Élections européennes : quand les pauvres servent d’alibi

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Le scrutin des européennes approche, avec en arrière-plan et beaucoup d’arrières-pensées, la présidentielle de 2027. Green deal, PAC, pesticides, voiture thermique, marché de l’énergie, le prochain parlement va décider du sort de la stratégie climatique européenne, et concomitamment, d’une partie du futur climatique mondial. Et si l’Union européenne décidait enfin de passer à la vitesse supérieure?

Signe que l’heure est grave pour les partisans de l’immobilisme, le leitmotiv du « retour de bâton écologique » (backlash) enfle. La prophétie est auto-réalisatrice et pourrait se résumer ainsi : la « fatigue écologique » des classes populaires, paupérisées et épuisées par l’écologie « punitive », alimente le vote d’extrême-droite. Il est donc nécessaire de calmer le jeu… en acceptant la remise en cause de l’agenda climatique réclamée par l’extrême-droite. Logique.

Les électeurs et le climat 

En avril 2023, la fondation Jean-Jaurès publiait une étude sur le climatoscepticisme, après deux années de records de chaleur, sécheresses et inondations. Les climatosceptiques purs et durs sont en voie de disparition (3%), mais 24% des Français n’attribuent toujours pas le réchauffement en cours aux activités humaines. Plus inquiétant, 40% des Français adhèrent aux discours de l’inaction qui associent à des degrés divers climato-rassurisme (on va s’adapter), climato-relativisme (c’est pas si grave) et climato-complotisme (on veut nous imposer une dictature verte). 

Ces 40% ne sont pas politiquement homogènes. Ils comptent beaucoup de sympathisants du Rassemblement national et des identitaires, mais aussi de nombreux  « mélenchonistes » partisans du dégagisme, appartenant aux catégories populaires et à la petite classe moyenne. Ce groupe est pourtant l’un de ceux qui compte le moins de climatosceptiques. Le clivage peuple versus « élites » joue ici à fond.  

Parmi les 40%, on trouve aussi les libéraux, pro-système ou élitaires, qui vont schématiquement de la droite au centre-gauche. La proportion de climato-sceptiques y est plus élevée que la moyenne nationale, le rassurisme et le relativisme fringants, mais la pénétration des idées complotistes faible, voire inexistante.

Le contre-discours anti-écolos 

Le rejet de l’action climatique est donc nettement corrélé aux opinions politiques, avec évidemment des conséquences dans les narratifs des partis. Alors que l’extrême-droite dépasse les 30% d’intention de votes, les partis libéraux de la droite classique et du centre sont menacés par la désaffection des suffrages. L’urgence n’est plus climatique, elle est dans les urnes.

Tout en s’écartant des énoncés complotistes et anti-élites, les formations politiques de la droite et du centre tentent de renouer avec leur électorat en le mobilisant contre les mesures environnementales qualifiées de punitives. Si l’extrême-droite caracole en tête, c’est bien sûr la faute aux bobo-écolos déconnectés des réalités et de la « vraie vie », qui « emmerdent»  les petites gens avec leur taxe carbone, leur steak végétal et leur sobriété.

Pour chasser sur les terres des anti-système, libéraux et conservateurs teintent toutefois leurs diatribes anti-écolo d’une attention toute particulière aux classes moyennes et populaires, en faisant de l’action climatique la cause des restrictions du pouvoir d’achat et des libertés individuelles. Gilets jaunes, bonnets rouges, agriculteurs, sont brandis à travers et surtout à tort pour justifier les grands bonds en arrière des politiques environnementales, quitte à apporter de l’eau au moulin de l’extrême-droite qui n’en demandait pas tant.

Affiches officielles de la campagne du Rassemblement National pour les élections européennes 2024

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Quand l’injustice devient un prétexte

Quand huit Français sur dix pensent que « ce sont les plus pauvres qui payent la crise climatique et énergétique alors que ce sont les plus riches qui en sont responsables », la perméabilité de l’opinion à la démagogie climaticide s’explique aisément. Comment accepter la transition lorsque domine le sentiment (fondé) que la répartition des efforts est injuste ?

