La décroissance gagne du terrain, mais pas forcément comme elle le devrait. Depuis trois mois, sentant que la croissance verte commençait à être de plus en plus difficile à vendre, les médias, dans leur immense majorité, se sont mis à dire n’importe quoi. Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai lu ou entendu des âneries sur la décroissance, à l’instar de François Lenglet qui, devant 4 millions de téléspectateurs, compare la décroissance à une économie de confinement, où les gens devraient rester enfermés. Le problème ici, c’est que la loi de Brandolini s’applique : 10 sec pour dire une erreur, 10 min pour la réfuter. La probabilité d’avoir ces 10 min étant faible, la personne dans l’erreur a plus de chance de voir son idée retenue.
C’est un combat très inégal : ceux qui critiquent la décroissance ne lisent pas (ou très peu) la littérature sur le sujet. En revanche, leur voix est entendue par des milliers (voire des millions) de personnes, alors que les publications des spécialistes de la décroissance dépassent rarement les revues spécialisées.
L’objet de cet article n’est pas de rappeler les limites de la croissance verte. Il y a plus de 70 papiers universitaires disponibles sur Google Scholar réfutant son existence, n’en déplaise aux ‘économistes’ comme Nicolas Bouzou. Il s’agit ici de rappeler quelques définitions élémentaires d’économie afin de ne plus entendre le mot décroissance utilisé à tort et à travers.
La décroissance subie n’existe pas
Nous devrions nous féliciter de voir le mot décroissance de plus en plus présent dans les médias. Une belle fenêtre d’Overton qui porte ses fruits. En revanche, 99% du temps, le mot est très mal employé, et pas forcément volontairement : celles et ceux qui emploient le mot ne voient l’économie que par le prisme du PIB. A leurs yeux, décroissance = chute du PIB. Mais quid de la décroissance subie ? Lorsque l’on connait la définition de la décroissance, cela ne veut rien dire. D’ailleurs, une rapide recherche sur Google en atteste.
Votre décroissance s’appelle en réalité récession, ou plutôt dépression. Rappel : selon l’INSEE, ‘un pays entre en récession quand son PIB se replie pendant au moins deux trimestres consécutifs‘. Ensuite, la dépression économique se définit comme telle : ‘forme grave de crise économique. Elle consiste en une diminution importante et durable de la production‘. C’est bien de cela dont on parle, lorsqu’on pense que le PIB est le seul indicateur qui compte pour évaluer une économie.
Malheureusement, le PIB fait abstraction de la nature : l’arbre n’a de valeur que quand il est coupé et la disparition des abeilles booste le PIB car il faut les remplacer par des travailleurs. Autre limite, le PIB ne nous dit rien sur les inégalités. Le PIB peut augmenter alors que la pauvreté s’aggrave si ce sont les hauts revenus qui s’enrichissent (c’est d’ailleurs le cas en France depuis 2006).
En un mot : le PIB nous dit à quelle vitesse roule l’économie mais pas où elle va. Le fétichisme du PIB, c’est de l’économie à la Fast and Furious – ça finit soit dans le mur (écologique), soit à la casse (sociale). Maintenant que nous avons rappelé que la décroissance subie n’était pas un terme adéquat, rappelons quelle est la définition de la décroissance.
Qu’est-ce que la décroissance ?
Cette définition s’inspire très largement des travaux de Timothée Parrique et Giorgos Kallis, tous deux spécialistes de la décroissance. Contrairement aux unes caricaturales du Point ou de Valeurs Actuelles, la décroissance n’est pas une idéologie de Khmers Verts, ni un retour au Moyen-Age. C’est un projet de société.
Le concept a trois aspects distincts. Premièrement, la décroissance – comme le mot l’indique – veut dire réduire la production et la consommation pour limiter les dégâts sociaux et environnementaux. Plus précisément : c’est un ralentissement et un rétrécissement de la vie économique au nom de la soutenabilité, de la justice sociale, et du bien-être.
