J’ai une bonne nouvelle pour celles et ceux qui critiquent la Convention Citoyenne car ‘elle n’est pas composée d’experts’ : il existe également le Haut Conseil pour le Climat ! Ses membres sont tous des experts des questions climatiques et remettre en cause leur légitimité n’est cette fois plus vraiment d’actualité. En revanche, le fait d’être experts donne-t-il plus d’écho auprès du gouvernement ? Pour y répondre, Olivier Fontan, directeur exécutif du Haut Conseil pour le Climat, a pris le temps de répondre à mes questions.
Bonjour Olivier ! Merci d’avoir accepté l’invitation, je suis ravi de pouvoir échanger avec vous. Avant de rentrer dans le vif du sujet, pourriez-vous vous présenter et nous expliquer votre parcours, jusqu’à votre poste de directeur exécutif du HCC ?
Bonjour et merci de votre invitation ainsi que du travail que vous réalisez. Je suis régulièrement vos publications, principalement sur l’environnement, et elles représentent une belle contribution à une information éclairée et rigoureuse du public. C’est un élément essentiel non seulement pour la prise de conscience des dérèglements planétaires mais aussi pour réfléchir aux actions possibles.
Pour ma part, en sortant de ScPo j’ai intégré le Quai d’Orsay et suis donc diplomate depuis 1995. J’ai passé une quinzaine d’années à l’étranger, d’abord à Sarajevo, puis en Bolivie et en Colombie. Plus récemment j’ai été membre de l’équipe de négociation de la COP21 et sous-directeur pour le Climat et l’environnement au ministère des Affaires étrangères. Ceci m’a conduit à connaître l’ensemble des négociations environnementales, de l’ozone à l’océan, et de l’insertion de ces sujets dans la politique extérieure et de coopération de la France. Après avoir participé à la négociation de ces cadres internationaux, ce poste au Haut conseil pour le climat m’a donné l’occasion en juin 2019 de passer de l’autre côté du miroir et de voir comment ces politiques sont mises en œuvre au niveau national.
Pourriez-vous revenir sur le rôle du Haut Conseil pour le Climat, notamment sur son financement et son indépendance ?
Le Haut conseil pour le climat est un organisme indépendant, fonctionnellement rattaché à France Stratégie et donc aux Services du Premier ministre. Il est chargé d’émettre des avis et des recommandations sur la mise en œuvre des politiques publiques et des mesures prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France. Il a été dans un premier temps créé par décret puis inscrit dans la loi Energie climat. Il ne peut recevoir aucune instruction, d’aucune institution qu’elle soit publique ou privée.
Le HCC est composé de treize personnes représentant un éventail d’expertise dans les domaines directement ou indirectement liés au climat. Elles se réunissent une fois par mois et doivent une autre journée de travail au HCC en moyenne, contre une indemnité de 400 euros – le double pour la présidente. Elles orientent, encadrent et précisent le travail de recherche et de confection des rapports du secrétariat que je dirige, au sein duquel nous sommes six. Une enveloppe de 507 835 euros en 2020 est destinée à couvrir notre fonctionnement ainsi que les études extérieures que nous commandons à des tiers pour nous appuyer dans notre travail de recherche.
Concernant l’indépendance, je crois qu’elle se démontre plus qu’elle ne se proclame. La rigueur et le sérieux du travail du HCC depuis son premier rapport annuel ne laissent, me semble-t-il, pas de doute, même si on peut toujours s’améliorer. Pour autant une évolution de l’institution serait envisageable pour la doter des garanties d’une autorité administrative indépendante et garantir sa présence et ses moyens dans le paysage institutionnel sur le long terme de cette transition bas-carbone. L’indépendance, c’est aussi avoir les moyens des ambitions qui nous sont confiées et de la crédibilité qui est attendue du travail du Haut conseil. On est aujourd’hui loin du compte. A titre de comparaison, l’équivalent britannique du HCC créé douze ans auparavant, dans un pays que l’on sait sourcilleux du denier public, est actuellement doté de 25 emplois depuis l’origine et d’un budget de fonctionnement de 3,5 millions de £.
