Suspension de l’A69 : comment 5 bénévoles font plier le chantier

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A69 vignette interview
©Crédit Photographie : Wikipédia
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Coup de théâtre sur le chantier de l’A69. Ce jeudi 18 décembre, le procureur de Toulouse a demandé la suspension des travaux sur 46 sites défrichés illégalement par le concessionnaire, soit 30 à 42 hectares de chantier non autorisé.

Cette décision fait suite à une plainte de France Nature Environnement Occitanie Pyrénées, déposée le 10 décembre. Derrière ce dossier : un énorme travail de l’ombre, mené pendant des semaines par cinq bénévoles de FNE Occitanie Pyrénées et du collectif La Voie Est Libre. Ils et elles se sont formés et ont travaillé gratuitement et secrètement pour documenter ces infractions environnementales. Des citoyens et citoyennes qui n’ont pas hésité à mettre de côté leur vie familiale ou professionnelle pour se plonger dans des dossiers techniques et rébarbatifs. Tous les héros et toutes les héroïnes ne portent pas de cape.  

Interview avec Hervé Hourcade, juriste chez FNE Occitanie Pyrénées qui a monté le dossier de plainte grâce à ce travail bénévole. 

D’abord, pouvez-vous me décrire en quoi consiste votre travail au sein de FNE et qui sont les bénévoles de votre association ? 

Personnellement, je suis salarié de FNE Occitanie Pyrénées. En tant que juriste, je mène des actions devant la justice administrative, pour attaquer des projets qu’on considère contraires au droit de l’environnement. Nous déposons aussi des plaintes pénales en cas d’infractions au code de l’environnement, elles sont adressées au procureur.

FNE est une association qui compte beaucoup de bénévoles, des gens qui vont aller par exemple dans beaucoup de commissions administratives ou acquérir des compétences  dans l’analyse technique et juridique des dossiers pouvant avoir un impact sur l’environnement. Concrètement, ce n’est absolument pas sexy, ce sont des milliers d’heures de travail à étudier des pages et des pages de dossier, mais ça nous permet de mener des actions efficaces. Ces bénévoles ont parfois des compétences juridiques ou naturalistes grâce à leur métier, mais qui sont parfois aussi autodidactes et deviennent assez compétents pour comprendre les dossiers et leurs subtilités. On donne beaucoup de formations techniques, scientifiques et juridiques pour les accompagner.

Comment a démarré votre travail sur ces dépassements du chantier  ?

Au tout départ, c’est tout simplement des bénévoles et des sympathisants qui ici et là constatent qu’une zone qui devait être évitée par le chantier a tout de même été détruite.

Il faut savoir que cette lutte a mobilisé beaucoup de citoyens qui se questionnent depuis deux ans sur la légalité du chantier. Cette mobilisation a déjà permis que soient réalisés soixante-neuf rapports de manquements administratifs par l’OFB (Office français de la biodiversité) et de la DDT, avec de multiples non-conformités à la législation. Un tel nombre de manquements est inédit à notre connaissance. FNE Occitanie Pyrénées a déposé une dizaine de plaintes contre les infractions environnementales relayées dans ces rapports.

De ce fait, on a désormais dans les différents collectifs, comme La Voie est libre, beaucoup de gens aguerris à l’utilisation des outils cartographiques ou aux bases du droit de l’environnement. Avec cinq de ces personnes, il a été décidé de vérifier si d’autres dépassements avaient eu lieu. 

Comment avez-vous fait, concrètement, pour constater les dépassements ?

C’est un travail de plusieurs semaines, ces cinq personnes y ont passé des journées entières. Trois de ces cinq personnes n’ont fait que ça, elles ont mis leur activité professionnelle et leur vie familiale entre parenthèses. Leur travail est incroyable. Ils ont d’abord étudié image satellite par image satellite le tracé réalisé et l’ont comparé avec les cartes du dossier de demande d’Atosca. C’est comme ça qu’ils sont arrivés à identifier vingt dépassements principaux sur l’ensemble du tracé. Ils ont ensuite confirmé ces points en se rendant sur site, et en prenant des photos. A partir de là, ils ont pu renseigner ces dépassements sur des cartes, et constater que ces dépassements concernaient des sites identifiés dans l’étude du projet comme des milieux à préserver.

Concrètement, dès l’étude du projet, des milieux naturels ou agricoles à préserver avaient été identifiés. Dans son dossier, Atosca s’était engagé à éviter ces secteurs sensibles : boisements, zones humides, chauves-souris, sites de reproduction, sites qui hébergent des espèces protégées… Il faut savoir que l’autorisation environnementale du chantier a été attribuée justement à condition de respecter ces évitements, ils étaient prévus pour réduire la dette écologique du projet. Ça n’a pas été respecté, et pour le démontrer les bénévoles ont encore fait un travail de terrain. Si dans le dossier Atosca s’engageait à préserver tel arbre remarquable, alors ils ont pris une photo montrant que cet arbre a été abattu. Sur la base de ce travail gigantesque, on a produit une analyse juridique, on a essayé de matérialiser les faits en infractions afin de saisir le parquet de Toulouse.

Pourquoi avez-vous eu une réponse aussi rapide du procureur, alors que vos autres plaintes sont encore en cours d’instruction ? 

On a déposé cette nouvelle plainte avec demande d’un référé pénal environnemental. C’est une procédure peu connue, qui permet au procureur de la République quand il y a un dommage environnemental évident de saisir le juge des libertés et de la détention. Ce dernier doit statuer en 48 heures sur les réquisitions du procureur. Le procureur a d’abord demandé à la gendarmerie et à l’OFB de vérifier nos informations. Un hélicoptère a survolé la zone et a confirmé le travail mené par nos bénévoles. Il a confirmé qu’Atosca a terrassé et détruit entre 30 et 42 hectares sans aucune autorisation. Le procureur de la République a donc suivi notre saisine, il a estimé que les conséquences environnementales de ces dépassements  justifient une réaction forte et rapide de l’autorité judiciaire. 

Et maintenant, quelle est la suite ?

Le juge des libertés n’est pas tenu de suivre la demande du Procureur, il peut la confirmer ou la rejeter (il va examiner le dossier dès ce vendredi 19 décembre, ndlr). A nos yeux, il n’y a aucun débat sur le caractère délictuel du dépassement. Ce n’est pas une imprudence, les excès représentent 10% du chantier.

Nous considérons que les dépassements du chantier constituent donc une modification substantielle par rapport à ce qui avait été autorisé. Cela veut dire qu’Atosca devrait déposer un nouveau dossier de demande, proposer de nouvelles compensations, faire une nouvelle étude d’impact, demander une nouvelle autorisation préfectorale concernant ces 40 hectares… Sur un projet de cette ampleur, cela représente plusieurs mois de travail à un bureau d’études puis plusieurs mois d’instruction des services de l’État.  

Dans ce dossier comme dans d’autres, vous semblez faire le travail de l’État… 

Le temps et les moyens pour instruire et délivrer des autorisations environnementales sont devenus très limités, à cause d’une succession de réformes dites de simplification. Les moyens de contrôle ne sont pas assez importants non plus et, quand des atteintes à l’environnement sont constatées, on voit de plus en plus de préfets traiter ces infractions de façon la plus clémente possible pour les acteurs économiques, avec des rappels ou des mises en demeure. Nous pallions le manque de moyens.

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