Mais attention ! La décroissance n’est pas une version miniaturisée de notre modèle économique actuel : c’est un système économique alternatif. C’est son aspect révolutionnaire. Ici, on parle de dé-croissance dans le sens d’une dé-croyance : abandonner l’idéologie de la croissance et sa vision matérialiste du progrès, celle qui dit que plus, c’est toujours mieux.
La décroissance peut se définir en trois valeurs : l’autonomie, la suffisance, et le care. L’autonomie est un principe de liberté qui promeut la tempérance, l’autogestion, et la démocratie directe. La suffisance est un principe de justice distributive qui affirme que tous, aujourd’hui et demain, devraient posséder assez pour satisfaire leurs besoins, et que personne ne devrait posséder trop en vue des limites écologiques. Le care est un principe de non-exploitation et de non-violence qui promeut la solidarité envers les humains et les animaux.
En outre, la production devrait être organisée autour de la satisfaction des besoins au lieu de la recherche du profit. C’est le principe de la production socialement utile. Une fois cette définition acquise, il reste le plus important : comment y arriver.
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Comment aller vers la décroissance ?
La propriété, le travail et la monnaie : voici les trois institutions fondamentales de tout système économique. Dans l’idéal-type capitaliste, elles prennent la forme de la propriété privée, le travail salarié, et la monnaie à usage général. Une transition vers la décroissance changerait profondément chacune de ces institutions.
Sur l’aspect propriété, l’objectif est triple : (1) la redistribution des richesses (taxe sur la richesse, salaire maximum, revenu de base) ; (2) la distribution des richesses (en finir avec la recherche du profit et démocratiser la gouvernance d’entreprise) ; et (3) la pré-distribution des richesses (donner des droits constitutionnels aux écosystèmes, prévenir l’appropriation privée de ressources naturelles, et interdire ou limiter les activités polluantes).
La transformation du travail a aussi trois aspects. Il faudrait moins travailler pour réduire le chômage, les émissions, et pour libérer du temps libre. Moins, mais aussi mieux. Nous devons nous assurer que le travail participe au bien commun, que les tâches ingrates soient équitablement réparties, que le travail ne dégrade jamais la dignité des travailleurs, qu’il soit rémunéré de façon juste, et qu’il soit démocratiquement organisé.
Le troisième aspect est le plus important : nous devons changer notre vision du travail. Parce que certaines activités humaines sont créatrices de valeur même si cette valeur n’est pas monétaire, le travail ne devrait pas être défini seulement par le salaire. Évaluons l’utilité du travail de manière concrète en termes de satisfaction des besoins.
Si vous souhaitez en savoir plus, je vous invite encore une fois à vous plonger dans les travaux de ces spécialistes. Vous y trouverez chaque point développé et très certainement réponse à de nombreuses questions, comme le financement de l’Etat providence dans une période de décroissance, ou encore la différence entre innovation et progrès, confusion faite encore malheureusement tous les jours.
Le mot de la fin
Nous allons rentrer dans une zone de turbulences, où le choix des mots sera tout aussi important que les idées. De mon côté, je ne laisserai plus personne raconter n’importe quoi sur 1) la croissance verte 2) la décroissance. Il est temps d’oublier cet indicateur ridicule qu’est le PIB et de passer à autre chose. C’est d’ailleurs ce que propose le Shift Project, avec un plan de transformation de l’économie française, auquel je souscris bien évidemment.
Compte tenu du poids de la presse traditionnelle, imposer l’idée de décroissance (ou au moins de sortir du PIB !!) ne sera pas chose facile. J’ose même comparer cela à David contre Goliath… En espérant que nous puissions éviter qu’une personne ait à prendre un caillou dans la tête pour comprendre les bases de l’économie.