La prise en compte des inégalités et la définition d’un partage équitable des coûts et des bénéfices de la transition sont évidemment indispensables. Les politiques climatiques peuvent effectivement induire des inégalités nouvelles ou supplémentaires. Les mesures d’atténuation ont des effets sur les prix de l’énergie, du transport, du logement ou de l’alimentation, avec une baisse potentielle du niveau de vie pour les plus pauvres. C’est pour cette raison qu’a été forgée la notion de « transition juste » qui exige de construire, au-delà des stratégies de décarbonation, les conditions pour concilier la neutralité carbone et l’atteinte du bien-être pour tous.  

Le problème n’est donc pas de mettre au centre du débat public l’équité et la justice, mais la manière dont ces questions fondamentales sont mobilisées par celles et ceux qui sont avant tout des tenants du statu quo.

Les pauvres, variable d’ajustement de l’inaction 

La bifurcation vers une société décarbonée remet en effet en cause les privilèges et les situations de rente bâties sur l’économie du carbone. On comprend dès lors que ceux qui cherchent à préserver, quoi qu’il en coûte, l’insoutenable modèle de développement dont ils bénéficient, tentent par tous les moyens de détourner le regard des électeurs de la maison qui brûle. 

Cela tombe bien. La protection des plus pauvres face aux dangers progressistes est utilisée depuis très longtemps par les néo-conservateurs, afin de susciter le fameux « backlash » et d’interdire ou de restreindre certains droits. Par exemple, le fait que les femmes en situation socio-économique précaires avortent davantage devient chez les « pro-life » un argument anti-avortement : il faut lutter contre la pauvreté et non de débattre des droits reproductifs et du libre-choix de toutes les femmes. CQFD.

On a entendu récemment le même type de discours sur l’aide à mourir et le suicide assisté, qui risquerait de conduire à l’euthanasie des vieillards indigents. Les réactionnaires font leur beurre sur le dos des plus précaires, sans jamais questionner et encore moins s’attaquer aux causes de la précarité.

Le combat anti-écolos reprend la même antienne : rendre l’écologie impopulaire en la disant anti-populaire. Alors que la défense du pouvoir d’achat a justifié les dérégulations, ristournes fiscales et allégements de cotisations, qui ont profité de façon disproportionnée aux plus aisés, elle sert aujourd’hui de bouclier aux mesures structurelles de transition. 

C’est oublier que les inégalités actuelles ne doivent rien à la transition climatique, mais tout à ceux qui ont méthodiquement détruit les services publics, détricoté les filets de sécurité de l’État providence, bloqué l’ensemble des normes qui protégeaient les usagers, les consommateurs, les travailleurs, instauré une fiscalité profondément inégalitaire. 

« Fin du monde, fin du mois, même combat » 

Ce sont ces mêmes décideurs politiques et économiques qui rechignent à accélérer la réduction des émissions de gaz à effet de serre, auxquelles ils contribuent fortement du fait de leur mode de vie. 

Alors oui, il existera toujours des effets non désirés de l’action climatique qui appellent vigilance, évaluations régulières, garde-fous, mais n’invalident en rien la nécessité de changements profonds, collectifs et rapides, car le réchauffement global affecte davantage les catégories sociales les plus défavorisées.

Les classes populaires perdent à tous les coups. Elles subissent les conséquences de l’inaction et les coûts d’une transition d’autant plus injuste, que plus on attend, plus la décarbonation sera subie et non choisie.

Elles paient systématiquement le prix fort de décisions imposées par d’autres, car les inégalités socio-économiques sont, dans les faits, sinon dans les droits pour les régimes censitaires, une privation d’accès à l’exercice de la citoyenneté et à la décision. Et même quand ils vont voter, ces électeurs sont encore les dindons de la triste farce de politiciens et de gouvernements qui ne font pas ce qu’ils disent et ne disent pas ce qu’ils font. 

