Le plus gros défaut des français, c’est de penser que nous sommes le centre du monde. Pourtant, de nombreuses personnes sont parties vivre à l’étranger et ne sont depuis jamais revenues. Nouvelle année, nouvelle série. J’ai voulu donner la parole à ces expatriés, connaître leurs parcours et environnement. Comme d’habitude, un peu de politique, d’humour et d’environnement dans le cocktail. Honneur aux femmes, c’est Maëlle, une amie partie vivre à Sydney, qui me fait l’honneur de répondre la première à cette série d’interviews qui fera le tour du monde.
Hello Maëlle! Merci d’avoir répondu à l’invitation. Au vu de l’actualité, j’ai pensé qu’il était intéressant d’avoir ton retour sur ta nouvelle vie australienne. Pour commencer, peux-tu nous rappeler pourquoi tu as choisi le pays des kangourous ?
Après 9 ans passés en Angleterre j’ai eu envie de changer d’environnement, de climat surtout et de vivre dans un autre coin du monde avant de devoir poser mes valises pour de bon quelque part. Bizarrement l’Australie n’a jamais été une évidence pour y vivre, ou même fait partie de ma bucket list mais c’est plutôt par élimination d’autres pays que l’Australie s’est présentée: pays développé avec de bonnes perspectives d’emploi, suffisamment exotique pour justifier la distance, qui parle anglais aussi car ma copine ne parle pas d’autre langue, et surtout avec un lifestyle complètement différent de l’Europe… et ce ne sont pas que des clichés! Plage d’octobre à mars, la plupart des gens en tongs ou pieds nus et style de vie plutôt relax. Ça fait maintenant un an et on ne regrette pas !
Peux-tu nous faire un topo sur les feux en Australie : est-ce récurrent ? Qu’il y a-t-il de différent comparé aux autres années ?
Les bushfires ne sont pas nouveaux en Australie, il y en a chaque année à cause du manque de pluie, et les Australiens parlent même de “bushfire season”. Ils brûlent en avance les zones à risques et tout au long de la saison aussi pour essayer de contrôler au maximum l’apparition ou la propagation de feux. L’un des problèmes cette année c’est que ces feux se sont manifestés bien plus tôt que les années précédentes, dès septembre, à cause d’une grande sécheresse.
Mais le vrai problème c’est que ces feux apparaissent tous à la fois et dans plusieurs states. On ne se rend pas bien compte mais l’Australie fait littéralement la taille de l’Europe, du coup le pays se retrouve à devoir contrôler l’équivalent de plusieurs feux depuis le Portugal, en passant par la Norvège et jusqu’en Grèce. Compliqué !
Penses-tu qu’il y ait un lien entre les feux records cette année et le changement climatique ? Peux-tu m’expliquer pourquoi ?
Oui je pense qu’il est difficile de ne PAS établir un lien. Comme c’est le premier été que je passe à Sydney, je ne peux pas établir une comparaison avec les années précédentes, mais tous les Australiens ici remarquent que la saison des bushfires est plus longue et plus intense d’année en année, et cela va de pair avec des températures qui grimpent chaque année. Donc j’imagine que dans les régions proprices à ce type de feux, le phénomène va continuer de pire en pire dans les années à venir.
Comme je l’ai rappelé dans un article sur la COP21, c’est entre autre le gouvernement australien qui a bloqué les négociations lors de la COP25 en décembre 2019. Que penses-tu de Scott Morrison (premier ministre australien) ?
Très honnêtement, je n’avais jamais entendu parler de lui avant de venir m’installer ici. C’est assez intéressant de se rendre compte qu’on ne couvre pas beaucoup les nouvelles dans ce coin du monde en Europe – l’Australie n’est pas aussi populaire que les Etats-Unis, le Moyen Orient ou la Chine. Pour ma défense, il n’avait été élu que 6 mois auparavant en Août 2018.
Depuis, je suis déçue par son leadership pendant cette crise et en colère aussi car je pense qu’on a perdu un temps précieux pendant 3 mois à ne pas intervenir avec autant de ressources qu’il fallait pour régler le problème. Le problème avec les crises climatiques, c’est que c’est au bon vouloir du gouvernement concerné de les régler comme il veut, alors qu’en fait cela affecte la planète entière et nous concerne tous! C’est une situation similaire avec les feux en Amazonie début 2019. Dans ces deux cas, je suis frustrée que la communauté internationale ne fasse pas plus pression pour amener le gouvernement à agir.