Je souhaiterais conclure avec une citation qui fera très certainement plaisir à M. Laurent Alexandre : la croissance verte est ‘l’équivalent économique du transhumanisme : une tentative d’échapper à la réalité biophysique‘. Sortons du déni, et débattons ensemble de la société que nous souhaitons pour demain.
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22 Responses
Bonjour,
Je ne suis pas d’accord, avec vos propos, mais je me garderais bien de vous contredire n’ayant pas les connaissances pour. Sauf sur un point.
“Il faudrait moins travailler pour réduire le chômage, ” Le travail ne se partage pas, à moins de réduire les salaires (20h payées 20h). On a comme exemple récent le passage aux 35h payées 35h, qui n’a pas créé d’emplois (cf Wasmer https://ideas.repec.org/p/spo/wpmain/infohdl2441-10198.html ), les seuls emplois créés à ce moment le furent grâce à la diminution des charges.
De plus, pour augmenter la productivité et maintenir la production, les entreprises ont importer de novelles méthodes de managements (Lean management) qui ont eu pour résultat une hausse des maladies professionnelles et accidents du travail (cf Ashkenazy “Les désordres du Travail”).
J’aurai également une question: si je comprends bien, vous vous voulez vous appuyer sur la démocratie pour organiser la décroissance. Mais que faire si personne ne veut décroître ?
En tout cas merci pour votre blog et le lien vers “Crise(s), climat : plan de transformation de l’économie français” du Shift Project, cela faisait un petit moment que je cherchai à me renseigner sur la décroissance sans vouloir acheter des bouquins douteux.
(+Si cela vous intéresse, je suis arrivé ici grâce à un retweet du Réveilleur).
J’aurai du me relire avant de poster le commentaire, il y a des fautes, désolé.
Bonjour,
Effectivement, la baisse du salaire (de certains salaires) sont indispensables. Je vous conseille de lire Bullshit Jobs de Graeber !
Disons que nous sommes en démocratie, où les citoyens sont informés convenablement sur les questions énergétiques et ont lu (au moins) les rapports des décideurs du GIEC. Sauf les idiots, la décroissance apparaît comme une évidence. Sauf si vous arrivez à démontrer la croissance verte, faites moi signe 😉
Pour la lecture sur la décroissance, je vous conseille cet article et la thèse en lien ! https://bonpote.com/imaginer-leconomie-de-demain-la-decroissance-par-timothee-parrique/
Bonjour, un article et des commentaires très intéressants !
Entre la.croissance décidée démocratiquement et intelligente de Loïc et le quasi-effondrement de Camilo, il me semble qu’il y a un moyen terme : la baisse progressive des approvisionnements en énergies fossiles et la lutte contre le réchauffement peuvent provoquer en Europe une décroissance subie mais volontaire (pilotée par les contraintes).
Je voudrais ajouter que la technoscience fait partie de la solution, pas du problème. Une énergie abondante sera possible avec les réacteurs surgénérateurs nucléaires, la fusion nucléaire ou le solaire spatial (étudié en Chine). Avec un bon système de récupération des déchets, on peut réutiliser presque indéfiniment les métaux. Une agriculture performante mais durable est étudiée entre autres à l’INRA.
Revenir au Moyen-âge, ce serait le pire du pire, la vie sur terre serait à la merci de 2 dangers inévitables :
– un astéroïde géant,
– dans 1 milliard d’années le Soleil deviendra trop chaud pour la vie sur terre.
BonPote,
Je pense que le débat sémantique ci-dessus est représentatif de la bataille des mots qui a déjà commencé. Oui ce sera un combat, et oui il ne faut avoir aucun complexe à utiliser les mêmes outils que nos adversaires (dont l’utilisation des réseaux sociaux).
Et ce combat commence par le discours et les mots.
Décroissance malheureusement a la même racine que croissance, d’où la confusion qui va perdurer beaucoup trop longtemps et qui donne l’impression que l’on conserve le même référentiel PIB.
Commencons dès maintenant à construire le vocabulaire approprié.