Qu’on parle de fin de mois ou de fin du monde, la seule question qui devrait se poser est de garantir à tous la liberté de choisir son avenir. Et pour cela, il faudrait commencer par arrêter d’utiliser l’argument des « pauvres » pour conserver en l’état un modèle de « développement » qui n’a cessé de détériorer leurs conditions de vie et leurs marges d’actions.

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11 Responses

  1. Un bon article, comme toujours assez charpenté, dont je comprends et apprécie l’approche tout en étant mal à l’aise car je trouve qu’il choisit mal son combat entre
    (1) l’extrême droite qui a lâché le climato-scepticisme plus très tenable pour délivrer désormais un discours toujours immobiliste dans le registre “non à l’ecologie punitive” ou “c’est la faute aux autres” : plus qu’un crime, c’est une nouvelle énorme faute à mettre au passif de ces incapables du RN et consorts prêts à toutes les compromissions et tous les revirements pour accéder au pouvoir
    (2) le camp présidentiel (disons social-démocrate, auquel on pourrait ajouter la gauche réaliste et la droite modérée) qui est en responsabilité de faire tourner le système pour que chacun s’y retrouve à peu près, dans un monde à la fois très ouvert et très instable, qui fait face à une société française morcelée, vieillissante, droitisante et en désir de sécurité et de stabilité : tout ceci à tout le moins limite sa capacité d’action de rupture (la critique est aisée…) E Macron est, des grands pays, le dirigeant qui s’engage le plus sur l’environnement, et de très loin, même si son action est trop faible.

    Je suis très gêné aussi par le fait qu’on ne reconnaisse pas que tout imparfait et trop inégalitaire qu’il soit, le dit système a permis une incroyable amélioration de la vie matérielle de tous, y compris des plus pauvres au cours des 50 dernières années, et y compris lors des années récentes. C’est éclatant dès qu’on se penche un peu sur les chiffres d’équipement des ménages par exemple. Ça ne fait certes pas le bonheur… mais ça peut y contribuer.
    Et justement ce qui me paraît très problématique c’est qu’une énorme partie de la population est aujourd’hui à un niveau d’aisance matérielle et de protection juste correct mais obtenu grâce à l’efficacité de ce système qui a ses plus (innovation technologique, capacité de production de biens et services en qualité et en quantité, allocation fluide des ressources, compatibilité avec la liberté individuelle…) mais aussi ses moins (inégalité capital/travail, pillage des ressources terrestres, court-termisme, intérêt particulier vs collectif). Et qu’une approche en rupture déséquilibrerait tellement les choses que les premiers à en payer le prix seraient justement les classes défavorisées : je pense qu’il y a une totale conscience de cette réalité chez ceux qui votent “contre les écolos”, et qui explique le paradoxe cité dans l’article et dans certains commentaires.
    Face à cela, il n’y a pas de doute que dans les démocraties, la réduction des inégalités devient du coup absolument cruciale pour dégager des marges de manœuvre , et pouvoir convaincre les parties les moins aisées de la population que « ça pourra le faire » sans qu’elles perdent ce qu’elles ont gagné durement, malgré les nouvelles contraintes qu’il va de toutes façons devoir s’ imposer.

  2. Il faut une sacrée dose de cynisme de la part des institutions européennes pour instrumentaliser ces même pauvres qu’elle n’a aucun problème à enfoncer dans la précarité via des règles budgétaires complètement arbitraires dont le seul but est de satisfaire les caprices d’enfant gâté du haut patronat.

  3. Le constat est là, la voie démocratique pour une politique écologique n’est plus une option. La seule possibilité de la mettre en place serait de le faire de façon autoritaire, mais qui pourrait faire un chose pareille ? Et surtout, comment ?

    On est bel et bien dans une impasse. Comment ne pas devenir doomiste dans de telles conditions ?

