Certaines idées reçues sur le climat ont la peau dure et persistent dans l’opinion publique. Compte tenu de l’urgence climatique et en partenariat avec l’Institut National des Sciences de l’Univers, nous voulons démystifier ces idées reçues et rendre accessibles les connaissances scientifiques sur le climat au plus grand nombre.
Compte tenu de la désinformation sur les réactions des glaciers au changement climatique, nous souhaitions ne pas faire l’impasse sur ce sujet important.
Les glaciers sont des accumulations de glace continentale issue de la transformation de la neige et soumise à un écoulement lent. La Terre compte plus de 200 000 glaciers continentaux. Notre objectif est de répondre aux interrogations qui reviennent le plus souvent : comment mesure-t-on l’évolution des glaciers ? Comment connaît-on les fluctuations passées ? Ont-ils toujours été plus étendus qu’actuellement ? Et enfin, peut-on affirmer que l’Homme est responsable du recul présent des glaciers ?
Pour y répondre, nous avons eu la précieuse aide de cinq chercheurs qui ont réalisé une synthèse exclusive des travaux les plus à jour sur les glaciers :
- Vincent Jomelli, chercheur CNRS au Centre européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CEREGE)
- Melaine Le Roy, chercheur à l’Université de Genève, Institut des Sciences de l’Environnement (ISE, C-CIA) et Université de Savoie, Environnement Dynamique et Territoires de la Montagne (EDYTEM)
- Samuel Morin, chercheur Météo France au Centre national de recherches météorologiques (CNRM) et rédacteur pour le GIEC
- Antoine Rabatel, chercheur Université Grenoble Alpes à l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE)
- Pierre Valla, chercheur CNRS à l’Institut des sciences de la Terre (ISTERRE)
NB : vous pouvez lire nos deux premiers articles ici :
– Le consensus scientifique sur le réchauffement climatique est-il de 100% ?
– Le climat a-t-il vraiment toujours changé ?
Comment mesure-t-on l’évolution des glaciers ?
Le bilan de masse
Les glaciers sont constitués de glace qui s’écoule des parties hautes des montagnes vers les vallées. En fonction de leur géométrie (taille, pente, altitude, forme du bassin, etc.), la position du front se déplace avec un temps de réponse extrêmement variable (de quelques années à plus de 1000 ans) vis-à-vis des fluctuations et changements de long terme du climat. Ainsi, pour bien comprendre les liens entre climat et glaciers, il est nécessaire de mesurer et d’analyser, au-delà de la position du front glaciaire, le bilan de masse de surface de l’ensemble du glacier à des échelles décennales pour détecter une tendance. Le bilan de masse de surface correspond au gain ou à la perte de neige/glace, exprimés sous forme d’une lame d’eau gagnée ou perdue annuellement par le glacier.
Avancée et recul des glaciers
Les variations de masse totale du glacier résultent des processus de surface (accumulation et ablation) et de la réponse dynamique du glacier. Quand l’accumulation domine durablement l’ablation (bilan de masse positif), on parle d’avancée glaciaire car la position du front du glacier s’étend vers la vallée. À l’inverse, quand l’ablation domine, on parle de recul car la position du front du glacier remonte en altitude. Les études faites notamment dans les Alpes montrent que, si elle a une forte variabilité interannuelle, l’accumulation, sous forme de chutes de neige à haute altitude, ne présente pas de tendance à l’échelle multi-décennale. En revanche, l’ablation, qui se produit sous forme de fonte de neige ou de glace principalement, est en augmentation au cours des dernières décennies.
C’est l’allongement de la saison de fonte et l’intensification de la fonte au cœur de l’été qui sont responsables de cette tendance. Par ailleurs, avec l’augmentation de la température, les précipitations se produisent sous forme de pluie plutôt que de neige, entraînant une diminution de la capacité de la surface du glacier à réfléchir le rayonnement solaire (albédo).
Comment connaît-on les fluctuations passées des glaciers ?
On peut dater certaines extensions
Concernant les fluctuations passées, pour les périodes antérieures aux différents types d’archives historiques (photographies aériennes depuis le milieu du 20ème siècle, cartes d’état-major au 19ème siècle …), il est possible de cartographier et de dater certaines extensions glaciaires à partir de dépôts rocheux mis en place par les glaciers appelés moraines.
