Penser que “le changement climatique, c’est pour les autres” est un biais d’optimisme classique, mais malheureusement aussi une erreur grossière. Il est certes probable que la France souffre moins que le Madagascar ou le Cambodge. Mais nous ne serons pas épargnés, et nous n’y sommes pas préparés. Ou en tous cas, très mal.
Dans notre série d’articles sur les idées reçues, nous sommes revenus sur plusieurs aléas climatiques qui toucheront la France, notamment les sécheresses, la hausse du niveau de la mer et les canicules. Les alertes se multiplient depuis plus d’une décennie et tous les retours d’expérience après des crises le montrent : les ouragans Irma et Maria en 2017, les canicules, les incendies, les sécheresses à répétition ou les épisodes de gel et de grêle de ces derniers mois montrent que nous ne sommes pas prêts pour affronter les crises actuelles. Alors que dire des événements à venir !
Les inondations de juin en France sont un exemple. Elles ont causé 550 millions d’euros de dégâts et 235 000 sinistrés. Événement fortement médiatisé après la catastrophe de Nîmes en 1988, mais qui risque de se multiplier dans les années à venir, ce type d’inondations, par ruissellement urbain, n’est ni “ni cartographié ni considéré », alors que« la prévention et l’adaptation des bâtis auraient coûté beaucoup moins et apporté des solutions durables“, rappelle Haziza Emma, hydrologue.
Si le Haut Conseil pour le Climat (HCC) a donné une large place à l’adaptation et appelé son rapport annuel 2021“Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation”, c’est tout sauf un hasard. Mais que veut dire réellement s’adapter en France? Qu’a-t-on déjà mis en place et pourquoi est-ce insuffisant?
Nous y répondons avec l’aide de Magali Reghezza, géographe et membre du Haut Conseil pour le climat (HCC).
À quoi les Français(es) doivent-ils s’attendre dans les deux prochaines décennies?
Dans son rapport annuel, le HCC s’est appuyé sur des modélisations de Méteo-France (DRIAS 2020) pour cartographier les impacts du changement climatique sur le territoire national. Ils ont utilisé un scénario intermédiaire (+2,6°C à la fin du siècle) et regardé les conséquences attendues en 2040. Si le signal n’est pas encore suffisamment clair sur les précipitations, il est très net pour l’augmentation des températures moyennes et des températures extrêmes, notamment pour les vagues de chaleurs. Pour mémoire, le réchauffement en France a atteint +1,7°C depuis 1900.
Le HCC a mis l’accent sur plusieurs messages clés :
- Un climat qui change, c’est une tendance au réchauffement qui s’accentue, avec des moyennes de températures qui augmentent, avec certes des différences en fonction des régions. Cela implique par exemple moins de jours d’enneigement en montagne, avec une menace directe pour les activités touristiques.
- Un climat qui change, c’est aussi davantage d’extrêmes. En particulier, des vagues de chaleur plus fortes, plus fréquentes et étalées de mai à octobre. Les conséquences sur la sécheresse des sols et les conditions propices aux incendies sont importantes. Le risque d’incendie s’étend vers le nord de l’hexagone et la saison des feux s’étend du printemps à l’automne, occasionnant une pression très forte sur les services de secours.
- La tendance au réchauffement pourrait paraître bénéfique : moins de jours de gel l’hiver, c’est moins de chauffage et donc, moins de consommation de combustibles et d’énergie. Mais l’année 2021 a aussi montré que ce sont les interactions entre les transformations du climat qui vont poser problème : s’il fait plus chaud, alors les arbres vont bourgeonner plus tôt dans l’année, au moment où le risque de gel n’est pas écarté. L’ensemble de l’arboriculture (viticulture incluse) est ainsi concernée.
- Enfin, si les signaux ne sont pas encore suffisamment robustes pour les précipitations, et donc certains extrêmes hydrologiques comme les orages, les étiages ou les inondations, les études d’attributions montrent que des événements qui n’auraient eu aucune chance de se produire il y a un siècle deviennent possibles, que des événements extrêmes – par rapport aux moyennes – deviendront des événements moyens.
En 2040, l’été 2003, qui a marqué la France par la canicule, mais aussi les incendies, sera un été “normal”. Le HCC cite l’exemple de la vague de chaleur de septembre 2020, qui a désormais une durée moyenne de retour de 12 ans, contre 150 ans dans le climat de 1900 (et qui aurait été moins chaude de 1,5°C), et à horizon 2040 aurait 3 fois plus de chance de se produire (avec 1°C de plus).
