Après avoir accusé les Chinois, les Africains, les écolos et la Covid, il semblerait désormais que pour certaines personnes, la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim soit l’unique responsable de la crise énergétique et du changement climatique.
“Concernant les canicules en France”… “Fallait pas fermer Fessenheim ! “
“Pour la sécheresse la plus importante en France depuis au moins 1959 il faudrait peut-être…” “Fallait pas fermer Fessenheim aussi !”
“Mais pour les jets privés, vous êtes d’accord que…” “Vos mesurettes qui jalousent les riches là, c’est rien par rapport à la fermeture de Fessenheim ! #Escrologie”
Vous l’aurez compris, tout est de la faute de la fermeture de Fessenheim. Il serait moins confortable et vendeur d’admettre que la situation actuelle, tant sur le plan énergétique qu’écologique, est plus complexe que cela.
La fermeture de Fessenheim est un choix politique
Avant toute chose, il est nécessaire de rappeler que la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim est un choix politique. Contrairement à ce que répètent les membres du gouvernement Macron en pointant la responsabilité du gouvernement Hollande, ils avaient tout à fait le choix de prolonger la centrale nucléaire au début du premier mandat. Ce choix politique s’est fait malgré l’avis de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), “qui assure au nom de l’État, le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, pour protéger les personnes et l’environnement des risques liés aux activités nucléaires civiles“.
La première erreur, grossière, est d’avoir un gouvernement qui passe son temps à mentir et ne reconnait jamais ses torts. En novembre 2018, Edouard Philippe, alors Premier ministre, déclarait très fièrement à l’Assemblée Nationale vouloir fermer Fessenheim… avant de déclarer “qu’il aurait aimé ne pas avoir à fermer Fessenheim” le 16 septembre 2022. Même son de cloche chez Agnès Pannier-Runacher au micro de France Inter le 30 août 2022, pointant du doigt la responsabilité du gouvernement Hollande.
Cerise sur le gâteau, François Hollande lui-même a déclaré en mars 2022 au sujet de notre dépendance aux énergies fossiles qu'”avant de réfléchir à de nouveaux réacteurs, prolongeons les centrales existantes et améliorons leur maintenance pour produire plus et plus longtemps“. Un volte face à la hauteur du personnage, mais qui ne nous sauvera pas de la crise énergétique actuelle. Une politique énergétique se pense sur le long terme, contrairement aux intérêts électoralistes court- termistes. Nous gagnerions du temps si nos politiques reconnaissaient leurs erreurs. Mais c’est rarement une bonne idée si vous souhaitez être réélu(e)e ou si vous êtes encore au pouvoir.
Fermer Fessenheim, une erreur ?
Pour savoir si fermer Fessenheim était une erreur, il faut définir le cadre. Ce cadre, c’est celui proposé par la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC; réévaluée en 2020) qui détermine le cadrage de référence des “Futurs énergétiques 2050” de RTE (Réseau de Transport d’Electricité). La SNBC repose en premier lieu sur l’efficacité énergétique : elle prévoit que la consommation énergétique finale de la France diminue de 40% en trente ans. Une baisse de consommation énergétique, MAIS une augmentation de la consommation électrique très forte, pour atteindre 645 TWh selon la trajectoire de référence de RTE :
En partant de ce postulat, la fermeture de Fessenheim était une erreur car aucun changement structurel n’a été lancé pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles et faciliter la sobriété des Françaises et Français. La France a de grandes difficultés sur sa production électrique pour répondre à la demande et se retrouve obligée de “rouvrir une centrale à charbon à Saint-Avold pour éviter les coupures d’électricité cet hiver“.
Quand vous vous retrouvez à agir dans l’urgence et sans planification, c’est souvent au dépend du climat et des ménages les moins aisés. Rouvrir une centrale de charbon en 2022 est catastrophique, même si ce n’est que pour 1% de la production électrique. Cet article rappelle entre autres qu’en comparaison, cela émet plus de 100 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que le nucléaire.
