Pergélisol : la planète a-t-elle passé le point de non-retour ?

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Pergélisol : érosion côtière
©Crédit Photographie : Unsplash
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Le changement climatique en cours, très marqué dans les régions arctiques, entraine le dégel du pergélisol (ou permafrost).

Le problème ? En se réchauffant, ces sols gelés depuis des millénaires libèrent d’ immenses quantités de gaz à effet de serre, qui eux-mêmes réchauffent la planète.  Le risque est-il d’emballer la machine climatique ?

Si les « effondristes » et autres « catastrophistes » aiment bien évoquer ce sujet, qu’en pensent les scientifiques ? Nous faisons le point avec Florent Dominé, géophysicien et chercheur CNRS au laboratoire franco-canadien Takuvik, à Québec.

Qu’est-ce que le pergélisol (ou permafrost) ?

Le pergélisol est le mot français pour permafrost : c’est un sol perpétuellement gelé, la composante invisible de la cryosphère. Dans ces régions arctiques, quand les températures chutent, le sol gèle en profondeur et la glace qui se forme le rend imperméable. La couche superficielle du sol dégèle chaque été et regèle chaque hiver : c’est la couche active.

Elle peut être plus ou moins fine (entre 15 et 250 centimètres). Le pergélisol lui-même peut s’étendre sur plusieurs kilomètres de profondeur !

une falaise de 35 mètres de haut sur l'île de Sobo Sise (delta du Lena), Arctique sibérien. On voit la couche, très épaisse, de Pergélisol
Légende : Ici, une falaise de 35 mètres de haut sur l’île de Sobo Sise (delta du Lena), Arctique sibérien. On voit la couche, très épaisse, de glace qui s’est formée dans le Pergélisol.
©Alfred-Wegener-Institut / Thomas Opel

Une grande partie du pergélisol s’est formé sur les terres libérées par la fonte des calottes glaciaires, il y a 8-12000 ans. Le sol qui n’était plus protégé du froid par ces calottes a gelé. Dans certaines parties de la Sibérie et de l’Alaska, il n’y avait pas de calottes glaciaires : le pergélisol peut dater de plusieurs millions d’années.

De vastes étendues de pergélisol ont persisté pendant les périodes interglaciaires plus chaudes, y compris l’Holocène – l’ère géologique actuelle, qui a commencé il y a environ 12 000 ans. 

Que se passe-t-il lors du dégel du pergélisol ?

Lors de son dégel :

  • La partie du pergélisol qui est sur la côte donne lieu à une érosion côtière, comme sur la photo ci-dessus
  • Dans les terres, la fonte de la glace du pergélisol s’accompagne d’un affaissement du sol. Dans les creux ainsi formés, l’eau s’accumule, donnant naissance à des mares de thermokarst, formant un paysage très aquatique.
Mares de thermokarst. Des buttes de pergélisol riches en glace, appelées lithalses, dégèlent progressivement, laissant apparaitre des mares à divers stades de formation, depuis une forme de croissant au stade initial de formation, jusqu’à un cercle parfait au stade final
Légende : mares de thermokarst dans la vallée de la Nastapoka, au nord du Québec, à proximité de la Baie d’Hudson.
Des buttes de pergélisol riches en glace, appelées lithalses, dégèlent progressivement, laissant apparaitre des mares à divers stades de formation, depuis une forme de croissant au stade initial de formation, jusqu’à un cercle parfait au stade final. Mares de thermokarst © Florent Domine

Un constat préoccupant

Dans le rapport spécial du Giec sur L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique (SROCC) qui date de 2019, on peut lire :

« Le réchauffement planétaire a provoqué ces dernières décennies un recul généralisé de la cryosphère, (…) dont l’élévation de la température du pergélisol (degré de confiance très élevé). Les températures du pergélisol ont augmenté et atteint des niveaux record depuis les années 1980 (degré de confiance très élevé), dont notamment la hausse récente de 0,29 °C ± 0,12 °C entre 2007 et 2016 (moyenne mondiale sur les régions polaires et les zones de haute montagne) ».

 Le dégel du permafrost passé et futur. 
En bleu avec le scénario RCP 2 .6, en rouge avec le scenario RCP 8.5.
Le dégel du permafrost passé et futur.
En bleu avec le scénario RCP 2 .6, en rouge avec le scenario RCP 8.5.

