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En mars 2026 auront lieu les élections municipales en France. La mobilité et la transformation des espaces publics ont souvent une place de choix dans les débats des municipales, au vu du rôle important des communes et des intercommunalités sur ces politiques publiques.
Sans prétendre à l’exhaustivité, voici 10 idées de politiques publiques de transformation des espaces publics qui peuvent nous permettre de faire de grands pas pour la transition des mobilités et pour rendre les villes et villages plus apaisés et agréables à vivre. A condition que ces idées soient largement partagées, reprises et mises en œuvre lors de la campagne et du prochain mandat municipal.
Ces mesures sont attendues et souhaitées par nos concitoyens comme le montrent les résultats de plusieurs sondages récents sur des sujets comme la piétonnisation de rues, la mise en place du 30 km/h en ville ou encore la limitation de la place de la voiture.
Sommaire
Toggle1/ Rééquilibrer l’espace public
A l’échelle d’une ville, l’espace dédié à la voiture représente de l’ordre de 50 à 70 % de l’espace dédié aux déplacements (et entre 40 et 90 % selon les communes ou arrondissements dans l’exemple de la Métropole de Lyon).
Plus l’espace dédié à la voiture est élevé, et plus sa part dans les déplacements est forte. Inversement, l’usage de la marche, du vélo et des transports collectifs augmente lorsqu’on leur accorde plus de place.

L’espace public étant une ressource limitée, il est donc important de l’affecter aux usages que l’on veut voir se développer en priorité.
La voiture est un mode fortement consommateur d’espace, pour sa circulation et son stationnement. Elle a longtemps été privilégiée dans les politiques de mobilité, notamment dans la répartition de l’espace public qui lui est dédié.
Il s’agit désormais de renverser la hiérarchie qui a prévalu historiquement entre les différents modes de transport, au profit des modes les plus vertueux : en premier lieu la marche, devant le vélo (pistes cyclables, stationnement…), les transports en commun puis la voiture partagée.

Cette nouvelle répartition entre les modes doit être portée et assumée politiquement. Par ailleurs, il s’agit de ne plus considérer cet espace en commun uniquement comme un espace de circulation et de stationnement, mais aussi comme un espace de vie.
Une multitude d’autres usages de l’espace public sont possibles pour rendre les villes et villages plus pratiques, vivants et/ou agréables : pouvoir bénéficier de fontaines à eau, de toilettes publiques, de bancs, libérer de la place pour les terrasses, les marchés, des événements culturels, des aires de jeux… Sans oublier de redonner plus de place à la végétation, avec des bénéfices en termes de bien-être, de santé ou de biodiversité.
2/ Mettre en place un plan de circulation
Le plan de circulation est un ingrédient majeur de la transformation des villes néerlandaises et belges pour les rendre plus cyclables et marchables.
Il s’agit de mieux organiser la circulation sur un périmètre donné en agissant principalement sur les sens autorisés de circulation et la vitesse autorisée, en distinguant les grands axes pouvant absorber un volume de trafic important et les “petites rues” à apaiser prioritairement (rues résidentielles, présence d’un établissement scolaire…).
Il y a 2 objectifs principaux à cela : diminuer le trafic de transit, et réduire la vitesse des véhicules motorisés afin d’apaiser les cœurs de quartiers et les rendre plus agréables pour les déplacements à pied et à vélo.
Les résultats peuvent être spectaculaires : à Gand, un an seulement après la mise en place du nouveau plan de circulation, la circulation automobile avait baissé de 12% alors que la pratique du vélo avait augmenté de 25% et la fréquentation des transports publics de 8%.
Un autre exemple bien connu est le modèle des Superblocks à Barcelone, ou plusieurs îlots ont ainsi pu être apaisés, et de l’espace récupéré à la voiture (végétalisation, bancs, jeux pour enfants…).