Je ne parle plus que de projet de société ‘sobre’ et je sens que ce terme passe mieux dans les discussions.
Ne parlons plus de transition écologique, mais de redirection écologique, moins violent que révolution écologique qui donne du grain à moudre aux pourfendeurs des khmers verts.
Le choix de nouveaux termes peut sembler rapidement glisser vers le marketing/communication, et bien qu’il en soit ainsi. N’arrivons pas avec des fleurs à un combat de tanks, même si le combat reste intellectuel.
Dans tous les cas, toujours un plaisir de vous lire.
Je suis d’accord sur le constat que :
– le système capitaliste dominant actuel basé sur la croissance et le PIB a montré ses limites ;
– à cause de l’épuisement progressif des énergies fossiles et nucléaires non-renouvelables, la décroissance est une contrainte dont il faut faire avec de toute façon, qu’on le veuille ou non ;
– de plus, si on veut limiter la casse quant au dérèglement climatique (les +1,5° de réchauffement, avec tous les désagréments sur les écosystèmes que ça engendre, sont déjà embarqués dans les émissions des GES déjà faites, c’est trop tard pour empêcher ça, maintenant c’est une question de savoir jusqu’où on réchauffera la planète, sachant que chaque petit incrément multiplie les effets de dérèglement), on a de toute façon intérêt à ralentir l’économie à l’extrême. Moins de PIB = Moins de machines qui travaillent (car l’essentiel de la production humaine moderne provient des machines, absolument pas des muscles humains ou animaux ou des énergies renouvelables); Moins de machines = Moins d’énergies fossiles consommées (l’essentiel des machines sont pompées aux EF, typiquement pour le transport, mais aussi la production d’électricité, l’industrie, l’agriculture, le bâtiment, …) ; Moins d’énergies fossiles = Moins d’émissions de CO2. Autrement dit, la SEULE façon de réduire l’empreinte carbone des activités humaines dans des ordres de grandeur SIGNIFICATIFS (on ne parle donc pas de quelques 2-3% anecdotiques), c’est avec de la décroissance, mais avec de la décroissance EXTRÊME, autrement dit OUI, ça veut dire ABSOLUMENT plus ou moins le retour à la chandelle / au niveau de vie grosso modo du Moyen Âge. Ça peut faire peur, vous laisser plus que sceptique, vous dégoûter, vous laisser perplexe, vous angoisser, vous attrister, mais c’est comme ça.
– puisque la décroissance est une donnée incontournable (elle a déjà commencé en Europe, au fait… la croissance ne reviendra pas malgré les meilleures volontés de la classe politique, des “spécialistes” de l’économie, des entreprises…), autant essayer de l’organiser au mieux qu’on peut pour que l’expérience soit plus ou moins sympa, gérée, acceptée, plutôt que subie.
Désolé d’être tranchant mais j’en ai fait le tour de ce genre de vision hyper naïve et tarte à la crème de la décroissance. L’auteur de cet article ne semble pas comprendre ou en tout cas prendre en compte les questions sous-jacentes à la décroissance. Certes, il faut tout à fait réinterroger point par point les principes et mécanismes du système productiviste actuel, et les pistes de réflexion évoquées dans cet article sont dignes de considération, mais ne croyez pas une seule seconde qu’il suffit d'”en finir avec la recherche du profit” et de “changer notre vision du travail” et tout ira bien… Je répète, quand on parle de décroissance, subie ou pas subie, on parle, in fine, d’arriver inexorablement à un point de retour de conditions matérielles pré-industrielles, donc vous prenez l’histoire de l’humanité avant la 1ère révolution industrielle de la machine à vapeur (pompée au charbon, énergie qui s’épuisera), c’est ça qui nous attend. Faire plus moderne que ça, donc plus énergivore, sera physiquement impossible. Et ce chemin de décroissance de la société thermo-industrielle moderne vers le retour à la chandelle, qui sera somme toute au moins aussi fulgurant si ce n’est plus rapide encore, que la transition dans l’autre sens de l’ère pré-industrielle vers le progrès moderne, au surplus dans un contexte dans lequel il faudra des moyens d’adaptation colossaux aux effets ultra néfastes du réchauffement climatique éclair en train de se produire (rappel : les écosystèmes s’adaptent très bien aux réchauffements climatiques naturels, quand ils se font de manière lente, sur des milliers d’années, ils sont par contre très mal adaptés, donc avec haut risque d’extinction, quand ça se passe de manière très soudaine, l’histoire de la planète l’a montré plein de fois par le passé), sera TRÈS douloureux dans tous les cas, et ce sera certainement la guerre, la famine et la maladie, voire l’effondrement de la société humaine, si ça se passe de manière non gérée.
