Actions individuelles et pression sociale : comment changer le monde

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Texte de Julia Steinberger, professeure en écologie sociale et économie écologique

J’ai récemment vécu une expérience extraordinaire et rare, en tant qu’universitaire, activiste et citoyenne : j’ai participé à un mouvement victorieux. Cela a bouleversé une grande partie de ce que je pensais savoir sur la façon dont le changement se produit dans le monde, et il me semble très important de partager ces idées avec vous, malgré mon ignorance plutôt gênante en psychologie, sociologie, politique et dans de nombreux autres domaines d’expertise pertinents pour ce sujet. 

Un changement global, fondamental et urgent n’a jamais été aussi nécessaire, et vous qui lisez ceci, pouvez et devez participer à la réalisation de ce changement.

Voici ce que j’ai appris : 

  1. Les individus sont tout ;
  2. Les institutions, seules, ne sont rien ;
  3. La pression sociale fonctionne ;
  4. L’urgence engendre la créativité (et l’efficacité) ;
  5. La culture de l’amour l’emporte ;
  6. Nous ne comprenons de quoi sont faits les systèmes que lorsque nous essayons de les transformer.

Rencontre avec l’initiateur du mouvement : Guillermo Fernandez

Guillermo Fernandez est à la fois ordinaire et extraordinaire. Il est chef de projet informatique, Suisse et père de trois enfants. Il n’appartient à aucun parti ou groupe d’activistes. Mais il a fait quelque chose d’extraordinaire : il s’est assis le 10 août 2021 et a lu le rapport du GIEC qui avait été publié la veille. Il ne s’est pas contenté de lire : il a ressenti et imaginé ce que les projections de ce rapport signifiaient pour ses enfants. Ce jour-là, sa vie a basculé, et il a décidé qu’il devait agir. Il a décidé d’entamer une grève de la faim illimitée pour le climat le 1er novembre, premier jour de la conférence COP26 sur le climat. 

Ses revendications étaient certes modestes, mais sans précédent, non seulement en Suisse, mais peut-être dans le monde entier : faire en sorte que les scientifiques du climat et de la biodiversité rencontrent l’ensemble du Parlement, lors d’une session extraordinaire, afin d’être informés de l’ampleur des crises climatique et écologique. Après avoir passé 39 jours dans le froid, la pluie, la neige et la faim au milieu de la place fédérale de Berne, où siège le Parlement suisse, Guillermo a gagné.

Mes contributions à la campagne et à la victoire de Guillermo ont été minimes. D’autres ont fait bien plus. Cela dit, mon action ainsi que celle de mes collègues ont bouleversé la façon dont j’envisage notre capacité à nous mobiliser et faire bouger les lignes. Je souhaite partager avec vous quelques idées fondamentales, puis expliquer comment et pourquoi elles vont à l’encontre des théories du changement profondément ancrées, sur lesquelles nous fondons généralement nos stratégies.

Premier constat : les individus sont tout

Les individus créent le changement

Ce fut le plus grand choc pour moi, mais aussi l’idée que je souhaite que vous reteniez le plus, car elle est porteuse de tant de promesses. Des individus, à commencer par Guillermo évidemment, ont provoqué le changement. Et si cela a fonctionné, c’est notamment parce que Guillermo, en tant qu’individu, nous a interpellés en tant qu’individus. Face à son action et son défi, chacun d’entre nous a été contraint de faire un choix : s’engager ou détourner le regard. Beaucoup de gens ont choisi de détourner le regard, mais quelques-uns, juste assez nombreux, ont choisi de se lever et se battre à ses côtés. Guillermo a appelé cela la théorie des dominos : un domino peut en faire tomber quelques-uns, mais chaque domino peut agir sur les autres, et ainsi de suite jusqu’à ce que tout leur environnement soit à jamais transformé.

À chaque étape, dans chaque sphère, un ou deux individus, rarement plus, ont pris leurs responsabilités et ont fait en sorte de provoquer le changement. 

Ces personnes ont fait appel à leur réseau, leurs amis, leurs voisins, leurs collègues, et ont parlé, poussé et élaboré des stratégies pour que ce réseau contribue à leur action. Je l’ai fait dans la sphère des scientifiques suisses spécialisés dans le climat et la biodiversité. À chaque étape, je n’étais pas certaine de faire ce qu’il fallait. Mais au final, chaque étape s’est construite sur la précédente, jusqu’à ce que nous fassions nous aussi partie du grand nombre de dominos provoquant le changement.