  4. Il faut etre honnete et reconnaitre qu une decarbonation complete de la France implique une chute drastique du niveau de vie de TOUTE la population. C est pas juste B Arnault qui va se serrer la ceinture ou meme les 10 % les plus riches. A moins d une chute drastique de la population (genre peste noire 50 % de morts, pas un truc comme le covid qui ne tue que quelques octogenraires), reduire sensiblement les emissions carbone de la france signifie vivre comme en 1960.
    Autrement dit, logement exigus, fini les vacances lointaines (desolé c est pas le CSP+ qui va une semaine en tunisie ou en thailande en formule tout compris) et bonjour la nourriture qui absorbe 40 % du budget.

    PS: si on doit emettre autant de CO2 par habitant qu en 1960 on est meme en plus mauvaise posture qu a l epoque car a l epoque il y avait peu de retraités qui pesaient sur le systeme productif. Aujourd hui il y en a 4 fois plus.

    1. Sauf qu’on fait bcp de choses en mieux avec moins aussi. Ca s’appelle l’innovation ^^’ technologique, logistique, sociale, urbaine et technique.

      De plus, une non décarbonation va surement arriver à un état économique bien plus catastrophique, avec des randements agricoles qui dégringolent, des fissures dans les routes et maisons, des gens qui meurent de la chaleur (6k en 2022), le prix de la clim, etc.

  5. Suite :
    Alternatives économiques cite un propos de Marx qui me paraît convenir à la question qui nous agite : “Les lois immanentes de la production capitaliste aboutissent à l’entrelacement de tous les peuples dans le réseau du marché universel” (Le capital, Livre I, chapitre 32). C’est précisément cet entrelacement mondialisé que nous appelions aujourd’hui “système complexe” qui me semble la raison majeure de l’immobilisme sur la question climatique. Changer un élément précis revient à changer l’équilibre du système dans lequel la ponction sur la valeur réalisée par les riches sur la production des pauvres est une sorte de loi immanente.

  6. Cette analyse me semble très juste et pose le vrai problème : la manipulation éhontée de l’opinion par un discours populiste.
    Mais la question à laquelle il faudrait aussi répondre est : pourquoi la manipulation marche-t-elle ? Il ne fait plus guère de doute, pour la majorité des citoyens, que le climat se détériore, même si les effets peuvent être localement discordants (ex. tantôt sécheresse, tantôt excès d’eau…). Autrement dit : dans une (encore) démocratie qu’est-ce qui pousse les personnes les plus exposées aux risques à voter pour des partis qui promeuvent l’inaction climatique ? D’autres considérations ont-elles plus de poids ? La xénophobie affichée par le RN pèse-t-elle plus que les inconvénients perçus du réchauffement climatique (voir les sondages pour les européennes) ? Ou bien la peur de l’inconnu est-elle plus forte que la perception directe des effets ?
    Une hypothèse parmi d’autres : la complexité du système mondial où les interdépendances économiques sociales et financières rend difficile une vision au-delà de l’ici et du maintenant et donc l’esquisse d’une issue vraisemblable.

    1. Suite
      Alternatives économiques cite un propos de Marx qui me paraît particulièrement adapté aux questions qui nous agitent : “Les lois immanentes de la production capitaliste aboutissent à l’entrelacement de tous les peuples dans le réseau du marché universel” (Le capital, livre I, chapitre 32). C’est à mes yeux cet entrelacement que l’on peut désigner comme un “système complexe” qui est l’obstacle majeur à la lutte contre le réchauffement. Nous sommes tellement interdépendants qu’il devient extrêmement difficile de lutter sans modifier complètement l’équilibre mondial qui repose sur l’extraction au profit des riches, de la valeur produite par les pauvres.

  7. “L’urgence n’est plus climatique, elle est dans les urnes.” c’est peut être un caricatural, j’aurai préféré plutôt “L’urgence est climatique et dans les urnes.”

