en France font de la pub et les 500 plus gros annonceurs concentrent deux tiers des dépenses. Le résultat, nous le connaissons tous tant il est présent dans notre quotidien : un matraquage commercial débilitant qui nous incite à acheter des bagnoles, manger des nuggets, boire du sucre, et voyager à l’autre bout du monde.

Certains publicitaires diront que la pub ne créé pas de besoins car elle ne fait que rediriger des décisions d’achats préexistantes. C’est faux. Une étude macroéconomique révèle que les dépenses publicitaires en France sont responsables d’un surcroit de consommation de 5,3 % et d’une augmentation du temps de travail de 6,6 %. Nous travaillons 2 heures et demie en plus par semaine à cause de la publicité, sans compter le temps gâché à la produire et à la regarder. 

Qui a véritablement besoin d’un 4×4 pour traverser Paris ? Personne, et pourtant, les SUVs représentent aujourd’hui 52 % des ventes de voitures neuves, notamment grâce à des campagnes publicitaires d’une efficacité redoutable. C’est une triple peine. Les frais publicitaires sont répercutés sur les prix (2 300 € pour chaque SUV acheté), l’exposition permanente aux messages publicitaires génère un FOMO phénoménal pour la grande majorité de la population qui ne peut pas s’offrir ces produits, et les écosystèmes craquent sous le rythme effréné de cette croissance exponentielle. Déplaisant et intraitable, la publicité est l’herpès de notre économie contemporaine.     

La deuxième stratégie consumériste consiste à accélérer la fréquence des achats. On parle d’obsolescence organisée ou planifiée, un ensemble de pratiques qui visent à réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement. Une batterie collée pour la rendre inchangeable, un grille-pain dont la pièce de rechange coûte plus cher que l’appareil lui-même, des mises à jour système qui rendent inopérant les vieux téléphones, des collections dans la mode qui s’enchaînent de plus en plus vite, des programmes de reprise de produits encore fonctionnel – les marques redoublent de créativité pour inciter à la surconsommation.

D’un point de vue économique, c’est absurde. Nous gaspillons notre temps de travail et nos ressources naturelles pour des choses dont nous n’avons pas vraiment besoin. Pire, nous dilapidons les budgets écologiques globaux pour des besoins non-essentiels dans un monde où une grande partie de la population mondiale n’a pas encore accès au minimum vital. C’est un « mode de vie impérial » socialement futile et écologiquement insoutenable, l’équivalent de se faire vomir pour pouvoir remanger alors que d’autres meurent de faim.  

Le troisième stratagème est le plus redoutable : supprimer l’accès à quelque chose de gratuit pour créer une dépendance à la consommation marchande. C’est ce que le géographe David Harvey appelle « l’accumulation par la dépossession ». La destruction organisée des services publics et des communs est une stratégie classique d’enrichissement capitaliste. Crèches, EPHAD, journaux académiques, maisons d’édition, assurances, mutuelles, médias, réseaux sociaux, logiciels, infrastructures sportives, tout ce qui est potentiellement monopolisable attire le capitalisme cannibale. À grands coups de « politiques de croissance », les patients deviennent des clients, les lecteurs deviennent des acheteurs, et progressivement le penser profit s’impose dans notre quotidien. 

Il en faut peu pour être heureux, sauf dans une économie consumériste. Plus nos besoins se marchandisent, plus la course au pouvoir d’achat s’intensifie (on parle de « dépendance à la croissance »). C’est un cercle vicieux. Plus on consomme, plus on enrichit une minorité qui peut ensuite investir son surplus pour marchandiser quelque chose d’autre. Chercher à maintenir le pouvoir d’achat, c’est comme combattre une inondation en allant chercher une serpillère – futile si on ne retrouve pas la source de la fuite. Au lieu de soutenir le pouvoir d’achat, limitons plutôt le pouvoir de vente en encadrant les prix du foncier et de l’immobilier, en limitant la multipropriété immobilière, en protégeant l’indépendance des médias, et en imposant des critères de non-lucrativité aux entreprises des secteurs de « l’économie fondamentale » (foundational economy) comme la santé, l’éducation, et la défense.

La critique la plus redoutable que l’on puisse faire au capitalisme contemporain est que c’est un système inefficace en matière de qualité de vie. Ces trois stratégies sont des sources directes de mal-être. La plupart des gens déteste la publicité. Personne n’éclate de joie quand sa chaudière tombe en panne. Qui jubile à l’idée de débourser un (ou plusieurs) SMIC pour assurer des conditions de vie déplorables à ses grands-parents dans un EHPAD privé ? Les seules personnes qui profitent sont les capitalistes, c’est-à-dire cette minorité possédante qui capte la plus-value des activités marchandes (en France, les 20 % les plus riches possèdent 65 % de la richesse nationale, ce qui leur permet de capter 38 % de tous les revenus ; le décile supérieur possède 99 % du patrimoine professionnel).

