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Football, féminisme et écologie : Delphine Benoit-Mayoux

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Delphine Benoit- Mayou
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Panem et circenses. Vouloir remettre en question l’état actuel du sport de haut niveau est un exercice périlleux. La société du divertissement joue avec les limites physiques de notre planète, et il est urgent de s’en préoccuper. Des personnes le savent et sont sur le terrain depuis des années pour le faire entendre. Delphine Benoit-Mayoux fut coordinatrice Impact & Héritage de la Coupe du Monde Féminine de football 2019 en France, évènement qui fut à la fois un succès sportif et médiatique. Delphine est une femme d’action, qui essaye chaque jour de rendre le football un peu plus écologique.

Bonjour Delphine ! Merci d’avoir accepté l’interview. Pourrais-tu avant toute chose nous expliquer ce que représente le football pour toi, et nous décrire ton parcours jusqu’à la Coupe du Monde de football en 2019 ?

Je suis passionnée de football depuis toute petite. Je fais partie de la génération des jeunes filles qui n’avaient pas le droit de jouer au foot car c’était un sport de garçons mais avec deux grands frères et un père qui suivaient les matchs à la télévision, c’était compliqué pour moi de ne pas m’y intéresser. Il n’y avait pas non plus de clubs qui acceptaient les filles près de chez moi, j’ai donc pratiqué ma passion avec mes copains dans les cours d’école … cela a sûrement nourri une certaine frustration chez moi. Mais, ce qui me plaisait le plus, c’était l’ambiance stade que j’avais pu découvrir au Stade Mayol à Toulon après des années de négociations avec mes parents, car là aussi ce n’était pas un lieu pour une petite fille. Ne pouvant pas faire mes preuves sur le terrain, je me suis très vite intéressée aux à-côtés du football, de son histoire et de sa culture. Je n’ai aussi jamais quitté les tribunes des stades de football que ce soit à Bordeaux ou à travers toute l’Europe.

Après une école de communication, j’ai fait mes classes au sein du service compétitions de la Fédération Française de Hockey. Expérience au cours de laquelle, j’ai eu l’opportunité d’être manager de l’équipe de France Féminine et ainsi plonger dans l’univers des grands événements sportifs côté équipes participantes. J’ai ensuite déménagé à Bordeaux et travaillé pendant 10 ans au sein de la Ligue d’Aquitaine de Football. J’étais au contact des clubs amateurs, de leur réalité et j’ai pu observer l’impact que ces clubs ont auprès de leur écosystème.

Grâce à la FFF, j’ai pu continuer à me former et ai été retenue pour une formation UEFA qui m’a ensuite ouvert les portes de l’Euro 2016. J’ai ainsi plongé dans l’univers des grands événements sportifs internationaux. Cette expérience a été extraordinaire tant professionnellement que personnellement. J’ai eu la chance d’y faire la rencontre d’un manager qui m’a beaucoup apporté, Michel Poussau. Nous avons été un vrai duo à la direction du site de Bordeaux et il m’a confortée dans la prise en compte de l’humain dans le management d‘une équipe afin que tous et toutes nous puissions donner notre maximum. C’est aussi à l’occasion de cet événement que mon intérêt pour l’impact environnemental d’un événement s’est renforcé et que j’ai été confrontée pour la première fois aux exigences de la norme ISO 20121.

Enfin à l’issue de cette expérience, j’ai pu intégrer le Comité d’Organisation des Coupes du Monde Féminines de la FIFA, France 2018 et 2019 en tant que coordinatrice Impact & Héritage et responsable RSE. Pour moi, ce poste était le poste rêvé car il permettait à la petite fille que j’étais d’œuvrer concrètement au changement de regard sur le football pratiqué par les femmes pour que la pratique de ce sport ne soit plus une question de genre. Pour la première fois, un comité d’organisation créait aussi un département qui avait la responsabilité des enjeux sociaux et environnementaux de son événement, le challenge était très motivant. Voilà comment je suis arrivée au sein des équipes du Comité d’Organisation au début de l’année 2017.

Tu disais avoir eu besoin de digérer le mondial 2019. Pourquoi ?