Pour mémoire, les experts du GIEC ont défini quatre profils représentatifs d’évolution des concentrations de gaz à effet de serre (GES) pour le XXIème siècle et au-delà. Elles sont nommées RCP (Representative Concentration Pathways), profils représentatifs d’évolution de concentration de GES. Sur cette base, les climatologues décrivent les conditions climatiques et les impacts du changement climatique associés à chacune de ces quatre trajectoires.

Le scenario RCP 2.6 correspond à de très faibles émissions avec un point culminant avant 2050. C’est le scénario le plus optimiste. C’est l’inverse dans le scénario RCP 8.5, qui est le pire des scénarios.

Où trouve-t-on du pergélisol ?

On le trouve essentiellement dans l’hémisphère nord, très peu dans l’hémisphère sud.

  • Sur environ la moitié de la superficie du Canada, soit environ 5 millions kilomètres carrés 
  • En Sibérie, soit 7,8 millions de  kilomètres carrés
  • En Alaska, 0,5 million de kilomètres carrés
  • Sur le plateau Tibétain
  • Un petit peu sur les côtes du Groenland
  • Un peu en Scandinavie
  • On peut également trouver du pergélisol dans d’autres endroits froids (par exemple, dans les chaînes de montagnes),  

On aboutit à un total d’environ 15 millions de kilomètres carrés de pergélisol dans l’hémisphère nord, soit 20 à 25 % des terres émergées.  Aujourd’hui, on estime entre 3 et 4 millions le nombre de personnes vivant sur ces terres. Et ces régions se réchauffent beaucoup plus rapidement que le reste du globe.

A noter qu’il y a du pergélisol également dans les fonds marins, en Sibérie et en Arctique. Ce pergélisol marin représente plusieurs millions de kilomètres carrés.

Carte du pergélisol dans l’hémisphère nord
Légende : Carte du pergélisol continental et marin dans l’hémisphère nord
source : Overduin et al. 2019

Mais ça, c’est la superficie actuelle …car le GIEC, dans son rapport AR5, nous précise : « D’ici à 2100, le pergélisol de surface (jusqu’à 3 à 4 m de profondeur) devrait perdre 24 ± 16 % (fourchette probable) de sa superficie dans le cas du scénario RCP2.6 et 69 ± 20 % (fourchette probable) selon le RCP8.5. »

En quoi le dégel du permafrost est-il un problème ?

Le rapport du GIEC SROCC nous explique cela : “Dans l’Arctique et les régions boréales, le pergélisol contient 1 460 à 1 600 Gt de carbone organique, soit près du double du carbone de l’atmosphère (degré de confiance moyen)”.

Et oui, sur ce sol gelé depuis parfois plusieurs centaines de milliers, voire de millions d’années, il y a des débris végétaux qui s’accumulent. Sous nos latitudes, ces débris seraient dégradés par les bactéries … mais à cause du gel, le métabolisme de ces dernières est très ralenti. Seulement…  si ce pergélisol dégèle, le métabolisme des bactéries va s’accélérer et tous ces composés organiques vont être très rapidement transformés en CO2 ou en méthane (on verra après pourquoi c’est parfois l’un, parfois l’autre), qui sont les deux principaux gaz à effet de serre (GES).   

À moins d’avoir été isolé dans une grotte ces dernières dizaines de décennies, vous n’êtes pas sans savoir que des gaz à effet de serre, on en a déjà un peu trop ! Et que l’augmentation de leur concentration dans l’atmosphère contribue directement au changement climatique actuel (sinon, on vous l’explique très bien ici).

Bref on est en face d’une boucle de rétroaction positive (À toutes fins utiles, on rappelle que le qualificatif de « positif » accolé au mot rétroaction ne veut pas dire que c’est positif pour le climat… c’est même tout l’inverse !)

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Quels sont les risques liés au dégel du pergélisol ?

On estime qu’il y a environ 1400 Gt de carbone  dans le pergélisol. Or 1 ppm de CO2 dans l’atmosphère correspond environ à 2 Gt de carbone. Sachant que tout ne reste pas dans l’atmosphère (pour rappel, la moitié est captée par les océans et les sols), dans le pire des scenarios, on peut craindre un accroissement allant jusqu’à 100 ppm (qui correspond à un relargage d’environ 400 Gt de carbone) d’ici 2100.