    Très bon article comme toujours 🙂

  8. La dernière phrase semble vouloir limiter la réflexion et le débat au seul domaine économique : …modèle de développement,… conditions de vie et marges d’actions.
    Ceci me paraît réducteur et passer à côté de quelque chose qui serait beaucoup plus radical : le sens de la vie et l’espoir qui le fonde.
    Donc, en se limitant à cette approche économique, on peut provoquer un agacement social très profond qui débouche sur tous les désengagements politiques observables dans de nombreux scrutins démocratiques et, plus récemment dans un contexte de grandes perturbations géopolitiques, à un “engagement” des jeunes et des moins jeunes dans des comportements agressifs qui s’observent localement et au niveau national.
    Rien de très bon dans tout cela.
    Or le discours politique qui se développe dans le cadre de cette campagne pour l’élection du parlement européen évacue délibérément cette dimension essentielle de la vie humaine.

    1. Bonjour Jean-Claude, je ne suis pas certain de suivre votre raisonnement, pourriez-vous l’étayer ?

      Premièrement, le “sens de la vie et l’espoir qui le fonde” est une notion assez vague, qu’entendez-vous par là ? Vivre ses passions ? Avoir le temps de réfléchir à propos de questions existentielles comme notre rapport à la mort, la nature de l’Homme ?

      Deuxièmement, dans votre conclusion (“donc”), vous déduisez qu’une approche seulement économique mène à un agacement social, puis à un désengagement politique, puis à la montée de comportements agressifs. Il me semble que la gradation est assez puissante pour appeler à plus de détails. D’autant que la prémisse me semble facilement remise en cause: les conditions de vie ne concernent pas que l’économie, mais aussi l’aspect social, et les deux aspects sont fortement liés.

      Enfin, votre dernière phrase laisse à penser que les politiques ont pour volonté de ne parler que de situation économique (bien qu’ils parlent également de mouvement sociaux) dans le but de lancer cette gradation (qui demande détails à sa construction). Or le rôle actuellement donné au pouvoir politique n’est pas de s’intéresser à des questionnements existentiels, il est donc normal de ce point de vue là que le “sens de la vie et l’espoir qui le fonde” ne soit pas abordé dans le discours politique, pas de volonté délibérément mauvaise.

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Bonne Pote
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  1. Un bon article, comme toujours assez charpenté, dont je comprends et apprécie l’approche tout en étant mal à l’aise car je trouve qu’il choisit mal son combat entre
    (1) l’extrême droite qui a lâché le climato-scepticisme plus très tenable pour délivrer désormais un discours toujours immobiliste dans le registre “non à l’ecologie punitive” ou “c’est la faute aux autres” : plus qu’un crime, c’est une nouvelle énorme faute à mettre au passif de ces incapables du RN et consorts prêts à toutes les compromissions et tous les revirements pour accéder au pouvoir
    (2) le camp présidentiel (disons social-démocrate, auquel on pourrait ajouter la gauche réaliste et la droite modérée) qui est en responsabilité de faire tourner le système pour que chacun s’y retrouve à peu près, dans un monde à la fois très ouvert et très instable, qui fait face à une société française morcelée, vieillissante, droitisante et en désir de sécurité et de stabilité : tout ceci à tout le moins limite sa capacité d’action de rupture (la critique est aisée…) E Macron est, des grands pays, le dirigeant qui s’engage le plus sur l’environnement, et de très loin, même si son action est trop faible.