L’auteur de l’article (moi) revient sur des notions d’économie.
La décroissance, comme définit par Timothée Parrique, c’est d’imaginer l’économie de demain. Nous parlons de définition d’économie, d’un projet de société.
Maintenant, si vous lisez un peu d’autres articles, je ne fais QUE cela d’alarmer sur les catastrophes à venir, dont les guerres, que je pense inéluctables. Ce que je souhaite, c’est faire sortir du déni les gens et qu’on se prépare à cela (je préfère viser la sobriété et ralentir avant de manger le mur, plutôt que de le prendre en ayant accélérer comme un débile juste avant). Si vous pensez que je suis crédule, je vous invite à lire mon texte sur le prix bas du pétrole, sur le raciste qui doit se dépêcher de devenir écolo, etc.. Vous devriez changer d’avis.
Vous voulez que je change d’avis sur quoi ? Sur le fond de mon commentaire, ou sur l’avis que je me fais de vous ?
Si vous êtes conscient des enjeux climat-énergie qui nous conduisent à une décroissance inexorable, tant mieux !
“Ce que je souhaite, c’est faire sortir du déni les gens et qu’on se prépare à cela (je préfère viser la sobriété et ralentir avant de manger le mur, plutôt que de le prendre en ayant accélérer comme un débile juste avant)” On est parfaitement d’accord là-dessus.
Or il faut justement insister sur toute la dimension du problème, c’est à dire qu’il faut bel et bien commencer par se réveiller, prendre conscience, que la décroissance est, à la base, un PROBLÈME incontournable, c’est vraiment la merde quoi : récession, dépression, chômage de masse (au début, du moins), fin des études longues pour tous, fin des rayons de supermarché bien remplis partout tout le temps, fin d’un système de soins médicaux hyper développé accessible partout à tout le monde, retour de grosso modo 80% de la population au champ de patates, fin de la retraite à 65 ans, au fait fin de la retraite tout court, mise sous FORTE contrainte des acquis sociaux comme le droit de divorcer, les droits des femmes, voire l’abolition de l’esclavage etc. qui, eux aussi, sont intrinsèquement lies à l’abondance énergétique (et donc payés par le PIB, donc question : comment faire, littéralement, pour préserver ces acquis sans croissance ? Personne en a la réponse aujourd’hui et ce genre d’article n’en donne pas la moindre piste de solution. Attention, c’est TRÈS difficile comme sujet, donc je ne vous critique pas de ne pas en donner, du reste j’en ai pas plus que vous), et on oublie Netflix, les congés payées, les allocs chômage, les cados à foison à Nöel…
Ce n’est QUE à partir du moment ou tout le monde, ou du moins une bonne part d’entre nous, est bien au courant de cet état de fait que, éventuellement, on peut commencer à switcher de registre philosophique pour essayer, tant bien que mal, à faire de la décroissance, qui est avant tout une contrainte subie, un “projet choisi”.
