Yamina Saheb est experte internationale des politiques d’atténuation du changement climatique au cabinet d’études OpenExp et enseignante à Sciences Po Paris. Elle est l’une des auteurs du rapport du GIEC sur l’atténuation du changement climatique.
Impensable il y a encore peu, Sciences Po et l’Université du Sud de l’Australie accueillent ce 4 mai le Sufficiency Summit, 1er Sommet international consacré exclusivement à la sobriété.
Ce Sommet s’inscrit dans la continuité des travaux du GIEC qui a ouvert, pour la première fois, ses pages à la sobriété (Sufficiency en Anglais) dans son rapport sur l’atténuation du changement climatique ainsi que dans son rapport de synthèse.
Sur le plan politique, depuis plus de trente ans, la sobriété est un pilier important des politiques d’éducation, de santé et de développement en Thaïlande et depuis sa loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 la France considère la sobriété dans sa stratégie de lutte contre le dérèglement climatique et de renforcement de son indépendance énergétique. La France est le seul pays de l’Union Européenne à avoir mis en place un plan de sobriété énergétique en réponse à la crise énergétique causée par la guerre en Ukraine.
Toutefois, contrairement à la Thaïlande qui considère la sobriété dans toutes ses politiques, l’approche française de la sobriété a été à ce jour limitée au secteur de l’énergie et le plan sobriété mis en place par le gouvernement repose principalement sur la bonne volonté des différents acteurs de l’économie, et en particulier les ménages, de rationner leur consommation d’énergie.
Or la sobriété n’est pas le rationnement et encore moins le rationnement des plus vulnérables. Bien au contraire, la sobriété vise la satisfaction des besoins de tous les humains au lieu de satisfaire les envies d’une minorité au détriment de l’habitabilité de la planète. Par conséquent, la sobriété nécessite un changement de paradigme politique pour passer d’une société agnostique aux limites planétaires et qui bafoue les principes de justice à une société qui se développe dans le respect des limites planétaires et qui est gouvernée par un accès équitable aux ressources naturelles.
Selon le GIEC, la sobriété est un ensemble de politiques publiques et de pratiques du quotidien qui évitent en amont la demande en ressources naturelles (énergie, eau, matériaux, sols…) tout en garantissant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires. Les travaux du GIEC montrent que ce sont les politiques publiques qui permettent des pratiques du quotidien (i.e. vélo) qui elles déclenchent le changement de comportement des individus. Il est donc peu probable que l’injonction au changement de comportement des individus mène à des politiques publiques de sobriété.
Le concept de sobriété a fait son entrée dans le rapport du GIEC non sans heurts. Le mot sobriété est celui qui a le plus attiré l’attention des représentants des gouvernements lors de la relecture du draft du rapport. C’est grâce aux travaux français sur la sobriété, et notamment la recherche bibliographique publiée par l’Agence de la Transition Ecologique, ADEME, que le concept de sobriété a été maintenu dans le rapport.
Toutefois, le concept fut d’abord supprimé du résumé pour décideurs, seul document approuvé ligne par ligne par les gouvernements, puis réintroduit pendant la session d’approbation grâce à l’étroite collaboration avec quelques délégations dont la délégation française.
L’intégration de la sobriété dans le rapport du GIEC est une étape importante, mais reste insuffisante. Faire de la sobriété un pilier incontournable des politiques climatiques et des politiques de justice sociale nécessite une collaboration étroite et internationale entre scientifiques (toutes disciplines confondues) et les décideurs politiques. Les initiateurs du Sufficiency Summit se fixent comme objectif de lancer les jalons de cette collaboration internationale.
2 Responses
Dommage d’être informé 2 jours avant, très intéressé par les idées forces et la restitution des échanges. Sur le site du sommet on peut encore s’inscrire? (24 mai)
“La Thaïlande est un exemple de sobriété”
Ah, il n’y a pas de pauvres en Thaïlande ?