Bilan Prévisionnel de RTE : l’alerte d’une transition qui piétine en France

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Comme chaque année, RTE, le transporteur de l’électricité, publie son Bilan Prévisionnel dans lequel il fait état de l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité. Celui-ci était très attendu : alors que la baisse des émissions de CO2 stagne, que les doutes s’installent sur le déploiement des renouvelables et que l’exécutif parle de relancer le nucléaire mais avec une décision se fait attendre, les conclusions de ce rapport étaient très attendues pour sortir une éventuelle nouvelle programmation énergétique.

Les messages clefs de ce rapport sont inquiétants et pourraient avoir de lourdes conséquences pour les renouvelables comme sur un nouveau programme nucléaire. Pour autant, rien n’est perdu, à condition d’accompagner correctement la conversion de nos consommations fossiles vers l’électricité et de sécuriser les projets en cours pour cela dans l’industrie. Décryptage.

Qu’est ce que le Bilan Prévisionnel de RTE?

Le Bilan Prévisionnel de RTE est une obligation légale inscrite dans le Code de l’énergie, qui confie au gestionnaire de réseau la mission d’anticiper l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité. 

Parce qu’il est réalisé par un acteur public, neutre et transparent sur ses hypothèses, il est très attendu par l’État, les entreprises, les collectivités, mais aussi les ONG et les médias. Il sert de référence commune pour préparer les lois énergie-climat, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), ou encore les grands plans d’investissement privés. 

Du fait que l’exercice soit largement concerté, transparent sur ses hypothèses, qu’il intègre un grand nombre de variantes (avec plus ou moins de sobriété, de réindustrialisation, d’efficacité ou d’objectifs tenus ou non…), il permet ainsi à chacun de s’y retrouver pour voir comme pourrait être mise en oeuvre la transition énergétique, ainsi que les impacts sur un grand nombre de paramètres comme évidemment les émissions de gaz à effet de serre, mais également nos modèles économiques, les consommations de matières ou l’occupation des sols. Tout n’est pas étudié à chaque exercice – et cela dépend aussi des attentes des organisations concertées – mais l’ensemble des paramètres sont testés dans certaines itérations du rapport.

Un rapport annuel très attendu

Ce n’est pas un rapport ponctuel. RTE le publie chaque année avec des mises à jour intermédiaires quand le contexte évolue (prix de l’énergie, guerre, sécheresse, etc.). Cette récurrence permet de « recalibrer » en continu la trajectoire du système électrique français.

Depuis 2017, où RTE avait explicitement étudié l’objectif de 50% de nucléaire en 2025 avec plusieurs scénarios, l’exercice a pris une autre ampleur et est très scrupuleusement regardé par l’ensemble de la sphère publique.

En 2021, RTE avait fait grand bruit avec un Bilan Prévisionnel “de long terme” (aussi appelé Futurs Energétiques 2050) regardant l’atteinte de la neutralité carbone avec ou sans construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Cet exercice de long terme sera mis à jour fin 2026. En attendant, cette année, c’est un exercice regardant aux horizons 2030 et 2035 l’atteinte de l’objectif européen “FitFor55” et la baisse de 55% des émissions de CO2 au niveau européen ainsi que la suite.

Moins d’énergie, plus d’électricité et moins de CO2

A nouveau, le rapport le confirme : même avec des trajectoires très sobres, il est nécessaire de convertir nos consommations d’énergies fossiles vers des consommations électriques. 

Passer d’un véhicule à essence à un véhicule électrique, convertir les chauffages au fioul (il y en a encore 2,5 millions en France) à la pompe à chaleur, pousser les industriels à avoir des fours électriques plutôt que des fours à gaz etc… Pour ces raisons, nous consommerons plus d’électricité à l’avenir, même si nous consommerons moins d’énergie au global. 

C’est d’autant plus vrai que RTE souligne que les puits de carbone sont moins performants et les gisements de bioénergie moins abondants que prévus : une plus grande partie de notre décarbonation passera donc par l’électricité.

