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Les turbulences en avion sont-elles plus fréquentes avec le réchauffement climatique ? En juin 2023, Mark C. Prosser & al (2023) ont publié une étude qui démontre “l’augmentation importante des turbulences en air libre au cours des quatre dernières décennies“. Cette étude fut très largement reprise par la presse, tant en France qu’à l’international.
Paul Williams, l’un des auteurs de l’étude, avait alors déclaré “nous avons effectué des simulations informatiques et nous avons constaté que les fortes turbulences pourraient doubler, voire tripler dans les décennies à venir“
Non seulement le trafic aérien aggrave le réchauffement climatique (et probablement bien plus que vous ne le pensez, article indispensable à lire ici), mais en plus ce dernier aggraverait les turbulences. En matière de serpent qui se mord la queue, on peut difficilement faire mieux.
Comment définir les turbulences en avion ?
Un avion est en zone de turbulences quand il se déplace violemment en raison des changements de vitesse et de direction des courants d’air. Les turbulences ont trois causes principales : thermique (l’air chaud s’élève à travers l’air plus froid), mécanique (une montagne ou une structure artificielle perturbe l’écoulement de l’air) et de cisaillement (à la frontière de deux poches d’air se déplaçant dans des directions différentes).
Avec le réchauffement climatique, nous avons un air plus chaud dû aux émissions de CO2, ce qui augmente le cisaillement du vent dans les courants-jets.
Selon Europair, il existe trois types de turbulences clairement identifiables :
- Légères turbulences : Il s’agit d’un petit mouvement de l’avion, presque imprévisible, qui nous permettrait de nous tenir dans l’avion sans bouger.
- Turbulences modérées : Il s’agit d’un mouvement prévisible qui ne nous permettrait pas de nous tenir debout dans l’avion, nous pourrions subir une chute.
- Turbulences sévères : il s’agit des plus sévères des trois, et l’avion se déplace de telle manière que l’on a l’impression d’être collé à son siège, ou que l’on s’envole de son siège.
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Le réchauffement climatique augmente-t-il les turbulences : que dit la littérature scientifique?
L’étude la plus récente et la plus importante pour savoir si le réchauffement climatique augmente les turbulences est l’étude de Prosser & al (2023) dans laquelle les auteurs ont établi un lien grâce à des données atmosphériques de turbulences survenues en air clair, c’est-à-dire sans la présence de nuage et orage.
Selon Paul D. Williams, professeur de sciences atmosphériques à l’université de Reading, “depuis 40 ans, les turbulences pendant les vols ont augmenté en intensité, en fréquence et en durée dans diverses régions du monde, y compris dans le ciel européen“.
L’étude montre notamment comment l’une des routes de vol les plus fréquentées au monde au-dessus de l’Atlantique Nord a connu une augmentation annuelle de 55 % de la durée des fortes turbulences.
Ed Hawkins, le célèbre climatologue auteur des bandes du climat (warming stripes) en a profité pour créer de nouvelles bandes montrant l’augmentation des turbulences modérées en air clair dans l’Atlantique depuis 1979 :
Deux points importants ici à retenir. Premièrement, il y a dès maintenant des preuves suggérant que l’augmentation des turbulences a déjà commencé. Deuxièmement, cela va continuer à s’accentuer. “Aujourd’hui quand on fait Paris-New York par exemple, on subit en moyenne dix minutes de turbulences. Dans quelques décennies, autour de 2050, ce sera plutôt 20 à 30 minutes“.
Les auteurs ont également fait un focus sur les Etats-Unis, où les turbulences sévères en air libre au-dessus du pays ont augmenté de 41 % depuis 1979. “Certes, il y a des hauts et des bas d’une année à l’autre, mais il y a une nette tendance à la hausse sur le long terme, qui correspond aux effets attendus du changement climatique“, déclare Paul Williams.
Mise à jour de l’étude, communication et nuances
Si vous cherchez d’autres études sur le sujet, vous tomberez notamment sur une étude du même auteur en 2017, reprise par le groupe 3 du GIEC dans son 6e rapport publié en 2022, dans le chapitre transport :
On retrouve ici le lien entre réchauffement climatique et turbulences : “les études ont indiqué que la quantité de turbulences modérées ou importantes en air libre sur les routes aériennes transatlantiques en hiver augmentera considérablement à l’avenir en raison du changement climatique“.