Oui, je pense avoir eu un vrai besoin de digérer cette expérience. J’ai mis beaucoup de moi au cours de ces 31 mois au sein du Comité d’Organisation. Cette expérience dépassait largement les frontières du professionnel, et était intiment liée à mon histoire personnelle. Il y a eu de nombreux combats à mener que ce soit en interne ou en externe pour la prise en compte de nos enjeux sociaux et environnementaux. La Responsabilité Sociétale d’une Organisation est un vaste sujet, il y a des choix à faire, il faut savoir s’adapter à l’évolution des projets, des attentes et les parties prenantes sont nombreuses. Il faut aussi savoir convaincre ceux et celles qui ne le sont pas encore ou qui ont du mal à faire évoluer leurs habitudes.

J’ai eu la chance de pouvoir compter sur une équipe Impact & Héritage motivée, convaincue et de qualité pour accompagner ce projet. Nous avons reçu le soutien de nombreux collègues tout au long de ces trois ans de préparation. Les villes hôtes se sont aussi pleinement investies dans le projet. Dans le feu de l’action, il a été difficile pour moi de prendre de la hauteur et de pouvoir évaluer objectivement le travail que nous étions en train de réaliser. Je voyais le petit truc qui n’avait pas fonctionné alors que nous avions déjà réussi à faire évoluer beaucoup de sujets. C’est pourquoi, les quelques mois qui ont suivi la fin de cette aventure ont été importants pour prendre du recul et savourer cette incroyable expérience. Un an après je peux dire que je suis très fière de tout ce que nous avons réalisé ensemble.

Peux-tu nous expliquer ce qu’il y a de différent entre organiser un évènement comme l’Euro 2016, et la Coupe du Monde Féminine 2019 ?

Si à posteriori, le succès rencontré par l’événement peut paraître évident, il faut quand même se rappeler d’où nous sommes partis. En 2015, quand la FFF se positionne pour être candidate à la réception de cette compétition, c’est un pari qui est fait. Elle ambitionne de s’appuyer sur cet événement pour faire passer une nouvelle étape à son plan de féminisation que ce soit dans la notoriété de la discipline et dans sa structuration. A l’époque, les stades de D1 féminine sont loin d’être pleins et la moyenne d’affluence pour l’équipe de France Féminine tourne autour de 20 000 personnes. Les partenaires sont ceux de l’équipe de France Masculine, il n’y a pas de droits TV reversés aux clubs …

Une Coupe du Monde quel que soit le sport est l’événement qui exige le plus haut niveau d’exigence dans tous les domaines que ce soit sur le plan sportif, organisationnel, émotionnel. C’est une expérience unique. Nous voulions livrer bien plus qu’un événement sportif et laisser une empreinte durable de notre événement. La FFF et la FIFA voulaient en faire un événement populaire et une vraie vitrine de promotion du football pratiqué par les femmes ainsi que du sport féminin dans son ensemble. Les attentes étaient importantes.

Tous les collaborateurs du Comité d’Organisation étaient conscients de cette mission supplémentaire. Nous avons tous donné un peu plus que d’habitude dans notre domaine. Le budget alloué pour la compétition (65 M€) était bien inférieur à celui dont nous avions pu bénéficier lors de l’Euro 2016. Nous avions également deux Coupes du Monde à organiser en 10 mois. Comme tout événement FIFA majeur, il y a un an avant un événement test. Cependant, il nous a paru plus opportun de ne pas organiser la Coupe du Monde U20 dans les mêmes stades. Cela n’avait aucun sens et cela aurait pu être désastreux en termes d’image pour la Coupe du Monde 2019. Nous avons donc décidé de tester notre organisation sous un autre format en organisant une compétition U20 en Bretagne avec deux pôles de compétition (1 au Nord et 1 au Sud). Ce qui nous a permis de tester et d’initier de nombreuses actions notamment sociales et environnementales qui ont été reprises sur l’édition 2019.

Si je dois donner un exemple de différence entre l’Euro 2016 et la Coupe du Monde 2019 ce serait la réussite de notre politique de billetterie. Les équipes de Marine Cayzac ont dû être innovantes pour faire connaître notre événement et donner envie au public de le vivre pleinement à l’intérieur des stades. Pour un Euro masculin, il n’y a pas ces incertitudes. On est même obligé de s’inscrire à un tirage au sort pour obtenir des billets. De notre côté, nous voulions des stades pleins avec une vraie ambiance pour montrer que le sport féminin intéresse et mobilise. Alors que les matchs de D1 comptent une centaine de spectateurs, les matchs de l’équipe de France 20 000, il fallait trouver des solutions pour remplir nos stades de 25 000 places minimum et sans l’équipe de France en affiche. La stratégie billetterie s’est voulue accessible notamment aux familles et a su bousculer les codes habituels. Une campagne de promotion et d’animations a été travaillée pour accompagner cette stratégie. Les programmes sociaux et environnementaux travaillés avec les villes ont aussi participé à inclure la population dans notre événement et a lui donné envie d’y prendre part.