Ces projets sont souvent bien accueillis par la population, à l’image du Royaume-Uni, où la mise en place de plans de circulations, ou Low trafic neighbourhood, à Londres, Birmingham, Wigan et York sont perçus positivement par 45% des habitants et négativement par 21% d’entre-eux.
Le plan de circulation peut aussi trouver une traduction dans les zones moins denses, avec la réutilisation de petites routes, chemins ruraux ou voies désaffectées pour la pratique du vélo en zones rurales.
3/ Faire la ville à 30 km/h
Limiter la vitesse à 30 km/h permet de multiples bénéfices. Cela permet tout d’abord de favoriser la cohabitation entre les différents usagers de la ville (piétons, cyclistes et automobilistes), de limiter le nombre et la gravité des accidents, et ainsi de sécuriser la pratique des mobilités actives, bonnes pour la santé.
Cela permet aussi de créer une ambiance plus calme et sereine en réduisant le bruit, et d’avoir des voies pour la circulation motorisée un peu moins larges. Enfin, contrairement à une idée reçue, le passage à 30 km/h n’augmente pas la pollution.
Si le passage à des villes majoritairement à 30 km/h a été fort ces dernières années pour les plus grandes villes françaises, des centaines de villes moyennes, petites ou de villages sont aussi recensés sur le site Ville30.org. C’est en effet une politique adaptée aussi pour les petites communes, où les nuisances du trafic de transit peuvent être élevées, et où l’usage de la marche ou du vélo est très peu sécurisé, notamment pour les enfants. C’est aussi parfois le cas dans les villes déjà à 30 km/h, où il reste souvent beaucoup à faire pour le faire respecter.
Au-delà du passage à 30 km/h, les zones de rencontre sont particulièrement adaptées pour les rues au faible trafic motorisé, aux endroits les plus dangereux ou encore dans les rues résidentielles. Ces zones sont limitées à 20 km/h et donnent la priorité aux piétons, devant les usagers du vélo puis les véhicules motorisés (voir aussi le concept de vélorue pour les plus intéressés).

4/ Piétonniser de nouvelles rues ou secteurs
Au-delà d’un meilleur partage de l’espace public entre les modes et d’une réduction des vitesses de circulation, la piétonisation de certains axes ou secteurs est l’étape la plus avancée vers des rues apaisées.
Cette piétonnisation peut se faire à différentes échelles, et peut concerner :
- De vastes secteurs du centre-ville, pour le rendre plus attractif pour la promenade, pour les activités commerciales ou touristiques ;
- de manière plus ciblée sur certaines rues, certaines places, devant des monuments, des lieux culturels, ou à proximité des établissements scolaires (cf idée 9) ;
- dans de petites rues ou secteurs résidentiels, en supprimant le trafic de transit, pour en faire des espaces plus propices pour les enfants, favorisant la socialisation et redonnant de la place à la végétation.
Au-delà de ces espaces piétons, il est important de noter que le développement de la marche doit se penser comme un réseau à l’échelle du territoire, et non uniquement comme un moyen de déplacement pour le centre-ville ou centre-bourg. C’est ainsi l’ensemble des cheminements piétons qui doivent être sécurisés et agréables, en particulier pour les personnes les plus vulnérables (enfants, personnes âgées, personnes à mobilité réduite…).
5/ Favoriser les commerces et services de proximité
Un élément de contestation récurrent des projets de piétonnisation ou plus globalement des restrictions de l’usage de la voiture concerne les inquiétudes sur la fréquentation des commerces.
En effet, le mythe du No parking, no business est encore très présent chez de nombreux commerçants et élus, à l’encontre des études et observations sur le sujet, qui montrent que :
- L’utilisation de la voiture parmi les clients des commerces de centres-villes est faible et systématiquement surestimée par les commerçants ;
- lorsqu’on interroge les clients sur ce qui leur donnerait envie de fréquenter davantage le centre-ville, ils mettent bien plus en avant le besoin de rééquilibrer l’espace public (plus de végétation, des trottoirs plus larges et praticables…) que de faciliter l’usage de la voiture ;
- piétons et cyclistes sont des clients fidèles, qui consomment plus fréquemment dans les petits commerces de proximité.
De manière générale, on observe que les principales rues commerçantes sont piétonnes, ce qui s’explique facilement par la densité de flux, et la facilité de déambuler et s’arrêter dans les commerces en chemin.
A titre d’exemple, la ville d’Arras (40 000 habitants) a décidé de piétonniser une des 2 places de son centre-ville en 2018. Depuis, son centre-ville est considéré comme l’un des plus dynamique de France et le taux de vacance commerciale a nettement diminué.