Pour rappel, on est aujourd’hui à 410 parties par million de CO2 dans l’atmosphère. Quant au méthane, il est bien plus délétère que le CO2 (environ de 30 fois plus), mais heureusement pour nous, il n’y en a que 1,9 ppm.

Pourra-t-on s’adapter ?

Comme toujours avec le changement climatique actuel, le problème ce n’est pas tant l’augmentation de CO2 dans l’atmosphère que la vitesse d’augmentation. Dans le passé, en général à chaque fois qu’il y a eu des changements climatiques, c’était beaucoup plus lent donc la plupart des écosystèmes avaient le temps de s’adapter.

Mais aujourd’hui le changement climatique est beaucoup trop rapide pour les écosystèmes … et pour l’Homme.

Quelles sont les autres conséquences du dégel du pergélisol ?

1/ Risques naturels

Si des sols en pente dégèlent et se transforment en boue, cela provoque des glissements de terrains. Ou si la glace du pergélisol côtier fond, les côtes sont déstabilisées et partent dans la mer. C’est l’érosion côtière, qui augmente les risques de submersion et provoque l’affaiblissement des terres qui soutiennent les habitations.

Par ailleurs, le Giec estime que « le recul de l’enneigement et du pergélisol pourrait provoquer un assèchement du sol, avec des conséquences sur la productivité et des perturbations des écosystèmes (degré de confiance moyen). Selon les projections, les feux de forêt augmenteront jusqu’à la fin du siècle dans la plupart des régions de toundra et de taïga ainsi que dans certaines zones montagneuses, tandis que les interactions du climat et des déplacements de la végétation influeront sur l’intensité et la fréquence des incendies (degré de confiance moyen). »

2/ Risques industriels (miniers, pétroliers, gaziers etc.)

Les infrastructures industrielles qui sont dans ces zones peuvent provoquer de graves dégâts en s’effondrant ! Le Trans-Alaska pipeline, qui fait plus de 1200 kilomètres et assure un débit de plusieurs centaines de milliers de barils de pétrole par jour fait l’objet de beaucoup d’attention. 

On pense qu’en 2020, à Norilsk, en Sibérie, l’effondrement de la cuve de 20 000 tonnes de diesel  serait un effet du dégel du permafrost, pas du tout anticipé du fait de la négligence des responsables de ces infrastructures. Il est en effet impératif de surveiller les sols pergélisolés sur lesquels on a construit des infrastructures.

Légende : Vue d’une partie de l’oléoduc trans-Alaska. Pour limiter les risques de réchauffement du pergélisol sous la conduite, 124 300 thermosiphons ont été installés.
Un thermosiphon est un système qui augmente le refroidissement du sol en hiver par l’air froid en court-circuitant l’effet isolant de la neige.
En été, par contre, le thermosiphon a un impact thermique très faible.
© Luca Galuzzi

3/ Risques humains

Des agglomérations entières ont été bâties, parfois depuis plusieurs siècles, sur des sols qui autrefois étaient gelés en permanence Tout ceci pose de vrais problèmes pour les populations autochtones : il y a des villages qu’on envisage de déplacer complètement : le village alaskien Newtok a vu ses 380 habitants devoir quitter leurs terres. Pareil pour celui de Shishmaref. On a évalué que d’ici vingt à cinquante ans, le village de Salluit, au nord du Québec, ne pourra plus exister à cet endroit précis et on réfléchit à le relocaliser.

Le SROCC nous apprend par ailleurs que « Dans certaines zones de haute montagne, la qualité de l’eau a été affectée par des contaminants, en particulier du mercure, relâchés par la fonte des glaciers et le dégel du pergélisol (degré de confiance moyen).
On soupçonne également le pergélisol de libérer les polluants qui y sont piégés (émissions industrielles diverses, notamment les retombées radioactives liées à Tchernobyl…).

Enfin, on parle souvent du risque de réactivation de certains virus avec les glaces qui en fondant peuvent libérer des virus anciens ou inconnus. Mais cet aspect sort du sujet climatique de cet article.

Est-on en présence de ce qu’on appelle un « tipping point »?

Les « effondristes » aiment bien ce concept de point de bascule ou d’emballement, et le dégel du pergélisol fait partie de leurs sujets préférés, reprochant aux climatologues de ne pas intégrer les boucles de rétroactions positives dans leurs modèles (on y reviendra) et s’alarmant depuis peu du potentiel dévastateur des clathrates.