Quelles conséquences et pour qui?
Quand on pense réchauffement et extrêmes, on pense bien sûr à l’augmentation des catastrophes naturelles. Les modélisations réalisées par les assureurs convergent vers une augmentation d’au moins 50% de la sinistralité à horizon 2050. Outre les morts et les blessés, les risques climatiques menacent les biens et infrastructures (bâtiments, réseaux). Une étude récente du ministère de la transition écologique montre par exemple que 10,4 millions de maisons individuelles sont exposées au risque de retrait-gonflement des argiles, qui augmente avec la sécheresse.
Les activités économiques seront (et sont déjà) fortement touchées. L’agriculture est en première ligne, puisqu’elle dépend très directement du climat et de ses conséquences sur l’eau, les sols, la biodiversité. Mais l’industrie est également exposée : les activités qui dépendent de l’eau sont menacées par les bas débits (production d’énergie, chimie, etc.), les équipements et les stocks sont soumis aux inondations et aux risques d’orages violents. Le tourisme est exposé à la baisse de l’enneigement, mais aussi le recul du trait de côte. Enfin, le changement climatique menace certains actifs financiers, avec des risques induits pour l’économie.
Un climat qui change, c’est enfin un quotidien qui est bouleversé. Les épisodes de forte chaleur conduisent à l’arrêt des activités, les individus ne pouvant travailler en toute sécurité. C’est aussi des jours d’école en moins, des activités sportives impossibles, des examens ou des concours repoussés. Les conséquences sur la santé sont importantes, surtout avec des vagues de chaleur plus régulières.
Le changement climatique n’est certes pas le seul responsable, mais…
Les climato-sceptiques ont beau jeu de dire que ces menaces existaient déjà. Les cours d’eau ont toujours débordé, le gel a toujours détruit les récoltes, le littoral recule naturellement, bien aidé parfois par les Hommes, sans qu’il n’y ait besoin de faire intervenir le changement global.
Sauf que. Les études réalisées par les assureurs montrent que le changement climatique est responsable de 30 à 40% de l’augmentation du coût des catastrophes. Le reste est notamment lié à l’augmentation de l’exposition et de la vulnérabilité.
Et c’est bien là le problème. Depuis plus d’un demi-siècle, l’exposition s’est accrue dans les zones à risque. Aujourd’hui, 62% des Français(e)s sont déjà “exposés aux risques climatiques. Un Français(e) sur 4 vit en zone inondable par les cours d’eau, la mer, les nappes phréatiques ou les orages. Une commune sur deux a tout ou partie de son territoire exposé. Malgré la politique de prévention, la batterie d’ouvrages de protection et les nombreux outils juridiques créés en France depuis la loi Barnier de 1995 (notamment les plans de prévention des risques qui visent à contrôler l’occupation des espaces menacés), le coût des catastrophes augmente. Alors si on ajoute en plus un climat qui change, on se rend compte qu’il est plus qu’urgent de faire quelque chose….
S’adapter, ça veut dire quoi?
En France, l’adaptation est souvent abordée par le biais de l’ajustement, réactif ou anticipatif. À un problème, une solution, si possible technique; à une catastrophe, une évolution réglementaire. Il a par exemple fallu attendre les morts de la tempête Xynthia en 2010 pour la création des plans de submersion marine.
On a vu dans un précédent article que l’adaptation demandait des transformations structurelles.
Rejoignez les 40000 abonné(e)s à notre newsletter
Chaque semaine, nous filtrons le superflu pour vous offrir l’essentiel, fiable et sourcé
L’adaptation est au moins aussi indispensable que l’atténuation
Les efforts d’adaptation ne seront pas les mêmes pour un monde à +2°C ou +4°C. La réussite de l’adaptation dépend donc très directement de celle de l’atténuation. Pourquoi?
Parce qu’un risque de catastrophe résulte de la conjugaison de trois ingrédients : la source de danger (qu’on appelle aléa), l’exposition (qui peut être directe ou indirecte) et la vulnérabilité. Pour paraphraser Jean-Jacques Rousseau dans sa lettre sur le séisme de Lisbonne de 1755, il n’y a pas de risque dans le désert parce qu’il n’y a pas de maisons ou de gens entassés. Et si vous êtes invulnérables, vous pouvez vous exposer sans risque à une source de danger.