Quelques politiciens (pour finir, un groupe de 4 formidables jeunes députées Vertes) ont fait de même pour le Parlement suisse. Certains individus ont créé son site web, lui ont donné une visibilité médiatique, ont fait des tracts, des pétitions et se sont rassemblés pour le soutenir. Un mouvement a été créé par des personnes engagées pour le soutenir et lui venir en aide.  Quelques personnes ayant des liens avec des ONG ont aidé à mobiliser leur organisation. Dans chaque cas, une, deux ou trois personnes ont pris leurs responsabilités et ont fait avancer cette campagne, sans plan préétabli, par tous les moyens, chacune à sa manière. Résultat : ces personnes ont déplacé des montagnes.

La chose la plus importante est que ces individus ont refusé d’être limités par les manières “classiques” dont une campagne devrait fonctionner, ou dont leur travail ou leurs relations sociales devraient être définis. Ils ont simplement essayé par tous les moyens de progresser face à ce qui semblait être un défi insurmontable et impossible.

Ils ont élaboré des stratégies, ont parfois eu de bonnes idées, parfois de mauvaises, et ont tout essayé. Chaque matin ils se réveillaient en pensant à une façon de faire avancer la cause, et chaque soir ils s’endormaient en pensant à la façon dont ils allaient le faire le lendemain..

Ils ont rendu cela possible, et vous aussi vous pouvez (et devez) en faire autant.

Deuxième constat : les institutions, seules, ne sont rien

C’est le corollaire de la première idée et, honnêtement, j’ai été tout aussi bouleversée. A “gauche”, en général, nous avons tendance à faire confiance aux structures sociales, aux organisations, et beaucoup moins aux individus. Cette expérience a explosé ma compréhension.

Tout simplement, presque toutes les organisations et institutions qui avaient pour mandat d’avancer notre dossier, n’ont non seulement pas réussi à nous aider, mais se sont ouvertement montrées hostiles, essayant de nous arrêter à chaque étape du processus. Ce fut une mauvaise surprise, mais nous avons pu surmonter leur résistance grâce aux liens solides créés entre individus dans les domaines politique/scientifique/militant au cours de l’action.

Certaines organisations (ou, une fois de plus, des individus en leur sein) ont été formidables, donnant dès le départ l’espace et le soutien nécessaires à l’existence de la campagne. Une personne et son organisation se sont particulièrement distinguées en travaillant 24 heures sur 24 dans les coulisses pour faire de la campagne un succès. Mais cette histoire, ce sera à elle de la raconter lorsqu’elle sera prête – car pour l’instant elle est encore épuisée et doit se remettre de cette bataille.

Cependant, alors que la campagne prenait son envol et que notre chemin vers la victoire devenait de plus en plus clair, les mêmes institutions qui s’étaient montrées hostiles ont eu un rôle déterminant pour la reconnaissance de notre victoire. Ainsi, il nous a fallu collaborer avec ces institutions pour la reconnaissance de la victoire, et aussi lorsqu’il a fallu mettre en place les solutions que nous revendiquions.. 

C’est une leçon vraiment importante : d’un côté, ne pas totalement couper les ponts, de l’autre, ne jamais déléguer le travail à un tiers, qui considère que son rôle est de vous dissuader d’agir. Vous devez apprendre, d’une manière ou d’une autre, à faire le travail de ces institutions à leur place. Bien qu’elles soient hostiles en interne, elles peuvent jouer un rôle de protection extrêmement important, et sont certainement très essentielles du point de vue de l’opinion publique. Il peut être perturbant de travailler d’arrache-pied puis de voir une organisation hostile s’attribuer tout le mérite d’une victoire si durement gagnée, mais dans le monde réel, c’est souvent comme cela que ça se passe, et il est important de s’y préparer.

Albert Einstein et Guillermo en grève de la faim
Crédit : Guillermo Fernandez

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Troisième constat : la pression sociale fonctionne

Une grève de la faim est évidemment l’acte ultime de pression sociale. C’est comme ça que ça marche. Voir quelqu’un mourir littéralement de faim en public, pour une cause, est une pression sociale insoutenable. Cela a fonctionné sur moi, et sur beaucoup d’autres : il est devenu difficile de dormir, difficile de faire quoi que ce soit d’autre que de penser à comment, d’une manière ou d’une autre, je pourrais aider Guillermo à gagner, pour qu’il puisse vivre et retourner auprès de sa famille.