Pour ces raisons, même si l’électricité est déjà décarbonée en France, les énergies renouvelables électriques, comme le solaire ou l’éolien, sont à termes indispensables pour absorber cette consommation supplémentaire, car les nouveaux réacteurs nucléaires seront insuffisants pour remplacer les anciens, même avec une relance massive.

La bascule vers l’électricité ne s’opère pas

C’est tout le problème pointé par le rapport de RTE : la bascule vers l’électricité ne s’est jusqu’ici pas opérée. Pire, la consommation électrique a baissé et n’a jamais retrouvé son niveau de 2019 alors que depuis, les renouvelables ont progressé et le parc nucléaire a amélioré sa production. 

Cela ne veut pas dire que la consommation électrique n’augmentera jamais. Cela veut en revanche dire que nous avons pris du retard sur la consommation électrique alors que la production électrique est en avance.

D’ici 2035, il y a largement assez d’électricité bas carbone pour absorber une éventuelle hausse de la consommation électrique. C’est un des enseignements clés du rapport : même en cas de bascule massive vers le véhicule électrique, les pompes à chaleur et la production d’hydrogène à partir d’électricité, l’état actuel du réseau et le rythme possible de déploiement des renouvelables font que la production d’électricité sera suffisante pour atteindre nos objectifs de décarbonation d’ici 2030-2035. C’est la bascule de nos consommation qui ne s’opère en revanche qu’à un rythme très insuffisant.

Ces incertitudes sur la consommation complexifient la projection du rythme nécessaire de déploiement des énergies renouvelables électriques, éolien et solaire en tête. En effet, si la consommation n’est pas là, surdimensionner la production électrique pourrait entraîner des coûts échoués et des surproductions électriques à gérer à certains moments : quand il y a trop de production, les réacteurs nucléaires, l’éolien et le solaire doivent se mettre à l’arrêt ce qui en plus d’être un énorme gâchis, peut endommager les systèmes de production nucléaire. 

Par ailleurs, les atermoiements du gouvernement autour du déploiement des renouvelables rendent certains objectifs de renouvelables déjà inatteignables, comme les 18 GW d’éolien offshore projetés par Emmanuel Macron lors du discours de Belfort de février 2022 et sa campagne électorale. Nous y sommes donc : sans accélération de l’électrification de notre économie, les renouvelables électriques devront ralentir. Ce serait acter l’échec de l’émancipation de la France des énergies fossiles, pour des questions tout aussi bien économiques que géopolitiques et climatiques.



Enfin, les possibilités d’exporter toute cette électricité excédentaire s’amenuisent : les interconnexions avec les autres pays sont déjà quasiment saturées et surtout, le problème ne concerne pas que la France. Tous les pays européens déployant beaucoup de solaire, la compétition est très rude pour l’accès au réseau d’électricité aux heures d’ensoleillement… Ainsi, les exports montrent également leur limite, en particulier en journée.

La France est ainsi premier exportateur d’électricité en Europe :

Source : bilan prévisionnel RTE 2025
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La consommation d’électricité augmentera… mais dans quelle ampleur et quand?

Pour autant, RTE note bien qu’il existe de nombreux projets dans sa file d’attente qui feront augmenter la consommation d’électricité : mobilité électrique, hydrogène, industrie, datacenters… 

En tout, environ 30 GW, l’équivalent de la puissance de 30 réacteurs nucléaires (!) sont dans la file d’attente et pourraient se concrétiser d’ici 2030-2035. L’enjeu pour les pouvoirs publics est d’arriver à accompagner le plus possible de ces projets pour qu’ils aillent au bout et se concrétisent, en particulier ceux qui concernent la décarbonation (car rappelons-le, les datacenters consomment de l’électricité mais ne diminuent pas les émissions de CO2 : c’est différent par exemple de la production d’hydrogène à partir d’électricité qui vient remplacer de l’hydrogène produit à partir de gaz fossile). 