Nous pourrions également dire que c’est une erreur car la France a accumulé un retard conséquent sur les ENR, en étant le seul pays de l’Union Européenne a avoir manqué ses objectifs. C’est pourtant un pré-requis obligatoire pour baisser significativement nos émissions de CO2, et cela bien avant la publication des scénarios de mix de production à l’horizon 2050 par RTE.
TOUT sauf une surprise
Les tensions sur le réseau électrique sont tout sauf une surprise. C’est annoncé depuis des années par RTE et nous devrions avoir des tensions sur le réseau jusqu’en 2024. Oui, la fermeture de Fessenheim a consommé des marges sur le réseau, comme nous pouvons le voir sur le graphique ci-dessous :
Toutefois, si nous regardons l’ensemble du graphe et celui du dessus sur la disponibilité du parc nucléaire, nous voyons que Fessenheim n’est pas le seul facteur de cette perte de marge, ni même le plus gros facteur. La fermeture des autres moyens de production fossile, pour le plus grand bien du climat, est la cause du manque de marge de cet hiver.
Nicolas Goldberg, expert en énergie chez Colombus consulting, confirme pour le Figaro : «Ce qui manquera cet hiver, selon EDF, c’est 5GW, selon RTE, c’est plutôt 11GW. Fessenheim représentait 1,8 GW. En la gardant ouverte, on aurait fait bouger le curseur dans le bon sens, mais cela n’aurait pas tout changé, on aurait quand même eu des problèmes cet hiver ».
Dans un cadre où vous souhaitez sortir le plus rapidement possible des énergies fossiles et une consommation électrique aussi importante, la fermeture de Fessenheim était sans aucun doute une erreur. Mais même avec, l’approvisionnement électrique français serait fragilisé. Alors pourquoi le nom de Fessenheim revient systématiquement ?
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Mais pourquoi parle-t-on encore autant de Fessenheim en 2022 ?
Il est particulièrement intéressant d’analyser qui rabâche le sujet de Fessenheim, et qui s’en sert pour justifier ses intérêts, voire l’inaction climatique. Ce sujet est devenu une marotte qu’on ressort à toutes les sauces, peu importe le sujet : jets privés, ENR, mégafeux dans les Landes, etc. Ces mêmes personnes, pour qui habituellement la symbolique n’a aucun intérêt, trouvent en Fessenheim un symbole fort dont la simple évocation permet de “gagner” un débat.
Plus qu’un raisonnement rationnel, cela devient une stratégie politique. Sur l’échiquier politique, c’est notamment repris par la droite et l’extrême-droite, qui ont un programme politique qui va totalement à l’encontre des objectifs climatiques de la France (moratoire sur l’éolien et le solaire, démantèlement des éoliennes existantes, etc.). Ce sujet envahit également les réseaux sociaux (notamment Twitter) et comme cela provoque souvent beaucoup de réactions, le sujet finit par être discuté et débattu dans les médias plus traditionnels comme la presse écrite et la télévision.
Insister autant sur Fessenheim, c’est aussi éviter de parler d’autres sujets : le retard de la France sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre, la rénovation des bâtiments, la sobriété… des sujets qu’on aimerait bien voir être mis en avant par tous les partis politiques. Si les uns accusent les “écolos d’être dogmatiques sur le nucléaire”, que penser de la position de la droite, de l’extrême-droite et de certains éditorialistes lorsqu’ils critiquent avec virulence les énergies renouvelables, parfois en les accusant même de “gâcher le paysage” ?
Le mot de la fin
Evoquer la fermeture de Fessenheim n’est pas forcément un problème. Cela peut parfois être justifié, notamment lorsque l’on compare les besoins du système électrique et les solutions proposées par le gouvernement (couper le wifi, arrêter les emails rigolos…).