Il a fallu vendre notre événement. Nous avons également été surpris de l’engouement du public international pour notre événement. Une fois le tirage au sort passé, il a même fallu accentuer nos messages vis-à-vis du public français (qui a l’habitude pour les compétitions féminines de prendre ses billets tardivement) – pour qu’il ne se retrouve pas en marge de l’événement, ça aurait été le comble. Avec plus d’1 210 000 billets vendus je pense que le pari a été réussi.

J’ai trouvé très intéressante ta comparaison sur la place du sport dans la société américaine et française. Peux-tu nous en dire plus ?

J’ai eu la chance de faire ma deuxième année d’étude à New-York (2001/2002) et d’y effectuer un stage au service Marketing et relations clubs au sein de l’équipe professionnelle des New-York Power, club où de nombreuses joueuses internationales américaines jouaient à l’époque. Et j’ai découvert un autre monde. Tout d’abord en ce qui concerne perception de la sportive au sein de la société. Si en France depuis ma tendre enfance, j’étais traitée de garçon manqué, aux Etats-Unis, je découvrais qu’une femme pouvait faire du sport sans pour autant perdre sa féminité aux yeux de ses concitoyens.

A New-York, je me sentais à ma place en tant que jeune fille sportive qui aimait le football. Je pouvais m’intégrer facilement à des parties de foot dans Central Park sans que l’on me regarde bizarrement, que l’on hésite à me faire une passe parce que j’étais une fille ou encore que l’on me fasse quelques remarques homophobes. Je n’avais jamais connu ça avant. J’étais prise au sérieux. C’est vrai que cette expérience m’a marquée et m’a interpellée sur cette vision que nous avons en France des sportives de haut niveau. C’est pour ça qu’à mon niveau j’essaie de lutter contre ces préjugés et stéréotypes qui encadrent encore trop souvent la pratique sportive féminine.

As-tu le sentiment d’avoir dû prouver deux fois plus qu’un homme tes compétences pour avoir les responsabilités que tu as eues ?

Je pense que j’ai dû gagner ma place effectivement et que pour obtenir certains postes il a fallu prouver un peu plus que certains autres candidats. A mon arrivée à la Ligue de Football d’Aquitaine, j’ai dû prouver que je m’y connaissais en foot et j’ai dû faire face à quelques bénévoles un peu old school. Je m’amusais lors des réunions ou discussions à placer quelques références historiques. Je parlais des matchs et des joueurs des années 70, 80 et 90 pour leur montrer que mes connaissances et mon amour du football n’étaient pas nés avec la Coupe du Monde 1998. En général, ça faisait mouche et cela ne devenait plus un sujet.

Dans le milieu de l’événementiel sportif, j’ai dû convaincre que le fait d’être maman ne m’empêchait pas de mener à bien mes missions et d’être impliquée à 100% dans mon travail. Lors de mon expérience au sein du Comité d’organisation, je travaillais la semaine à Paris et rentrais le week-end à Bordeaux où mon mari et mes enfants vivent. Le choix que nous avons fait en famille m’a valu de nombreuses remarques plus ou moins sympathiques et très déplacées pour certaines. Que l’on soit un homme ou une femme, je pense que lorsqu’un projet nous plaît, nous trouvons les solutions d’organisation nécessaires pour le réaliser et gérer plusieurs fronts à la fois. Je crois que ces critiques m’ont donné encore plus de force pour réaliser mes missions et prouver que l’on peut être une femme, mère et être compétente dans ce que l’on fait sans pour autant faire exploser toute la cellule familiale. Je suis fière aussi des valeurs et messages que cette expérience m’a permis de transmettre à mes enfants.

Comment pourrait-on améliorer cette situation ? Avec le temps ? Des quotas, tendre vers la parité ?

Il y a déjà beaucoup de textes réglementaires qui existent et qui poussent à plus de mixité au sein des entreprises. Il faudrait déjà faire respecter ceux-là avant de vouloir en créer d’autres. Les choses évoluent peut-être trop lentement pour certains et certaines mais franchement cela n’a plus rien à voir avec ce que j’ai connu au début de ma carrière en 2003. Au sein du comité d’organisation, nous avons réussi à atteindre la mixité au sein des salariés avec plusieurs femmes à des postes à responsabilités. Je trouve que l’équilibre a permis une vraie cohésion d’équipe et que tout le monde se sente bien.

