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Lors d’un message posté sur Twitter en 2021, Bon Pote avait demandé « comment avez-vous pris conscience de l’urgence climatique ? ». Parmi les réponses, le film « Demain » de Cyril Dion était le plus cité. Le film fête ses 10 ans cette semaine et ressort le 8 décembre dans 80 salles. L’occasion d’échanger avec le réalisateur et activiste sur ses nouveaux projets et les grandes échéances à venir.
Bonjour Cyril, « Demain » fête ses 10 ans et était sorti en pleine COP21, juste avant la signature de l’Accord de Paris. C’était alors plein de promesses… 10 ans après, et alors que la COP30 à Belém vient tout juste de se terminer, quel est ton sentiment sur l’état de la lutte contre le changement climatique ?
J’ai le sentiment que nous sommes entrés dans le cœur de la bataille. Entre la COP21 et l’épidémie de Covid, la mobilisation a pris une ampleur jamais vue dans le monde. Ce qui a provoqué ces dernières années une contre-attaque très puissante et très organisées d’intérêts financiers qui n’ont aucun intérêt à ce que les choses changent. Nous sommes entrés dans une période de backlash où de grandes multinationales cherchent à faire voler en éclat les maigres progrès que nous avions pu obtenir en s’appuyant sur les forces conservatrices d’extrême-droite. Mais ne nous y trompons pas, le discours qu’ils déploient est terriblement dangereux. Nous sommes au pied du mur. Et bien plus qu’il y a dix ans. Comme tu le documentes régulièrement sur Bon Pote, nous avons dépassé la 7ème des 9 limites planétaires, un premier point de bascule climatique (celui des coraux), nous allons franchir le cap des 1,5°C de réchauffement d’ici 2030… Des études évoquent désormais des centaines de millions de morts liées aux conséquences du changement climatique d’ici la fin du siècle.
En voyant de nouveau le film avant notre interview, on constate que tous les sujets abordés sont malheureusement encore d’actualité…
Oui ! Et cela a quelque chose d’un peu désespérant. Ce que nous disions il y a dix ans est encore totalement valable et nous aurions espéré que le monde ait changé dans ce sens. Nous montrions déjà des voies pour sortir des pesticides et de la pétrochimie dans l’agriculture, pour sortir des énergies fossiles, pour repenser nos économies et les relocaliser, pour inventer d’autres modèles démocratiques, éducatifs… C’est pour cette raison que nous ressortons le film. Ces « solutions » sont toujours nécessaires et inspirantes !
Tu étais allé à la rencontre de chercheurs, d’agriculteurs, de citoyens et citoyennes engagé(e)s : as-tu eu l’occasion de faire le bilan des projets et des objectifs présentés dans le film, des personnes qui ont depuis lancé des initiatives, etc. ?
Pas de tous non. Mais ce qui est beau c’est de voir comment certaines d’entre elles ont influencé des villes, des entreprises. Par exemple Copenhague qui a inspiré Paris (Anne Hidalgo en témoignait dans le film « Après Demain » en 2018 sur France 2) pour repenser son urbanisme et faire plus de place aux cyclistes et aux piétons. Dix ans plus tard, la circulation automobile et la pollution de l’air ont été réduits de moitié, le nombre de cycliste a explosé et la ville serait devenue la capitale européenne du vélo, devant Copenhague et Amsterdam selon une étude de la compagnie de ferries nordique DFDS.
De son côté, l’entreprise Pocheco accompagne désormais près de 500 sites industriels où travaillent 50 000 salariés pour faire de l’écolonomie. Et ils continuent à aller de plus en plus loin dans leur propre pratique de réduction de l’utilisation de matière (ils vont vers le zéro plastique), d’énergie (ils ont mis en place un système de voitures électriques en co-voiturage pour les salariés, réduisant par quatre le nombre de véhicule qui faisait des allers-retour à l’usine tous les jours, le ferroutage, ont fait baisser le « poids carbone » de leur enveloppe à 2g equivalent carbone contre 9 pour un email) et de redéploiement de la biodiversité (les trois hectares de l’usine accueillent maintenant plus de 100 espèces d’insectes et d’oiseaux, 3000 arbres et arbustes, 8 espèces de chauve souris…).
Faire un film sur le climat en 2015 c’était pas forcément gagné… En 2025, les preuves du réchauffement climatique n’ont jamais été aussi évidentes. Mais en réaction à cela, un vent réactionnaire souffle, des milliardaires comme Bolloré investissement massivement pour remporter la bataille des idées et créer un possible backlash écologique… serait-il plus difficile de faire un film sur l’écologie aujourd’hui ?
