“Videz le lisier, je m’en fous” : enquête sur les complices de la violence anti-écolo 

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Complices violences anti ecolo vignette Bon Pote
©Crédit Photographie : Montage Bon Pote | Valentine Michel
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L’impunité doit cesser : agresser un défenseur de l’environnement ne doit plus rester sans conséquence. C’est l’urgence qui se dégage de nos travaux publiés ce lundi 15 décembre. Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement, s’insurge à la lecture de notre enquête  :

 « Cette enquête de Bon Pote doit être un électrochoc. L’impunité crée un climat de terreur qui dissuade la participation citoyenne et érode l’espace civique. La démocratie ne peut survivre quand ceux qui tirent la sonnette d’alarme sont systématiquement réduits au silence. ».

Il recommande précisément : « Les autorités ont l’obligation de protéger les défenseurs de l’environnement et doivent veiller à ce que chaque cas d’agression fasse l’objet d’une enquête rapide, que les responsables soient traduits en justice et que les victimes obtiennent réparation ».

Ce deuxième volet vise à confronter les autorités françaises à leur non-respect de ces obligations. Notre enquête révèle trois mécanismes de complicité : le silence des autorités, les discours qui légitiment la violence, et la complaisance policière sur le terrain.

Elle se base sur des documents et une vidéo exclusive, où l’on constate que des policiers laissent des violences anti-écologistes avoir lieu sous leurs yeux, sans réagir. 

Silence des ministères de l’Écologie et de l’Intérieur

Premier contacté, le ministère de la Transition écologique se déclare « non compétent » sur ces violences qui touchent pourtant en partie ses agents et ses bâtiments et n’a pas souhaité répondre à nos questions. Il nous a renvoyé vers le ministère de l’Intérieur… qui n’a pas répondu à nos sollicitations. 

Le même Laurent Nuñez qui porte plainte contre un humoriste pour  des blagues  sur les forces de l’ordre, ou contre une maison d’édition de jeux de société pour un dessin caricatural de “flic raciste”.

Nous ne sommes pas les seuls à trouver porte close. Bénédicte Hermelin, à la tête de France Nature Environnement, assure à Bon pote qu’elle alerte directement les ministres de l’Intérieur et de l’Environnement à chaque fois qu’une plainte est déposée pour des violences contre ses membres : « On les sollicite directement eux et leur cabinet, avec des sms direct. On leur demande à chaque fois une réaction. Je peux vous dire que depuis mon arrivée, en 2018, je n’ai jamais entendu un ministre dire publiquement que ce qui nous arrive est scandaleux.»

Marine Tondelier assure avoir « alerté personnellement » l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne. « Lors d’une consultation avec elle, nous avons évoqué longuement les violences faites aux écologistes : les cas chez FNE, le cas de Morgan Large, de Paul François, les cas de nos militants et militantes et mon cas personnel, puisque j’avais été menacée dans le Lot-et-Garonne. J’avais vu dans ce rendez-vous que son équipe n’avait absolument pas pris la mesure du phénomène». La secrétaire nationale des Écologistes dénonce un « deux poids, deux mesures » : « Le gouvernement a su protéger les agriculteurs, à leur demande, avec les cellules Demeter. On constate qu’il ne le fait pas pour les écologistes.»

Véronique Caraco-Giordano, secrétaire-générale du Syndicat national de l’environnement (syndicat des agents et opérateurs de l’Etat, le SNE-FSU), déplore de même : « Face à toutes ces violences, le soutien politique a été quasiment inexistant. Agnès Pannier-Runacher s’est parfois exprimée, mais de façon beaucoup trop discrète à nos yeux. Quant à François Bayrou et à Gabriel Attal, ils ont fait partie de ceux qui ont accusé et pointé du doigt les agents de l’OFB (Office français de la biodiversité, ndlr).» 

