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Si vous suivez régulièrement l’actualité climatique depuis un an, il est difficile d’être passé(e) à côté d’El Niño. A la seconde où son retour était possible en 2023, la presse s’est emparée du sujet en alimentant toutes les craintes : qu’attendre du phénomène El Niño ? Va-t-on battre tous les records de température ? Quelles conséquences dans le monde, et à quel point peut-il avoir un impact en Europe ?
En plus du réchauffement climatique d’origine humaine, ce phénomène naturel vient gonfler la température globale moyennée sur l’ensemble de la planète, de façon plus ou moins importante suivant les épisodes. A titre d’exemple, les 10 derniers mois ont battu des records chauds , de juin 2023, date du début de l’épisode El Nino en cours, à mars 2024.
Dans cet article, nous revenons sur ce qu’est El Niño, ses conséquences climatiques et les possibles conflits armés qu’il aurait alimenté, comme le suggère le dernier livre de Laurent Testot et Jean-Michel Valantin El Niño, histoire et géopolitique d’une bombe climatique.
Qu’est-ce que le phénomène El Niño ?
Selon le dernier rapport du GIEC, l’oscillation australe El Niño (El Niño Southern Oscillation – ENSO) désigne l’alternance à grande échelle entre des périodes de réchauffement (El Nino) et de refroidissement anormaux (La Nina) des températures de surface de la mer (SST) du Pacifique équatorial central et oriental qui coïncident avec des changements dans les régimes de vents (alizés) et de pluie sur l’ensemble des tropiques.
Le phénomène El Niño est épisodique et apparaît de façon irrégulière, entre 2 et 7 ans, et dure en général de 6 à 18 mois. Contrairement aux émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine, ce phénomène est entièrement naturel : il s’agit d’une redistribution de la chaleur à l’intérieur du système climatique (entre océans et atmosphère principalement), et non d’un apport de chaleur nouvelle exogène au système principalement via l’usage toujours croissant des énergies fossiles.
Même s’il est connu et documenté depuis plusieurs siècles et que les scientifiques connaissent bien les processus physiques du phénomène et ses impacts, il existe encore quelques points d’interrogation, notamment pour expliquer sa diversité car chaque événement El Nino est unique, et pour prévoir sa temporalité exacte et son intensité.
El Niño et La Niña correspondent aux deux phases opposées du phénomène couplé océan/atmosphère appelé ENSO. Bien que le phénomène El Niño se produise principalement dans le Pacifique tropical, il influence à distance de nombreuses autres parties du monde. Cette capacité à modifier le climat sur des régions parfois lointaines s’appelle téléconnexion comme l’illustre la figure ci-dessus pour l’océan (a) ou pour les précipitations (b).
En d’autres termes, le phénomène provoque un transfert de quantité très importante d’énergie de l’océan vers l’atmosphère et est capable d’avoir des conséquences mondiales via des changements de circulation atmosphérique globale due à la source de chaleur Pacifique.
El Niño… et La Niña ?
Nous alternons entre La Niña et El Niño avec des conditions neutres entre les deux qui durent plus ou moins longtemps. La Niña (petite fille) est le pendant El Niño.
Ce terme a été introduit bien plus tard par la communauté scientifique alors que le mot El Nino se trouve dans les premiers écrits qui sur l’Amérique du Sud. Contrairement à El Niño, La Nina fait baisser en moyenne la température de surface des océans, et donc de façon intuitive la température moyenne mondiale.
Même si La Niña et El Niño sont des phénomènes naturels, il ne faut pas oublier que la tendance des températures mondiales augmente à cause du réchauffement climatique d’origine humaine. L’ENSO vient juste s’y superposer.
Le graphique ci-dessous permet de se représenter les températures mondiales observées en rouge depuis 1970, et en bleu si nous enlevions la contribution des phénomènes de La Niña et El Niño :
Pourquoi El Niño fait exploser les records de température mondiale ?
El Niño est le principal modulateur de la température de surface mondiale d’une année sur l’autre c’est-à- dire à l’échelle interannuelle (Pan et Oort, 1983 ; Trenberth et al., 2002). Selon le GIEC, il est d’ailleurs virtuellement certain que l’ENSO restera le mode dominant de variabilité interannuelle dans un monde plus chaud.
Alors que le climat se réchauffe, il est donc attendu que chaque événement El Nino conduira à battre certains records de température.
Le réchauffement climatique anthropique, moteur n°1 du réchauffement mondial
En moyenne, ce phénomène entraîne une augmentation des températures mondiales d’environ +0,2°C sur une ou deux années particulières.