L’atténuation va permettre de contenir la fréquence et l’intensité des aléas. L’adaptation doit permettre de réduire l’exposition et de diminuer la vulnérabilité, sachant qu’un certain nombre de paramètres nous échappent : vieillissement de la population, changement des valeurs sociales, crise économique, etc. Aléa, vulnérabilité et exposition évoluent en permanence. Raison de plus pour agir sur ce que nous pouvons contrôler.
Mal-atténuation, mal-adaptation
Si l’on veut comprendre le risque, il faut en réalité ajouter un 4e ingrédient : la protection contre ce risque.
Prenez le cas de la digue. Elle est supposée protéger de l’inondation. La digue va d’abord modifier les conditions d’écoulement, donc l’aléa. Si elle rompt ou est débordée, elle va provoquer une inondation brutale : en 2005, la Nouvelle-Orléans a été inondée à 80% par la rupture des digues du Lac Ponchartrain et brèches dans les canaux d’évacuation de l’eau. De plus, la digue donne un sentiment illusoire de sécurité qui conduit à occuper plus densément les zones qu’elle est censée protéger et fait que les habitants oublient le danger. C’est pour cette raison qu’on parle de “risque digue”.
Utilisée sans précaution, la digue devient un exemple de ce qu’on appelle la mal-adaptation : utile à court terme, elle devient négative à moyen ou long terme et aboutit à l’inverse du résultat recherché. On pourrait dire la même chose des réservoirs d’eau, des canons à neige, de certains ouvrages pour lutter contre le recul du trait de côte, etc.
On sait aussi que, dans de nombreux cas, l’atténuation et l’adaptation vont de pair. La rénovation thermique ou l’agroécologie sont de bons exemples. Mais parfois, l’atténuation va à l’encontre des efforts d’adaptation. Développer les pistes cyclables d’accord, mais les recouvrir de bitume sombre, c’est une mauvaise idée.
Pour toutes ces raisons, l’adaptation doit elle-même être adaptable, donc reposer sur des solutions diversifiées et réversibles. C’est pour cette raison que les services fondés sur la nature (SFN) sont de plus en plus plébiscités.
Bonne nouvelle : nous avons déjà un plan national d’adaptation !
Si l’on regarde le verre à moitié plein, la France est une bonne élève en matière d’adaptation. Nous avons une politique de prévention des catastrophes et de gestion de crise très étoffée (même si les dernières années ont montré qu’on pouvait encore améliorer largement les choses…), une stratégie d’adaptation a été adoptée dès 2006, on a un observatoire national sur les effets du changement climatique (ONERC), et on en est au deuxième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC)
Pourtant, déjà en 2018, un rapport du Sénat, dit rapport Dantec, réclamait une loi-cadre sur l’adaptation. On en est loin. La loi “climat résilience” y consacre à peine deux articles. Quant au PNACC2, il est très insuffisant, sans vision stratégique globale. Les moyens humains et financiers consacrés à l’adaptation restent faibles. Pas d’objectifs précis, pas de jalons temporels, pas d’évaluation ou de retour d’expérience sur ce qui marche (et ne marche pas). Aucune réflexion nationale sur l’aménagement du territoire à l’horizon : où va-t-on relocaliser les populations, les activités industrielles ou la production agricole, comment va-t-on modifier les infrastructures pour assurer le transport de marchandises ou de personnes, les transferts d’eau et d’énergie, que va-t-on faire des ports, où va-t-on implanter les casernes de pompiers, etc?
L’adaptation n’est pas qu’une affaire individuelle et ne peut pas juste être portée par les territoires. Si les citoyens ont un rôle à jouer, répéter à l’envie qu’il faut les responsabiliser est une manière de reporter sur les individus les coûts de l’inaction. Les gens ou les entreprises n’ont d’ailleurs pas forcément choisi de s’exposer au risque et les assurances ne peuvent pas toujours tout rembourser. Et tout le monde n’a pas les mêmes ressources ou capacités pour s’adapter. On en revient à l’adaptation juste et au partage des coûts de la transition.
Il est donc nécessaire de se doter d’une véritable stratégie, qui définisse les priorités, les horizons temporels, les instruments de l’action, mais aussi les financements, les compensations, les accompagnements et la répartition juste de l’effort entre les territoires et les parties prenantes.