Il y a encore des efforts à faire sur l’accès aux responsabilités des femmes notamment dans les instances dirigeantes.  Dans le monde associatif et fédéral, les femmes ont pendant longtemps étaient présentes uniquement en tant que représentantes de la pratique féminine de leur discipline comme si nous n’avions pas d’autres compétences à apporter au fonctionnement de l’association. Pourtant, les études montrent clairement que les instances dirigées par des comités de direction ou équipe dirigeante mixte sont bien souvent mieux gérées. Les pouvoirs publics étant de plus en plus stricts sur ces critères, j’espère que cela va évoluer dans le bon sens. En tout cas, je ne supporte pas le fait que l’on oppose les femmes et les hommes, c’est ensemble que nous ferons avancer la société. Impliquer les hommes dans ce combat de plus de mixité dans notre société est aussi un grand défi. Enfin, être féministe n’est pas un gros mot que ce soit pour un homme ou une femme.

Le football français est en pleine crise financière à cause du Covid-19, avec plusieurs clubs au bord de la faillite. J’ai été très attentif aux annonces ces derniers mois, je n’entendais quasiment exclusivement que parler de football masculin. Comme si, lorsque tout allait bien, on donnait de la place aux femmes, et au moindre rhume, on oublie le football féminin..

La situation est effectivement inquiétante avec l’annonce récente de certains clubs d’arrêter les investissements en faveur de leur section féminine. Ce qui prouve que pour certains l’engagement n’était pas aussi profond et durable que ce qu’ils voulaient bien dire. La pandémie va faire tomber certains masques. La section féminine reste encore trop souvent une variable d’ajustement et est vue comme un centre de coût au lieu d’un investissement pour le futur du club.

Heureusement, pour le moment cela reste une minorité de clubs, mais il va être intéressant de suivre l’évolution de la situation dans les prochains mois. Ce qui est rassurant c’est l’engagement des instances pour soutenir la pratique et l’engouement en termes de nouvelles licenciées qui se poursuit. La FFF a récemment annoncé un nouveau plan de soutien de plus de 8 millions d’euros. J’espère que les clubs en feront bon usage pour poursuivre leur structuration afin d’offrir les meilleures conditions de pratique aux féminines.

Parlons maintenant d’écologie. Sais-tu pourquoi il y a un si grand tabou autour du sport ? Est-ce politique ? Social ?

Je pense que le sport est vu comme quelque chose de secondaire en France et n’est pas pris très au sérieux dans la société. Il n’y a qu’à voir le nombre d’heures consacrées au sport à l’école, l’influence du sport entreprise et l’image dont la grande majorité des Français a de nos sportifs de haut niveau, des entraîneurs de clubs ou des professeurs d’EPS. C’est un sujet plus culturel, je pense. Pourtant le sport est un outil extraordinaire pour aborder de nombreux sujets de société tels que le sport-santé, la cohésion sociale et l’éducation. Il mériterait d’être plus considéré et d’occuper une place plus importante.

En lisant un de tes textes sur Linkedin, j’ai cru comprendre que tu étais fatiguée des préjugés sur les supporters. Sais-tu pourquoi le supporter de foot bénéficie d’une moins bonne image que le supporter de rugby, ou de tennis par exemple ?

Tu as bien compris ce que je peux ressentir. Le supporter de football est une cible facile pour les commentateurs de l’actualité sportive ou de la société que nous pouvons tous être. Il ne faut pas négliger qu’il y a parfois certaines dérives mais le supporter de football ne peut pas être la raison de tous les maux. Comme sport n°1, le football attise des convoitises et des jalousies. Il rassemble tellement de monde et suscite tellement d’émotions qu’il est facile de ne se focaliser que sur les choses qui ne vont pas, et de ne pas regarder plus en profondeur et notamment le rôle de lien social et éducatif que peuvent jouer les clubs au quotidien, notamment les clubs amateurs. Il est difficile de se défaire d’une certaine image en raison du poids de l’histoire, mais les clichés ne sont jamais bons et empêchent d’affronter et de prendre en compte certains sujets.