Il est difficile d’établir une chronologie continue fiable
En revanche, l’amplitude des fluctuations intermédiaires entre deux stades morainiques est difficile à reconstituer. En effet, les traces sont effacées par les avancées les plus récentes quand celles-ci dépassent les précédentes. Le petit âge glaciaire (du 14ème au 19ème siècle environ) a été, en de nombreux endroits de l’hémisphère Nord, l’avancée glaciaire la plus importante depuis la seconde moitié de l’Holocène (l’époque géologique qui a débuté il y a environ 12 000 ans). Cela rend difficile la mise en évidence des fluctuations antérieures. Si nous connaissons bien surtout les avancées des glaciers, il reste difficile, dans la plupart des cas, d’établir une chronologie continue, fiable et précise de l’ampleur du recul des glaciers au cours des derniers millénaires.
Mais nos connaissances progressent
En certains endroits, cependant, des informations existent (bois fossiles in situ, sédiments lacustres…) qui permettent de documenter l’amplitude des variations glaciaires au cours des derniers millénaires et de contraindre les positions atteintes lors des reculs passés. En outre, les méthodes de datation par isotopes cosmogéniques* in situ commencent à apporter des informations intéressantes sur ces fluctuations des glaciers. Elles nécessitent des prélèvements de roche sur des zones qui sont aujourd’hui déglacées. Ainsi, au fur et à mesure que les glaciers reculent, on est en mesure de dire si ces zones ont déjà connu des épisodes de retrait par le passé. Cependant, si on peut mesurer combien de temps la roche a déjà été exposée à l’air libre, on ne sait pas encore dire précisément combien de fois elle l’a été.
Les glaciers ont-ils toujours été plus étendus qu’actuellement ?
En comparaison à leur extension actuelle, la superficie occupée par les glaciers durant l’Holocène a sensiblement évolué, mais cette évolution est fortement contrastée régionalement à l’échelle du globe. Ainsi, dans certaines régions (majoritairement de l’hémisphère Sud), il existe peu de preuves que les glaciers aient été plus réduits qu’aujourd’hui. En revanche, dans d’autres régions (majoritairement de l’hémisphère Nord), l’optimum climatique de l’Holocène (entre 10 000 et 5 000 ans avant aujourd’hui) a connu des glaciers par endroits plus petits.
Dans les Alpes, lors de la dernière glaciation, qui a culminé il y a environ 20 000 ans et s’est achevée il y a environ 12 000 ans,
- Ils occupaient toutes les grandes vallées et avançaient jusque dans les plaines lyonnaises.
- Après le maximum de cette glaciation, les glaciers ont subi un très fort recul jusqu’à l’optimum climatique de l’Holocène. Ils étaient alors plus réduits qu’aujourd’hui.
- A l’époque romaine, il semblerait que les glaciers recouvraient également des étendues relativement limitées, probablement proches de leurs extensions actuelles, voire plus réduites. Cependant, des carottages glaciaires réalisés à très haute altitude (> 3500 m) dans le massif du Mont-Blanc montrent que le massif n’a probablement pas été totalement déglacé au cours de l’Holocène.
- La seconde moitié de l’Holocène (période que l’on nomme Néoglaciaire) comprend plusieurs épisodes froids accompagnés d’avancées glaciaires dont le « petit âge glaciaire ». Cette période qu’on situe entre le 14ème siècle et le milieu du 19ème siècle, est pour la plupart des glaciers alpins l’avancée la plus importante du Néoglaciaire. Là où d’autres avancées du Néoglaciaire peuvent être retrouvées, elles sont communément datées de la période s’étendant entre 2500 et 4000 ans avant nos jours.
Depuis la fin du 19ème siècle, dans le monde entier, les glaciers ont perdu de leur masse et reculé. De nombreuses études scientifiques analysées par le GIEC permettent de considérer, avec un degré de confiance élevé, qu’au cours des deux dernières décennies, les glaciers de presque toutes les régions du globe ont continué à se réduire.
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Peut-on affirmer que les activités anthropiques sont responsables du recul présent des glaciers ?
Les glaciers ont varié de tout temps de manière naturelle au cours des derniers siècles et millénaires et il est probable que des taux de perte de volume aient, par le passé, été du même ordre. Mais les échelles de temps et l’amplitude des fluctuations observées actuellement n’ont rien à voir avec le reste de l’Holocène.
