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Laurent Castaignède est ingénieur centralien, conseiller en bilan carbone (www.bco2.fr) et essayiste sur les transports, auteur dernièrement de La ruée vers la voiture électrique – Entre miracle et désastre (Écosociété).
Dans le domaine foisonnant des transports, la récente volte-face du secteur automobile en direction d’une électrification totale, du moins dans la plupart des pays occidentaux et dans une bonne partie de la Chine, constitue un tournant majeur, une petite révolution.
Elle cristallise autant les promesses de lendemains verts que les risques de dérapage incontrôlé : finitude et conditions d’extraction de ressources métalliques critiques, disponibilité de postes de charge, nature de l’électricité impliquée, masse, puissance et gabarit des véhicules concernés, constructeurs historiques bousculés, enjeux géopolitiques… constituent autant de thèmes sensibles au sujet desquels l’avenir tranchera.
Au milieu d’une actualité riche d’annonces spectaculaires autant que de craintes de la découverte d’effets rebond délétères, aborder l’histoire de la voiture électrique peut permettre, par des rapprochements, d’apporter quelques clés de compréhension. La voiture électrique n’est en effet pas du tout une innovation récente.
Elle a jalonné l’histoire de l’automobile de régulières apparitions, souvent brèves mais toujours remarquées. À plusieurs reprises, les spécialistes y ont cru souvent dur comme fer, le temps de mettre au point quelques prototypes, parfois des petites séries, avant de tout abandonner et de ne lui voir plus aucun avenir.
L’analyse des publications de ces différentes époques donne une idée sur les évènements notables qui ont caractérisé ces allées et venues, entre ferveur et dénigrement, que la courbe chronologique ci-dessous, certes subjective, permet de visualiser.
L’histoire de la voiture électrique commence en 1881, lorsque Gustave Trouvé arpente les rues de Paris avec un gros tricycle anglais sur lequel il a installé un moteur électrique et des accumulateurs au plomb, inventés quelques années auparavant par le physicien Gaston Planté.
On peut contester qu’il s’agisse vraiment d’une automobile (le terme n’existe d’ailleurs pas encore), sachant que des voitures à vapeur avaient déjà été expérimentées, d’abord en Angleterre, depuis les années 1820. Quoi qu’il en soit, c’est bien dans les années 1880 qu’émergent plusieurs concepts d’automobiles, à l’électricité, à la vapeur, au gaz ou à l’essence de pétrole.
Les premiers concours ont lieu dans les années 1890. La voiture électrique y fait d’abord pâle figure, les accumulateurs ayant une trop faible densité énergétique. Même si Charles Jeantaud s’inscrit en 1895 à la première véritable course automobile Paris-Bordeaux-Paris, il est obligé de concourir en construisant une voiture de plus de 2 tonnes et de jalonner le parcours de 15 ensembles d’accumulateurs de 850 kg, chacun préalablement chargé, qu’il compte échanger lors de son passage. Il devra malheureusement abandonner la course à Orléans suite à une avarie d’essieu, même s’il finit ensuite par rejoindre Bordeaux (avant de rentrer en train).
Mais les premiers succès arrivent. En 1898, dans le cadre de l’Exposition internationale d’automobiles de Paris, la voiture électrique remporte haut la main le concours de fiacres. Il s’agissait d’une série d’épreuves de conduite mêlant des critères de confort et de performance économique, sur un parcours de quelques dizaines de kilomètres.
Les compagnies de fiacres investissent alors dans cette innovation qui laisse autant entrevoir des bénéfices que le fait de pouvoir se débarrasser des chevaux, véritable plaie en milieu urbain tant ils étaient nombreux. Pour pallier la faible autonomie, les fiacres électriques étaient d’emblée conçus avec une batterie d’accumulateurs amovible, substituable à son dépôt grâce à des chariots, le tout permettant au fiacre de rapidement repartir en tournée avec le plein d’électricité.
Mais la fiabilité n’est pas au rendez-vous et les frais d’entretien, comme le renouvellement excessif des accumulateurs défaillants, plombent les comptes des compagnies, à tel point qu’elles abandonnent toutes rapidement cette opportunité. On ne dénombrera plus qu’une vingtaine de fiacres électriques en circulation lors de l’Exposition universelle de 1900, alors que plus de mille avaient été annoncés l’année précédente…
Faible autonomie, fiabilité incertaine, mais aussi manque de puissance. Pourtant, devoir consacrer une nuit entière pour recharger les accumulateurs n’était pas en soi un défaut : c’était la durée prise par les chevaux pour se reposer et reprendre des forces dans leur écurie.
Mais délivrer lentement du courant limitait aussi dans l’autre sens la puissance du moteur, donc la vitesse du véhicule, qui ne pouvait guère dépasser 20 ou 30 km/h. Il y eut certes le constructeur belge Camille Jenatzy qui, fort de gagner des courses de côte lors desquelles ses voitures électriques chauffaient peu, critère qui pénalisait les moteurs à essence, conçut un modèle spécial en forme de torpille et dépassa le premier (et pour 3 ans !) le seuil mythique des 100 km/h (sur 1 km lancé) sur la ligne droite d’Achères (Yvelines). Notons en passant que pour se rendre sur les lieux, il était tracté par une voiture à essence, ce qui en dit long sur sa praticité en usage courant…
Bref, la voiture électrique se vendit peu en Europe où son usage est demeuré marginal. Elle eut davantage de succès aux États-Unis, où elle tenait encore brièvement la corde en 1900 face aux modèles à essence et à vapeur. Il faut reconnaître que l’usage automobile, dans l’Est, y était essentiellement urbain, faute de routes carrossables entre les villes, les liaisons ferrées étant largement privilégiées. Les grandes villes européennes bénéficiaient au contraire d’un réseau ancien de routes de qualité, et l’on trouvait facilement de l’essence en bidons pour se ravitailler, jusque dans les épiceries ou les pharmacies, y compris à la campagne.