    Je suis très gêné aussi par le fait qu’on ne reconnaisse pas que tout imparfait et trop inégalitaire qu’il soit, le dit système a permis une incroyable amélioration de la vie matérielle de tous, y compris des plus pauvres au cours des 50 dernières années, et y compris lors des années récentes. C’est éclatant dès qu’on se penche un peu sur les chiffres d’équipement des ménages par exemple. Ça ne fait certes pas le bonheur… mais ça peut y contribuer.
    Et justement ce qui me paraît très problématique c’est qu’une énorme partie de la population est aujourd’hui à un niveau d’aisance matérielle et de protection juste correct mais obtenu grâce à l’efficacité de ce système qui a ses plus (innovation technologique, capacité de production de biens et services en qualité et en quantité, allocation fluide des ressources, compatibilité avec la liberté individuelle…) mais aussi ses moins (inégalité capital/travail, pillage des ressources terrestres, court-termisme, intérêt particulier vs collectif). Et qu’une approche en rupture déséquilibrerait tellement les choses que les premiers à en payer le prix seraient justement les classes défavorisées : je pense qu’il y a une totale conscience de cette réalité chez ceux qui votent “contre les écolos”, et qui explique le paradoxe cité dans l’article et dans certains commentaires.
    Face à cela, il n’y a pas de doute que dans les démocraties, la réduction des inégalités devient du coup absolument cruciale pour dégager des marges de manœuvre , et pouvoir convaincre les parties les moins aisées de la population que « ça pourra le faire » sans qu’elles perdent ce qu’elles ont gagné durement, malgré les nouvelles contraintes qu’il va de toutes façons devoir s’ imposer.

  2. Il faut une sacrée dose de cynisme de la part des institutions européennes pour instrumentaliser ces même pauvres qu’elle n’a aucun problème à enfoncer dans la précarité via des règles budgétaires complètement arbitraires dont le seul but est de satisfaire les caprices d’enfant gâté du haut patronat.

  3. Le constat est là, la voie démocratique pour une politique écologique n’est plus une option. La seule possibilité de la mettre en place serait de le faire de façon autoritaire, mais qui pourrait faire un chose pareille ? Et surtout, comment ?

    On est bel et bien dans une impasse. Comment ne pas devenir doomiste dans de telles conditions ?

  4. Il faut etre honnete et reconnaitre qu une decarbonation complete de la France implique une chute drastique du niveau de vie de TOUTE la population. C est pas juste B Arnault qui va se serrer la ceinture ou meme les 10 % les plus riches. A moins d une chute drastique de la population (genre peste noire 50 % de morts, pas un truc comme le covid qui ne tue que quelques octogenraires), reduire sensiblement les emissions carbone de la france signifie vivre comme en 1960.
    Autrement dit, logement exigus, fini les vacances lointaines (desolé c est pas le CSP+ qui va une semaine en tunisie ou en thailande en formule tout compris) et bonjour la nourriture qui absorbe 40 % du budget.

    PS: si on doit emettre autant de CO2 par habitant qu en 1960 on est meme en plus mauvaise posture qu a l epoque car a l epoque il y avait peu de retraités qui pesaient sur le systeme productif. Aujourd hui il y en a 4 fois plus.

    1. Sauf qu’on fait bcp de choses en mieux avec moins aussi. Ca s’appelle l’innovation ^^’ technologique, logistique, sociale, urbaine et technique.

      De plus, une non décarbonation va surement arriver à un état économique bien plus catastrophique, avec des randements agricoles qui dégringolent, des fissures dans les routes et maisons, des gens qui meurent de la chaleur (6k en 2022), le prix de la clim, etc.

  5. Suite :
    Alternatives économiques cite un propos de Marx qui me paraît convenir à la question qui nous agite : “Les lois immanentes de la production capitaliste aboutissent à l’entrelacement de tous les peuples dans le réseau du marché universel” (Le capital, Livre I, chapitre 32). C’est précisément cet entrelacement mondialisé que nous appelions aujourd’hui “système complexe” qui me semble la raison majeure de l’immobilisme sur la question climatique. Changer un élément précis revient à changer l’équilibre du système dans lequel la ponction sur la valeur réalisée par les riches sur la production des pauvres est une sorte de loi immanente.

