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La première fois que j’ai échangé avec Xavier Thévenard, c’était en 2020. Il venait d’annoncer qu’il ne prendrait plus l’avion pour aller courir à l’autre bout du monde. Je recevais un texto à 6H30 du matin, me disant qu’il m’appellerait après sa « sortie ». Notre appel avait eu lieu vers 15h. Xavier venait de courir « 6h environ et de prendre une petite douche ». Le décor était planté.
Triple vainqueur de l’UTMB, Xavier fait partie des coureurs les plus talentueux et les plus respectés du milieu. Il est l’un des premiers à s’être engagé publiquement pour l’écologie, et c’est un honneur de le recevoir aujourd’hui pour Bon Pote.
Bonjour Xavier, merci d’avoir accepté notre interview. Pourrais-tu s’il te plait te présenter et raconter un peu ton parcours, y compris pour une personne qui ne saurait pas ce qu’est l’UTMB…
Je suis natif du massif Jurassien, j’ai vécu 20 ans de ma vie aux Plans d’Hotonnes avec mes frères et ma sœur. Les Plans d’Hotonnes, c’est une petite station de ski au sud du massif Jurassien, perdue sur le plateau de Retord entourée de nature.
Mes parents tenaient un gîte auberge au pied des pistes de ski de fond, ils faisaient également de la culture de framboises. Dès notre plus jeune âge nous avons été assez vite autonomes. Tout naturellement nous nous sommes amusés dans la nature à faire des cabanes dans les bois, pour aller jouer aux cowboys et aux indiens avec le premier copain qui passait, il fallait marcher et courir une dizaine de kilomètres pour en trouver un… C’était la vie au grand air, ski de fond l’hiver, course à pied l’été, cueillette de framboises, c’était notre quotidien.
Au lycée, je me suis orienté dans les métiers du bois en étant en section sport-études ski de fond et biathlon. J’avais des horaires aménagés pour m’entraîner. A la fin du lycée, j’ai fait mon premier trail. C’était une super expérience, avec un résultat qui m’a incité à continuer.
L’année suivante, je remporte la CCC, petite sœur de l’UTMB (100km pour 5500D +). Durant cette période, je me suis formé comme éducateur sportif dans les activités de plein air et j’ai terminé mon brevet d’état de ski nordique. Après ce résultat j’ai intégré une équipe pro de trail sans contrat financier, c’était juste un contrat matériel. J’ai continué à progresser, en 2013, je remporte mon premier UTMB (Ultra Trail du Mont blanc 170km 10000m d+) et à partir de là, j’ai eu un contrat financier. J’ai commencé tout doucement à me libérer du temps pour m’entraîner. Jusqu’à me consacrer 100% au trail à partir de l’année 2019. Dans les 10 ans qui ont suivi j’ai eu quelques bons résultats en ultra Trail.

Tu as 15 ans d’expérience dans le trail : quel est ton regard sur l’évolution de la discipline?
En 15 ans, la discipline a beaucoup évolué. Je dirais qu’elle a évolué en bien et en mal.
D’un point de vue compétition, les courses se sont densifiées. Le niveau reste assez stable mais il y a de plus en plus de bons coureurs et coureuses. Il y a un bel engouement pour la discipline, ce qui a amené beaucoup de gens à venir courir en montagne. C’est peut-être le bon côté des choses. Puisqu’on ressent le besoin des gens à retrouver de la simplicité en pratiquant l’ultra trail. J’espère que cette évasion dans la nature les touche au plus profond d’eux-mêmes, en leur procurant des émotions, ce qui permet par la suite de les sensibiliser à la fragilité des milieux naturels et à l’importance de protéger ces écosystèmes.
A l’inverse, la médiatisation des événements a ouvert un marché du trail, dont je fais partie car sponsorisé par des marques. Ce marché du trail incite fortement les pratiquants à consommer en s’équipant de la tête aux pieds avec plein de gadgets ou en allant courir dans les quatre coins du monde. Ce qui a forcément une répercussion sur l’empreinte carbone et bien entendu sur le dérèglement climatique.