Que vous soyez conscient de tout ça c’est parfait, et si vous en parlez sur d’autres articles que je n’ai pas lu tant mieux, mais je ne changerai pas d’avis sur le fait que l’article ci-dessus EST crédule, puisqu’il omet entièrement d’en parler et d’en faire la pédagogie, d’abord, de la dimension absolument contraignante (au sens d’effondrement de tous nos acquis modernes) de la décroissance.
Je comprends que, fondamentalement, la volonté des décroissants politiques est de donner des titres d’honneur à la décroissance, à donner de l’espoir, de l’envie, de rendre la décroissance sympa voire sexy et lui enlever le côté rabat-joie, angoissant, péjoratif des notions de récession et de dépression. Et là-dessus ils ont raison, puisque de toute façon on va y passer, donc autant commencer à changer philosophiquement de registre. Mais ça ne doit pas être au prix d’une présentation naïve des choses qui omet la réalité physique du problème, au risque de désillusionner et de se faire justement critiquer de naïfs par ses détracteurs.
“La décroissance, comme définit par Timothée Parrique, c’est d’imaginer l’économie de demain. Nous parlons de définition d’économie, d’un projet de société.”
Ce M. Timothée Parrique est sans doute un brave homme et sans doute son œuvre digne de considération (je ne le connais pas cela dit), mais cette définition de la décroissance est bidon, désolé. Au mieux, ça sert à définir “la décroissance” en tant que courant de pensée, mais la Décroissance physique réelle avec un grand D, la vraie, celle qu’on va tous se payer, c’est ni plus ni moins la fin de la corne d’abondance moderne, que cela nous plaise ou pas.
Merci pour cet échange.
Comme les mots sont importants, vous parlez ni plus ni moins d’effondrement, de collapsologie, et non de décroissance. La définition de la décroissance est dans sa thèse qui fait 872 pages, cela ne tient pas dans un texte de 5 mins (format que je garde volontairement, où je mets des sources pour que les personnes creusent). Si vous n’êtes pas dans le déni tant mieux, si vous pouvez informer le plus possible autour de vous tant mieux, c’est tout l’objet de mon blog depuis bientôt 2 ans.
Encore désolé, mais votre réponse a plutôt tendance à me montrer qu’au fait vous êtes dans l’incompréhension du problème, ou alors c’est par fierté intellectuelle de tenir à m’opposer un contre-argumentaire qui vous pousse à répondre n’importe quoi.
Si, BIEN SÛR que je parle de décroissance, de ça et pas d’autre chose, et si vous n’en avez pas fait le lien avec le (très fort) risque d’effondrement de nos sociétés (évident, qui n’a pas besoin de 872 pages mais peut bel et bien, dans les grandes lignes, tenir en 5 min d’explication… bon, ok, disons 1h de powerpoint grand max), et la perte CERTAINE de la plupart des acquis de la vie moderne, simplement parce-qu’elle a une dépendance physique sous-jacente à un système très énergivore, de surcroît parce-que la décroissance énergétique arrive de pair avec le dérèglement climatique, avec tous ses désagréments ultra contraignants, dont littéralement de l’effondrement de certains écosystèmes à la face duquel il faut disposer de capacités d’adaptation (donc de moyens, donc d’énergie) colossaux, qui seront tout simplement de moins en moins disponibles, alors c’est qu’il y a encore quelque chose de fondamental qui vous échappe ?
Vous connaissez bien le sujet depuis bientôt 2 ans, alors vous connaissez forcément les travaux de Philippe Bihouix, de Matthieu Auzanneau, de Jean-Marc Jancovici…?
Bien sûr, je m’intéresse à leurs travaux, et ai entre autres fait mon mémoire sur le peak oil il y a plus de 10 ans maintenant, donc ces sujets ne sont pas nouveaux pour moi.
Je parle de sémantique, vous me parlez de constat. Sur le constat, on se rejoint (allez, à la différence que je garde 1% d’optimisme), l’objet de l’article est bien sur la sémantique. Je ne vais pas réécrire en commentaire ce que j’ai écrit dans 10 articles concernant le reste (votre constat, que je partage dans les grandes lignes).
