C’est le retour de la pensée en silo. On ne prend aucun recul sur les évènements, on réagit à chaud, on ne réfléchit pas, on fonce. Pis, on fait des généralités. C’est ce que je constate depuis quelques mois, où des mots auparavant plutôt perçus comme extrêmes sont aujourd’hui totalement acceptés. ‘ACAB’, ‘mort aux flics’, ‘qu’ils crèvent tous’, voilà ce que je peux lire depuis bientôt deux semaines sur les réseaux sociaux. Hier, Bruno Gaccio, entre autres auteur des guignols de l’info qui m’a tant fait rire, publie un tweet avec la photo d’une corde et le hashtag #JeSoutiensLaPolice. Non, pas toi Bruno, pas maintenant, pas après ce que tu as fait !
Mais que souhaites-tu, à 94000 abonnés sur twitter et donc une vraie influence ? Que des flics se suicident ? Tu auras gagné ‘la lutte’ ? Tu serais heureux ? Vous tous, sur les réseaux, qui appelez à tuer du flic, vous seriez heureux de voir des femmes et des hommes mourir ? Quelle est la prochaine étape et surtout, comment en sommes-nous arrivés là ?
Généralisation stupide et inutile
Avant d’aller plus loin, je vais rappeler une chose : oui, il y a des violences policières, oui, il y a du racisme dans la police. J’ai autant de respect pour ceux qui nient les violences que pour Agnès Buzyn. Je vous recommande à ce titre de suivre David Dufresne, qui grâce à son travail permet à lui seul de réfuter toute personne qui pourrait encore nier les violences (je ne dis ça pour toi Laetitia Avia… tu ne vois pas de violence policière car tu es trop occupée à mordre les chauffeurs de taxi).
Ce constat étant fait, on peut donc passer à ce qui m’énerve le plus : les généralisations. Avec le racisme et la mauvaise foi, c’est le cocktail magique. Que cela soit bien clair : dire ‘tous les flics sont des racistes’ est aussi stupide que dire ‘tous les gilets jaunes sont des casseurs’. Je lis ces deux phrases depuis 18 mois, et je n’en peux plus de ces généralités. C’est juste stupide.
Tous les mêmes ?
Cette généralisation est d’autant plus stupide que ‘ACAB’, All Cops Are Bastards, c’est mettre dans le même panier tellement de métiers différents. C’est comme dire ”tous les financiers sont des pourris’ et confondre Françoise Pactole, conseillère clientèle PEA du Crédit Mutuel et un trader commo chez Goldman Sachs. L’idée n’est pas de faire un exposé sur les différents corps de métier dans la police. Outre la police de sécurité publique, je souhaite illustrer mes propos à travers l’exemple le plus probant : les CRS.
Les CRS obéissent à des ordres hiérarchiques. ‘Normalement’, vous pourriez casser une vitrine ou voler un scooter devant un CRS, il n’interviendra pas, sauf s’il a l’ordre de le faire. Leur mission est de maintenir l’ordre, dans des cadres bien spécifiques. Outre quelques brebis galeuses, et il y en a eu des dizaines de filmées depuis le début des gilets jaunes… Ils répondent à des ordres. Voilà où je veux en venir : ne pas savoir qui charge, mais qui a demandé de charger.
Les premiers responsables : les politiques
Il suffit de remonter la chaîne pour comprendre très vite d’où viennent les ordres. Si nous prenons l’exemple de Paris, ils viennent bien de Didier Lallemant, Préfet de Police parachuté depuis que Michel Delpuech a été viré en mars 2019. Au niveau de hiérarchie où il est, tout n’est que politique. J’insiste : tout n’est que politique, donc arbitrage. C’est à dire obéir, fermer sa gueule, ou perdre son poste. Il impose cette logique aux personnes en dessous de lui, mais c’est également valable pour lui. Jusqu’à maintenant, et malgré ses multiples dérapages, il n’est visiblement pas assez intéressant de se débarrasser de Lallemant. Mais lorsqu’il ne sera plus une cible utile pour détourner l’attention, on le changera, comme bien d’autres chiens de garde avant lui.
Passons à l’étape suivante de la hiérarchie : Christophe Castaner. Christophe est un très bon client de politique, pour qui la morale est une notion tout à fait abstraite. Le genre de ministre de l’intérieur à être en boîte de nuit le samedi, alors que le pays est au bord de l’explosion chaque week-end. Un ministre exemplaire, qui propage des fake news, nie les violences policières depuis 3 ans.. Et attend gentiment que la situation s’envenime pour faire des déclarations sans aucun suivi concret derrière, comme hier. Mais si vous avez suivi jusque-là, Christophe répond aussi à quelqu’un.
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Manu 1er, roi depuis le 14 mai 2017
Sans oublier Edouard Philippe, le premier responsable des violences, c’est Emmanuel Macron. A aucun moment, ni Lallemant ni Castaner, ne pourraient prendre d’initiative sans l’aval de Macron. Ou plutôt si, mais à la première connerie, mesure impopulaire ou tout simplement intérêt politique, ils sauteraient. Parce que cela marche comme ça.
Quand j’entends parler de la violence, l’intérêt est de comprendre d’où vient la dite ‘violence’. Je n’ai jamais vu des milliers de personnes dans la rue juste pour le plaisir. J’ai vu des opérations de sitting se faire dégager à coup de gaz lacrymos, alors que les personnes souhaitaient juste plus de moyens pour exercer leur métier. Ces mêmes personnes que nous avons applaudies à 20H chaque soir. Gazées. Je repose donc la question : qui est violent ?