Les mentalités ont énormément évolué. Avant il y avait beaucoup de puristes en ultra trail, des montagnards amoureux de leurs terrains, leurs traits de caractère étaient la simplicité, la discrétion, la rusticité. Malheureusement aujourd’hui il y a beaucoup de “m’as-tu vu”, cela s’est amplifié avec l’avènement des réseaux sociaux. Aujourd’hui, on est bien loin de l’esprit montagnard. On s’approche beaucoup de la télé-réalité.
On voit depuis quelques années un intérêt très prononcé par les marques pour sponsoriser un sport en plein essor… avec les effets pervers que cela pourrait avoir. Est-il possible de vivre de l’ultra-trail sans avoir recours à des sponsors, ou c’est aujourd’hui indispensable pour pouvoir être compétitif ?
C’est une excellente question, je pense qu’aujourd’hui pour être compétitif, il faut du temps libre pour pouvoir s’entraîner. On se procure ce temps libre en ayant des résultats qui amènent par la suite des contrats financiers par les équipementiers. Malheureusement en rentrant dans ce modèle économique, on participe à la société de consommation qui est forcément délétère pour l’environnement.
Ce n’est pas évident de trouver un équilibre pour arriver à avoir du temps libre, gagner sa vie, avoir des résultats sportifs, sans avoir une empreinte carbone démesurée.
Parlons un peu écologie. Cela fait plus de quatre ans que tu as déclaré que tu ne prendrais plus l’avion pour une compétition. Peux-tu nous dire comment cela avait été perçu à l’époque, à la fois par les sportifs et le public, et si cela a évolué depuis ?
À l’époque, ça a suscité pas mal de réactions. Ça allait du commentaire désagréable, aux encouragements, et beaucoup d’interrogations dans le milieu du trail.
Il faut remettre aussi les choses dans leur contexte, les athlètes en trail ont la liberté de choisir leurs courses. Il n’y a pas de circuit mondial imposé. Donc il est plus facile pour moi de prendre une telle mesure, car rien n’est obligatoire. En ultra trail, on ne peut pas courir tous les week-ends, car c’est trop sollicitant pour l’organisme. Si on court 2 à 3 fois en ultra c’est le maximum. L’important pour les partenaires, c’est de participer aux grands classiques, type Ultra Trail du Mont,Blanc. L’UTMB est à deux heures de route de chez moi. Donc pour moi, décider de ne plus prendre l’avion n’est pas une contrainte. D’ailleurs je n’y vois que des avantages : je passe plus de temps avec mes proches, je n’ai pas à payer un billet d’avion, je ne passe plus de temps dans les transports, je n’ai pas la contrainte des décalages horaires. Arrêter de prendre l’avion, c’est la vie.
A quel point est-ce pénalisant de ne faire les courses qu’en Europe, ou plutôt de limiter ses déplacements au train ?
Aujourd’hui les plus belles courses de trail se font en Europe. On peut largement se faire un nom en courant uniquement en Europe. Avant de comprendre les effets dévastateurs de l’aviation, je suis allé courir aux Etats-Unis, au Japon, au Chili, j’avais une empreinte carbone déplorable. Mes résultats à l’autre bout de la planète, n’ont pas eu un énorme impact sur ma vie de sportif, je veux dire que c’est en gagnant 3 fois l’UTMB que je me suis fait connaître. Même si se faire connaître n’a jamais été une source de motivation chez moi. Les sports d’endurance sont ma passion, je me suis investi pour mieux me connaître au travers du sport, en essayant de me dépasser, et par amour de la montagne et du sport, je suis parvenu à remporter 3 fois l’UTMB, alors que ça n’a jamais été une finalité.
Si on veut vraiment pouvoir continuer à faire de l’ultra-trail en compétition, ce sport va devoir évoluer et j’ai deux questions par rapport à cela. Est-ce qu’il va falloir réduire le nombre de participants aux compétitions ? Et comment faire pour limiter le nombre de spectateurs, alors que le sport commence enfin à être médiatisé ?
Sur beaucoup d’événements aujourd’hui les places sont déjà limitées. Par exemple sur l’UTMB c’est environ 10 000 coureurs sur toute la semaine, mais il y a à peu près 10 0000 spectateurs. L’UTMB ne pourra pas prendre plus de coureurs.
