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La COP29 a eu lieu cette année en Azerbaïdjan, pays exportateur d’énergies fossiles et qui avait la lourde tâche de faire avancer les négociations climatiques dans un contexte international particulièrement tendu.
Dès le début de la COP, le président du pays hôte a déclaré “le pétrole et le gaz sont un cadeau de dieu”. Le même jour, l’équipe de négociation argentine était renvoyée chez elle par le président d’extrême droite climatosceptique Javier Milei, qui avait déjà déclaré que le changement climatique était “un mensonge socialiste”. Le ton était donné.
Plongeons ici dans les temps forts de la COP29, appelée la COP de la finance climatique, en analysant les principaux sujets évoqués : l’état mondial du climat, la finance climatique via le nouvel objectif collectif quantifié et les engagements des Etats, tout en démêlant le vrai du faux.
Sommaire
TogglePréambule : “les COP ça sert à rien”
La même phrase revient chaque année : “les COP, ça sert à rien”. Soyons clairs sur une chose : il est faux de dire que les COP ne servent à rien. Il faut comprendre leur fonctionnement, leur intérêt et les limites de l’exercice. C’est ce que rappelle une diplomate spécialiste des négociations européennes pour Bon Pote. Sans les COP, le fonds pour les Pertes et Dommages n’aurait par exemple jamais vu le jour.
Une COP n’est pas là pour régler tous les problèmes du monde, qu’elle soit organisée en France, en Pologne ou en Azerbaïdjan, pays hôte de la COP29.
Chaque année le même débat revient. Doit-on organiser des COP uniquement dans des pays qui démontrent un soutien clair à l’action climatique et des règles strictes sur le lobbying en faveur des énergies fossiles, comme le suggèrent un groupe d’experts (Ban Ki-Moon, Mary Robinson, Christiana Figueres, Johan Rockström etc.).
Ou doit-on au contraire inclure tous les pays, y compris ceux comme les Emirats Arabes-Unis, ou l’hôte de la COP29 l’Azerbaïdjan, dont les énergies fossiles représentent la moitié de ses exportations ?
Plus de 65 000 délégués à la COP29… et 1 800 lobbyistes
Il est certain, pour le dire poliment, que les accréditations posent question. Selon une analyse de Kick Big Polluters Out (KBPO), environ 1 800 lobbyistes des énergies fossiles sont présents à la COP29, dont au moins 132 PDG et employés des entreprises fossiles directement.
Au total, ce sont plus de 65 000 délégués (chiffre provisoire) qui se sont rendus à la COP29. Un chiffre impressionnant, même si c’est plus de 15 000 de moins comparé à la COP28 à Dubaï. L’Azerbaïdjan représente la plus grande délégation avec 2 229 personnes suivi du Brésil avec 1 914 personnes, où se déroulera la COP30.
Comme tous les autres pays, et notamment si vous organisez une COP, il faut montrer patte blanche et avoir une politique climatique ambitieuse. C’est ce qu’a tenté de faire l’Azerbaïdjan, responsable de 0,1% des émissions dans le monde… mais pays exportateur d’énergies fossiles qui ne compte pas réduire sa production. Patte blanche ?
COP29 et état mondial du climat : l’année 2024 passée en revue
Comme chaque année, toute une batterie de rapports sont publiés avant et pendant la COP pour éclairer sur l’état du monde et les engagements des Etats dans la lutte contre le changement climatique.
3 semaines avant la COP, c’était le cas pour Emissions Gap Report, résumé dans Bon Pote où nous apprenions que dans le cadre des politiques actuelles, il y a deux chances sur trois que le réchauffement climatique mondial reste en dessous de 3,1°C.
Un fossé énorme entre les engagements des Etats et ce que nous devrions faire pour respecter l’engagement de l’Accord de Paris.
Le rapport du Climate Action Network publié pendant la première semaine de la COP29 confirme cet ordre de grandeur de réchauffement climatique. D’après leur analyse, “le réchauffement de 2,7°C prévu par les politiques actuelles est une estimation médiane qui a 50 % de chances d’être supérieure ou inférieure, et notre connaissance du système climatique nous indique qu’il y a 33 % de chances qu’il soit de 3°C ou plus et 10 % de chances qu’il soit de 3,6°C ou plus“.
Plus inquiétant, ils annoncent que “malgré l’aggravation de la crise climatique, marquée par des incendies de forêt, des tempêtes, des inondations et des sécheresses sans précédent, notre mise à jour annuelle de la température mondiale montre que les projections du réchauffement climatique pour 2100 stagnent, sans aucune amélioration depuis 2021”.