Il est plus difficile de faire un film aujourd’hui. Nous le vivons actuellement avec Paloma Moritz avec qui nous développons un film sur la relation entre la question démocratique et écologique. Dire que l’extrême droite est un danger pour l’écologie peut être un véritable frein à trouver des financements par exemple. Alors que c’est une réalité documentée. Tous les pays où l’extrême droite est au pouvoir mènent des politiques pour affaiblir les régulations environnementales. C’est très visible avec Donald Trump aux Etats-Unis, mais c’est également le cas en Europe où l’alliance entre la droite conservatrice et l’extrême-droite est en train de s’attaquer au cœur des règles européennes comme nous l’avons récemment vu avec OMNIBUS et la volonté de supprimer le droit de vigilance des entreprises. L’extrême-droite s’attaque de front à l’écologie et à la culture dans un même élan.
En introduction du film, tu te poses la question de savoir comment mobiliser en masse pour le climat et l’environnement. 10 ans après, quelles sont les méthodes qui ont été les plus efficaces et celles au contraire qui ne l’ont pas été ?
Comme évoqué, Demain a été un énorme catalyseur d’actions. Il ne se passe pas une journée sans que quelqu’un vienne me dire que le film a changé quelque chose à sa vie. Donc il me semble que les récits positifs, constructifs, ont une grande capacité de mobilisation. C’est l’illustration de la phrase de Gandhi : montrer l’exemple n’est pas la meilleure façon de convaincre, c’est la seule. Nous avons besoin d’initiatives concrètes qui font la démonstration qu’une autre façon d’organiser la société est possible.
On peut aussi parler des pétitions qui ont proposé de se mobiliser pour un objectif concret : l’Affaire du siècle qui proposait d’attaquer l’Etat en justice pour inaction climatique (2,4 millions de signatures, record absolu à ce jour) ou celle contre la loi Duplomb pour s’opposer à la réintroduction d’un pesticide de la famille néonicotinoïde et à tout un tas de régression écologique dans le monde agricole (2,1 millions de signature sur le site de l’Assemblée nationale). On pourrait aussi parler de la mobilisation pour faire interdire les polluants éternels (PFAS). Se fixer un objectif clair, dans le but de remporter une victoire définie est très mobilisateur. C’est aussi ce qu’ont montré les mobilisations longues et victorieuses dans les luttes locales, contre de grands projets polluants : Notre Dame des Landes, l’A69, etc. L’association Terre de Lutte a identifié 162 victoires entre 2014 et 2024.
Enfin, comment ne pas parler du mouvement lancé par la jeune génération entre 2018 et 2020. Greta Thunberg, en tête. Jamais nous n’avions vu autant de monde dans les rues pour le climat depuis les années 70. Cette mobilisation a été permise par une communication très touchante et très efficace sur les réseaux sociaux mais aussi par un relais médiatique très important. Jamais on a autant parlé d’écologie quand dans cette période. Et cela fait une énorme différence, dans l’opinion, dans la rue, dans les urnes (la victoires des écologistes dans de nombreuses villes aux municipales en 2020 par exemple).
As-tu changé d’avis ou évolué sur certaines positions depuis la sortie de « Demain » ?
Sur certaines choses oui. Je vois d’avantage la limite du recyclage par exemple. D’une part on ne peut pas recycler à l’infini, de l’autre le recyclage a véritablement été créé et poussé par les industriels pour vendre leurs produits. Donc recycler ce qu’on achète c’est indispensable, mais il faut évidemment se battre pour réduire considérablement à la source (ce que nous disions dans mon deuxième film Animal par exemple sur le plastique).
Idem sur la transition énergétique, si je refaisais le film aujourd’hui je mettrais en lumière les dévastations que peuvent causer l’extraction, les barrages, etc. Et je chercherais sans doute une façon encore moins polluante de produire de l’énergie.
Enfin, même si nous le faisions dans la partie démocratie et économie, je mettrais davantage l’accent sur les rapports de force contre le capitalisme.
Tu mets en avant les imaginaires comme l’un des sujets qui permette la transition écologique, voire le sujet le plus important. Cette position est parfois critiquée par des auteurs ou des sociologues, à l’instar de Sophie Dubuisson-Quellier, qui rappelle que le consumérisme n’est pas un récit : il est extrêmement institutionnalisé, et repose sur des rapports de pouvoir et des structures de pouvoir. Comment réponds-tu à ces critiques ?
Je ne dis pas que les imaginaires sont le sujet le plus important, je dis qu’élaborer et partager des récits est certainement l’activité première des êtres humains. C’est ce que nous faisons depuis la nuit des temps, des murs de la grotte de Chauvet aux storys sur Instagram. Nous partageons avec d’autres humains notre vision subjective du monde en nous évertuant à lui donner un sens. Et nous le faisons en racontant des histoires. Il semble que ce soit constitutif de notre condition humaine. C’est pour cette raison que la romancière Nancy Huston parle d’espèce fabulatrice pour qualifier les humains. Ces récits peuvent être interpersonnels, mais ils peuvent aussi être collectifs. Tous les grands systèmes économiques, politiques, religieux dans lesquels nous vivons sont des fictions au sens étymologique du terme : des constructions humaines. Et ces fictions, ont une incidence directe sur nos vies : sur la façon dont nous nous comportons, dont nous nous habillons, dont nous mangeons, etc.