Dans son rapport spécial 1.5°, le Giec donne sa définition d’un point de bascule :

« Degré de changement des propriétés d’un système au-delà duquel le système en question se réorganise, souvent de façon abrupte, et ne retrouve pas son état initial même si les facteurs du changement sont éliminés. En ce qui concerne le système climatique, le point de bascule fait référence à un seuil critique au-delà duquel le climat mondial ou un climat régional passe d’un état stable à un autre état stable. »

Étant donné qu’on est en face d’une boucle de rétroaction positive, on peut penser que concernant ce dégel, il y a un point au-delà duquel la machine risque de s’emballer.

Mais dans son dernier rapport (AR6 – FAQ 5.2), sur la base des projections, le Giec estime que le dégel du pergélisol se fera sur de longues échelles de temps et « entraînera un certain réchauffement supplémentaire – suffisant pour être important, mais pas assez pour conduire à une situation d'”emballement du réchauffement”, où le dégel du pergélisol entraîne une accélération spectaculaire et auto-renforcée du réchauffement planétaire. » Pour une fois, on est un peu rassurés !

Un cratère géant en Sibérie ?

Les potentielles conséquences de la déstabilisation des clathrates ont été récemment médiatisées, notamment l’apparition d’un cratère géant en Sibérie au printemps dernier. Et cela a pu empêcher de dormir les plus avertis d’entre nous !

Les clathrates sont des hydrates de méthane. Ils ne se forment qu’en très grande profondeur. On en trouve :

  • dans les sols (très) profonds du pergélisol très ancien,
  • surtout, dans les fonds sous-marins des plateaux continentaux, notamment en Sibérie orientale (Mer de Laptev)

En ce qui concerne les clathrates de l’océan, ce qui pose problème est que ces solides ne sont stables que dans une fenêtre spécifique de basses températures et de hautes pressions. Dans l’océan, tout réchauffement du pergélisol, des eaux et des sédiments océaniques et/ou tout changement de pression pourrait les déstabiliser, libérant leur méthane (CH4) dans l’océan.

A quelle vitesse se libère les hydrates ?

Lors de libérations plus importantes et plus sporadiques, une fraction de leur méthane pourrait également être dégazée dans l’atmosphère. Mais cette déstabilisation se produit assez lentement. De plus, avant d’atteindre le fond de la mer ou la surface des terres, le méthane diffuse lentement dans les sols, et au cours de ce trajet, il est en général métabolisé par des bactéries qui le transforment en CO2, un gaz à effet de serre qui, on le rappelle, est bien moins nocif que le méthane.

En ce qui concerne les clathrates des sols profonds, il y en a dans des zones de pergélisol où la matière organique s’est accumulée depuis des centaines de millions d’années, qu’on appelle le Yedoma. Ces zones sont encore assez mal explorées car il faudrait y faire des forages très profonds (une centaine de mètres !), ce qui est très coûteux et extrêmement complexe. Mais ces phénomènes d’explosion, s’ils peuvent être spectaculaires, sont très localisés et là aussi, le méthane est souvent transformé en CO2 avant son arrivée à la surface.

Quoi qu’il en soit, le Giec estime que :

  • Sur les terres émergées, la libération des hydrates est un processus lent, qui prend des décennies, voire des siècles 
  • De même, les régions océaniques plus profondes et les sédiments de fond devraient mettre des siècles voire des millénaires à se réchauffer suffisamment pour déstabiliser les hydrates qu’elles contiennent. 

Les modèles climatiques savent-ils anticiper les effets du dégel du permafrost sur le climat ?

On reproche beaucoup aux modèles climatiques de ne pas intégrer le dégel du permafrost. Mais depuis l’AR5, les modèles se sont enrichis et intègrent davantage cette problématique. Cependant, même si les connaissances progressent régulièrement sur le sujet, la complexité des zones et processus en cause génère d’énormes incertitudes :

  • Les mécanismes de dégel du pergélisol sont encore mal connus et dépendent de plusieurs paramètres :
    • Quand le dégel survient, la matière organique que contient le permafrost est soumise à décomposition. Les bactéries, dites alors aérobies, vont assimiler le carbone et rejeter du CO2 dans l’air, mais une partie de cette matière organique n’est pas digérée par elles.
    • Lorsque les mares de thermokarst se forment, de la matière organique est transférée dans ce milieu aquatique. Le fond de ces mares est très appauvri en oxygène. Dans ces conditions, la matière organique est métabolisée par d’autres types de bactéries, dites anaérobies, qui vont la transforment en méthane (CH4).