Les émissions mondiales de CO2 devraient augmenter de 0,8% en 2024
D’après les estimations du Global Carbon Budget 2024, les émissions de CO2 ont de nouveau augmenté de 0,8 % en 2024, soit 37,4 milliards tonnes de CO2, 400 millions de plus qu’en 2023.
Les émissions devraient baisser de -3.8% en Union Européenne et -0.6% aux Etats-Unis. Elles vont en revanche augmenter légèrement en Chine (0,2%) et significativement en Inde (4,6%).
L’aviation internationale devrait elle augmenter de 13,5 % en 2024 , tandis que le transport maritime international devrait augmenter de 2,7 %. Toujours aucun signe de baisse des émissions dans le secteur aérien, où les promesses d’avion vert ne suffisent toujours pas (et ne suffiront jamais) à baisser les émissions.
Pour la neutralité carbone, il va falloir des puits…
De l’autre côté de la balance, les puits de carbone terrestres et océaniques combinés ont absorbé environ la moitié du CO2 anthropique émis dans l’atmosphère, malgré l’impact négatif du changement climatique.
Assez rare pour le noter, le GCP a donné une possible bonne nouvelle climatique. En effet, l’annonce de l’effondrement des puits de carbone terrestres de juillet 2023 est à nuancer, comme nous l’avions expliqué dans cet article.
D’après Glen Peters (chercheur au CICERO) qui reprend les données du Global Carbon Project, “c’est en ligne avec les attentes d’un El Nino. Je n’appellerais pas cela un effondrement“. A confirmer dans les années à venir, en croisant les doigts.
Enfin, vous entendrez beaucoup parler de captation et d’élimination de carbone lors des COP et dans les engagements des Etats. Sur le sujet, le GCP publie un chiffre qui devrait plus qu’inquiéter : l’élimination du dioxyde de carbone non basée sur la végétation est un million de fois inférieur aux émissions actuelles de CO2 d’origine fossile, soit 0,04 million de tonnes de CO2.
Vous avez bien lu, et cela devrait être martelé : UN MILLION DE FOIS INFERIEUR. La technologie salvatrice se ferait attendre ?
La Finance climatique et le New Collective Quantified Goal (NCQG) au cœur de la COP29
Lors de cette COP29, l’accent était mis sur la finance climatique. La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) définit le financement climatique comme « un financement local, national ou transnational – provenant de sources de financement publiques, privées et alternatives – qui vise à soutenir les mesures d’atténuation et d’adaptation qui permettront de faire face au changement climatique » .
Le financement climatique englobe une série d’outils et de mécanismes financiers utilisés pour renforcer la capacité des communautés pauvres et des pays moins développés à réagir, à s’adapter et à atténuer les effets du changement climatique.
Comme le rappelle Giford & al. (2024), il est difficile de définir exactement ce que la finance climatique contient et ce qu’elle englobe. Quels financements ? Par qui ? Pour qui ? Est-ce que ces financements concernent l’atténuation du changement climatique, l’adaptation, ou les Pertes et Dommages ? La dette écologique si chère au gouvernement Macron est-elle concernée ?
Le Nouvel Objectif Collectif Quantifié (NCQG)
Au total, les pays doivent investir des milliers de milliards de dollars pour financer la transition écologique, changer les systèmes très émetteurs en systèmes bas carbone, avec l’argent pour s’adapter aux conséquences et payer les pertes et dommages.
En 2009, les pays du Nord avaient accepté de payer 100 milliards financement climatique par an dès 2020. Ce montant fut seulement atteint en 2022, avec des controverses sur la forme, puisque ces montants furent atteints notamment via des prêts et non des subventions.
En août 2024, les négociateurs s’accordaient sur la nécessité de rassembler des milliers de milliards de dollars, dessinant ainsi le nouvel objectif collectif quantifié (New Collective Quantified Goal, NCQG). En revanche, il fut alors impossible d’être précis sur le chiffre puisque les parties n’étaient pas arrivées à s’accorder sur ce que cet objectif devait inclure, qui devait payer, et à quelle échéance.
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Au moins 300 milliards par an d’ici 2035, “un crachat”
Si les fins de COP jouent souvent les prolongations, la COP29 aura eu son lot de rebondissements. A l’instar du groupe des petits États insulaires (AOSIS) qui s’était d’abord retiré des négociations, les pays les plus démunis se sont sentis bafoués à plusieurs reprises lors des négociations.