Les Australiens n’en avaient visiblement rien à secouer d’avoir un climato-sceptique au pouvoir. Est-ce qu’avec les feux et les dizaines de morts, l’opinion publique a changé sur son gouvernement ?
J’ai l’impression que oui vu le nombre de critiques qu’il a reçues récemment. Il est difficile de savoir si ces critiques étaient déjà des détracteurs avant la crise des bushfires, mais il a commis un nombre de maladresses – en plus de ne pas donner l’impression qu’il prend la situation au sérieux – qui ont secoué l’opinion publique.
Par exemple, le fait qu’il soit parti une semaine en vacances à Hawaii pendant que les feux faisaient rage ici à Noël, ou cette vidéo postée dimanche dernier sur les réseaux sociaux pour démontrer les efforts déployés pour combattre les feux mais qui en fait est une pub politique pour son parti. Hier (vendredi), des milliers de manifestants sont descendus dans la rue pour protester contre l’inaction du gouvernement, et demander la démission de Scott Morrison…
Plus important, est-ce qu’il y a une prise de conscience massive ? Les Australiens se rendent-ils compte que leur mode de vie et leur charbon flinguent la planète, et que les premiers responsables des feux, ce sont eux-mêmes ?
Désolée je ne pense pas que je puisse répondre à cette question – je n’en ai pas parlé particulièrement avec des Australiens autour de moi et je ne sais pas si l’opinion publique a vraiment changé même si je l’espère. En tout cas, la manifestation d’hier protestait aussi pour arrêter la combustion des carburants fossiles…
Parlons un peu de toi. L’écologie et le changement climatique sont-ils des sujets importants ? Est-ce que cela a évolué récemment ?
Oui bien sûr c’est important je me sens tout à fait concernée. Je crois que cela fait partie de ma génération (Maëlle a 27 ans)… Je pense que j’ai commencé à développer une conscience environnementale plus forte quand j’ai commencé à travailler et avoir un appart à entretenir. Cela passe par des petits gestes du quotidien, je fais très attention a ne pas utiliser trop de plastique, consommer trop d’eau ou d’électricité, donc pas de clim’ dans l’appart etc.
Carbone 4 a sorti une étude qui s’appelle Faire sa part, où ils listent 10 points, qui sont une nécessité si l’on veut respecter les accords de la COP21. Quel est ton score (sur 10) ? As-tu changé tes habitudes depuis quelques années pour respecter ces accords ?
Tous ne me sont pas applicables, par exemple je n’ai pas de voiture et je ne peux pas changer les lampes de mon appart donc je me donne un score de 4/8. L’un de nos objectifs principaux ici est de visiter ce coin du monde et donc l’avion est difficile à éviter. Du coup je me concentre sur autre chose.
Je marche autant que possible, je vais tous les jours au travail à pieds, j’essaye d’utiliser des produits avec le minimum d’emballage, d’éviter les sacs en plastique. Je n’aime pas la viande donc il est facile pour moi d’être végétarienne, mais après avoir vu plusieurs documentaires (notamment Cowspiracy et The Game Changers) j’essaye aussi d’éviter le poisson et les crustacés. Et j’aimerais acheter plus d’occasion, notamment pour meubles/électroménager mais je n’ai pas encore réussi à convaincre ma copine… Elle est coriace !
Je vais être un peu taquin, mais tu as conscience que visiter ‘ce coin du monde’, en avion, c’est très exactement ce qui provoque le changement climatique, et donc avec les années, le genre de feux actuels’ ?
Taquin, effectivement. Oui j’en suis consciente mais je pars du principe qu’on ne peut pas être parfait partout et que l’important c’est d’agir concrètement dans certains domaines, pas forcément partout à la fois. Sinon ça devient compliqué de vivre « normalement ». Peut-être que je changerais d’opinion plus tard pour devenir plus stricte sur mes choix de vie, mais pour le moment je me dis qu’il faut choisir ses batailles (pick your battles, je ne sais plus si ça se dit en français lol).