Pour citer l’un de vos membres, Jean-Marc Jancovici, le Haut Conseil pour le climat est-il ‘une des commissions créées tous les six mois par E.Macron ‘ ou avez-vous vraiment le sentiment d’apporter quelque chose de différent ?
Il y a un petit mécanisme intéressant s’agissant du HCC, qui est à ma connaissance assez unique. Le rapport annuel, publié en juin, est remis au Premier ministre – c’est la loi qui le dit et Edouard Philippe nous a effectivement reçu avec attention en 2019, comme il avait prévu de le faire cette année, même si la fin de ses fonctions a bouleversé l’agenda. Six mois plus tard, toujours selon la loi, le Premier ministre fait une réponse au Parlement et au Conseil économique social et environnemental (CESE), qui peuvent en débattre, sur le contenu et les recommandations de ce rapport. L’idée est d’enclencher un cercle vertueux d’échanges autour de ces politiques climatiques. Elles appellent de grands changements et il est normal et sain qu’elles suscitent régulièrement un débat entre les pouvoirs et la société. Cette alternance rapport annuel à l’été / réponse en hiver donne deux bonnes occasions pour le faire.
Le premier cycle a formellement bien fonctionné même si la réponse du gouvernement reflète le côté encore « patchwork » des politiques publiques, ce qui pouvait être attendu d’un premier exercice. Le CESE s’est emparé du débat, le Parlement ne l’a pas fait et là aussi on espère progresser d’année en année. Le rapport annuel 2020 a été envoyé, plus que remis, à l’actuel Premier ministre – faute d’interlocution directe avec lui sur le contenu ou les prochaines étapes – en juillet ; on attend donc la réponse en janvier 2021.
Sur le fond, la richesse du HCC tient à sa composition. Vous avez des membres travaillant ou ayant travaillé pour le GIEC, des physiciens, des représentants de sciences humaines et sociales – sociologie, économie, géographie – des experts en agriculture, en politiques publiques, etc. Chacun vient avec son cadre de pensée et vous avez donc à la fin une production qui est à la fois rigoureuse – je vous assure que la relecture des projets de rapport par treize regards aussi acérés ne laisse rien passer – et consensuelle au meilleur sens du terme, puisqu’il faut accorder les représentations, les priorités, essayer d’en faire des recommandations les plus opérationnelles possibles pour les acteurs publics, et ceci dans un temps limité.
Comment avez-vous réagi lorsque, malgré l’avis du HCC, le gouvernement (via Edouard Philippe) avait annoncé que le budget carbone 2019-2023 serait augmenté ? N’est-ce pas encore repousser les efforts à faire ?
C’est absolument ça. Le budget précédent, 2015-2018, accusait un déficit de 62 Mt éqCO2, soit 3,5%. Dans son rapport 2019 le HCC recommandait que le budget carbone 2019-2023 soit maintenu au niveau prévu initialement, en mettant en place des mesures additionnelles pour rattraper le retard pris dans le premier budget. Cet avis n’a pas été suivi et le HCC a regretté dans son rapport 2020 que la nouvelle version de la stratégie nationale bas-carbone entérine un affaiblissement de l’ambition de court-terme, car toute la trajectoire prend du retard quand on reporte les objectifs. . On ne peut pas faire de cavalerie budgétaire avec le budget carbone. Il y a probablement une forme de confusion due au fait que l’on parle de budget et de déficit, des termes plutôt employés en matière de finance publique et auxquels on s’est habitués.