Des discours politiques « vecteurs de violence » 

Comme le pointe la responsable syndicale, une grande partie de la classe politique ne s’est pas seulement abstenue de dénoncer les violences. Beaucoup ont activement contribué à répandre l’idée que les défenseurs de l’environnement sont inutiles ou nuisibles. Gérald Darmanin, l’ancien ministre de l’Intérieur, a lancé dans le débat public français l’anathème « éco-terroristes » qui criminalise et discrédite les militants écologistes. 

François Bayrou, ancien Premier ministre, a accusé dans son discours de politique générale les agents de l’OFB d’« humilier » les agriculteurs. Agnès Pannier-Runacher, ancienne ministre de la Transition écologique a lancé une « revue des missions » de ses administrations. Le sénateur Laurent Duplomb (LR) qui a déposé un amendement supprimant l’Agence bio, Valérie Pécresse (LR), suivie par Gérard Larcher (LR) et Laurent Wauquiez (LR), a suggéré de supprimer l’Ademe. Laurent Wauquiez (encore lui !) a adressé aux agriculteurs de sa région une lettre contre les « idéologues » de l’OFB puis tweeté, vengeur : «  Maintenant, ça suffit ! L’OFB doit être purement et simplement supprimée ».

Ces attaques sont injustes, puisque les agences de l’Etat sont notoirement sous-dotées et bien gérées. Elles sont aussi « irresponsables », estime Michel Forst qui recommande aux dirigeants politiques de communiquer « sur le fait que ce sont des organisations et des personnes qui jouent un rôle absolument essentiel ».

Marine Le Pen : “Des talibans verts”

On en est loin. Au contraire, certains responsables politiques usent de l’opprobre voire de l’injure. Les qualifier d’« ayatollahs » (Éric Dupond-Moretti, pour défendre la chasse en 2020), d’« Amish » (Emmanuel Macron, même année), de « danseurs aux pieds nus » (le président du département du Rhône, pour justifier la coupe de subventions associatives en 2025) : n’est-ce pas les faire passer pour des gens ridicules et dangereux ? Des gens qu’on peut empêcher d’agir par tous les moyens, y compris la force ? Et que dire des médias et responsables politiques d’extrême droite dont la violence verbale anti-écologiste est devenue une marque de fabrique ? Ce lundi 15 décembre,  Marine Le Pen a qualifié les écologistes de “talibans”. Comment imaginer qu’un tel qualificatif puisse produire autre chose que de la violence et de la haine ?

Ces discours sont « vecteurs de violence », confirme Michel Forst :  :« Si des ministres, des préfets ou des députés désignent un groupe de personnes comme un danger pour la société, comme des criminels voire des terroristes, cela prépare le public à l’idée qu’il est normal de les traiter comme tels (…) Cela ouvre la voie à un sentiment d’impunité pour les personnes ou les entreprises qui rêvent de « prendre les choses en main » pour que les défenseur.e.s arrêtent de documenter, manifester, dénoncer les violations environnementales, l’inaction climatique… »

Son analyse est confirmée par la recherche scientifique. Albin Wagener, sémiologue et spécialiste des récits environnementaux (Université catholique de Lille), le confirme à Bon Pote : « Une violence physique n’arrive jamais seule, elle a toujours pour préalable un discours ou un argumentaire qui la rend légitime. C’est tout à fait manifeste dans le cas des violences anti-écologistes ». Selon lui, si le « déferlement hallucinant » de violences dont sont victimes les écologistes actuellement ne fait réagir aucun dirigeant ni même la majeure partie de l’opinion publique en France , c’est précisément parce que « les discours et les arguments en circulation sur les chaînes d’information, sur les réseaux sociaux et dans les discours politiques décrédibilisent les écologistes, qui passent pour des gens déraisonnables, délirants et extrémistes ». 

Cette circulation d’insultes s’observe facilement. Prenez le terme « pue-la-pisse », entendu dans la bouche des forces de l’ordre de Sainte-Solline comme dans les écrits des partisans de l’A69 et dans beaucoup de discours anti-écolo. 