Ainsi, si les terres s’enfoncent et sont inondées par des lacs et des zones humides, on risque d’avoir davantage de méthane. 

A quel point les modèles climatiques sont-ils fiables concernant le pergélisol ?

  • L’estimation même du carbone présent dans le pergélisol est difficile. S’il est possible d’observer le recul des glaces par satellites, pour le pergélisol, il faut aller sur place et faire des forages, ce qui on l’a vu est très coûteux.
  • La nature des sols et les écosystèmes qui se développent sur le pergélisol sont très différents, et chacun réagit à sa manière au changement climatique. On voit que les perturbations du permafrost peuvent être très localisées et très abruptes. En effet, le sol gelé ne fait pas qu’emprisonner le carbone, il maintient physiquement le paysage. Le dégel peut être très lent, mais quand le pergélisol s’effondre soudainement, c’est plusieurs mètres de sol qui peuvent être déstabilisés en quelques jours, exposant leur matière organique à la dégradation bactérienne.
  • Le dégel du pergélisol entraîne le changement de la végétation (on passe d’une toundra glacée à une toundra arbustive) et son expansion (et notre pergélisol fondu devient aussi un puits de carbone (une bonne nouvelle !) 
  • Mais une des problématiques les plus complexes est sans doute l’ensemble des processus qui concernent la neige, qui font qu’on n’a pas de réponse globale à l’heure actuelle sur l’impact de la neige.

Pergélisol et neige : des interactions complexes

Dernier point et non des moindres, les interactions entre neige et pergélisol. Effectivement, on a, au moins, les processus suivants qui se combinent, sans doute différemment en fonction des régions :

  • D’un côté, avec le réchauffement climatique il y a davantage de précipitations et donc de précipitations potentiellement neigeuses…  Or, comme on le disait plus haut, la neige forme une couche isolante qui limite le refroidissement du sol en hiver. De plus, la fonte neigeuse plus hâtive expose précocement le sol au réchauffement printanier.
  • Mais intervient également la végétation, dont on a vu qu’elle s’est étendue et métamorphosée : la neige s’accumule désormais dans les branches : cela augmente l’épaisseur de la neige et rend la neige plus isolante.  Pour autant, même en Arctique, les branches absorbent tout de même la lumière solaire (au printemps et à l’automne), ce qui fait fondre leur neige. Même si c’est contre-intuitif, le sol se refroidit plus vite (il n’est plus isolé).
  • On estime également qu’il y a des ponts thermiques entre les branches, qui augmentent le refroidissement en hiver … mais augmentent également le réchauffement au printemps.
  • Il y a également des formations de croutes de regel : la neige fond partiellement puis regèle. Ceci donne des neiges dures, à forte connectivité thermique, qui accélèrent le refroidissement du sol.

Que dit le GIEC concernant le pergélisol ?

Avec toutes ces incertitudes, on comprendra qu’à l’heure actuelle, les modèles climatiques peinent à intégrer totalement les différents processus influant sur le dégel du permafrost. De surcroit, les modules de neige des modèles climatiques sont dérivés des modèles de neige alpine, qui ne reproduisent pas les processus spécifiques à l’Arctique.

Par ailleurs, il y a beaucoup moins de données (les choses qu’on donne à manger aux modèles !) sur les zones arctiques que sur les zones tempérées. Il y a aussi beaucoup moins de scientifiques qui travaillent sur les processus physiques de cette zone que sur ceux des zones tempérées ou équatoriales.

Par exemple, dans certaines zones, on arrive à obtenir les flux de gaz à effet de serre mais comme on n’a pas une couverture globale en temps ni en espace, on est de ce fait obligé de faire pas mal d’extrapolations et d’approximations. Dans l’AR6, chapitre 9, les scientifiques estiment qu’il existe une confiance élevée dans le fait que les modèles couplés simulent correctement le signe des changements futurs du pergélisol liés aux changements climatiques de surface, mais seulement une confiance moyenne dans l’amplitude et le moment de la réponse.