Mais une différence fondamentale existe : la dette des Etats, elle se perpétue, se renégocie ou s’annule, et ça ne froisse que ceux qui la détiennent. Nos manquements à tenir les réductions d’émissions sont d’ordre physique. On n’annule pas un déficit carbone. Il n’y a toujours pas d’artifice magique pour sortir le CO2 de l’atmosphère dans les quantités dont nous avons besoin et les impacts du réchauffement vont tous nous affecter de plus en plus brutalement – même si ceux qui sont en bas de l’échelle en souffriront davantage.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi on comptabilise nos émissions en inventaire national et non en empreinte carbone ? Rappelons que le CO2 n’a pas de frontière…
Les inventaires nationaux sont établis par les Etats, comme le demande la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique. Dans ce cadre onusien c’est le principe de la souveraineté des Etats qui préside, donc chaque Etat rapporte à titre national ses émissions et ses politiques. L’idée d’empreinte carbone est apparue un peu plus tard, à la suite de l’empreinte écologique, pour refléter la réalité de l’impact des modes de vie sur les émissions, mieux connaître leur structure et juger de leur compatibilité avec les limites planétaires. L’empreinte carbone considère les émissions produites nationalement, en retranche celles des produits qui sont exportés et y ajoute les émissions des produits importés, ainsi que celles liées à l’usage des biens sur le territoire.
Dans le cas de la France, l’empreinte carbone par personne est presque doublée par rapport aux émissions territoriales. Cela questionne ce que nous importons et d’où nous l’importons : faut-il continuer à importer des produits qui conduisent à la déforestation par exemple, ou importer des biens fabriqués dans des pays qui n’ont pas l’ambition de réduire leurs émissions ? C’est l’objet du dernier rapport du HCC, dans lequel nous avons aussi choisi d’élargir la réflexion à l’empreinte des transports internationaux, pour mieux restituer la responsabilité globale de la France.
J’ai deux questions concernant le rapport grand public sorti en septembre. Je suis personnellement très inquiet des chiffres présentés : -0.9% d’émissions en 2019, pas vraiment mieux pour les 3 prochaines années.. Le gouvernement a-t-il bien intégré qu’il faut baisser les émissions de -7.6% par an ?
Vous mélangez deux choses. La première est l’estimation du rythme annuel de baisse des émissions selon les budgets carbone que s’est donnés la France dans sa stratégie nationale vers la neutralité carbone en 2050. Le budget carbone 2019-2023 sous-entend une baisse annuelle des émissions de 1,5% – et l’an dernier c’était 0,9% seulement. Cette baisse annuelle devra passer à 3,2% à partir de 2024, on est donc très loin de l’effort à réaliser annuellement en France. L’autre chiffre que vous mentionnez concerne l’ensemble des émissions de la planète, relatif à un objectif de limitation de la hausse de la température mondiale à +1,5°C par rapport aux niveaux pré-industriels. La façon dont il a été calculé pour le Gap Report de 2019 du Programme des Nations unies pour le développement ne fait pas l’unanimité. Reste que dans un cas comme dans l’autre les efforts collectifs actuels sont clairement insuffisants pour limiter la hausse du réchauffement climatique.
Le HCC a-t-il imposé des conditions au gouvernement pour que son travail soit non seulement entendu, mais aussi appliqué ?
Ce n’est ni notre mandat ni notre rôle d’imposer des conditions à un gouvernement. Le HCC évalue les politiques en cours et recommande les inflexions et changements à prendre pour que ces politiques publiques soient plus efficaces vers la réduction de l’ampleur et de l’impact d’un climat qui change. Nos recommandations comme nos travaux sont publiques et accessibles à toutes et tous. Ensuite il revient aux gouvernements de choisir de suivre, ou pas, ces recommandations, et de l’assumer politiquement devant le Parlement et devant les citoyens. C’est le principe de fonctionnement d’une république, et c’est tant mieux. L’ajustement de nos sociétés au nouveau cadre de l’anthropocène mérite un débat public approfondi. Les travaux du HCC veulent contribuer à la qualité de ce débat, loin des anathèmes et des simplifications abusives.
Au niveau des institutions, le mécanisme d’aller-retour que j’évoquais tout à l’heure, entre rapports annuels du HCC et réponses du gouvernement, est l’occasion de s’interroger collectivement sur les choix opérés et la capacité des dirigeants à inscrire leur action dans le cadre de plus en plus étroit des évolutions climatiques. Au Parlement de s’en emparer. Quant aux citoyens, ils ont de multiples façons d’exprimer leurs idées ou leurs désaccords, depuis les médias jusqu’aux manifestations organisées par les jeunes ou le monde associatif, en passant par l’engagement personnel autour des solutions à la portée des individus.