Beaucoup de courses en montagne sont déjà pleines. Puisque les sentiers de montagne ne sont pas aussi larges que sur la route. Aujourd’hui on sait que 90% du bilan carbone d’un événement est lié au transport, il faut surtout inciter les spectateurs et les coureurs à venir en train. Il y a des évènements comme le marathon du Mont Blanc qui mettent en place ce type d’action. En privilégiant les athlètes qui viennent en train, plus de 40% des inscrits viennent en train, cela fait clairement baisser le bilan carbone de l’événement. Ce type d’initiative mérite d’être saluée et prise en exemple par l’ensemble des organisations de trail.
Comme quoi, on peut prendre deux chemins compléments opposés. Il y a quelques années, nous avons réalisé une fresque du climat après un UTMB. Les invités étaient des athlètes, des équipementiers, des organisateurs d’événements dont l’UTMB et le marathon du Mont Blanc. L’année qui a suivi la fresque du climat, les organisateurs du marathon du Mont Blanc on pris cette mesure forte de faire venir 40% de leurs inscrits en train, pendant que l’UTMB s’associait avec le constructeur automobile “Dacia “ alors que les glaciers dans la vallée de Chamonix n’ont jamais autant perdu de glaces cette dernière décennie. Cherchez l’erreur ?
Ma question est la suivante : quelle sera la place du sport dans une société avec un réchauffement planétaire à +2°C, et la décroissance des énergies fossiles qui nous est tout simplement imposée du fait de la baisse des stocks. A mon avis, le sport ne sera plus une priorité, il y aura certainement d’autres urgences à gérer.
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J’aimerais te poser quelques questions « avant-après », afin de comparer le Xavier de 2020 et le Xavier de 2025. Tu mangeais de la viande une fois par mois en 2020. Où en es-tu aujourd’hui ?
Aujourd’hui je n’achète pas de viande j’en consomme occasionnellement lorsque je suis en dehors de chez moi.
En 2020, tu m’avais confié être persuadé qu’on « allait dans le mur ». Est-ce que tu as changé d’avis aujourd’hui ?
Malheureusement non, je n’ai pas tellement changé d’avis. Surtout lorsqu’on regarde l’actualité. Mais ce qui me donne de l’espoir ce sont les quelques victoires qu’il y a dans le paysage français comme l’arrêt de l’A69, l’interdiction des PFAS, la taxation des milliardaires, etc.
C’est rare d’interviewer des sportifs de haut-niveau sur Bon Pote alors j’en profite : est-ce que tu penses que ton mental et ton endurance vont t’être utiles dans ton approche pour lutter contre le changement climatique ? Possible qu’on en ait pour un petit moment…
J’ai mis beaucoup choses en œuvre autour de chez moi, pour m’adapter au dérèglement climatique et surtout pour diminuer mon empreinte carbone. Par exemple: j’ai isolé toute la maison avec 40cm de paille en façade, je suis autonome en eau et électricité, j’essaye d’avoir une démarche low tech sur le fonctionnement global de la maison. Cela ne pourra qu’être bénéfique à l’avenir. La prochaine étape sera de réaliser un bon potager, j’ai déjà planté des arbres fruitiers. Mais il est certain que de faire de l’ultra trail, ça aide dans la vie du quotidien. Je dirais qu’on a plus de facilité à surmonter les petites déconvenues du quotidien.
En ultra trail, on doit constamment s’adapter aux conditions météorologiques du moment, les défaillances physiques sont nombreuses en ultra. Le goût de l’effort est une notion bien ancrée lorsqu’on pratique l’ultra trail. Cette valeur sera très utile pour surmonter les conséquences du dérèglement climatique, c’est une évidence.
Pour terminer, il faut absolument que tu nous expliques cette passion incroyable que tu as pour les morilles, à poster des stories dessus à six heures du matin sur ton compte Instagram !
La cueillette de morilles ou d’autres champignons c’est magique. Cela permet d’être en mouvement permanent, observer chaque recoin de la forêt, et lorsqu’on tombe sur un champignon, c’est comme trouver un œuf de Pâques quand on est un enfant. On a des étincelles dans les yeux…