Je n’encourage personne à faire une grève de la faim. Mais je vous encourage à créer et à répondre à la pression sociale, et à mieux comprendre notre intelligence sociale. Nous, les humains, sommes des créatures incroyablement réactives. Nous répondons les uns aux autres – surtout lorsqu’on s’adresse à nous en tant qu’individus. Il est tout à fait possible pour vous, en tant qu’individu, d’exercer une pression sociale sur les autres, une pression à laquelle ils devront répondre, d’une manière ou d’une autre.

Comme indiqué ci-dessus, je ne suis pas une spécialiste des sciences sociales, mais voici comment je comprends le fonctionnement de ce que j’appelle la “pression sociale” :

1. Une personne s’adresse à une autre, en tant qu’individu intègre et émotif, et lui demande d’agir.

Guillermo, avec sa grève de la faim, exerçait une pression sociale sur nous. Il nous disait en réalité à tous : “L’inaction climatique m’est insupportable, inacceptable en raison des souffrances qu’elle va causer à mes enfants. J’exige de vous votre temps, votre attention et vos actions pour changer cela, tout de suite”.

2. Lorsque vous exercez une pression sociale sur quelqu’un d’autre, cette personne se sentira obligée de répondre – qu’elle le veuille ou non.

L’être humain est empathique, vit en communauté et se soucie énormément de son rôle et de sa compréhension de ladite communauté.  Dès lors, nous sommes toujours touchés lorsqu’une personne nous dit de façon sincère et émue qu’elle a besoin que nous faisions attention à elle et lui venions en aide.

C’est ce que font les parents et les soignants pour leurs enfants, mais c’est aussi, plus largement, la façon dont fonctionne l’ensemble de notre tissu social. La réactivité humaine n’est pas un fardeau purement négatif, bien au contraire : aider et soutenir les autres nous permet de renforcer notre estime de soi et de trouver un sens à notre vie. Vous ne devez donc pas vous sentir gêné(e) de créer une pression sociale sur le sujet des crises climatique et écologique (et autres), mais l’utiliser aussi honnêtement et efficacement que possible. 

3. La réponse d’une personne à la pression sociale peut varier.

Il se peut qu’elle perçoive immédiatement la validité et l’utilité de votre revendication, et qu’elle réponde par “Comment puis-je aider ?”. C’est le moment de l’aider à élaborer une stratégie et à déterminer le plan d’action le plus efficace : aidez-la à utiliser ses propres capacités, connaissances et créativité pour faire avancer la campagne. Votre rôle est de l’encourager à devenir l’un des dominos qui en renverse d’autres, et de l’aider à développer sa propre version de la pression sociale.

Une autre réponse consiste à se taire un peu et à réfléchir. Pour être honnête, ça a été ma première réaction. Mais plus je réfléchissais, moins les actions de Guillermo ne me laissaient de répit : je devais trouver comment agir. Ainsi, le simple fait de maintenir votre pression sociale peut encourager les personnes qui sont d’abord silencieuses ou hésitantes à finalement s’engager. Ne reculez pas, acceptez et répondez aux hésitations, car beaucoup vous rejoindront, surtout si vous parlez de leurs préoccupations avec honnêteté et empathie.

Une autre réaction consiste à répondre de manière négative. Cela s’accompagne généralement d’un certain niveau d’agressivité, car (encore une fois, en raison du conditionnement social), la plupart des gens préfèrent répondre positivement que négativement à une demande qui engage leur statut de “bonne” personne dans la société.. Ce type de réponse est aussi, paradoxalement, un résultat positif de la pression sociale. Vous avez obligé cette personne à répondre et à exprimer sa position : c’est une ouverture, soit vers un dialogue plus approfondi (en expliquant pourquoi l’inaction n’est pas, à votre avis, compatible avec les règles de bonne conduite en société, et en lui permettant de trouver un moyen d’aider), soit, si cela échoue, ou si c’est plus opportun pour votre cause, vers la responsabilité : exposer cette personne comme un obstacle au changement positif. Cette dernière option ne concerne que les personnes ayant un rôle public, évidemment. Mais demander aux individus de rendre compte de leurs actions, en public ou en privé, est un élément essentiel de la pression sociale.