Comme on l’entend partout depuis quelques semaines, pourriez-vous nous expliquer ce que veut dire ‘neutralité carbone ‘ ?
C’est un concept qui a émergé dans les années 2000 et qui a été inscrit dans l’article 4.1 de l’accord de Paris, qui mentionne l’équilibre entre les émissions anthropiques et les absorptions anthropiques dans la deuxième moitié du XXème siècle. Globalement c’est l’idée que pour stabiliser le climat on n’émette pas plus de gaz à effet de serre que le système-terre ne peut en absorber – on trouve aussi des scénarios dits ZEN pour « zéro émissions nettes ». Après, le diable est dans les détails et on peut trouver beaucoup de détails dans la neutralité carbone : gaz à effet de serre concernés, rôle des technologies ou de la compensation carbone, etc. Il reste que c’est à la fois un mot-obus, qui remplit son office de déclencheur du débat, et un concept à la fois clair et souple qui peut être utilisé par tous les acteurs.
En France, la loi nous engage à atteindre la neutralité carbone en 2050. C’est-à-dire qu’en 2050 nous ne devrons plus émettre de gaz à effet de serre qui ne puissent être absorbés par un puits de carbone anthropique – concrètement les sols, les forêts et les techniques artificielles qui aujourd’hui ne sont pas déployées. Cela implique donc deux choses : d’abord réduire au maximum les émissions de tous les secteurs pour ne laisser que des émissions incompressibles – quelques procédés industriels, des secteurs agricoles comme l’élevage, les déchets – ensuite préserver et développer nos puits de carbone, prendre soin de nos forêts et de nos sols notamment à travers les pratiques agricoles.
L’enjeu est exactement le même au niveau mondial, avec évidemment d’autres ordres de grandeur et surtout l’inconvénient que ces puits de carbone nécessaires au bien commun sont territorialement situés et donc appartiennent à des Etats. Il est absolument essentiel de préserver les grands massifs forestiers comme ceux du bassin de l’Amazone ou du Congo ou encore ceux de l’Indonésie, tout comme les tourbières et les marais. Outre le dialogue politique à établir avec les pays qui gèrent ces espaces, nous devons aussi veiller à ce que notre consommation et nos importations ne favorisent pas leur dégradation – le HCC mentionne évidemment ce point dans son dernier rapport émissions importées. L’affaiblissement de ces écosystèmes est une source potentielle de déstabilisation majeure du climat, et donc de la sécurité internationale. Il n’est pas suffisamment perçu comme tel.
Comment croire sur le long terme à cette compensation, alors que les forêts françaises sont déjà en train de mourir à cause du changement climatique ?
Comme tout ce qui concerne le climat, il ne s’agit pas de croire mais de constater et de faire. Les forêts françaises sont effectivement déjà fragilisées par un climat qui change et le seront encore plus dans les décennies à venir. Les spécialistes des forêts, qui ont l’habitude de réfléchir à cette échelle de temps, y travaillent et le HCC a prévu de se pencher sur cet enjeu des puits de carbone, qui ne sont pas limités aux forêts. Il faut de surcroît y inclure les enjeux de biodiversité, qui est aussi dans un état critique en raison de nos activités.
Il faut faire attention avec le terme compensation. Dans le cadre de la stratégie française, on parle bien d’absorption de nos émissions par nos puits de carbone. La compensation, c’est émettre du CO2 ici et par exemple acheter un arbre, souvent sur une terre lointaine, pour stocker l’équivalent de votre dépense de CO2. Cela suppose par ailleurs que votre arbre ne va pas être brulé, déraciné ou abattu dans quelques années quand vous aurez oublié votre petit geste, et c’est bien là toute l’ambiguïté des programmes de compensation de certains secteurs, notamment dans le transport. Pour en revenir aux croyances, cela relève plus du commerce des indulgences au XVème siècle qu’à de l’action climatique raisonnée. La France s’est interdite de compenser ses émissions, elle doit donc les réduire ou les absorber.