La voiture électrique tomba donc en désuétude. La voiture à essence, certes bruyante et moins pratique d’usage (le démarreur électrique n’avait pas encore été inventé) s’imposa : elle était plus légère, plus rapide, moins chère et dotée d’une autonomie bien plus souple. Dans les années 1910, aux États-Unis, Thomas Edison crut un temps renverser la situation en mettant sur le marché des voitures électriques équipées d’une nouvelle génération d’accumulateurs alcalins plus fiables, mais tout aussi lourds. Ce fut un nouvel échec.
Ce faisant, le progrès technique des moteurs à essence alimentait la performance des automobiles, tandis que celui des accumulateurs stagnait. Le fossé technique se creusait. Et ce n’est que sous l’Occupation, en proie à des pénuries d’essence, que l’idée et la motivation à construire des voitures électriques réémergea.
Le polytechnicien Jean-Albert Grégoire s’y attela et sortit avec son équipe un modèle dans l’urgence qui permettait de circuler correctement. Mais il ne fut fabriqué qu’à 200 exemplaires, la production étant d’ailleurs arrêtée faute de métaux disponibles, le plomb et le cuivre étant réquisitionnés pour faire des munitions…
Grégoire avait pu mettre à niveau le concept, constater sa relative efficience, malgré une autonomie d’une centaine de kilomètres à environ 40 km/h de moyenne. Une fois la guerre terminée et l’essence revenue, tout fut de nouveau abandonné.
C’est la pollution excessive de l’air urbain, plus particulièrement en Californie et dans les grandes villes américaines, qui remit en selle l’intérêt d’électrifier le parc automobile. En 1965, il fut même conseillé au président américain Lyndon Johnson d’abandonner prochainement les moteurs à combustion interne (dits « à explosion ») pour se tourner vers les batteries (et les piles à combustible) !
Les constructeurs reçoivent alors des subventions pour concevoir des prototypes mais constatent vite que l’écart de prestations, notamment en autonomie et en vitesse, est toujours rédhibitoire. Parallèlement, on commence à réduire cette pollution en instaurant les premières réglementations sur les véhicules, tant sur l’étanchéité à l’essence que sur les émissions à l’échappement… Et Grégoire de préciser que la voiture électrique pêche trop par l’attention régulière et fine que nécessite sa batterie, réservant d’après lui son usage à un professionnel, pas à un particulier.
Dans les années 1970, les chocs pétroliers et l’envolée des cours du baril bousculent l’économie, provoquent des restrictions de distribution d’essence et agitent le spectre de sa raréfaction à moyen terme. En Europe comme aux États-Unis, à grand renfort de subventions publiques, on remotive les constructeurs à s’intéresser à l’électrification, qui cette fois en viennent à commercialiser des véhicules. Sans succès de nouveau, tant leur performance est encore complètement décalée.
Dans les années 1990, à la faveur d’un regain de lutte contre la pollution de l’air, des séries de véhicules réapparaissent, plus particulièrement aux États-Unis et en location (de 3 ans), comme par exemple avec le modèle EV1 de General Motors. Cependant, à la fin des contrats, les véhicules sont détruits, faute de véritable marché, ce qui arrange bien les groupes pétroliers… Le soufflet retombe de nouveau.
Mais c’est à la faveur de la technologie lithium-ion, qui marque un saut dans la densité énergétique, puis aussi par les progrès de l’électronique de puissance, qui permet de mieux gérer les charges, que l’espoir renaît. D’autant que la problématique climatique entre sur le devant de la scène.
La voiture électrique, qui jusqu’ici avançait comme principal argument la moindre pollution locale de l’air qui l’entoure, est rapidement présentée comme potentiellement bénéfique en termes d’émissions de CO2, vu qu’elle ne brûle pas de carburant en roulant.
Des modèles citadins, puis des berlines de luxe, commencent à bien se vendre à partir des années 2010. Ce faisant, la voiture thermique flanche, victime du scandale du dieselgate qui jette le diesel aux orties.
L’heure de la voiture électrique a-t-elle (enfin) sonné ? Mais avec quelle électricité assure-t-on ses recharges régulières ? Qu’en est-il des métaux spécifiques constituant sa batterie, son moteur et ses nombreux câblages ?
Risque-t-on un nouveau scandale, l’electricgate, si elle s’avère bien moins verte qu’elle le prétend ? On quitte l’histoire pour basculer dans le passé récent puis dans le présent, ce qui est une autre histoire !
One Response
Bonjour Bon Pote,
Au risque de passer pour un vilain critique, utiliser Trinity Player – la solution d’IA qui permet de générer l’audio en multiple langue pour votre contenu -, est très chouette mais a sans doute un coup environnemental peu en adéquation avec l’idéal de votre initiative.
A vrai dire je n’ai pas les coûts exacte pour la dite entreprise, mais voici un article de Nature sur celles des IA génératives en générale : https://www.nature.com/articles/d41586-024-00478-x
Quoi qu’il en soit, merci pour votre travail et vos articles de qualités.