Julia Steinberger, Guillermo et Antoine Guisan
Crédit : Guillermo Fernandez

Les syndicalistes et organisateurs efficaces utilisent la pression sociale en permanence pour faire avancer leur cause. La légendaire syndicaliste et théoricienne du mouvement syndical Jane McAlevey souligne par exemple l’importance des “leaders organiques”, qui sont respectés et inspirent confiance au sein de leur travail et de leur communauté, car s’ils expriment le besoin de changement, les gens les écoutent et finissent par être d’accord. Vous pouvez être ou non un “leader organique”, mais si vous parlez avec honnêteté, intégrité, compassion et émotion, vous serez en mesure de changer votre communauté.

Ce qu’il faut retenir, c’est que vous pouvez exercer une pression sociale, à partir de ce que vous êtes, de ce que vous connaissez et de ce qui vous tient à cœur. Si vous faites de votre intégrité et de votre compassion le centre de votre discours aux autres, ils ne pourront le rejeter et ils ne tarderont pas à vous rejoindre et à vous aider à convaincre encore d’autres personnes. Et si vous arrivez à faire cela, d’une manière ou d’une autre, vous devenez inarrêtable.

Quatrième constat : l’urgence engendre la créativité (et l’efficacité)

Nous savons que nous sommes engagés dans une course contre la montre pour transformer complètement nos sociétés et nous éloigner de trajectoires de plus en plus néfastes et dangereuses. Cependant, la plupart d’entre nous avons des impératifs et des habitudes qui, parallèlement à une culture du déni et du délai, nous empêchent d’agir et l’urgence est repoussée au lendemain. La grève de la faim de Guillermo a rendu cette urgence extrêmement personnelle (voir le premier constat sur l’action individuelle) et extrêmement réelle. Elle a forcé tous ceux d’entre nous qui voulaient l’aider à sortir de leur routine et à faire concrètement bouger les choses. Cette situation a eu un effet perturbateur et nous a poussé à devenir extrêmement créatifs et efficaces.

Le défi est de savoir comment faire de l’urgence climatique une constante dans notre quotidien.

Nous pouvons déplacer des montagnes lorsque nous savons que le temps est compté et que nous devons agir. Nous prenons des risques, nous sommes efficaces, nous nous rapprochons les uns des autres, nous faisons avancer les choses. L’une de mes principales résolutions cette année est de m’accrocher à cette urgence, de me rappeler que même si Guillermo n’est plus, Dieu merci, assis dans le froid et l’humidité sans nourriture, il y a d’autres personnes qui demandent mon attention et mon aide, même si je ne les vois pas avec la même clarté. Cette urgence doit faire partie de notre vie quotidienne, et c’est ainsi que nous ferons également passer nos gouvernements et nos décideurs politiques “en mode d’urgence”.

Cinquième constat : la culture de l’amour l’emporte

Cette partie est difficile pour moi, car je suis une boule de nerfs et de négativité (en voie de guérison ?). Mais Guillermo est très différent, et nous pouvons apprendre l’un de l’autre.

La première chose qu’il m’a dite, lorsque je suis allée à Berne pour m’asseoir avec lui pendant quelques heures au début de sa grève de la faim, a été “mon plus grand défaut est ma bonne humeur”. Et j’ai pu constater que c’était la réalité.

Guillermo avait toujours un sourire et un mot gentil pour tous ceux qui venaient le voir. Les gens venaient souvent, désespérés et en larmes, parce qu’ils partageaient sa grande peur de la crise climatique et de l’inaction du gouvernement, et qu’ils étaient également inquiets pour lui et sa santé. Il y avait souvent des larmes partagées, mais toujours de la compassion, et Guillermo laissait toujours à chacun un sentiment de plaisir et de joie. Il était peut-être en train de souffrir, mais il appréciait toujours la compagnie des gens et les échanges de pensées et de sentiments avec eux. Son mouvement s’est développé grâce au soutien de militants qui ont organisé des cercles d’empathie, où chacun était invité à exprimer son chagrin et ses inquiétudes – avant de commencer à agir pour changer la situation.