« Qualifier quelqu’un de pue-la-pisse, analyse Albin Wagener, c’est bien-sûr la preuve d’un grand mépris de classe, mais c’est aussi un moyen d’exclure une personne du rang des civilisés et donc de justifier la violence à son encontre ». Même logique : les écologistes sont très souvent qualifiés de « chiens » et de « rats » y compris par les forces de l’ordre. Encore un moyen de légitimer les coups. Dans Ainsi l’Animal et nous (Actes Sud, 2024), la sociologue Kaoutar Harchi documente comment tant de meurtres et crimes, jusqu’aux génocides, ont été précédés par des vagues d’insultes animalisantes pour les futures victimes.

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Caussade : le lac de toutes les impunités

Certains responsables politiques et policiers vont plus loin dans la compromission. Des élus et des policiers ont assisté sans réagir à une partie des violences listées dans notre inventaire (voir notre article) ?

Un seul exemple, celui du lac de Caussade (Lot-et-Garonne), lieu de toutes les violences contre la nature, contre la loi et les institutions et contre les écologistes. Interdit par plusieurs décisions de justice, il a tout de même été construit illégalement par des agriculteurs et membres de la Chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne, dirigée par la Coordination rurale, un syndicat agricole dont des idées, les méthodes et certains membres sont proches de l’extrême droite. Ces gens ont creusé illégalement à l’aide de plusieurs tractopelles un lac grand comme plusieurs centaines de piscines, le tout devant les caméras de France 2. Ils ont repoussé, sous les yeux d’élus locaux venus les soutenir, les gendarmes qui devaient les empêcher de creuser leur lac. Ils y ont sabré le champagne fin février 2019, ont même fait bénir le lac par un diacre en 2020.

Dans cette affaire, seuls deux responsables de la Coordination rurale ont été condamnés en 2022 à de la prison avec sursis (18 mois) et à des amendes qu’eux-mêmes ont estimé légères (14000 et 7000 euros). Devant le tribunal, ils ont bénéficié du soutien de milliers de membres de la Coordination rurale, mais aussi d’élus dont le maire d’Agen. En 2024, le préfet du Lot-et-Garonne a envisagé de régulariser ce lac illégal. Dans ce contexte d’irrespect absolu, bien sûr que les violences et menaces ont pu se multiplier contre les écologistes autour du lac de Caussade.

Que fait la police ?

Dans bon nombre de cas, les forces de l’ordre laissent faire les agresseurs.  Bénédicte Hermelin se dit « hyper légaliste » et tient à rappeler « nous respectons les forces de l’ordre et nous tenons à travailler avec elles ». Mais elle dénonce :  «  On ne peut pas comprendre que nos plaintes soient classées sans suite avec le motif que les auteurs n’ont pas été identifiés quand les auteurs sont parfaitement connus, filmés et identifiables.»

La responsable de FNE cite plusieurs décisions incompréhensibles à ses yeux, notamment quand des militants de Gap (Hautes-Alpes) ont été emmurés par des agriculteurs en 2024 : « Sur les vidéos et photos, on voit un policier discuter avec des agriculteurs à visage découvert. Comment peut-on me dire que personne n’est identifiable ? »

Il y a parfois pire. Bon Pote s’est procuré les images de vidéosurveillance d’une dégradation commise en mai 2025 contre les locaux de FNE à Montauban  – en soutien à la loi Duplomb – par des agriculteurs du Tarn-et-Garonne. C’était la quatrième dégradation successive, celle de trop. L’association, qui estime le coût des dégradations à 60 000 euros, a dû renoncer à travailler dans un local. Tant pis pour la liberté associative, tant pis pour la pédagogie environnementale, tant pis pour les luttes. Les violences, perpétrées sous les yeux de la police, l’ont emporté. 

Car le document que nous nous sommes procurés montre que les agresseurs ont discuté et plaisanté avec les forces de l’ordre présentes. C’est déjà grave, alors qu’ils se sont introduits sur un terrain privé sans autorisation et alors qu’ils ont annoncé leurs intentions violentes : le policier dit avoir été prévenu du nombre de tracteurs et de bennes à fumier qui seraient vidées devant le local associatif. 