Le dernier jour officiel de la COP, le négociateur principal du Panama Juan Carlos Monterrey Gómez a même déclaré que “les 250 milliards de dollars offerts par les pays riches sont un crachat au visage des nations vulnérables. Ils offrent des miettes alors que nous portons les morts. C’est scandaleux, maléfique et sans remords“.
En effet, le montant initial offert pour le NCQG était de 250 milliards. Il aura fallu 24h de prolongations pour obtenir une maigre augmentation, le montant de l’aide étant désormais “d’au moins 300 milliards de dollars par année d’ici 2035 de la part des pays développés.”
Le texte reconnait la nécessité d’un financement public basé sur des subventions, mais n’exige pas d’engagement. Notez qu’à nouveau, nous retrouvons un flou sur la définition même de la finance climatique. Qu’est-ce que cela signifie et inclut exactement ? Qu’est-ce qui est exclu ?
Le flou entretenu chaque année est tout sauf un hasard. Si vous ne nommez pas les responsables ou ne publiez pas de chiffres clairs, cela permet de retarder le moment où les pays les plus responsables du réchauffement climatique devront passer à la caisse.
Qui va payer ?
Le texte indique que les pays développés montrent la voie (“take the lead“) pour atteindre ce montant, et que d’autres peuvent participer volontairement.
Ainsi, seulement 23 pays sont obligés de participer à la finance climatique, dont les Etats-Unis, le Japon, l’Australie, le Canada, l’Union Européenne (en plus des montants collectés par ses membres) et la Nouvelle Zélande.
Les pays du Nord ont essayé en vain d’inclure la Chine et les pays du Golfe dans les pays obligés de financer la finance climatique. En effet, la Chine est désormais le 2e pays historique en termes d’émissions de CO2 et a les moyens financiers d’aider la finance climatique, comme la plupart des pays du Golfe.
Notons qu’il n’y a aucun montant prévu pour les Pertes et Dommages. L’Accord “reconnaît les lacunes importantes qui subsistent dans la réponse à l’ampleur et à la fréquence accrues des pertes et des dommages, ainsi qu’aux pertes économiques et non économiques associées, et reconnaît la nécessité d’une action et d’un soutien urgents et renforcés pour éviter, réduire au minimum et traiter les pertes et les dommages liés aux effets du changement climatique“
Où trouver l’argent ?
Il est assez ridicule de voir tant d’expert(e)s et de spécialistes de la finance climatique lors d’une COP de ne pas savoir où trouver l’argent pour financer la transition écologique.
Rappelons que selon une étude dévoilée par le Guardian, les hydrocarbures ont rapporté près de 3 milliards de dollars par jour pendant cinquante ans, soit 52 000 milliards de dollars depuis un demi-siècle de rente, une fois les coûts de production déduits.
Les solutions existent. Nous pourrions par exemple réaffecter 20% des dépenses militaires mondiales, qui s’élèvent à 2 400 milliards de dollars en 2023.
Ou encore créer une taxe mondiale sur les milliardaires, ce qui pourrait rapporter 2,56 trillions de dollars. Ou tout simplement, idée totalement saugrenue, taxer les entreprises fossiles qui devraient non seulement démanteler une partie de leurs infrastructures pour respecter l’objectif de l’Accord de Paris, mais payer pour avoir menti sur le rôle de leurs activités dans le réchauffement climatique ?
La mise à jour des engagements des Etats (NDC) lors de la COP29
Conformément à l’Accord de Paris, les pays doivent mettre à jour leur Contributions Déterminées au niveau National (NDC) pour la 3e fois d’ici février 2025 et ce sont les Emirats Arabes Unis qui ont ouvert le bal.
Leur plan reprend ce qui était mentionné dans l’Accord de Dubaï, “transitionning away from fossil fuels”, c’est à dire “engager une transition“, de l’électrification, de l’hydrogène, et bien sûr le CCUS (Carbon Capture, Utilisation and Storage), dont nous avons rappelé déjà toutes les limites dans un article Bon Pote.
Alors que la science est claire sur le fait qu’il ne faille aucun nouveau puits de gaz et de pétrole, les Emirats Arabes Unis ont tout de même prévu une augmentation des énergies fossiles de 34% d’ici 2035. C’est cela, la magie.
Comme le rappelle Natalie Jones, il manque 3 éléments à la CDN des Emirats Arabes Unis pour être crédible : un engagement d’arrêter toute nouvelle exploitation fossile, un engagement précis de la baisse de leur production de pétrole et de gaz pour être aligné avec l’Accord de Paris, et une transition juste pour les employés et les parties prenantes du secteur.