Je ne me reconnais pas du tout dans les représentations que l’on peut faire des supporters. Grâce au foot, j’ai notamment appris la géographie française, européenne et mondiale, j’ai voyagé, j’ai côtoyé des personnes que je n’aurais jamais croisées ailleurs que dans un stade ou sur un terrain de football, j’ai appris de nombreuses valeurs. Je pense que le football peut être un super outil éducatif et qu’il n’y a pas de honte à être supporter de football.

Tu milites pour une responsabilité écologique des supporters. Peux-tu nous dire quelles sont les clefs pour rendre le supporter plus éco-responsable ?

Les supporters de football évoluent au même rythme que la société. Les enjeux environnementaux progressent et nous sommes tous et toutes confrontés à des choix dans notre vie de tous les jours. Consommer devient de plus en plus un acte citoyen et engagé. Les supporters sont des consommateurs très importants du secteur sportif et que ce soit consciemment ou inconsciemment notre façon de consommer le football évolue. Ils peuvent donc agir à de nombreux niveaux que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur du stade. Pour que cela soit efficace, il faut que tous les acteurs agissent à leur niveau : les supporters, les pouvoirs publics, les clubs professionnels et les gestionnaires de stade.

Des normes telles que la norme ISO 20121 et des chartes comme celle du Ministère des Sports poussent les acteurs du secteur à s’engager dans une transition de la gestion de notre activité. Il faut désormais y associer et y intégrer les supporters. Un exemple très simple qui m’a marquée lorsque nous préparions la Coupe du Monde de Football Féminine, c’est que le tri sélectif n’était pas proposé dans la grande majorité des stades surtout dans les espaces grand public et après on dit que les supporters de football sont sales et irrespectueux. Il est possible de trier à la maison, au bureau, dans la rue, dans les lieux publics mais pas au stade. Nous avons donc travaillé avec les villes hôtes pour intégrer les stades dans leurs programmes de gestion des déchets et proposer le tri au grand public dans tous les stades de la compétition. Nous avons accompagné cet investissement des municipalités par un grand programme de sensibilisation des spectateurs lors de la compétition pour impulser de nouvelles habitudes. Les résultats ont été plus qu’intéressants et encourageants.

C’est pourquoi je pense qu’il est important de donner le choix aux supporters que ce soit de trier, d’acheter des produits dérivés mieux conçus et de consommer des produits plus locaux ou végétariens dans les stades. Il y a une vraie réflexion à avoir sur l’offre des produits que l’on y trouve. Je pense qu’il faut innover et ne pas hésiter à tester de nouvelles choses, mais surtout il faut expliquer les choses et les démarches que l’on engage pour pouvoir engager tout son écosystème, supporters compris. Donnons le choix et arrêtons de partir du principe que ça ne sert à rien ! Les supporters sont souvent les derniers dans la prise en compte des décisions des clubs ou organisateurs et c’est bien dommage.

Les Ultras ont-ils une carte à jouer dans ce changement écologique ?

Bien évidemment que les Ultras ont leur carte à jouer dans cette prise de conscience et ce changement écologique. Ils sont l’âme de nos stades, la mémoire de leur club et les forces vives de notre sport. Il est essentiel de les intégrer dans cette réflexion. Par nature, le mouvement est plus engagé socialement mais il peut tout à fait prendre position sur les sujets environnementaux également. Ce sont les premiers à avoir développé le co-voiturage pour suivre leur équipe à travers le pays ou l’Europe. Les supporters bordelais ont traversé en bus puis ferry la France et l’Angleterre pour rejoindre Bordeaux et Liverpool, alors que les joueurs et les partenaires ont fait le déplacement en avion. Il y a plein de sujets à creuser avec eux et de solutions à trouver pour rendre leur activité essentielle en termes d’ambiance plus responsable. Ce sont des acteurs engagés et il n’y a pas de raison que l’environnement ne leur parle pas. Posons-leur la question.

Lors de l’organisation du Mondial 2019, l’écologie était-elle un vrai sujet ? Les organisateurs ont-ils pris en compte par exemple les milliers de supporters qui allaient prendre l’avion pour se rendre à un tel événement ?

Les enjeux environnementaux tout comme sociaux étaient au cœur du dossier de candidature français. C’est pourquoi le comité d’organisation avait créé un département dédié à la gestion de ces enjeux et était signataire de la charte des 15 engagements éco-responsables du Ministère. Nous avons essayé d’impulser de nouvelles habitudes dans l’organisation de notre événement afin d’en diminuer l’impact environnemental. L’accueil de ce type de grands événements nécessite toujours d’adapter les stades dans lesquels ils ont lieu par rapport à leur utilisation traditionnelle. Sur tous les aménagements réalisés nous avons essayé de les penser avec les gestionnaires, clubs ou mairies concernés afin que ces derniers soient utiles après l’événement.