Enfin, pour favoriser cette économie de proximité, les villes ont aussi la possibilité de racheter certains rez-de-chaussée commerçants pour en choisir plus facilement l’affectation, et développer en priorité des services ou commerces de proximité avec des loyers accessibles, notamment dans les zones où cela manque le plus.
6/ Libérer certains itinéraires des voitures le dimanche matin
L’idée de libérer certains axes des voitures pour les réserver à la balade à pied, en courant ou en vélo est née en 1974 avec la Ciclovía de Bogotá. Chaque dimanche, c’est un réseau de plus de 120 km désormais, qui rassemble plus d’un million de personnes chaque semaine pour se promener et profiter de la ville autrement.
Depuis désormais plus de 50 ans, l’initiative s’est développée dans de nombreuses villes d’Amérique du Sud ou ailleurs dans le monde. Paris organise cet événement chaque premier dimanche du mois depuis 2016, désormais sur les Champs-Elysées et dans les arrondissements du centre.
Une telle initiative pourrait être étendue dans de nombreuses villes ou bourgs, que ça soit sous forme d’un axe fermé à la circulation, d’une boucle ou d’un ensemble de rues ou de quartiers. L’événement peut avoir lieu sur la matinée ou la journée du dimanche, un jour où la circulation et les déplacements contraints sont moins importants.
L’intérêt est multiple. Le premier concerne la santé, car en apaisant la circulation, cela permet de réduire le bruit et la pollution, et d’encourager à l’activité physique. Cette transformation temporaire et forte de l’usage de l’espace public est aussi une opportunité pour faire découvrir et valoriser le patrimoine, éventuellement avec des événements ou animations en parallèle.
Enfin, l’événement permet de tester les mobilités actives dans un environnement sécurisé, pour éventuellement créer des vocations et pérenniser la pratique dans les déplacements du quotidien.

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7/ Sécuriser les routes : traiter les coupures urbaines
La pratique des mobilités actives, que ce soit la marche ou le vélo, est actuellement entravée par un manque de sécurité des parcours. Si l’objectif est d’avoir un réseau efficace, continu et sécurisé sur l’ensemble du territoire, il est important de pouvoir identifier et traiter en priorité les points les plus problématiques.
Cela peut concerner un carrefour, un pont ou un tunnel particulièrement dangereux, une section de route en mauvais état, un trottoir inexistant ou trop étroit pour une poussette ou un fauteuil roulant, une entrée de ville peu sécurisée, ou encore la nécessité de créer une passerelle ou un itinéraire de contournement pour les usagers vulnérables.
Pour laisser un enfant circuler à vélo, un seul point dangereux sur le trajet peut suffire à décourager les parents de le laisser seul dans la circulation.
Ces effets de coupures urbaines peuvent donc être des freins importants à la pratique. Par rapport à d’autres projets d’infrastructures plus structurantes, coûteuses et longues à mettre en place, leur résolution peut permettre d’apporter des gains rapides et parfois à moindre coût.
8/ Végétaliser les espaces publics
Les bénéfices de la présence de végétation sont nombreux. Ils permettent d’améliorer la santé par de nombreux biais : limitation du bruit, de la pollution de l’air ou de la chaleur, encouragent l’activité physique et le ressourcement par la présence d’espaces verts, diverses fonctions environnementales… des effets positifs aussi bien pour la santé physique que mentale.
En plus de cela, la végétalisation permet de renforcer la place de la biodiversité, de mieux s’adapter aux vagues de chaleur ou de désimperméabiliser les sols et favoriser l’infiltration d’eau.
Cette végétalisation peut prendre plusieurs formes et à différentes échelles. Il s’agit ainsi des parcs et jardins, mais aussi d’investir l’espace pris sur la voiture, les toitures et façades, ou encore au niveau des séparations entre pistes cyclables et voirie automobile.
Revoir la répartition de l’espace public est un bon moyen de végétaliser davantage, à l’image de la ville de Grenoble qui a supprimé l’affichage publicitaire en 2015 afin de planter des arbres.