 Le mot de la fin

Les principaux points à retenir :

  • Le dégel du pergélisol est un cercle vicieux (ou boucle de rétroaction positive) : le réchauffement climatique provoque le dégel du pergélisol ; lors du dégel, le pergélisol émet des GES, ce qui accélère le réchauffement de la planète.
  • Malgré les discours catastrophistes, le dégazage de ces GES dans l’atmosphère devrait être « suffisant pour être important, mais pas assez pour conduire à une situation d'”emballement du réchauffement”
  • Néanmoins, des populations autochtones (3-4 millions) sont déjà en souffrance, les écosystèmes également
  • Si on veut limiter les dégâts, il faut agir dès aujourd’hui en limitant nos émissions de GES.

En savoir plus : ce petit film réalisé par Alfred Wegener Institute (en anglais)

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3 Responses

  1. Merci pour cet article.
    J’ai une petite remarque néanmoins, pour le méthane, il est écrit qu’il y en a 1,9ppm ce qui correspond à 1900ppb et nous sommes actuellement aux allants tour de 1888ppb avec une augmentation de 5 à 15ppb par an (comme les graphiques de NOAA sont en ppb pour le méthane) cela fait donc une augmentation assez impressionnante.

  2. Merci pour cette synthèse très complète.
    J’ai une question/remarque qui m’est venue à la lecture, lorsque le pergélisol dégèle et que la toundra/taïga est remplacée par de la forêt, il me semble que l’albédo de la surface change et diminue (la forêt réfléchie moins la lumière) ce qui contribuerait à une certaine augmentation de la température. Est-ce que cet effet est intégré dans les modèle et est-ce qu’il est significatif ?
    Je vous remercie pour votre réponse

  3. Excellent article, comme d’habitude avec l’objectivité nécessaire et suffisante à une démarche d’ordre scientifique. Bravo pour le travail de restitution.
    La perturbation liée à l’évolution du pergélisol devient visible dans les villes minières importantes comme Yakoutsk (300 000 habitants tout de même), où les infrastructures bâties sans fondations, mais plutôt sur pilotis enfoncés dans ce pergélisol, sont déstabilisées. Ce qui aura un coût évidemment énorme à ajouter aux coûts déjà importants induits par la transition et l’adaptation en milieu “normal”.
    Sur cet exemple de Yakoutsk, il faut rappeler que la climatologie de la région représente la plus grande amplitude thermique terrestre (100°C entre le record de froid et le record de chaleur). Donc, on aurait pu penser que l’adaptation à ces variations la mettait à l’abri des évolutions…
    Arriver à déstabiliser ces infrastructures montrent bien à quel point le réchauffement climatique est “profondément” important, si j’ose dire…

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Auteur
Anne Brès

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3 Responses

  1. Merci pour cet article.
    J’ai une petite remarque néanmoins, pour le méthane, il est écrit qu’il y en a 1,9ppm ce qui correspond à 1900ppb et nous sommes actuellement aux allants tour de 1888ppb avec une augmentation de 5 à 15ppb par an (comme les graphiques de NOAA sont en ppb pour le méthane) cela fait donc une augmentation assez impressionnante.

  2. Merci pour cette synthèse très complète.
    J’ai une question/remarque qui m’est venue à la lecture, lorsque le pergélisol dégèle et que la toundra/taïga est remplacée par de la forêt, il me semble que l’albédo de la surface change et diminue (la forêt réfléchie moins la lumière) ce qui contribuerait à une certaine augmentation de la température. Est-ce que cet effet est intégré dans les modèle et est-ce qu’il est significatif ?
    Je vous remercie pour votre réponse

  3. Excellent article, comme d’habitude avec l’objectivité nécessaire et suffisante à une démarche d’ordre scientifique. Bravo pour le travail de restitution.
    La perturbation liée à l’évolution du pergélisol devient visible dans les villes minières importantes comme Yakoutsk (300 000 habitants tout de même), où les infrastructures bâties sans fondations, mais plutôt sur pilotis enfoncés dans ce pergélisol, sont déstabilisées. Ce qui aura un coût évidemment énorme à ajouter aux coûts déjà importants induits par la transition et l’adaptation en milieu “normal”.
    Sur cet exemple de Yakoutsk, il faut rappeler que la climatologie de la région représente la plus grande amplitude thermique terrestre (100°C entre le record de froid et le record de chaleur). Donc, on aurait pu penser que l’adaptation à ces variations la mettait à l’abri des évolutions…
    Arriver à déstabiliser ces infrastructures montrent bien à quel point le réchauffement climatique est “profondément” important, si j’ose dire…

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