En termes de sémantique, j’emploie en toute rigueur tout à fait les bons mots…
Plus fondamentalement : il faut absolument garder l’optimisme, vous avez raison, sinon on n’a qu’à tous se tirer une balle tant qu’on y est… Or ma critique, depuis le début, porte sur le fait que cet optimisme ne peut faire l’économie sur des vraies réflexions de fond sur ce que c’est la décroissance, la vraie (ergo = risque très fort, probable, d’effondrement)… Quand on comprend le lien intrinsèque entre abondance énergétique et abolition de l’esclavage, apparition du suffrage universel, apparition des droits des femmes etc., alors pour moi les vraies questions de fond sont comment et lesquels, si tant est qu’on y arrive, de ces acquis sociaux/sociétaux on peut préserver en l’absence de cette énergie abondante et ressources naturelles, elles aussi, vraisemblablement décroissantes, soit car non renouvelables, soit à cause des écosystèmes fragilisés et moins résilients à cause du changement climatique.
OK pour parler de “monnaie locale” et de “démocratie directe”, mais, même dans le cadre d’un court article parmi une centaine d’autres, il faut toujours rappeler (ne serait-ce qu’en un court paragraphe) le contexte hyper contraignant et douloureux dans lequel tout ça s’insère, sauf si le public auquel on s’adresse est exclusivement composé de personnes qui en sont au courant, or la diffusion de cette conscience est encore très marginale.
Bref, je m’arrête là… Encore merci pour cet échange et bonne continuation.
C’est aussi une approche très paradoxale de lire un tel billet et de voir qu’il est accompagné d’une incitation à utiliser les réseaux sociaux, qui le mot marketing pour dire “site web de méga corporations capitalistes ayant pour seule vocation de collecter les données personnelles afin de générer du profit en manipulant l’opinion / vendre de la pub”, l’exact opposé de la notion de décroissance, un symbole de tout ce qu’il ne faut pas faire.
On pourrait aussi parler du choix technologique d’utiliser wordpress qui est lui aussi un symbole de gaspillage inutile de ressources alors qu’il existe des alternatives en phase avec le propos tenu ici. On pourra citer l’exemple du lowtechmagazine.
WordPress est une solution pratique pour moi, qui passe déjà entre 5 et 30h par article, pour publier du contenu facilement. Le site n’a pas de pub, vous venez de lire du contenu gratuitement. J’ose espérer que mon contenu est assez clair pour comprendre que je prône la sobriété, à tout point de vue (donc y compris numérique), et si je n’avais pas communiqué sur FB/twitter/linkedin/IG, de nombreux lecteurs ne m’auraient jamais connu/lu et changé certaines de leurs habitudes, ce qui est le but du site.
Mais si au lieu de critiquer vous proposez une alternative, je suis preneur.
Marx ou Lénine disait qu’il fallait être là où le combat porte. La présence sur les réseaux dits sociaux est nécessaire et nullement un gage de certification.
Je trouve toujours étonnant de voir la prochaine évolution du capitalisme être citée comme objectif de décroissance: le revenu de base.
Le revenu de base est l’exact opposé de ce qui est souhaitable, et c’est dommage qu’il serve ainsi a éclipser une solution pourtant connue le salaire à vie: http://www.reseau-salariat.info/videos/6a2aa40dce09799c0cadcbffcef31985/
Bonjour,
Je réfléchis depuis un moment à ce sujet revenu de base vs. salaire à vie. Le principe du salaire à vie est très intéressant mais la manière dont Bernard Friot le présente est pour l’instant encore associé à la notion d’emploi comme nous le connaissons aujourd’hui, avec le critère de qualification et donc associé à une forme de productivisme. Ce n’est pas une critique forte et connaissant le parcours de B. Friot, sa proposition est totalement cohérente mais je pense qu’il est nécessaire de la faire évoluer encore un peu pour qu’elle soit compatible avec une société en décroissance, ou une société ‘sobre’ (pour éviter toute incompréhension comme je le lis plus haut dans les commentaires 🙂 ).