Il est écrit dans le dernier rapport du HCC : ‘les solutions néfastes ou inefficaces sont aussi bien connues, notamment les soutiens publics sans condition ferme à l’aviation’. Comment avez-vous réagi lorsque l’Etat est ENCORE venu en aide au secteur aérien pendant la crise, sans contrepartie ou presque ?
Déjà dans le rapport spécial climat / santé que le HCC a publié pendant le confinement, une des recommandations relatives aux plans de relance à venir visait à « transformer plus que sauvegarder à tout prix et à n’importe quel coût » et à privilégier les aides aux travailleurs des secteurs très émetteurs comme l’automobile ou l’aérien. Dans le rapport annuel 2020 nous avons synthétisé les analyses mondiales des plans de relance post-crise, qui laissaient clairement apparaître que la politique la plus mal évaluée tant du point de vue de l’effet économique et de l’emploi que climatique était le soutien sans condition à l’aviation – et par conditions je pense à des trajectoires fermes de réduction des émissions, pas des hypothèses technologiques lointaines.
Or le transport aérien est un secteur dont les émissions ont explosé – plus un quart depuis 2012 au niveau européen – et qui a le plus mauvais bilan d’émissions par passager par kilomètre dans le secteur du transport. Au-delà de nos écrits il n’y a pas eu de réaction spécifique. Comme je vous le disais auparavant, le HCC documente et souligne clairement les enjeux, les gouvernements assument ensuite leurs choix au sein du jeu démocratique.
Pourquoi continue-t-on de suivre un objectif comme la croissance verte, alors que l’on a des preuves scientifiques empiriques de son impossibilité ?
Concernant la croissance verte, on est clairement dans le discours, dans une dimension idéologique. Ce n’est pas un défaut en soi, on a besoin de grilles de lectures, encore faut-il le reconnaître et ne pas obscurcir son jugement. Dans le cas d’espèce, il s’agit de concilier une aspiration et une inquiétude légitimes – ne pas détériorer notre environnement de vie – et un système économique qui fonctionne par une accumulation matérielle et énergétique incessante – qui détériore notre environnement de vie. C’est un des derniers avatars de la notion de développement, une notion très politique dès l’origine puisqu’elle naît dans un contexte de guerre froide avec le discours de Truman en 1949. Sur les dernières décennies on a eu le développement humain dans les années 80, puis le développement durable dont les objectifs officiels ont été adoptés par les Nations unies il y a cinq ans, peu de temps avant l’accord de Paris. Et donc sa variante croissance verte. Tout cela reste fondé sur une accumulation matérielle sans fin.
Derrière le discours de la croissance verte il y a la théorie qu’on peut découpler la croissance du PIB de ses conséquences environnementales négatives, en premier lieu les émissions de gaz à effet de serre. Dans son rapport annuel 2020 le HCC a publié un encadré sur la croissance du PIB et les émissions de GES – on ne s’est pas penché sur la question de la quantité de matières premières extraites, qui elle ne cesse d’augmenter depuis le début du siècle. Concernant la relation PIB/GES, on constate depuis plusieurs décennies un découplage relatif – plus de croissance du PIB pour la même quantité d’émissions – voire depuis 2005 un découplage absolu–croissance du PIB, décroissance des émissions – dans certains cas d’économies dites développées, principalement d’Europe du nord. Ce qui ressort tout aussi clairement, c’est que le rythme constaté de ce découplage, même à supposer qu’il s’étende à la planète dans son entier, n’est absolument pas compatible avec les objectifs de température de l’accord de Paris dans l’état actuel des technologies et des comportements. Et ce serait aussi faire abstraction des risques que font courir les impacts d’un changement climatique qui lui, ne décroît pas.
Donc vous pouvez appeler ce découplage croissance verte, développement durable ou capitalisme radieux, peu importe : c’est insuffisant pour respecter les objectifs de l’accord de Paris. Il faut mettre en place des politiques d’atténuation et d’adaptation solides.