Toute l’équation est de savoir désormais combien de projets se feront réellement et quand ils arriveront. Quoiqu’il arrive, d’ici 2035, la France a largement de quoi absorber les éventuels surplus de consommation électrique.

RTE titre largement sur “l’abondance de production électrique bas carbone” et l’absence de conflit d’usages, même en cas d’électrification rapide de notre économie

A termes, si la consommation d’électricité n’augmente pas, les nouveaux projets renouvelables comme les nouveaux réacteurs nucléaires n’auraient pas d’intérêt et pourraient représenter des coûts échoués. Cela reviendrait à tuer ces filières alors que les renouvelables sont indispensables à l’avenir pour la neutralité carbone et que le maintien d’une industrie nucléaire a été fixée par ce gouvernement et d’autres partis politiques d’opposition comme une nécessité.

Dans les bonnes nouvelles : moins de risques de black-out et des prix en baisse

Faut-il tout voir en noir? Le rapport contient quelques messages positifs alors terminons par deux bonnes nouvelles. La première est que tous ces surplus électriques nous mettent grandement à l’abri des alertes de coupures d’électricité que nous avons pu connaître en 2022. 

A l’époque, nous avions un déficit de production électrique en raison de la baisse de production nucléaire, de la sécheresse dans l’hydraulique et de la crise gazière. Ces alertes sont désormais bien loin, même en cas d’hiver froid. Outre la bonne production électrique, la France s’est aussi accoutumée à la sobriété, ce qui modère la consommation de chauffage en hiver, et c’est une bonne chose.

Critère de sécurité d’approvisionnement : le risque de défaillance électrique n’a jamais été aussi bas, et c’est une bonne nouvelle

La deuxième chose est que les prix de marché de l’électricité devraient être plutôt bas dans les prochaines années et revenir dans la moyenne des prix de 2015 à 2020…. Soit entre 35€/MWh et 50€/MWh, alors qu’une projection autour de 70€/MWh pour des prix post-crise gazières. Ce devrait être une bonne nouvelle pour les consommateurs d’électricité, en particulier les industriels qui auraient joué le jeu de la conversion des énergies fossiles vers l’électricité. 

C’est en revanche une moins bonne nouvelle pour EDF, qui va vendre son électricité nucléaire à bas prix, et pour l’Etat qui garantit aux nouveaux parcs renouvelables leurs revenus et donc doit plus les indemniser en cas de prix bas sur le marché. C’est un raisonnement qui vaudra aussi pour les nouveaux réacteurs nucléaires, ceux-ci devant bénéficier des mêmes garanties de revenus que les nouveaux parcs renouvelables.

Un nouveau paradigme électrique qui invite à l’urgence si nous ne voulons pas tuer des filières industrielles nécessaires à la neutralité carbone

Nous y voilà. A force de trop tarder dans la programmation énergétique, nous nous retrouvons dans une situation où la politique énergétique de ce pays n’a marché que sur une seule jambe. La production d’électricité renouvelable et bas carbone est abondante mais nous continuons de consommer 60% d’énergies fossiles en France. Un comble. La situation est telle qu’elle pourrait nous amener à devoir ralentir le déploiement des énergies renouvelables et la relance du nucléaire.

Pour autant, rien n’est perdu : des projets d’électrification existent pour décarboner, dans l’industrie, l’hydrogène, les transports collectifs, les véhicules électriques… Il faut s’assurer qu’ils aillent au bout. Pour cela, le cap fixé doit être clair et il faut arrêter les stop and go sur la fin de vente des véhicules thermiques ou la décarbonation de l’industrie. Sans cela, nous risquons un moratoire sur des filières industrielles bas carbone alors que nous en avons besoin pour l’avenir. Ce serait terrible. Alors qu’attendons-nous?

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Nicolas Goldberg
Nicolas Goldberg est responsable énergie au think tank Terra Nova et consultant dans le secteur

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