Je réfléchis à une notion de revenu d’activité qui serait une combinaison de revenue de base et du salaire à vie. Travail en cours 🙂
Bonjour ,
Je tombe sur votre commentaire sur le blog Bon Pote (que je découvre aujourd’hui ….)
Je suis sociologue (DR au CNRS) et je viens de commencer mon éméritat cette année après l’avoir préparé en mode ‘bénévole’ auparavant. Dans ce cadre je m’engage depuis ( en collaboration avec deux des jeunes chercheurs en doctorat que j’encadre) à continuer mes travaux hors de ma zone de confort (j’ai travaillé toute ma vie sur la construction sociale des biographies au prisme du genre). ‘Nous’ travaillons ainsi à penser les formes possibles de rétribution de la citoyenneté active (seule ouverture soutenable vers un monde où l’activité au service de la satisfaction des besoins de proximité puissent devenir prioritaire dans un monde durable où l’économie est au service des gens et non l’inverse). Dans ce contexte:
– les mots clés sont donc : contribution; coproduction, revenu de transition; activités ; investissement social, développement local; économie sociale et solidaire, modèles socio-économiques pluriels, services au public, etc…
– l’univers de référence est la société inclusive où l’on “met l’Activité (et donc ni l’Emploi ni les allocations de l’aide sociale… et encore moins l’Emploi à vie) au coeur de la protection sociale” (et je connais bien moi aussi Bernard Friot a qui j’ai répété mille fois que son modèle, sous des formes universelles, était fort ‘excluant’ …).
A suivre si ces travaux vous intéressent ?
Voici une excellente synthèse du concept de décroissance, bravo. Un paramètre très important reste cependant peu pris en compte par Jancovici et le shift projecteur: la démographie à moyen et long terme. Il faut lire le dernier ouvrage des canadiens Carles et Granger sur ce sujet: « l’Aogée, l’avenir en perspective ». Une claque qui rend optimiste
Le mot “décroissance” fut peut-être mal choisi dès le départ…
Ceci dit, reprenant la notion de “réalité biophysique”, il nous faut reconnaître que l’humanité et sa technosphère (inséparables) devront bientôt passer le goulot d’étranglement de multiples contraintes :
1. raréfaction des combustibles fossiles, instabilité de leur approvisionnement, décroissance de leur rendement ;
2. insuffisance des énergies alternatives à combler le déficit énergétique des combustibles fossiles (face à une demande pourtant croissante) ;
3. raréfaction des minéraux “stratégiques” et… autres ;
4. diminution des rendements des sols agricoles et des pêches ;
5. perte progressive des “services écologiques” – en raison de l’urbanisation croissante, de la croissance démographique, de la déforestation, de la pollution (urbaine, industrielle, agricole), des impacts climatiques sur les niches écologiques, etc. ;
6. pression migratoire augmentée sur les États d’accueil en raison des impacts climatiques et des déficits budgétaires des États exploitants les combustibles fossiles…
Éventuellement, l’humanité et sa technosphère devront “faire avec” la capacité de charge des écosystèmes et avec les ressources minérales restantes exploitables.
Je me demande alors si les objectifs d’une “décroissance conviviale” sont bien adaptés à la réalité du terrain présent et à venir…
Bonjour Paul, je rejoins le commentaire de Philippe Gauthier sur FB, les limites physiques sont bien sûr présentes, mais c’est surtout un point de départ et non d’arrivée. L’objectif des travaux de Timothée Parrique et de bien d’autres spécialistes est d’imaginer l’économie du futur. Je vous invite à lire notre interview (en lien dès le début de l’article), et comme vous lisez l’anglais, sa thèse est un petit bijou 😉
C’est surtout un mot tabou alors que la croissance est un mot bouée ..