Nous avons aussi recherché des lieux existants pour accueillir nos centres des volontaires, nos bureaux d’organisation, nos centres d’accréditations ou des médias pour éviter au maximum l’utilisation de structures temporaires. Et quand cela n’était pas possible, nous anticipions un programme de réparation des pelouses qui avaient pu être impactées.   Un partenariat a aussi été signé avec la SNCF pour favoriser l’utilisation du train par les collaborateurs du comité d’organisation et de la FIFA lors des visites de sites préparatoires et pendant l’événement. Certaines équipes ont aussi joué le jeu et se sont déplacées en train d’une ville à l’autre. Il est très facile de faire les trajets Paris-Rennes, Paris-Lyon, Paris-Reims, Paris-Valenciennes en train plutôt qu’en avion. Des groupes de travail locaux ont été organisés sur la gestion de ces impacts et on a essayé de pousser au maximum les initiatives sur le sujet à tous les niveaux.

Le caractère mondial de l’événement engendre bien évidemment des déplacements à travers le monde et l’avion est le moyen de transport le plus utilisé. Nous en sommes bien conscients. Le mélange des cultures est aussi un aspect important de ces événements et donc l’accueil des supporters étrangers est une composante essentielle. Nous avons peu de prise sur ce qui peut se passer en dehors du territoire mais nous pouvons tout faire pour favoriser un déplacement moins impactant une fois les supporters présents sur le territoire en choisissant des villes facilement accessibles notamment par le train avec des temps de trajets limités.

Nous avions également peu d’éléments comparatifs avec les éditions précédentes et il est important de pouvoir mesurer son impact. Nous avons donc réalisé une étude d’impact économique, social et environnemental avec la collaboration du Cabinet Utopies, expert en la matière, et du laboratoire universitaire lyonnais L-Vis. Ces données vont pouvoir nourrir les données du Ministère des Sports et de la FIFA pour contribuer à une prise en compte de ces sujets et aider au développement de solutions en vue des prochains grands événements.

Sur un évènement comme celui-ci, sait-on quelle activité émet le plus de CO2 ? Quels sont les axes à travailler en priorité pour les années à venir ?

Pour nous, les déplacements internationaux générés par l’événement ont été le secteur le plus impactant en termes de CO2. Sur l’impact environnemental national, 95% de notre impact était lié aux spectateurs dont 75% porté par le transport aérien mondial, le reste concernant l’hébergement et la restauration. Ce qui est énorme et représente un gros défi pour les événements de cette ampleur.

La construction d’infrastructures peut aussi peser dans le bilan carbone d’un événement car c’est un secteur très consommateur d’énergie et de matières premières. Les axes à travailler sont donc nombreux et vastes. Ils concernent une grande variété de secteurs d’activités. Il est important de trouver des matières plus éco-responsables et d’innover en termes d’énergie. Ce qui sera déterminant c’est de les rendre accessibles d’un point de vue financier afin de les généraliser et de rassurer leurs utilisateurs sur la performance technique de ces nouveaux produits.

Tu crois qu’un jour, on pourra dire d’une Coupe du Monde qu’elle sera ‘neutre en carbone’ ?

Pour y arriver, il ne faut plus organiser de Coupe du Monde et je n’y suis pas favorable bien évidemment. Je pense qu’il y a beaucoup de choses à revoir dans notre façon d’organiser une compétition pour en limiter les impacts environnementaux que ce soit dans sa conception ou dans sa livraison. Paris 2024 essaie de faire avancer les choses sur ce sujet et s’est fixé des objectifs ambitieux pour engager un réel changement. C’est une occasion unique en France de bouleverser le monde de l’événementiel sportif et bien au-delà. Cela va être intéressant de suivre ce sujet. Mais seule, la France ne pourra pas y arriver, il faut que les fédérations internationales s’engagent réellement sur ces thématiques et accompagnent le mouvement initié par l’ONU avec son programme Sport for Climate Action.