C’est le même cas de figure pour le Brésil, qui va augmenter sa production de 36% d’ici 2035 mais qui compensera avec de la capture carbone. Notez la différence entre la présentation faite par la presse de Lula, un “champion climatique”, et les faits.
En 2021, un article sur Bon Pote disait que la neutralité carbone en 2050 était un leurre. Faire une promesse de neutralité carbone en 2050 n’a aucune valeur si elle n’est pas accompagnée d’un plan précis et de mesures radicales à court terme prises dès maintenant pour y parvenir.
Rien de bien nouveau en 2024. D’autant plus qu’en pleine COP29, les dirigeants du G20 au Brésil ont fait retirer la mention “engager la transition” (transition away from fossil fuels). On négocie à Baku, on détruit discrètement à Rio.
De la COP29 à la COP30 : lutte contre la désinformation climatique
Lors du G20, les pays ont lancé une initiative mondiale pour l’intégrité de l’information sur le changement climatique, accompagnés des Nations-Unies et de l’UNESCO.
En préparation de la COP30 qui se tiendra au Brésil, le président Lula a déclaré :
Les actions de lutte contre le changement climatique sont également fortement affectées par le déni et la désinformation. Les pays ne peuvent pas s’attaquer à ce problème individuellement. Cette initiative réunira des pays, des organisations internationales et des réseaux de chercheurs pour soutenir les efforts conjoints de lutte contre la désinformation et promouvoir des actions en préparation de la COP30 au Brésil »
À ce jour, le Chili, le Danemark, la France, le Maroc, le Royaume-Uni et la Suède ont déjà confirmé leur participation. Si nous prenons uniquement le cas de la France et les mensonges répétés des membres du gouvernement ou du président de la République lui-même, on voit mal à quoi pourra servir cette initiative, dont l’objectif est de rassembler “10 à 15 millions de dollars au cours des 36 prochains mois”.
Un montant dérisoire comparé aux campagnes de publicité et aux moyens engagés par les pétroliers, constructeurs automobiles, banques etc. Un rapport de InfluenceMap révélait en 2021 que 25 organisations de l’industrie pétrolière et gazière avaient dépensé au moins 9,5 millions de dollars pour placer plus de 25 000 publicités sur les plateformes américaines de Facebook pour la seule année 2020, qui avaient été vues plus de 431 millions de fois. Exxon avait dépensé à elle seule 5 millions de dollars. Ordre de grandeur…
Paroles, paroles, jusqu’à Belém ?
Comme chaque année, tout le monde aura sa propre interprétation du résultat de la COP. Certains se féliciteront d’avoir obtenu pour la première fois un chiffre pour la finance climatique, et diront que c’est une réussite (spécialité des pays hôtes).
D’autres diront que cette COP29 est un échec, que le montant dédié à la finance climatique est dérisoire et qu’il n’y a aucune progression dans les termes pour la sortie des énergies fossiles. Vaut-il mieux qu’il n’y ait pas d’Accord qu’un mauvais Accord ?
Si plusieurs pays ont encore pointé du doigt le rôle de l’Arabie Saoudite qui ont à nouveau tout fait pour saborder les négociations, il serait temps que ces mêmes pays balayent devant leur porte. Si l’Arabie Saoudite exporte des énergies fossiles, c’est bien que des pays en importent.. et en consomment. Comment être crédible et augmenter ses chances lors des négociations si votre économie dépend en partie de l’Arabie Saoudite ?
L’année prochaine, la COP30 se tiendra à Belém. Le Brésil aura la lourde tâche d’obtenir plus de l’ensemble des pays, notamment sur l’éléphant dans la pièce : la baisse de la production et de la consommation d’énergies fossiles. Tout le reste n’est que de la poudre de perlimpinpin.
4 Responses
Je m’interroge sur la contribution de ces pays aux rapports du GIEC ?
Y a-t-il contradiction entre ce qu’ils ont approuvé dans le rapport et ce qui en ressort dans leurs positions et décisions à la COP29 ?
Les COP, réunions non contraignantes, ne servent à rien. Juste à faire semblant d’agir ! Depuis qu’elles existent, elles n’ont jamais infléchi la courbe de progression des émissions de GES.
Tout à fait d’accord avec vous, 65 000 délégué & 1800 lobbyistes, ça ne peut faire qu’une usine à gaz, incompréhensible et surtout inefficace.
Une COP qui échoue ? Oh bah ça alors, quelle surprise, on ne s’y attendait tellement pas. C’est pas comme si c’était le cas depuis la première COP en 1995.
Sérieusement, quand les écolos comprendront-ils enfin que les COP ne sont rien d’autre que des non-événements ?