Il est impossible d’expliquer les violences systémiques en quelques lignes. Cependant, il est intéressant d’essayer de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés là. Pourquoi Macron, au même titre que ses prédécesseurs, n’a jamais pris fermement position contre le racisme dans la police et les violences policières depuis trois ans ? Réponse : arbitrage politique. Lâchez la police et vous êtes politiquement mort.
Le jeu dégueulasse de nos politiques français
Sans surprise, les événements sont récupérés à tour de bras par tous les partis politiques, sans exception. Récupération politique qui bien sûr, se fait ressentir dans les votes. La première à l’avoir compris, c’est Marine. Le Rassemblement National défend quoi qu’il arrive toute la police, nie tout violence ou brutalité, et enfonce chaque fois un peu plus le clou :
Bien sûr, nous avons le même genre d’énergumènes chez les Républicains, où Christian Jacob déclarait pas plus tard que dimanche dernier ”les violences policières n’existent pas”. Tu sais tout le bien que je pense de toi Cricri.
En revanche à gauche, on préfère tourner sa veste fonction du vent de Twitter. Et forcément, cela plaît beaucoup moins qu’un soutien indéfectible d’une Marine et son sourire tout à fait naturel… Résultat, moins de 10% de votants à gauche :
Les politiques, peu importe les partis, ne font que de la récupération et ne pensent pas un seul moment à l’intérêt général, au fond du problème, ce qui devrait être traité en amont pour éviter les violences. Beaucoup plus facile de faire la leçon sur Twitter et de laisser filer les violences, tant que cela ne coûte pas trop cher politiquement. La mauvaise nouvelle, c’est que c’est la même chose en France depuis Pompidou. Un problème systémique, une patate chaude qu’aucun n’a eu le courage de gérer. La confrontation a toujours été préférée au dialogue. Alors quand un président pense qu’un pays se gère comme une start-up, complètement déconnecté de la réalité de millions de français, nous en arrivons là où nous en sommes aujourd’hui.
Le mot de la fin
Les violences policières existent, et sont le fruit de problèmes systémiques. En aucun cas, nous ne pourrons simplifier ou résoudre cela avec des réponses simples, des messages de 280 caractères. Le problème du déni, dont la seule fonction est la procrastination, c’est d’aggraver le problème. Au lieu d’anticiper et d’agir pour l’intérêt commun, nos politiques attendent le dernier moment pour réagir, laissant monter la colère parfois justifiée de beaucoup de français. En revanche, à aucun moment souhaiter la mort de la police ou le suicide de policiers ne sera une réponse intelligente. Je suis extrêmement choqué et déçu de la réaction de certaines personnes, et j’espère qu’ils prendront un peu de hauteur sur ce qu’il se passe dans notre pays. Le premier responsable, c’est celui qui donne les ordres.
Il aura tout de même fallu que plusieurs drames s’accumulent, dont le meurtre de George Floyd, pour que les choses bougent enfin. J’aimerais ponctuer sur ce bel exemple de saloperie politique. Un meurtre a lieu, mais au lieu de condamner instantanément, et éviter 15 jours d’émeutes, nous avons un président qui souffle sur les braises. Je fais partie de ceux qui pensent que Trump est loin d’être idiot. Mégalo, égoïste, opportuniste, sans moral ni éthique, oui. Mais surtout pas idiot. Je ne vois PERSONNE dans la presse prendre du recul sur la question : pourquoi Trump n’a pas instantanément condamné ? C’est exactement ce que nous devons faire : éviter la pensée en silo et réfléchir à comment changer cela.
A suivre.
2 Responses
Merci à toi pour cet article qui comme toujours, et c’est de plus en plus rare, tente de trouver la juste mesure. Je voudrais juste apporter une petite nuance pour l’acronyme ACAB. A l’inverse des appels au suicide dont le message froid est plutôt clair, ACAB ne s’intéresse pas vraiment aux individus, mais au métier de flic. “Les flics sont tous des batards” parce qu’intrinsèquement, en devenant flic, ils s’accaparent le monopole de la violence physique (avec les militaires) qui est refusée aux autres citoyens, même en dernier recours. L’idée, selon moi (mais qui est mieux expliquée par Damasio ou Dupuis-Déri dans une interview Thinkerview si je ne me trompe pas) est donc d’insister sur le fait que les policiers choisissent leur métier en connaissance de cause et qu’ils s’arrogent ainsi un pouvoir qui est dénié au peuple. Par la suite, les policiers et militaires constituent, grâce à ce pouvoir, un poids électoral important qu’on n’aimerait pas s’aliéner en tant que politique, comme tu l’as fait remarquer. Bien sûr, tout le monde n’utilise pas ACAB dans ce sens et pour certains, un flic est forcément quelqu’un de mauvais. Mais bon, changer en profondeur le système éducatif va mettre beaucoup beaucoup de temps…
Bonjour Robin, merci pour ton message. Je te rejoins sur l’acronyme ACAB, j’ai un peu creusé dessus, sans trop (volontairement) élaboré dans le texte. Je parle bien de son utilisation qui derrière pose problème, car la profondeur que tu as, que Dupuis-Déri propose, je te confirme que très peu de gens l’ont (suffit de se balader sur les réseaux sociaux pour le comprendre…). Il est certain qu’il va falloir du temps, et le temps, on en aura de moins en moins. En revanche, par quelques décisions politiques, tu peux 1) apaiser les tensions 2) prendre des réformes structurelles et nécessaires. C’est ce que j’attends des politiques. C'”est ce que j’attends de l’opposition, qui est encore plus ridicule que ceux au pouvoir actuellement.