Il ne suffit plus de planter des arbres pour s’acheter une bonne conscience, il faut agir en amont et prendre des positions fortes, travailler avec les parties prenantes pour limiter l’impact de ces activités et seulement réfléchir à la fin du processus à comment compenser ce qui n’aura pas pu être évité. Cette démarche s’engage à moyen et long terme, il faut se projeter, avoir une vision et sortir de notre recherche à tout prix du résultat immédiat. Pour la Coupe du Monde 2019, si nous avions voulu compenser la globalité de notre impact, nous aurions dû prévoir une enveloppe entre 5 et 10% de notre budget, ce qui en l’état reste très compliqué.

J’ai une question plus économique : sachant que ce sont les droits TV et sponsors qui financent le sport de haut niveau, comment va-t-on pouvoir concilier ces intérêts économiques et écologiques ? Faire un choix écologique veut généralement dire moins de profit…

Pas forcément. Je pense qu’il faut réfléchir en investissement et non en dépense. Il faut effectivement investir dans la recherche pour trouver des générateurs permettant de fournir l’énergie nécessaire aux productions TV de ces événements et spectacles. Ces nouveaux générateurs doivent nous permettent de sortir des générateurs traditionnels et consommateurs de pétrole. On doit investir dans les énergies renouvelables sur ces thématiques.

On doit également revoir nos exigences en termes de rendu télévisuel. On veut toujours plus et du coup on pousse à la consommation de produits phytosanitaires pour les pelouses et à la surconsommation sur beaucoup d’autres secteurs. Est-ce que si la pelouse était un peu moins verte, cela nous empêcherait de profiter du spectacle offert par les joueurs et joueuses ? Je ne suis pas sûre. 

Concernant les sponsors, les choses évoluent lentement mais elles évoluent. Les spectateurs sont de plus en plus regardant sur les sponsors d’un événement et sur les produits qu’ils réalisent pour promouvoir l’événement. Lors de la préparation de l’événement, nous avons pu suivre cette évolution de l’intérêt porté par nos sponsors à nos sujets sociétaux. Nous avons eu l’opportunité de leur présenter notre vision des choses et de les questionner sur leurs propres engagements. Nous avons notamment collaboré avec Panini pour la création d’un kit pédagogique que nous avons utilisé lors de nos actions de sensibilisation dans les territoires hôtes et sur les FIFA Fan Expérience. Cette collaboration était une première. Les prises de contact ont eu lieu, les premières réflexions communes aussi, je suis sûre que les sponsors ne vont plus pouvoir rester au niveau des paroles mais vont devoir entrer dans l’action et montrer leur engagement réel. La décision de la ville de Paris et du COJO de ne pas retenir TOTAL comme sponsor pour Paris 2024 est un geste fort et qui va marquer le secteur du sponsoring.

Merci pour ces précisions. Maintenant que la Coupe du Monde est finie, quels seront tes projets pour les mois et années à venir ?

J’ai effectivement terminé ma mission au sein du Comité d’Organisation en fin d’année dernière. Je me suis lancée en tant qu’indépendante en début d’année. Mon objectif est de pouvoir accompagner les structures sportives ou non à intégrer la durabilité dans leur modèle de gestion de leur organisation et d’œuvrer à un secteur de l’événementiel plus responsable. J’ai eu la chance d’avoir des personnes qui m’ont fait confiance tout de suite comme le cabinet Herry Conseil, expert en événementiel responsable et Foot d’Elles. Le confinement a un peu perturbé mes plans initiaux mais j’en profite pour creuser certains sujets et rencontrer de nombreuses personnes en espérant pouvoir lancer de nouveaux projets très prochainement et pourquoi pas rejoindre un club qui souhaite s’engager dans une vision plus responsable de son développement.

Si je ne me trompe pas, tu vas également travailler avec Antoine Miche, président de Football Ecologie ?

Je m’intéresse effectivement au travail mené par Football Ecologie France. C’est important que le football s’engage fortement sur ces sujets écologiques et permettent d’engager tout son écosystème. Je suis notamment très intéressée par le volet éco-supportérisme. Les contacts sont récents et j’espère que l’on pourra avancer ensemble sur quelques sujets dans les prochains mois à la suite de la consultation nationale en cours.  

Souhaites-tu aborder un dernier point que nous n’avons pas abordé ? Tu as carte blanche !

On a déjà parlé de beaucoup de choses et merci pour cette liberté de parole. Si je dois aborder un autre sujet c’est peut-être celui de l’engagement des sportifs et sportives dans la promotion de ces sujet plus sociétaux. L’implication de ces champions et championnes est un levier de promotion et d’engagement important et donc participe au changement de comportement. On a trop souvent dit que les sportifs n’osaient pas s’engager sur ces sujets par peur des conséquences sur leur image ou leur carrière. Elles et ils sont de plus en plus nombreux à le faire. Pendant la Coupe du Monde Féminine 2019, nous avions mis en place un programme à destination des équipes. On sentait les joueuses impliquées et demandeuses de ce type de relations avec le public.