Dans la mesure où nous avons continué d’émettre des gigatonnes de gaz à effet de serre depuis le dernier El Niño en 2016 tout en battant des records d’émissions chaque année (mis à part 2020, année Covid), il n’est pas surprenant d’observer que les 10 derniers mois aient battu les records de chauds de juin 2023 à mars 2024. C’était attendu…
Attention donc à bien interpréter ce que fait et ne fait pas El Niño. Il a été beaucoup répété par exemple que cela “a entraîné les huit dernières années les plus chaudes jamais enregistrées“. Comme rappelé par Etienne Kapikian (prévisionniste chez Météo France) à l’été 2023, la cause principale des “8 dernières années les plus chaudes” (2015 à 2022) est le réchauffement global d’origine anthropique, pas El Niño.
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Quel effet du changement climatique sur El Niño ?
Peut-on affirmer que le changement climatique renforce l’intensité d’El Niño ?
Il n’existe pas de consensus climatique sur les effets du changement climatique sur El Niño concernant son intensité en termes d’anomalies de température de surface de la mer ainsi que sur l’émergence des “super El Niño”, terme qui désigne le réchauffement des températures de surface de la mer très important sur le Pacifique Est.
Le réchauffement climatique pourrait en revanche changer les téléconnexions et en particulier augmenter la variabilité des pluies associées à El Niño, tout en modifiant certaines influences régionales :
Depuis la sortie en août 2021 des travaux de synthèse du groupe 1 du GIEC, plusieurs études publiées démontrent que le réchauffement climatique aurait une incidence sur El Niño.
A l’instar de cette étude de Cai & al. (2022) ou une autre étude du même auteur en 2023, les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement induit augmenteraient la variabilité de l’oscillation australe El Niño, avec une possibilité donc d’avoir des épisodes El Niño plus puissants et des épisodes La Nina plus longs.
Cependant, une étude ne vaut pas consensus. Il faudra attendre que d’autres études soient publiées et probablement le prochain rapport du GIEC à partir de 2027 pour avoir plus de certitudes.
Quelles sont les conséquences possibles d’El Niño ?
Même si le phénomène El Niño (comme La Niña) se produit principalement dans le Pacifique tropical, il a des impacts planétaires.
Il joue sur les feux de forêts, la répartition des précipitations (donc les pluies comme les sécheresses), les ouragans, les écosystèmes terrestres et marins, les économies et donc les humains. Ce n’est pas pour rien que le phénomène est connu depuis des siècles par des populations entières : leur survie peut en dépendre comme celle, par exemple, des pêcheurs de l’Amérique du Sud.
En agissant sur le cycle de l’eau, le phénomène peut provoquer de graves sécheresses comme ce fut déjà le cas en Indonésie, aux Philippines, au Vietnam, au Pakistan, en Inde, en Afrique australe, etc. pendant la plupart des événements El nino. Le risque d’avoir plus de sécheresses graves peut mener également à des feux de grande ampleur.
Cyclones, inondations…
Sécheresses d’un côté, et pluie diluvienne de l’autre, avec des pays qui en subissent de plein fouet les conséquences comme le Japon, le Pérou, l’Uruguay, l’Argentine et la moitié Sud des Etat-Unis, victime d’inondations. Des conditions propices au développement de maladies, notamment celles transmises par les moustiques dont la reproduction est favorisée par les inondations, comme le paludisme, la dengue, le chikungunya ou encore le virus Zika.
Nous avions vu avec l’aide de la scientifique Caroline Muller que les épisodes El Niño/La Niña influencent grandement l’activité cyclonique dans toutes les régions tropicales. Lors des épisodes El Niño, on observe un excédent de cyclones majeurs sur l’ensemble du Pacifique et l’ouest de l’océan Indien mais une diminution significative dans l’Atlantique. C’est l’inverse pour les années La Niña..
Il faudrait un livre entier pour parler des conséquences potentielles d’El Niño. Vous retrouverez un bon résumé dans cette vidéo de Vincent Kanté, avec la présence du climatologue Christophe Cassou, co-auteur du dernier rapport du GIEC et coordinateur de l’Annexe 4 dédiée au modes de variabilité naturel comme l’ENSO:
Quid de l’impact d’El Niño en France ?
Il n’existe pas de relations statistiques robustes et systématiques entre El Niño et le climat en France. L’Europe est l’une des régions du monde les moins affectées. La connexion se fait uniquement pour de rares épisodes d’El Niño.
Cette connexion pourrait s’accentuer en climat plus chaud comme le suggère certaines études mais une évaluation plus complète reste nécessaire pour asseoir avec confiance cette conclusion.