Dernières questions concernant le HCC : ses membres ont-ils une empreinte carbone exemplaire ? Connaissez-vous la vôtre ? Il y a un simulateur pas mal du tout pour la calculer !
Je sais qu’une des membres du HCC au moins a un suivi extrêmement précis de son empreinte carbone et de son évolution. J’ai testé la mienne sur le simulateur de l’ADEME que vous recommandez et qui est effectivement très accessible pour une première évaluation. Je crois que plusieurs d’entre eux se mettent en ligne avec les constats objectifs sur le climat – qu’il s’agisse de la consommation de viande, d’usage de l’avion ou de transport du quotidien – mais c’est à chacun de gérer ça, il n’y a heureusement pas d’esprit inquisitorial ou normatif au HCC. L’exemplarité sur ces gestes aurait d’ailleurs plus d’impact si elle pouvait aussi être portée par plus de personnalités du monde du sport ou du spectacle. Cela dit la lutte contre le changement climatique, ce n’est pas un concours de beauté-carbone. On sait que les gestes individuels représentent environ un quart des efforts à faire. C’est bien de les faire et de les expliquer, c’est nécessaire, et on doit faire évoluer nos comportements autant qu’on peut. Mais l’essentiel dépend de l’organisation systémique de notre pays, de l’économie, des infrastructures, donc de choix collectifs, et nos efforts comme nos demandes doivent se porter sur ce niveau.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les prochains travaux du HCC ?
Depuis la rentrée nous avons sorti la version grand public du rapport annuel, puis un rapport sur l’empreinte carbone. Mi-novembre nous aurons un rapport sur la rénovation énergétique des bâtiments, puis un avis sur la 5G début décembre. Le prochain rapport sur lequel nous travaillons porte sur l’agriculture et le suivant devrait porter sur les transports, sans oublier le rapport annuel 2021 entre les deux. Nous travaillons aussi sur l’évaluation du plan de relance et suivons évidemment l’actualité de l’action climatique du gouvernement ou des autres acteurs.
Passons aux questions un peu plus ‘personnelles’.
Vous avez pris part aux négociations de la COP21. 5 ans après, quel retour avez-vous sur cette COP : était-ce une COP de plus, ou a-t-elle vraiment été différente ?
Je n’ai fait que cinq COP climat, de la COP 20 à la COP 24, mais elle a évidemment dénoté, et c’est aussi l’avis des négociateurs qui en ont fait plus. L’enjeu était considérable, surtout après l’échec de Copenhague et le patient travail de raccommodage qu’il avait fallu entreprendre depuis 2010. Pour les équipes françaises, que ce soit de négociation ou de préparation de l’événement, ça a été un an et demi de travail en amont donc forcément il y avait beaucoup d’attentes. Plus largement, je soulignerais trois points, parmi une multitude de possibles. Le premier est qu’on a probablement obtenu un accord que personne n’espérait quelques mois auparavant, preuve qu’il y a eu une dynamique d’ambition propre à la COP21. Le deuxième, condition du premier, est que nous avons su garder le contact et la confiance avec tous les pays, toutes les coalitions, jusqu’au bout, ce qui a été un travail diplomatique intense. Le troisième, outil du deuxième, est que tout cela a été possible grâce à la combinaison d’une ambition politique claire et de l’énorme travail d’une équipe à la fois souple et structurée, et plutôt résiliente aux chocs qui n’ont pas manqué.
Vous étiez le 10 juin dernier en commission avec Madame Pompili pour présenter le rapport du HCC. Sans surprise, Mme Pompili connait très bien les sujets. Pensez-vous aujourd’hui qu’un ministre de l’environnement a vraiment la main pour faire ce qu’il faut ? Ma question a bien sûr un rapport avec la démission de Nicolas Hulot.