Le mot de la fin
Pour réussir l’adaptation, il faut que toutes les parties prenantes, au premier rang desquelles l’État et les pouvoirs publics, mais aussi les acteurs économiques, s’en donnent les moyens. Dans un monde où le réchauffement climatique devrait être la priorité numéro une (puisqu’il va affecter tous les domaines et exacerber les inégalités), l’I4CE a publié une étude plus qu’inquiétante où nous apprenons une baisse d’effectif chez les employés contribuant à l’adaptation :
Au moment où l’on apprend que la charge de travail au Ministère de l’écologie a conduit plusieurs employé(e)s au burn-out, nous ne pouvons pas espérer des miracles, si l’État ne met pas tout en œuvre pour soutenir le changement.
Crédit vignette : @Sanaga
3 Responses
Bonjour Bon Pote,
Et si, une des clés d’une adaptation pertinente (pour les premières décennies à venir au moins) était l’usage de projections climatiques dont les trajectoires sont a minima compatibles avec l’évolution climatique telle qu’elle s’est réellement engagée sur nos différents territoires ?
Ca semble aller de soi, mais c’est (très) rarement le cas.
Il y a une grosse confusion entre des outils de recherche sur les mécanismes du Changement Climatique (les modèles climatiques dont les résultats sont utilisés par presque tout le monde, à tous les niveaux de responsabilité) et des outils de description de la manière dont le Changement Climatique est réellement en train de faire évoluer les différents paramètres météorologiques sur le terrain depuis quelques décennies.
Il se trouve que, dans notre région du monde, la divergence est sévère sur certains aspects impactants et fait dire à certains journalistes (vis à vis des aléas de ces dernières années) que “les experts se sont trompés” ou “le changement climatique est en train d’accélérer”. Ils oublient, ou ne savent pas, que les modélisateurs physiciens du climat ne prétendent pas que leur outils décriraient précisément l’évolution réelle locale en cours.
Il est vraisemblable que ce genre d’information, relative aux divergences d’évolution simulée/observée, n’est pas très répandue sur notre territoire national car le Changement Climatique réel y est hélas plus avancé et avec une pente plus raide que les diverses simulations ne le laissent envisager.
Il est grand temps d’utiliser ce que nous observons.
Quasiment pas un mot sur l’agriculture qui est pourtant vitale…
1) il faut des retenues d’eau pour pallier les périodes de sécheresse.. oups les écolos sont contre, c’est pas naturel… pourtant le Lac du Der Chantecocq qui n’est pas naturel est quand même un espace protégé Natura 2000…
2) il faut des OGM résistants aux sécheresses et aux inondations (entre autres)… oups les écolos sont contre, c’est pas naturel… (le Blé OGM résistant aux sécheresses en Argentine à 20% de rendement en plus que les autres blé, et qui dit rendement en plus dit moins de surface cultivé au dépend de la nature et de la séquestration de carbone)
Encore un excellent article de bon pote …je me régale a chaque fois .
Si la France est pas trop mal placée grâce a son nucléaire ( qu elle devra renforcer et non le contraire ! ) Et ses plans de préventions court termistes , elle ne semble a priori en aucun cas préparée a l effondrement réel mondial qui est en train de se produire .
Pourquoi ? Parce que cette conjecture n est absolument pas entendable par des politiques biberonnes a la croissance infinie , ni entendable par une majorité de Français qui en sont toujours a l écologie Bisounours sans rien mesurer vraiment de la gravité de la situation qui n est pas que climatique mais multifactorielle ‘ .
Le cerveau humain de pays riche gave de confort , de greves en tous genre , de Fake news , de vaccinoscepticisme , de pseudo liberté , etc …ne pourra jamais entendre ni intégrer l absolue nécessité d Une décroissance devenue subie et inéluctable . Quoi qu on fasse !!
Mais alors que faire ? Informer très massivement les peuples des réels dangers qui nous menacent tous ( le GIEC que personne n écoute n en est qu une partie ) afin qu ils mesurent la gravité du sujet qui alimentera c est vrai les lits de psychiatrie …..
Tant que les français continuerons a jouir égoïstement de la croissance au détriment de l intérêt collectif beaucoup plus sombre , les politiques continuerons a se shooter au Saint Graal de la croissance , leur seul modèle .
Le réveil va dur , très dur . Sauf très éventuellement , mais hélas ça n arrivera pas , si l on commence de suite, pas demain , a organiser et planifier et donc choisir , une très forte décroissance ( Yves Cochet ) seule issue pour retarder de toute façon l inévitable .
Le salut passe donc d abord par une vraie information extremement massive des vrais enjeux . La technologie ne sera jamais la solution.
Mon livre de chevet :. ” Le climat n est pas le bon combat ” de jean Christophe Anna qui résume a merveille les vrais enjeux planétaires .