Je ne sais toujours pas comment activer ce levier mais le fait est que la grande majorité des humains se sent concernée par le sort des autres, par le chagrin de ceux qui sont blessés, la peur de ceux qui sont en danger, et nous souhaitons tous désespérément être capables de nous protéger et nous soutenir mutuellement, même si l’ampleur de la tâche ou le fait de ne pas savoir comment faire peuvent nous paralyser. La clef ici, c’est la bienveillance. Écoutez et faites de la place pour l’amour, le chagrin et la peur que tant d’entre nous ressentent en ce moment, puis faites encore plus de place pour aider ces personnes à grandir dans leur activisme. Aidez-les à se voir et à voir les autres comme des acteurs du changement, qui peuvent tant faire pour se protéger et se soutenir mutuellement. C’est à cela que ressemble l’amour.

Sixième constat : nous ne comprenons de quoi sont faits les systèmes que lorsque nous essayons de les transformer.

Ce point est un peu plus théorique, et combine mon expérience et les écrits de la pionnière de la théorie des systèmes, Dana Meadows. Si vous n’avez pas encore lu “Leverage Points : places to intervene in a system“, faites-vous une faveur et allez le lire tout de suite. Dans cet article, Dana explique que différents types d’interventions ont plus ou moins de potentiel pour changer les systèmes, certains points d’intervention étant plus superficiels (par exemple, changer des paramètres uniques au sein des systèmes), et d’autres beaucoup plus puissants (par exemple, changer les structures ou les objectifs du système et les paradigmes opérationnels).

Leverage points to intervene in/on a system par Donella Meadows, graphique de Leuphana.

Parce que nous avons désespérément besoin d’un changement radical pour éviter le pire des crises climatique et écologique, nous voulons que notre activisme soit efficace sur les points de levier majeurs : les règles, les structures, les objectifs et les paradigmes de conception des systèmes qui nous entourent. Et pour ce faire, nous devons d’abord avoir une idée du fonctionnement de ces systèmes. Mais voici le problème : en général, nous n’avons absolument aucune idée de la façon dont les systèmes qui régissent notre vie quotidienne fonctionnent réellement. Pas la moindre idée.

Il faut du militantisme et une confrontation directe avec les systèmes pour vraiment comprendre de quoi ils sont faits, comment ils fonctionnent et comment les changer.

Nous pensons souvent que nous comprenons les systèmes qui composent nos sociétés. Les cours d’histoire, d’éducation civique et d’économie nous racontent des histoires sur le fonctionnement de ces systèmes. Et presque invariablement, ces histoires sont des contes de fées. Elles ne correspondent pas du tout à la réalité. Deux exemples seulement, pour illustrer mon propos :

  • On nous enseigne que le progrès social contre l’injustice est l’arc normal de l’histoire éclairée : il suffit que quelqu’un signale l’injustice, pour que les pouvoirs en place, soutenus par des citoyens concernés, rendent le système plus juste. C’est la théorie libérale du changement “information et sensibilisation”. Parfois, on l’appelle même “dire la vérité au pouvoir”. Selon ce conte de fées, alerter sur des faits choquants ou injustes suffit, d’une manière ou d’une autre, pour que l’alerte se répande dans la société, que les citoyens se mobilisent et que les pouvoirs publics agissent face à cette pression populaire. Bien sûr, ce n’est pas le cas. L’information et la sensibilisation sont cruciales, mais l’action est encore plus importante : agir pour mobiliser, organiser, faire campagne, être des forces implacables pour transformer le système et l’éloigner de l’injustice. Se contenter de souligner l’injustice n’a jamais suffi.
  • Le second conte de fées est d’ordre économique : le marché fournit ce que nous désirons et est la source de notre bien-être. Ce conte de fées a été largement démystifié par des universitaires comme Tim Jackson, Kate Raworth, Jason Hickel et bien d’autres, je ne vais donc pas reprendre leurs arguments ici. Mais je tiens à expliquer à quel point ce conte de fées empêche la transformation de nos économies. Il nous empêche d’agir, car la conviction que nous créons le marché par le biais de nos désirs de consommation nous donne la fausse croyance que nous en sommes responsables. Ce mythe nous conduit à croire qu’il faut agir par notre consommation plutôt qu’en s’en prenant aux groupes industriels qui organisent la production et la consommation.

Le point essentiel ici est que ce n’est que lorsque nous confrontons les systèmes existants à nos actions que nous comprenons ce que sont réellement ces systèmes : la façon dont ils réagissent pour se défendre nous en dit beaucoup plus sur ce que nous devons faire pour les changer

Pour les universitaires, c’est particulièrement difficile, car nous sommes habitués à théoriser. Ces théories sont utiles, bien sûr, mais la confrontation avec la réalité nous donne le meilleur enseignement possible. 