C’est une vaste question qui là aussi dépasse les comportements individuels pour toucher les structures. Il n’y a aucun doute sur les connaissances, l’intérêt ou la motivation de la ministre, pas plus que sur les talents des personnes qui travaillent à l’atténuation et à l’adaptation au sein des services de son ministère. L’enjeu que souligne le HCC, c’est que la politique climatique doit véritablement devenir transversale dans l’action gouvernementale et que les budgets carbone que nous nous sommes donnés par la loi doivent être le cadre de référence. Or cette ligne interministérielle de référence, permanente, ne peut être portée par le seul ministère de l’Environnement, quel que soit le profil du titulaire ou son rang protocolaire. La politique, ce sont d’abord les rapports de force et le MTE n’est pas en position surplombante des autres ministères. Tout cela doit donc être articulé et porté à Matignon. Vous trouverez ça dans tous les rapports ou presque du HCC. Le jour où ce sera le cas, et que tous les ministres auront intégré cette contrainte climatique, on changera de braquet.
En regardant la liste des membres du HCC, j’ai vu qu’il y avait Katheline Schubert, qui travaille entre autres sur la ‘Croissance’. Quelle est votre avis sur la Décroissance ?
Aucun. Là aussi, c’est un mot-obus qui a bien été utilisé et qui a ouvert le débat en permettant l’expression d’idées et de perspectives différentes qui peuvent être utiles aujourd’hui vers la neutralité carbone. Mais aujourd’hui la décroissance qui m’intéresse est celle des émissions de gaz à effet de serre et de nos atteintes à la biodiversité. Le reste suivra. Le PIB est un instrument tellement faussé et incapable d’anticiper ou de représenter les enjeux actuels que s’empoigner sur sa croissance ou sa décroissance n’a à mon humble avis que peu d’intérêt. En tout cas, ce n’est pas ce qui va nous aider à formuler politiquement la transition bas-carbone que nous devons effectuer sur les trois prochaines décennies. Il y a évidemment des enjeux autour de nos profils de consommation collective, énergétique, matérielle, et il va falloir réduire la voilure, en bon ordre, par l’efficacité ou la sobriété. Mais c’est un débat qui est plus vaste et riche que la croissance ou la décroissance du PIB.
Vous avez passé de nombreuses années en Amérique latine. Le changement climatique était-il un sujet à l’époque, notamment en Bolivie et Colombie où vous étiez ? La situation a-t-elle évoluée ?
C’était un sujet peu évoqué notamment parce qu’il existait des enjeux politiques très forts au moment où j’étais dans ces deux pays. La Bolivie au début du siècle était une cocotte-minute sociale et ethnique dont l’élection d’Evo Morales a été la soupape pacifique. J’ai travaillé avec lui dans les deux premières années de son mandat sur les questions internationales, et ça a été l’occasion de lui faire découvrir les enjeux du climat. On lui a fait porter ce message à la tribune des Nations unies très tôt, on parle d’une dizaine d’années avant l’accord de Paris, mais au sein du pays une ligne développementiste classique l’a emporté au sein de son gouvernement – c’est le pays le plus pauvre d’Amérique latine. Il n’a finalement pas dépassé, lui non plus, le stade incantatoire sur l’environnement, avec les dérives regrettables qu’on connaît sur le TIPNIS, la déforestation, etc.
Ils n’ont pas trouvé l’articulation nouvelle entre une revendication de bien-être des populations, absolument légitimes au vu de l’état de dénuement, et un modèle qui ne soit pas une simple réplique du modèle extractiviste dont on connaît l’issue et les impacts. Quant aux impacts, on observait déjà au fil des ans, à l’œil nu, la fonte irrémédiable des glaciers au-dessus de La Paz et la fragilisation de l’approvisionnement en eau de millions de personnes. La Bolivie s’est ensuite enfermée dans une position de négociation puriste et très dure au sein des négociations climat mais, à partir de 2014 avec l’équipe de la COP21 on a pu recommencer à travailler solidement avec eux. Leur ministre a été d’un grand apport et d’une grande aide dans la négociation en 2015.
Quand j’étais en Colombie, plus récemment, l’enjeu primordial était la négociation de paix avec les FARC, donc le climat venait très loin derrière. Les enjeux de la biodiversité dans ce pays méga-divers étaient d’ailleurs peut-être plus présents. Néanmoins les impacts du climat se faisaient sentir avec des Niño et Niña aux amplitudes exceptionnelles et qui touchaient durement les populations déjà sinistrées par la guerre dans les régions les plus vulnérables. Dans le cadre des négociations climat la Colombie a toujours été un pays plutôt facilitateur et constructif, très proche des Occidentaux avec là aussi un rôle très positif dans la préparation de la COP21.