- Les pertes de glace les plus fortes sont enregistrées aux moyennes latitudes et en zone subpolaire. Depuis deux décennies, les glaciers alpins, ceux de Patagonie ou, en allant vers les pôles, ceux des îles Kerguelen, d’Alaska et d’Islande perdent en moyenne environ 1 m/an d’équivalent en eau, parfois davantage.
- Près des pôles, au Svalbard et dans l’Arctique russe et canadien, les pertes sont certes moins fortes (perte de masse de 0,1 à 0,4 m/an d’équivalent en eau) mais elles s’accentuent depuis quelques années.
Bien que largement médiatisées, les pertes des glaciers de l’Himalaya sont plutôt inférieures à la moyenne des autres régions du globe. Les observations in situ et par satellite indiquent que quelques glaciers en Himalaya (Karakoram, Kunlun) ont un bilan de masse stable voire en hausse modérée, ce qui a été attribué à des configurations météorologiques et géomorphologiques particulières.
Quelles sont les projections d’évolution futures des glaciers ?
Quel que soit le scénario climatique considéré, l’évolution des glaciers dans les prochaines décennies est en partie déjà actée du fait de l’inertie du système climatique et du temps de réponse très lent des glaciers aux changements climatiques. Leur diminution va donc se poursuivre de façon irréversible d’ici la moitié du 21ème siècle.
Pour la seconde moitié du siècle, l’évolution climatique dépendra de la trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre qui sera suivie dès à présent :
- Le déclin des glaciers se poursuivra de façon accélérée après la moitié du siècle si les émissions restent au niveau actuel.
- En revanche, une forte réduction des émissions de gaz à effet de serre et la neutralité carbone planétaire d’ici environ 2050 permettraient de limiter l’ampleur du réchauffement pour la seconde moitié du siècle. Dans ce cas, cependant, le recul glaciaire se poursuivra tout de même, mais à un rythme moins fort. Dans les Alpes européennes, la réduction des masses glaciaires d’ici la fin du 21ème siècle pourrait être de l’ordre de 80 à 90% dans le premier scénario ou de 70% dans le second.
- Dans tous les cas, les projections indiquent la disparition des glaciers les plus petits et à plus basse altitude dans le courant des prochaines années ou décennies, et dans les meilleurs cas, le maintien des glaciers les plus hauts d’ici la fin du siècle, notamment dans les Alpes du Nord.
Points clés à retenir :
- Pour bien comprendre les liens entre climat et glaciers, il est nécessaire de mesurer et d’analyser le bilan de masse de surface de l’ensemble du glacier à des échelles décennales pour analyser des tendances robustes.
- Si nous connaissons bien surtout les avancées des glaciers, il reste difficile, dans la plupart des cas, d’établir une chronologie continue, fiable et précise de l’ampleur du recul des glaciers au cours des derniers millénaires.
- Depuis la fin du 19ème siècle, dans le monde entier, les glaciers ont perdu de leur masse et reculé. De nombreuses études scientifiques analysées par le GIEC permettent de considérer, avec un degré de confiance élevé, qu’au cours des deux dernières décennies, les glaciers de presque toutes les régions du globe ont continué à se réduire.
- Les glaciers ont varié de tout temps de manière naturelle au cours des derniers siècles et millénaires et il est probable que des taux de perte de volume aient, par le passé, été du même ordre. Mais les échelles de temps et l’amplitude des fluctuations observées actuellement n’ont rien à voir avec le reste de l’Holocène. Le recul observé des glaciers depuis plusieurs décennies est imputable, avec un très haut niveau de confiance, au réchauffement climatique.
- Quel que soit le scénario climatique considéré, l’évolution des glaciers dans les prochaines décennies est en partie déjà actée du fait de l’inertie du système climatique et du temps de réponse très lent des glaciers aux changements climatiques. Leur diminution va donc se poursuivre de façon irréversible d’ici la moitié du 21ème siècle. Pour la seconde moitié du siècle, l’évolution climatique dépendra de la trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre qui sera suivie dès à présent.
Bonus : une superbe infographie sur le site du CNRS !
Sources :
– résumé pour décideurs du rapport GIEC SROCC
– Chapitre Haute Montagne du rapport SROCC)
– Déclin des deux plus grands glaciers des Alpes françaises au cours du XXIe siècle : Argentière et Mer de Glace, La Météorologie, Série 8, 106, 49-58, 2019
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