9/ Mettre en place des rues scolaires
Alors que presque 60% des enfants se rendaient à leur établissement scolaire par une « mobilité active » à la fin des années 1980, ce n’est plus le cas que de 36% d’entre eux de nos jours. En parallèle, ils sont de plus en plus nombreux à se rendre à l’école ou au collège accompagnés par un de leurs parents : c’est le cas de 47% des écoliers.
Ceci entraîne du trafic automobile supplémentaire et des émissions de polluants mais c’est également un problème de santé publique. Les jeunes générations font globalement moins d’activité physique qu’avant : seulement la moitié des garçons et un tiers des filles atteint les 60 minutes d’activité physique recommandées par l’OMS.
Pour inverser cette tendance et encourager la pratique d’une mobilité active (marche ou vélo) pour se rendre à l’école, mettre en place des rues scolaires est une solution adoptée par de nombreuses villes aujourd’hui. Il s’agit de piétonniser temporairement les voies des écoles aux heures d’ouverture et de fermeture des classes.
Les résultats sont probants : à Londres parmi les parents automobilistes, 30 % ont réduit leur utilisation de la voiture pour amener leurs enfants à l’école. De plus, les rues aux écoles font baisser la pollution de l’air jusqu’à 30 % en moyenne. Enfin, c’est une solution largement plébiscitée puisque 87% des parents se disent favorables à la mise en place d’une rue scolaire aux abords de l’école de leurs enfants.
Par ailleurs, les collégiens sont un public privilégié pour développer la pratique du vélo. Les distances sont souvent bien adaptées à ce type de déplacements (quelques km en général) mais encore faut-il aménager les abords de l’établissement pour que la pratique soit très sûre et que les parents laissent leurs enfants utiliser ce moyen de déplacement.
10/ Impliquer davantage les usagers dans la transition des mobilités
Bien que concerné au premier chef, le citoyen est bien trop souvent le grand oublié dans la prise de décision des politiques de mobilité. Celles-ci sont prises par une poignée d’élus en fonction de leur propre perception qui est parfois éloignée de l’avis réel de leurs administrés.
Une enquête menée en 1999 auprès d’un échantillon de citoyen et d’un panel de maires montrait un grand décalage sur la perception des politiques de mobilité : alors que 72% des citoyens se disaient favorables au fait de “limiter la place de la voiture afin d’améliorer la circulation en ville”, les maires estimaient que seuls 28% de leurs administrés y étaient favorables.
Mettre en place de bonnes politiques de mobilité nécessite d’avoir une image fidèle de ce que souhaitent les citoyens et plus globalement de les associer bien mieux qu’aujourd’hui à la définition des projets et à la prise de décision. Différents outils existent et ont chacun leur domaine de pertinence :
- Les budgets participatifs, qui sont aujourd’hui bien ancrés dans le paysage et ont eu le mérite de montrer que les projets en faveur des piétons, cyclistes ou de végétalisation obtenaient systématiquement un grand nombre de voix ;
- les référendums locaux qui ont été mis sous les projecteurs avec les initiatives récentes à Paris, et notamment la votation sur les rues jardins ayant obtenu 66% de votes favorables. Mais d’autres villes de plus petite taille ont organisé de tels exercices avec des résultats tout aussi favorables à la limitation de la place accordée à la voiture : sur la limitation à 30 km/h (La Courneuve à 69% en 2021, le Kremlin-Bicêtre à 66% en 2022), le durcissement de la politique de stationnement (La Courneuve encore en 2021, 66%), ou encore l’adoption d’un nouveau schéma de mobilité (Charleville-Mézières en 2021, à 56%) ;
- la mise en place d’un comité des usagers pour recueillir les avis des citoyens, utilisateurs des transports collectifs ou du vélo et bénéficier de leur expertise d’usage.
Les politiques de mobilité en général, et les mesures proposées dans cet article, nécessitent de faire des choix politiques, et des arbitrages sur la meilleure façon d’utiliser l’espace public qui est limité. Arbitrer, c’est bel et bien le rôle des élus. Mais l’implication citoyenne, y compris des publics généralement éloignés de ces processus de participation, doit avoir toute sa place pour aider à la prise des bonnes décisions et faciliter leur appropriation.
Conclusion / perspectives
Ces 10 idées peuvent permettre d’engager une dynamique positive de transformation de l’espace public, à l’échelle d’une grande ville comme de plus petites communes ou intercommunalités.
Pour s’assurer de leur bonne mise en œuvre, elles doivent s’inscrire dans une action publique plus globale, pour être en mesure d’améliorer réellement le cadre de vie et les mobilités. Deux grands principes doivent guider cette action :
- De la cohérence et un volontarisme politique : définir un ordre de priorité clair dans l’allocation des ressources (espace public, investissements) et l’assumer politiquement.
- Agir rapidement et dès la première année du mandat. Les problèmes à résoudre se posent aujourd’hui et le système à transformer amène certaines inerties dans la transition, ainsi il est important d’éviter le mythe du grand projet qui va tout résoudre.
Si bousculer la répartition actuelle de l’espace public amène certaines résistances, il est important de noter que ces politiques sont largement plébiscitées dans la population, d’autant plus une fois la transformation réalisée.
S’il n’y a généralement pas de retour en arrière souhaité, c’est surtout parce que ces transformations amènent des bénéfices importants, qui montrent tout leur intérêt une fois la période de transition passée.
Il en est ainsi pour l’amélioration de la qualité de vie, de la santé et de l’environnement : attractivité et dynamisme des centres-vill(ag)es, espaces apaisés et végétalisés, réduction du bruit et de la pollution, facilité à utiliser les mobilités actives bonnes pour la santé, atténuation et meilleure adaptation au changement climatique… de tels bénéfices méritent bien d’engager ces transformations et de faire preuve de courage politique face aux obstacles.
Pour terminer, on vous laisse avec quelques dessins qui donnent matière à réfléchir sur l’utilisation de notre espace public… et la meilleure allocation qu’on pourrait en faire !?



BONUS : c’était en France, il n’y a pas si longtemps…