La situation a évolué dans les deux pays comme dans le reste du sous-continent, avec des impacts encore plus forts et plus visibles et une société civile qui s’est emparé du sujet, notamment à travers la jeunesse. Mais le modèle de consommation demeure encore très étasunien, dans des pays qui par ailleurs ont une responsabilité historique infime dans les émissions globales.
Pour finir notre entretien, imaginez que vous ayez un.e ami.e d’une trentaine d’années qui souhaite quitter son travail pour se consacrer à la lutte contre le changement climatique. Quels seraient vos conseils pour être le plus efficace possible ?
Il y a plusieurs manières d’être efficace – notion à manier avec précaution, elle nous a en partie conduits là où nous en sommes. On peut l’être à son échelle individuelle ou porter ses efforts dans la transformation du collectif. Par exemple ce pourrait être trouver un job dans un secteur émetteur et en changer les pratiques, les process, les produits. Ou travailler sur les aspects très enthousiasmants de cette transition – on n’est pas obligé de s’enfermer dans le discours très négatif, qui n’évoque que des pseudos privations, des climatosceptiques. C’est pour cela que les mouvements pro-climat des étudiants en tant que futurs employés sont si importants – spontanément je pense à Pour un réveil écologique, à SupAéro décarbo, mais il y en a d’autres. C’est aussi là que ça va se jouer. Aujourd’hui les cursus universitaires et les formations qui n’intègrent pas la dimension climatique et environnementale sont à côté de la plaque. Les nouveaux travailleurs, cadres, fonctionnaires, doivent avoir en tête les enjeux et les ordres de grandeur de cette problématique. Il n’est pas nécessaire d’en faire une obsession mais ça ne peut pas non plus rester un impensé collectif. Donc être efficace, c’est aussi en parler, faire changer les regards et les mentalités.
2 Responses
Je lis vos publications avec intérêt même si pour certaines comme celles sur le nucléaire, il me semble que les arguments sont orientés dans la mesure où vous ôtez des arguments importants heureusement évoqués dans les commentaires, comme les déchets, l’incertitude technologique du recyclage, le manque de développement sur les alternatifs comme l’autoconsommation avec le solaire toiture, que de nombreuses communes ont mis en place avec succès en évitant l’augmentation du coût edf et sa dépendance, tout en créant plus d’énergie.
Ici vous oubliez de dire que Jancovici est loin d’être neutre, pas pour rien qu’il est décrié sur des medias comme reporterre que vous ne citez jamais, de même sortir du nucléaire negawatt qui donnent beaucoup d’info sur le sujet en plus d’être un media citoyen… L’êtes-vous vraiment?
Donc Jancovici et son shift project dans lequel total, bnp paribas, edf participent…en plus de grandes multinationales…il y a mieux comme neutralité!
Je pense que des rapports comme le giec sont importants mais cependant attention de ne pas en faire une “bible” sans débat contradictoire! Tout cela ne peut qu’alimenter les climato sceptiques par le manque de transparence…J’espère que mon com sera publié malgré tout, mon but étant de faire avancer le débat avec sincérité!
Questions pertinentes, réponses intelligentes.
Une référence à véhiculer dans les forums où les paroles sont comme les universités n’ayant pas intégré la dimension : “à côté de la plaque”.
On est loin du compte. Le milieu scientifique le sait bien. Le milieu politique est coincé car l’information, en l’espace de 20 ou 30 ans n’a pas été structurée. Mais il fallait le début des preuves pour que le climatoscepticisme commence à s’effacer. Et encore, nous sommes confronté encore à beaucoup de monde qui pense que le climat n’est qu’un problème comme un autre, à traiter quand on a le temps, et derrière d’autres priorités. Chaque jour qui passe le met encore plus haut au-dessus de la pile, car les enjeux sont planétaires.