  6. Cette analyse me semble très juste et pose le vrai problème : la manipulation éhontée de l’opinion par un discours populiste.
    Mais la question à laquelle il faudrait aussi répondre est : pourquoi la manipulation marche-t-elle ? Il ne fait plus guère de doute, pour la majorité des citoyens, que le climat se détériore, même si les effets peuvent être localement discordants (ex. tantôt sécheresse, tantôt excès d’eau…). Autrement dit : dans une (encore) démocratie qu’est-ce qui pousse les personnes les plus exposées aux risques à voter pour des partis qui promeuvent l’inaction climatique ? D’autres considérations ont-elles plus de poids ? La xénophobie affichée par le RN pèse-t-elle plus que les inconvénients perçus du réchauffement climatique (voir les sondages pour les européennes) ? Ou bien la peur de l’inconnu est-elle plus forte que la perception directe des effets ?
    Une hypothèse parmi d’autres : la complexité du système mondial où les interdépendances économiques sociales et financières rend difficile une vision au-delà de l’ici et du maintenant et donc l’esquisse d’une issue vraisemblable.

    1. Suite
      Alternatives économiques cite un propos de Marx qui me paraît particulièrement adapté aux questions qui nous agitent : “Les lois immanentes de la production capitaliste aboutissent à l’entrelacement de tous les peuples dans le réseau du marché universel” (Le capital, livre I, chapitre 32). C’est à mes yeux cet entrelacement que l’on peut désigner comme un “système complexe” qui est l’obstacle majeur à la lutte contre le réchauffement. Nous sommes tellement interdépendants qu’il devient extrêmement difficile de lutter sans modifier complètement l’équilibre mondial qui repose sur l’extraction au profit des riches, de la valeur produite par les pauvres.

  7. “L’urgence n’est plus climatique, elle est dans les urnes.” c’est peut être un caricatural, j’aurai préféré plutôt “L’urgence est climatique et dans les urnes.”

    Très bon article comme toujours 🙂

  8. La dernière phrase semble vouloir limiter la réflexion et le débat au seul domaine économique : …modèle de développement,… conditions de vie et marges d’actions.
    Ceci me paraît réducteur et passer à côté de quelque chose qui serait beaucoup plus radical : le sens de la vie et l’espoir qui le fonde.
    Donc, en se limitant à cette approche économique, on peut provoquer un agacement social très profond qui débouche sur tous les désengagements politiques observables dans de nombreux scrutins démocratiques et, plus récemment dans un contexte de grandes perturbations géopolitiques, à un “engagement” des jeunes et des moins jeunes dans des comportements agressifs qui s’observent localement et au niveau national.
    Rien de très bon dans tout cela.
    Or le discours politique qui se développe dans le cadre de cette campagne pour l’élection du parlement européen évacue délibérément cette dimension essentielle de la vie humaine.

    1. Bonjour Jean-Claude, je ne suis pas certain de suivre votre raisonnement, pourriez-vous l’étayer ?

      Premièrement, le “sens de la vie et l’espoir qui le fonde” est une notion assez vague, qu’entendez-vous par là ? Vivre ses passions ? Avoir le temps de réfléchir à propos de questions existentielles comme notre rapport à la mort, la nature de l’Homme ?

      Deuxièmement, dans votre conclusion (“donc”), vous déduisez qu’une approche seulement économique mène à un agacement social, puis à un désengagement politique, puis à la montée de comportements agressifs. Il me semble que la gradation est assez puissante pour appeler à plus de détails. D’autant que la prémisse me semble facilement remise en cause: les conditions de vie ne concernent pas que l’économie, mais aussi l’aspect social, et les deux aspects sont fortement liés.

      Enfin, votre dernière phrase laisse à penser que les politiques ont pour volonté de ne parler que de situation économique (bien qu’ils parlent également de mouvement sociaux) dans le but de lancer cette gradation (qui demande détails à sa construction). Or le rôle actuellement donné au pouvoir politique n’est pas de s’intéresser à des questionnements existentiels, il est donc normal de ce point de vue là que le “sens de la vie et l’espoir qui le fonde” ne soit pas abordé dans le discours politique, pas de volonté délibérément mauvaise.

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