Sortir la carte “c’est de la faute de la fermeture de Fessenheim” pour tout justifier est une faute, sauf si cela répond à vos intérêts politiques. Ce n’est pas la fermeture de Fessenheim qui mène à elle seule aux tensions sur le système électrique, et encore moins à l’explosion du coût de l’électricité sur les marchés. C’est le manque de vision et de planification du gouvernement actuel et des gouvernements précédents, qui répondent aux intérêts à court terme, avec toujours les mêmes personnes qui en pâtissent le plus.
En temps de crise énergétique et sans planification, tout moyen de production électrique bas carbone aurait été un vrai plus. Il est temps d’arrêter de polluer les débats en justifiant tout et n’importe quoi avec la fermeture de Fessenheim et d’aller de l’avant.
10 Responses
Selon le SER (Syndicat des Énergies Renouvelables) le 29 septembre dernier, l’électricité qu’on ne produit plus, à Fessenheim, représente moins de 20% de la prod. renouvelable dont notre pays s’est privé, en ne respectant pas l’objectif d’augmenter la part des renouvelables dans la prod. électrique.
“Il est temps d’arrêter de polluer les débats en justifiant tout et n’importe quoi avec la fermeture de Fessenheim et d’aller de l’avant.” Aller de l’avant n’empêche pas de regarder en direction les responsables du marasme. Et les clowns à roulette qui ont fermé Fessenheim devraient, s’ils savaient encore ce qu’est la honte, se sentir le cul merdeux.
Quand on voit les problèmes des centrales actuelles (Génération 2), on peut vraiment se demander si écrire qu’on pourrait encore avoir 16 ou 24 GW toujours installés en 2050 ne relève pas de l’illusion. Ce serait étonnant que l’ASN permette à cette G2 d’atteindre 2050.
Dans tous les cas, il y a une obligation, puisque dans les 15 prochaines années, on ne peut rien espérer en termes d’augmentation de production électrique à part de l’éolien et du PV.
Et on a intérêt à faire fissa, car les tensions sur les matières premières vont bientôt apparaître, vu que tous les pays européens vont se jeter sur le EnR dans les mois à venir.
Pour finir, dans son étude, RTE propose 510 TWh de consommation intérieure d’électricité hors production H2. L’éolien et le PV ne représentent que 40 TWh de consommation aujourd’hui. L’hydro étant sans espoir, il faut ajouter 470 TWh + les 135 déclarés pour le H2 d’ici 2050, avec EnR et un peu de nuk, en sachant que la première nouvelle centrale n’arrivera au mieux qu’en 2037 (à part Flamanville, qui finalement, arrivera peut être aussi en 2037 !….rires).
On prend les paris pour tout ce bazar ?
Autres questions stupides :
– pour 645 TWh de consommation, combien de production (on se base sur 15% en + ??).
– avec 135 TWh dévolus au H2, quelle quantité de ce gaz va-t-on pouvoir exploiter, et dans quelles conditions ?
Puisqu’on parle de technique, mais dans des bonnes conditions et sur une centrale dont on n’aurait pas gravement sous-estimé les risques sismiques et les effets combinés «en cascade», c’est un matériel qui s’use. Qui mettrait ses enfants dans un bus où les freins et la direction risquent de lâcher à tout moment ? Des gens qui pensent vraiment que Fukushima et Tchernobyl (catastrophes encore en cours et pour trèèèès longtemps) n’ont fait aucun mort et n’ont aucune implication sur les cancers et autres maladies et les anormalité des bébés anormaux ? Sur la désertification d’immense territoires ?
Battez-vous surtout contre le charbon qui fait 300 000 morts par an dans le monde, et des tas de bébés difformes. Rien à voir.
Pour la désertification d’immenses territoires, reportez-vous sur un planisphère, et tracez-moi les territoires désertifiés par Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima. Invisible (le trait de crayon est bien trop gros).