On rencontre plus souvent de freins auprès des staffs que des sportifs eux-mêmes lorsque l’on essaie de monter ce type d’opérations. C’est pourquoi, il est intéressant de voir que les athlètes n’hésitent pas à s’engager personnellement dans des causes qui les intéressent. On se rend vite compte que leur engagement est profond et qu’ils sont conscients de l’impact qu’ils peuvent avoir tout en étant prêts à assumer leur responsabilité.  Je suis assez admirative de ce que peuvent faire à différents niveaux Matthieu Flamini, Sarah Ourahmoune, Megan Rapinoe et tant d’autres. C’est bien que la parole se libère et que des figures du sport s’engagent dans le développement de la société au sens large.

Enfin, ce qui me plaît dans la question de durabilité, c’est que cela oblige à casser les barrières traditionnelles qui existent dans le fonctionnement des organisations. On ne peut pas faire de la RSE tout seul dans son bureau. Ce sujet nécessite beaucoup de transversalité dans un monde encore trop souvent vertical. Il permet de créer du lien entre de nombreux acteurs et de trouver des solutions dont les impacts dépassent largement le secteur d’activité concerné. C’est aussi un sujet en perpétuel évolution et pour lequel l’expérience de chacun est essentielle pour trouver la stratégie adéquate. J’aime cette façon de travailler. Il faut aussi savoir se remettre en question et trouver le sens de son engagement. 

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5 Responses

  1. Le transport étant le première source de CO2 des grands évènements sportifs, il faudrait faire en sorte que les spectateurs n’arrivent pas en avion, qu’ils viennent d’une distance assez faible, ou bien qu’ils arrivent en train électrique ou cars…
    C’est difficile à imposer, et difficilement compatible avec le sport-business mais c’est pourtant ce qui est le plus important.
    En dehors de cela, toutes les autres mesures resteront assez négligeables en terme de diminution de l’impact sur le climat.

    1. Entièrement d’accord. Sur certains événements cela sera envisageables, mais vous imaginez la difficulté pour une coupe du monde de football. C’est bien pour cela que les pouvoirs publics doivent légiférer et mettre des quotas pour l’avion par exemple.

  2. C’est très intéressant d’avoir un point de vue qui se veut objectif concernant des sujets souvent trop peu médiatisés. Au fut et à mesure de la lecture de cet article, j’ai googlé de nombreux sujets que je ne connaissais pas et, sans être soudainement devenu un expert du football féminin et écologique, j’ai découvert de nombreuses facettes d’un sport que je n’appréciai pas particulièrement pour quelques raisons totalement subjectives et totalement illégitimes (je m’en rend bien compte maintenant) évoquées plus haut par Delphine.

    Merci les amis et bonne journée 🙂

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Auteur
Thomas Wagner
Prendra sa retraite quand le réchauffement climatique sera de l’histoire ancienne

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5 Responses

  1. Le transport étant le première source de CO2 des grands évènements sportifs, il faudrait faire en sorte que les spectateurs n’arrivent pas en avion, qu’ils viennent d’une distance assez faible, ou bien qu’ils arrivent en train électrique ou cars…
    C’est difficile à imposer, et difficilement compatible avec le sport-business mais c’est pourtant ce qui est le plus important.
    En dehors de cela, toutes les autres mesures resteront assez négligeables en terme de diminution de l’impact sur le climat.

    1. Entièrement d’accord. Sur certains événements cela sera envisageables, mais vous imaginez la difficulté pour une coupe du monde de football. C’est bien pour cela que les pouvoirs publics doivent légiférer et mettre des quotas pour l’avion par exemple.

  2. C’est très intéressant d’avoir un point de vue qui se veut objectif concernant des sujets souvent trop peu médiatisés. Au fut et à mesure de la lecture de cet article, j’ai googlé de nombreux sujets que je ne connaissais pas et, sans être soudainement devenu un expert du football féminin et écologique, j’ai découvert de nombreuses facettes d’un sport que je n’appréciai pas particulièrement pour quelques raisons totalement subjectives et totalement illégitimes (je m’en rend bien compte maintenant) évoquées plus haut par Delphine.

    Merci les amis et bonne journée 🙂

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