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Minimalisme, décroissance, et post-capitalisme

Et si au lieu de surconsommer ce que l’on surproduit, nous venions simplifier nos besoins pour pouvoir produire moins ? Simplicité volontaire et partage (commoning) du côté de la consommation, low-tech et coopératives du côté de la production, et planification socio-écologique du côté de la régulation. Voilà à quoi ressemble le progrès au 21ème siècle : une économie débarrassée de ses pulsions de croissance qui pourrait ralentir sans périr

Interdisons la publicité qui vise les enfants (comme c’est déjà le cas en Suède), la publicité pour les produits les plus polluants (comme à La Haye), les panneaux publicitaires dans les rues (comme à Grenoble), mais aussi la collecte industrielle des données personnelles. Au lieu d’un Black Friday, un buy-nothing day (journée sans achats) ; au lieu des médias sac à pub qui n’existent que pour vendre de l’attention, des médias indépendants financés collectivement ; au lieu de sacrifier nos esprits les plus créatifs pour donner envie d’acheter du parfum et de parier sur des matchs de foot, musclons notre imaginaire collectif, qu’il soit artistique, scientifique, ou politique, sur des projets plus ambitieux.

Contre l’obsolescence, privilégions la permanence. Généralisons l’usage de « l’indice de durabilité » à tous les produits pour permettre d’interdire progressivement à la vente les produits les moins durables. Imaginons une économie où les décisions de production sont gérées par les artisans et les utilisateurs plutôt que par les comptables et les investisseurs. Au lieu de chercher à tout prix à créer ces licornes que seuls les capitalistes trouvent magique, renforçons un tissu productif social et solidaire dont la raison d’être n’est pas de faire de l’argent mais de défaire du mal-être.   

Subventionnons massivement la seconde main en développant les repair cafés, les laboratoires de fabrication (fablab), et autres ateliers coopératifs (garages associatifs, ateliers vélo, cantines solidaires, etc.). Donnons-nous les moyens de fabriquer, bricoler, recoudre, et prendre soin de toutes les choses que nous avons déjà. Passons d’une économie linéaire de croissance centrée sur la quantité, la possession, et le profit à une économie circulaire de maintenance centrée sur la qualité, le partage, et le bien-être.

Contre la marchandisation de l’essentiel, défendons la gratuité, le partage, et l’entraide. Bibliothèques municipales et boîtes à livres, outilthèques, banque de temps, monnaies alternatives, ressourceries, logiciels libres, bar à jeux, terrains de sport ouverts, casiers à objets, brocantes et gratiférias, et services publics de qualité. Au lieu de construire des centres commerciaux, autoroutes, et autres « grands projets inutiles et imposés », et si on laissait respirer la nature ? Et si on mettait à disposition des citoyen·ennes des locaux pour pouvoir accueillir, prêter, apprendre, et échanger ? Et si on accompagnait celles et ceux qui, en dehors de la sphère marchande, sont à l’avant-garde de l’innovation sociale et du convivialisme ?

Au lieu d’imprimer des livres en masse, publions moins mais mieux (des trêves de nouveautés chez les éditeurs et des pratiques de slow science à l’université). Partageons nos connaissances en formant des clubs de lecture, des arpentages, des bases de données collaboratives, des publications scientifiques en libre accès, et des bibliothèques communes. « Private sobriety, public luxury », dirait George Monbiot, la sobriété individuelle rendue possible par l’abondance collective. Au lieu de laisser mourir nos services publics, asséchés par le grand capital, « reprenons le contrôle de notre économie » avec l’avènement d’une démocratie qui ne serait pas que politique mais aussi économique. 

Rêvolutionner l’économie

Cette année, ma liste de Noël sera courte. Je ne demanderais qu’une chose : la fin du capitalisme. Je n’imagine pas un sabotage à l’explosif comme dans Fight Club ou bien un effondrement sanglant comme dans Children of Men mais plutôt une sécession, un abandon de poste, une rupture non-conventionnelle. « La révolution ne consiste pas à détruire le capitalisme mais à refuser de le fabriquer » (John Holloway). Cessons à travers nos activités de consommation, de production, et de régulation de reproduire un schéma consumériste, productiviste, et croissanciste – ou en un mot, capitaliste.

En cette fin d’année, posons-nous de vraies questions. À qui donnez-vous vos heures de vie ? À qui confiez-vous votre épargne ? Quelles sont les conséquences des choses que vous produisez et des choses que vous consommez, des ordres que vous donnez et des ordres que vous recevez ? Plus que jamais, nous avons besoin d’un sursaut d’esprit critique économique. Ne laissons pas une poignée de publicitaires dicter nos rêves. Ne laissons pas la « liberté d’entreprendre » saccager nos écosystèmes. Refusons ces politiques économiques qui placent le PIB avant la santé.  

Rêvolutionnons l’économie. Au lieu d’une obsession écocidaire pour la croissance, faisons l’éloge de l’inactivité (Byung-Chul Han) en accordant plus d’importance à la contemplation qu’à la production. Au lieu d’accumuler des choses et des désirs qui nous encombrent, faisons de la place (Karine Sahler). Au lieu d’un consumérisme niais qui consiste à hocher la carte bleue à la vue du moindre gadget, inventons un hédonisme alternatif (Kate Soper) centré sur l’être plutôt que sur l’avoir. Au lieu de démoniser la paresse en travaillant pour travailler, mettons nos efforts collectifs au service de l’otium (Jean-Miguel Pire), l’usage gratuit, désintéressé, non mercantile, de notre temps.

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  1. Merci de faire entrevoir un futur désirable ! Malheureusement j’ai l’impression que la pression de l’hyper-capitalisme est tellement forte et s’accroit, je ne sais pas comment faire advenir ce futur…

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Timothée Parrique est chercheur en économie écologique à l’Université de Lausanne en Suisse

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  1. Merci de faire entrevoir un futur désirable ! Malheureusement j’ai l’impression que la pression de l’hyper-capitalisme est tellement forte et s’accroit, je ne sais pas comment faire advenir ce futur…

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