Je ne suis pas pro nuk, mais je n’aime pas qu’on sorte des arguments hors échelle.
Par ailleurs, le territoire d’exclusion de Tchernobyl est aujourd’hui une forêt à la biodiversité bien supérieure au reste du pays.
Bonjour,
Il y a un point que tu ne précises pas et qu’il me semble important d’ajouter : ceux qui parlent de “réouvir” Fessenheim montrent une sacrée ignorance à la fois de la loi et de la technique (bon, pour la technique je ne suis pas surpris).
En effet, du point de vue de la loi, il faudrait obtenir un nouvel arrêté d’exploitation, et comme les exigences ont évolué depuis les années 70, ce serait quasi impossible. Les centrales françaises sont “mises à jour” (contrairement aux centrales américaines ou japonaises, qui doivent juste rester conformes aux standards de l’époque de la mise en exploitation) mais certaines évolutions sont impossibles (par exemple, l’ajout d’une 3ème “voie” de matos de sûreté).
Ensuite, d’un point de vue technique, quand on arrête temporairement une centrale, on “conserve” certains matériels (turbine, surchauffeurs, tuyauteries de vapeur, etc.) à l’aide de soufflantes, de sécheurs,… pour éviter la corrosion. On ne le fait évidemment pas pour une centrale en arrêt définitif. Donc avant de redémarrer Fessenheim, il faudrait en gros remplacer les GV et tout le secondaire. Pas totalement impossible, mais quasiment (et surtout, très long).
Sinon, merci pour le boulot. Bon courage.
Bonjour, effectivement je ne suis pas rentré dans les détails techniques pour éviter de noyer le message. D’après mes lectures sur le sujet, j’ai surtout compris que le démantèlement avait commencé et qu’aussi bien sur le plan technique que politique, ça ne serait pas possible de rouvrir la centrale (si je me trompe, je veux bien des sources pour m’expliquer le contraire, en France, mais aussi pour d’autres pays qui font l’actualité comme la Belgique et l’Allemagne).
La turbine de Fessenheim est déjà partie, il faut des années pour en avoir une nouvelle… mais ça reste possible si on est pas pressé (donc pas pour cet hivers ni le prochain ni…)
Les allemands n’arrivent pas non plus à à redémarrer leurs ~30 centrales à charbon mises à l’arrêt (même pas une poignée sont prêtes).
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Bon Pote, tu devrais faire un article sur la rénovation (temps pour rénover, quantité de matière premiere, coût, gain potentiel et réel, effet rebond,…) et comparer avec des solutions plus simples/rapides/radicales/efficaces/moins chères/… (pompes à chaleur, habiter des logement plus petits, HC/HP, baisser la température de chauffage, abandon des passoires thermiques, racourcir ses douches, interdire les baignoires, ne chauffer que la pièce de vie,… )
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Tu fais vraiment une fixette sur le vendeur de dentifrices, tu devrais consulter!
Il a déjà fait plusieurs articles sur la sobriété, et ce que vous dites est finalement assez évident à expliquer et comprendre. Par contre, le faire accepter, c’est une toute autre histoire…
Pour aller plus loin, l’enjeu de la production d’électricité est très important, et ce malgré les efforts de sobriété possibles, car la consommation d’électricité européenne va bcp augmenter. Cela est du à la -on l’espère- réindustrialisation, aux voitures électriques et au tjrs plus de jouets numériques.
Si mes souvenirs sont bons, à l’époque, j’avais la sensation que Mr Hollande s’est rappelé, en fin de mandat, de sa promesse de campagne et pour redorer son blason (pas très glorieux… ) il a fermé la centrale sans aucune préparation.
Une fermeture aurait dû être anticipé en début de mandat pour économiser tout ou parti des 1,8 GW fourni par la centrale. (renovation, isolation, …etc)
De plus, en fin de mandat, il me semble que son premier ministre c’était….. ah ba oui Macron himself