L’Australie (ou Sydney à l’échelle locale) donne-t-il les moyens de respecter l’environnement ? Manger local, se balader en transports en commun etc… Ou est-ce physiquement tout bonnement impossible de le faire ?
C’est vraiment très compliqué à Sydney. Ils ont très peu de transports en commun (trains ou tram) et fonctionnent toujours beaucoup avec les bus. Pour la plus grosse ville d’un pays développé comme l’Australie c’est très surprenant. On a l’impression de revenir 30 ans en arrière ici. Les bus sont très lents et souvent bondés ! Du coup beaucoup de gens utilisent leurs voitures, d’ailleurs la ville entière donne priorité aux voitures.
Les feux verts pour les piétons durent 10 secondes max, il est fréquent d’attendre plusieurs minutes à chaque feu. Cela rallonge beaucoup le temps de parcours pour un piéton, je dois prendre cela en compte quand je marche au travail. Et il n’y a pas de marché local. J’ai expliqué le concept des marchés en France à mes collègues mais ils ne comprennent pas vraiment. Il y a encore pas mal de travail à faire ici pour une prise de conscience collective.
Changement de sujet : suis-tu toujours l’actualité française ? Les gilets jaunes, les retraites, c’est un sujet dont tu parles en Australie ? Dont les médias parlent (les strikes ! ?)
Je suis à distance. J’ai toujours lu Le Monde depuis que je suis partie en Angleterre pour me tenir au courant mais 80% du contenu est maintenant payant et je n’arrive pas à me résoudre a payer. Je me sens assez déconnectée du pays pour être honnête. Ici l’actualité en Europe n’est pas un sujet qui intéresse les gens. Même le Brexit n’est pas une source de discussion alors bon les gilets jaunes… Je pense que le fait que je n’ai aucun ami français ici ne m’incite pas à suivre plus que ca non plus. Bien sûr je suis aussi au courant par ma famille qui est fortement impactée, mais lire des articles ne m’intéresse pas plus que ça désormais. On vit dans une bulle ici !
Quel est ton état d’esprit actuel : souhaites-tu rester en Australie ? Penses-tu à partir dans un autre pays ? Revenir en France ? L’air de Paris est rafraichissant, tu verras
On veut rester en Australie encore un an ou deux, pour nous donner encore le temps de profiter de la vie et du climat ici et de visiter l’Océanie et l’Asie. Sydney est une bonne base pour ça ! Après on rentrera à Londres. Au final c’est notre base à toutes les deux et c’est là où j’ai construit ma vie d’adulte. Il me plairait d’aller vivre en France un jour pour être plus proche de ma famille. Mais il faudrait que ma copine se mette vraiment au français pour pouvoir travailler là-bas, et on sait combien cette langue est compliquée…
Dernière question : as-tu un conseil à donner aux français qui souhaitent s’informer sur l’Australie autrement que par BFM TV ?
Abc.net.au pour les nouvelles australiennes, qui publie une liste aussi de websites gouvernementaux pour s’informer en live sur les bushfires. The World Today est un bon podcast toujours par ABC Radio pour une version audio.
Merci beaucoup Maëlle d’avoir répondu à mes questions. J’espère que ce nouveau format, qui viendra compléter d’autres articles de fond, vous aidera à ouvrir les yeux sur le monde et d’autres cultures. Pour celles et ceux qui ont été touchés par les photos d’animaux venant d’Australie depuis une semaine, posez-vous la bonne question : pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Cela sera un super départ vers la solution.
2 Responses
Très intéressante cette interview. Ça montre bien que la France est en avance niveau urbanisme (alors qu’on est tellement loin de ce qu’il faudrait pour atteindre la neutralité carbone).
J’espère que Maëlle arrivera à concilier ses choix de vie et sa conscience écologique. On a tous des progrès à faire et avoir conscience de nos contradictions est la première étape. Bon courage à elle !
Hello Tibboh, merci du retour ! Maëlle est brillante (bien plus que moi en tout cas), je n’ai aucun doute sur sa capacité à s’adapter. Cela demande du temps, et de faire les bons choix. Si le pays des kangourous n’a pas brûlé entièrement d’ici un an, il y aura une suite à cet article 😉