N’attendez donc pas d’avoir trouvé la théorie parfaite pour développer la stratégie d’action parfaite : allez sur le terrain. Intervenez. Parlez aux gens. Essayez tant bien que mal de changer des éléments des systèmes qui vous entourent. En essayant, vous apprendrez, et en apprenant, vos chances de succès augmenteront sans mesure.

Traduction de Samuel Taylor et Bon Pote

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7 Responses

  1. Un texte effectivement touchant et utile. Le lien avec le texte de Margaret Klein Salamon devrait être mis davantage en valeur…
    (Je me rends compte que je l’ai posté dans un commentaire à un autre article – la fin de 2022, je crois -, parce que j’avais très naïvement oublié que c’est sur Bon Pote que je l’avais trouvé. Mea culpa!)
    Et, parce que j’aime pinailler et frimer du haut de ma licence d’anglais, je me permets de signaler trois petites erreurs de traduction:
    – “cette expérience a explosé ma compréhension” => … fait exploser ma compréhension
    – “faites-vous une faveur” => rendez-vous un service
    – “selon ce conte de fées…” => ce conte ou cette fable ou ce mythe (expressions plus usuelles en français pour dénoncer un mensonge).
    Mais merci en tout cas pour la traduction et le partage!

  2. Très bon texte qui d’une part nous mets en responsabilité (tout le monde a des moyens d’actions à sa mesure, soit courageusement en poussant les premiers dominos, soit en amplifiant l’élan initié par d’autre) et d’autre part explique concrètement des clefs pour obtenir des succès réels en affrontant les systèmes : un vrai succès est une action qui change, ne serait-ce qu’un peu, un paradigme.

  3. Donc si on résume un mec a quasi pas bouffé pendant 39 jours pour que des parlementaires Suisses puissent avoir des cours et se former sur le réchauffements climatique ..ma foi, espérons que ça débouche sur un truc concret !

    Je trolle un peu mais en tous cas, immense respect au gars 😉

  4. Beaucoup de respect pour ceux qui s’impliquent de façon forte. Mais aussi beaucoup de respect pour ceux qui, conscient de leurs limites, s’efforcent jour après jour de progresser, de témoigner, d’agir humblement pour modifier dans le bon sens leurs paramètres de vie, vers une sobriété et un partage heureux avec tous.

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Auteur
Thomas Wagner
Prendra sa retraite quand le réchauffement climatique sera de l’histoire ancienne

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  1. Un texte effectivement touchant et utile. Le lien avec le texte de Margaret Klein Salamon devrait être mis davantage en valeur…
    (Je me rends compte que je l’ai posté dans un commentaire à un autre article – la fin de 2022, je crois -, parce que j’avais très naïvement oublié que c’est sur Bon Pote que je l’avais trouvé. Mea culpa!)
    Et, parce que j’aime pinailler et frimer du haut de ma licence d’anglais, je me permets de signaler trois petites erreurs de traduction:
    – “cette expérience a explosé ma compréhension” => … fait exploser ma compréhension
    – “faites-vous une faveur” => rendez-vous un service
    – “selon ce conte de fées…” => ce conte ou cette fable ou ce mythe (expressions plus usuelles en français pour dénoncer un mensonge).
    Mais merci en tout cas pour la traduction et le partage!

  2. Très bon texte qui d’une part nous mets en responsabilité (tout le monde a des moyens d’actions à sa mesure, soit courageusement en poussant les premiers dominos, soit en amplifiant l’élan initié par d’autre) et d’autre part explique concrètement des clefs pour obtenir des succès réels en affrontant les systèmes : un vrai succès est une action qui change, ne serait-ce qu’un peu, un paradigme.

  3. Donc si on résume un mec a quasi pas bouffé pendant 39 jours pour que des parlementaires Suisses puissent avoir des cours et se former sur le réchauffements climatique ..ma foi, espérons que ça débouche sur un truc concret !

    Je trolle un peu mais en tous cas, immense respect au gars 😉

  4. Beaucoup de respect pour ceux qui s’impliquent de façon forte. Mais aussi beaucoup de respect pour ceux qui, conscient de leurs limites, s’efforcent jour après jour de progresser, de témoigner, d’agir humblement pour modifier dans le bon sens leurs paramètres de vie, vers une sobriété et un partage heureux avec tous.

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