L’Europe est généralement moins affectée que le reste du monde, même si le continent n’est pas à l’abri des conséquences géopolitiques d’un tel évènement.
Une guerre sur cinq provoquée par El Niño ?
El Niño est la source de nombreux travaux de recherches et de livres d’historiens qui tentent de retranscrire l’influence du phénomène sur nos sociétés et entre les sociétés.
Comme le rappelle Laurent Testot dans El Niño, histoire et géopolitique d’une bombe climatique, la fin du 19e siècle a connu trois épisodes El Nino majeurs, qui provoquèrent des famines aux conséquences inégalées dans l’histoire en Inde et en Chine : ils ont causé la mort de 30 à 60 millions de personnes.
Laurent Testot souligne, en s’appuyant sur les travaux de l’historien Mike Davis, que ce n’est pas El Niño qui a provoqué ces morts, mais plutôt la politique expansionniste des puissances coloniales, leur aveuglement idéologique et leur capacité à exploiter les circonstances météorologiques pour affaiblir voire soumettre les institutions indiennes et chinoises.
Nous comprenons ici un point important : il est difficile d’attribuer la responsabilité d’un évènement, tout comme les morts d’une sécheresse ou une inondation à un seul évènement météorologique. C’est toujours plus complexe que cela, comme nous l’avions vu dans notre article sur la science de l’attribution.
Un bon exemple pour illustrer cela est de faire la différence entre fortes pluies et inondations. Une forte pluie (aléa) ne mènera pas forcément à une inondation, à des dégâts matériels et à des pertes humaines. Cela dépendra en effet de l’urbanisation, de l’artificialisation des sols, etc. Une approche en risque combinant exposition et vulnérabilité est indispensable.
Une guerre sur 5 ?
El Niño, en provoquant des évènements météorologiques importants sur l’ensemble de la planète, peut donc exacerber les tensions sociales et politiques existantes.
Si les historiens affirment qu’El Niño pouvait avoir influencé les schémas mondiaux de conflits civils dans le passé, une étude d’Hsiang & al. (2011) tente de le démontrer quantitativement. En utilisant des données de 1950 à 2004, ils suggèrent que la probabilité d’apparition de nouveaux conflits civils sous les tropiques double pendant les années El Niño par rapport aux années La Niña :
Ce résultat, qui indique qu’ El Nino pourrait avoir joué un rôle dans 21 % de tous les conflits civils depuis 1950, est la première démonstration que la stabilité des sociétés modernes est fortement liée au climat mondial.
A l’instar du fameux chiffre “il faut 3,5% de la population pour renverser l’ordre établi“, la méthodologie et les critères pris en compte sont ici très importants.
Le 2e volet du dernier rapport du GIEC contient de nombreuses conclusions importantes sur les liens entre le changement climatique et les différents conflits. Il est entre autres confirmé que le changement climatique contribue à l’aggravation des conflits, mais par des voies indirectes et via des facteurs intermédiaires tels que la gouvernance.
Il est vrai que le climat n’est pas le principal facteur directement à l’origine des conflits, mais il a des répercussions économiques et sociales indéniables, allant de l’insécurité alimentaire et hydrique à la perte des moyens de subsistance, en passant par l’aggravation des inégalités et la concurrence pour les ressources naturelles, qui peuvent être des facteurs d’insécurité et de conflit.
L’adaptation au changement climatique et aux phénomènes naturels comme El Niño qui viennent l’amplifier est donc fondamentale pour réduire les risques de conflits et construire une société soutenable. Le chercheur Jean-Michel Valentin prévient des risques qu’El Niño pourrait provoquer partout dans le monde, y compris en Europe :
En d’autres termes, en intensifiant les déstabilisations climatiques et géopolitiques en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe, El Niño peut donner lieu à un accroissement permanent des situations de crise qui seraient autant d’opportunités pour les mouvements islamistes et djihadistes, du sud du Sahel et du Moyen-Orient au nord de l’Europe. Il est donc parfaitement envisageable que les effets rapides d’El Niño aient aussi des répercutions politiques sur les démocraties européennes, les amenant à se concentrer sur les problèmes sociaux, économiques, environnementaux et politiques de très grande échelle déclenchés par cette convergence des crises, à laquelle se combine El Nino.
3 Responses
Je crois qu’il y a un problème pour les images/figures. Pour moi c’est toujours la vidéo YouTube qui s’affiche.
Bonjour,
Il me semble qu’il y a un problème dans la page: les schémas et infographies sont tous remplacés par la vidéo YT.
Hello,
Merci pour tout le travail 😉 Sur cet article et tout les autres.
Petit soucis sur la page on à pas les inforgaphies.
À bientôt.