Mais la suite de la conversation est plus grave encore, on entend le policier autoriser la violence :

Agriculteur : « De toute façon, ils vont vider (le fumier et les déchets devant le local associatif, ndlr)»

Policier : « Qu’ils vident, qu’ils vident, c’est pas un problème. Nan mais, peu importe, moi je m’en fous. Qu’ils vident , ça…  Par contre, la dégradation du bâtiment, ça ne va pas être possible (…) Vous voyez ce que je veux dire ? Voilà, y’aura de soucis. Moi on m’a dit que vous arriviez avec quatre tracteurs, avec quatre bennes, voilà. Y’a pas de problème.. Tant que dégradez pas le bâtiment, tant que vous n’y mettez pas le feu, moi je m’en fous »

Comment interpréter une scène pareille ? Albin Wagener voit une « convergence des luttes anti-écologistes » : « Certains syndicats agricoles se sont politisés dans l’anti-écologie. Ils manifestent entourés par les forces de l’ordre, dont il est avéré qu’une partie vote pour l’extrême droite et dont certains membres sont ouvertement hostiles au progressisme et favorables à ce que les écologistes soient violentés. Il est logique que des alliances se forment. »

Michel Forst confirme que les violences contre les écologistes ont un effet dissuasif et cite « l’autocensure, l’abandon du militantisme, la crainte de participer à des manifestations ». Le vidéaste militant Vincent Verzat, constate de son côté que cette impunité grandissante décourage désormais une partie de ses sources et pourrait l’empêcher d’accomplir sa mission depuis dix ans : documenter les luttes environnementales. 

Une violence anti-écolo systémique

Sur certains terrains de lutte, la violence anti-écolo devient systématique. On croit voir se répéter ces expériences de psychologies sociales censées démontrer que, quand on les conditionne, des individus normaux peuvent devenir des bourreaux.

Des individus et plus précisément des hommes : la quasi-totalité des violences que nous avons documentées dans cette enquête sont le fait d’hommes, ce n’est pas anodin. Cette violence, très masculine donc, est omniprésente au cours des actions, souvent illégales, menées par Extinction Rébellion ou par Dernière Rénovation, devenue Riposte alimentaire. Le sociologue Gaspard Lemaire décrit pour Bon pote les violences qu’il a constaté sur le terrain en suivant ces mouvements et/ou en consultant des vidéos tournées et diffusées sur Youtube par l’agence de presse du journaliste Clément Lanot : « Pendant ces actions, les militants sont insultés dans des proportions tout à fait énormes puis, très vite, ils sont frappés, traînés au sol, déshabillés, mis en danger. J’ai assisté à des scènes terrifiantes, je me demande encore comment ils s’en sont sortis sans blessure grave. Pendant le blocage d’une autoroute, des gens criaient “Roulez leur dessus”, des automobilistes accéléraient et freinaient un millimètre avant un pied ou un bras ».  

Alors que nous terminions cette enquête, les locaux de l’association Nature Environnement 17 (Charente-Maritime) ont été dégradés et bloqués vendredi 12 décembre. Une action signée par la Coordination rurale, encore elle. Une tête de sanglier a été déposée, symbole explicite de menace contre cette association dont les actions ont été au cœur des procédures contre les mégabassines du département voisin des Deux Sèvres. Des tags ont été apposés en allégeance à Bertrand Venteau, président du syndicat, qui a appelé lors de son investiture le 19 novembre dernier à « faire la peau aux écolos ». Selon FNE, ces actions menées par de véritables « milices » ont eu lieu « sous les yeux des gendarmes alertés de leur arrivée depuis plusieurs heures ».

Faudra-t-il qu’un ou une défenseur ou défenseuse de l’environnement perde la vie, pour que les forces de l’ordre les défendent et que les responsables politiques réagissent ? 

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