Ce n’est pas pour rien que tous les régimes politiques (plus ou moins démocratiques) ont toujours tout fait pour prendre la main sur le récit collectif en s’appropriant les moyens de les produire. Les nazis ont continué à produire des centaines de films en pleine guerre mondiale pour affermir leur récit auprès de leur population et des pays occupés. Les américains ont clairement assumé que le cinéma était une arme contre le communisme et ont négocié de disposer de 60% des droits de diffusion sur les écrans de cinéma européen après la seconde guerre mondiale pour mener cette bataille. C’est à travers les films, les séries, les publicités, qu’ils ont répandu l’american way of life dans le monde entier. Aujourd’hui encore, ce n’est pas pour rien que des milliardaires d’extrême-droite rachètent des empires médiatiques. Regarde ce que fait Vincent Bolloré : il possède des chaines de télévision, de radio, de la presse écrite, mais aussi un nombre important de maisons d’édition, Canal+ qui est le premier financeur du cinéma français, est en train de racheter UGC qui produit, distribue et diffuse des films dans ses salles… C’est de cette façon qu’il veut imposer son récit.
On dit généralement qu’il existe trois piliers qui permettent à un pouvoir de se maintenir : la force (le militaire), l’idéologie (le récit) et l’argent (l’économique). Ne pas s’attaquer au pilier du récit n’aurait aucun sens si on veut transformer la société. Si nous voulons construire un monde plus juste et plus soutenable, il est indispensable de le mettre en récit et de diffuser ces récits par tous les moyens possibles.
Tu l’as beaucoup rappelé, le changement climatique est une question démocratique. Vous lancez à ce propos avec la journaliste Paloma Moritz un nouveau film « Démocratie maintenant ». Peux-tu nous en parler plus en détails ?
Nous partons d’un constat simple : plus la qualité démocratique est élevée dans un pays, plus la politique écologique est ambitieuse. On le constate notamment dans les pays scandinaves. Aujourd’hui cette qualité démocratique s’effondre. Selon le “Democracy Report 2025”, 72% des habitants de la planète (5,8 milliards de personnes) vivent dans un régime autocratique. C’est deux fois plus qu’il y a vingt ans. Partout les libertés sont attaquées. Et plus les libertés reculent, plus la dévastation écologique progresse. C’est là encore particulièrement manifeste aux Etats-Unis où l’un des premiers mots de Trump après sa réélection a été « nous allons forer bébé, forer ». Cet effondrement de la démocratie va de pair avec la montée de l’extrême droite et même de nouvelles formes de fascisme. Or, comme je l’évoquais, ces régimes font tout pour détruire les politiques écologiques. L’équation est donc simple : si nous voulons sauver cette planète de la dévastation, il faut sauver la démocratie. Et la réinventer. Partout dans le monde, nous voyons que des formes plus abouties de démocraties qui permettent la participation et la délibération de citoyen.nes pour produire des plans d’action ou des décisions publiques sont infiniment plus efficaces que la démocratie représentative. Aujourd’hui la grande majorité des décisions des gouvernements sont influencés par les 10% les plus riches de l’élite économique, qui font tout pour empêcher des politiques ambitieuses d’être mises en place. Pour contourner ça, nous voulons proposer un autre récit de la démocratie en allant voir celles et ceux qui sont en train de l’inventer ! Mais comme je l’évoquais plus haut le film n’est pas facile à financer. Si vous voulez nous y aider nous avons lancé un financement participatif sur Ulule.
2 questions rapides pour finir notre échange. Si le Cyril de 2025 avait pu parler au Cyril de 2015, il aurait aimé lui dire quoi ?
Ne prends pas tout sur les épaules, n’oublie pas de vivre et d’aimer.
Et le Cyril Dion de 2035, il se dira quoi quand il devra faire le bilan de ses 10 dernières années ?
J’espère qu’il se dira qu’il a réussi à être plus sage ! A profiter pleinement de chaque journée.
La vie est courte et il ne faut pas oublier de la vivre.
2 Responses
Bravo Cyril pour ta lucidité : c’est d’abord le système <capitaliste & financier) qu'il faut combattre, et ensuite se remettre en question soi-même. Il est factuel de dire que les droites ont globalement des politiques plus défavorables envers l'environnement, c'est pourquoi il faut se poser la question de la raison de leur progression ? Une autre question peut explicitée est le lien entre le savoir très bien développé par Bon Pote et l'agir. A mon humble avis la pire des choses est de voir quotidiennement des personnes qui analyse relativement bien ce qui se passe et ce qui va nous arriver, et qui ne font quasiment rien à titre personnel ou politique. Autrement dit, comment croire le discours majoritairement favorable à la lutte , si les initiatives prises par nos élites, ne sont pas à la hauteur des enjeux ?
Quelle intelligence dans les propos, quand je vois le récit que veut nous imposer CNews c’est infiniment triste. J’espère que la démocratie vaincra et surtout vivra. Merci pour ce que vous faites.