Il est important de noter que le GIEC indique que “des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre pleinement les risques induits par le climat sur les systèmes de transport“.
Depuis la sortie du rapport du GIEC en avril 2022 et l’étude de Prosser & al (2023), Paul Williams, l’un des co-auteurs de l’étude, a publié une mise à jour de leur étude avec des données plus récentes notamment pendant les années Covid, où le trafic aérien était moins important.
En résumé, “il existe toujours des indices d’une augmentation de la vitesse du vent du courant-jet hivernal de l’Atlantique Nord au cours des 20 dernières années, mais il faudra plus d’années pour parvenir à une conclusion statistiquement significative“.
Il est très rare qu’une étude scientifique ait une mise à jour de la sorte, et c’est ici une très bonne nouvelle : cela confirme la nécessité de poursuivre la recherche sur le sujet.
Le secteur aéronautique doit ouvrir les yeux
Alors que le secteur aéronautique refuse toujours d’admettre qu’il faut baisser le trafic aérien pour respecter l’Accord de Paris, il semble que la communication concernant les turbulences soit aussi trompeuse.
Sur le site Europair, courtier aérien spécialisé dans la réservation et la gestion de vols charter partout dans le monde, nous pouvons lire ceci : “les turbulences sont une condition tout à fait normale en vol et ne comportent aucun risque autre qu’une commotion contre le plafond si la ceinture de sécurité n’est pas correctement attachée“.
Une information malheureusement fausse puisque le 21 mai 2024, il y a eu un mort et trente blessés après de “fortes turbulences” sur un vol de Singapore Airlines en provenance de Londres. Même si les accidents mortels sont très rares, ce n’était pas la première fois sur la décennie écoulée, une simple recherche internet de 10 secondes permet de réfuter cette désinformation.
Sur les réseaux sociaux Bon Pote, notamment lorsque nous avons communiqué sur le lien entre changement climatique et turbulences, nous avons eu plusieurs personnes (en majorité avec un emoji avion dans le profil et/ou travaillant dans le secteur aérien) nous expliquant qu’il n’y avait pas de lien et que nous cherchions à faire peur.
Comme à son habitude, le secteur aéronautique ferme les yeux sur le changement climatique et ses conséquences, ce qui pourrait lui coûter très cher : les turbulences coûtent entre 150 et 500 millions au secteur aérien par an, et cela uniquement pour les Etats-Unis. Au-delà des millions en jeu, ce sont bien la santé et la vie des passagères et passagers qui sont en jeu.
4 Responses
bonjour Bonpote, je ne comprends pas bien ou vous voulez en venir avec votre dernier point concernant le vol de Singapore Airlines ?, une vidéo YT de Pierre-Henri Chuet explique bien les conditions, le passager Britannique est décédé d’une crise cardiaque…
Le point qui nous intéresse ici c’est bien l’augmentation de ces phénomènes (en fréquence mais aussi en intensité) incontestablement dû aux changements climatique, la communication de Europair est incomplète, mais les turbulences ont toujours existés.
Pouvez-vous éclaircir ce point ?
Merci
C’est très clair pourtant : il y a déjà eu des morts avec les turbulences et dire le contraire est factuellement faux. La désinformation est massive sur le sujet et le lobby aérien a passé toute la semaine dernière a discrédité les auteurs de l’étude sur les turbulences. (cf le compte twitter de Williams). attention : il n’est pas écrit que la mort du passager est dû aux turbulences / changement climatique.
excusez moi d’insister, je ne vais pas sur twitter, vous écrivez vous même “il y a déjà eu des morts avec les turbulences et dire le contraire est factuellement faux.” et plus loin “attention : il n’est pas écrit que la mort du passager est dû aux turbulences / changement climatique” ce qui me fait dire que l’exemple de Singapore Airlines n’est pas probant ! pourquoi prendre en exemple un vol ou il n’y a justement pas eu de mort “à cause de ces turbulences”…
Pour les promoteurs et les clients du secteur aérien qui ignorent ce qui se passent sous leurs ailes, et leur zèle à nier la gravité de leur impact, je trouve ces “incidents” en croissance sont les bienvenus. Malheureusement, terriblement.