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C’est désormais officiel, la limite planétaire sur l’eau douce est dépassée. C’était déjà partiellement le cas avec l’eau verte depuis avril 2022, et c’est désormais confirmé pour l’eau bleue. Une nouvelle étude d’une équipe internationale évalue pour la première fois toutes les limites planétaires, y compris celles sur la charge atmosphérique en aérosols.
Grâce à cette troisième évaluation globale, nous savons désormais que nous sommes passés de 3 à 6 limites dépassées. La limite de l’acidification des océans est sur le point d’être rompue, tandis que celle sur la charge d’aérosols est dépassée régionalement. Les niveaux d’ozone stratosphérique se sont légèrement rétablis, tandis que le niveau de transgression a augmenté pour toutes les limites précédemment identifiées comme dépassées.
Qu’est-ce qu’une limite planétaire ?
Avant de rentrer dans les détails, définissons ce qu’est une limite planétaire. En 2009, Johan Rockström mène un groupe de 28 scientifiques internationaux afin d’identifier les processus qui régulent la stabilité et la résilience du système Terre. Ils proposeront une mesure quantitative des frontières planétaires dans lesquelles l’humanité peut continuer à se développer et à prospérer. Voici le résultat en 2015, à la deuxième évaluation globale :
Ces limites planétaires répondent donc à cette question : « jusqu’à quelles limites le système Terre pourra absorber les pressions anthropiques sans compromettre les conditions de vie de l’espèce humaine ? ».
Les limites planétaires ne sont pas aussi simples qu’au premier abord…
Les limites fournissent un cadre quantitatif et qualitatif assez rigoureux sur les impacts environnementaux de nos sociétés. Franchir ces frontières écologiques revient à dépasser la limite de durabilité de notre environnement, et invite à modifier nos modes de production/consommation.
Ces limites commencent à être reconnues et prises en compte par de nombreux organismes et États (ONU, UE, France), même si elles soulèvent des critiques, comme tout modèle.
Quelques subtilités importantes à retenir :
- D’après les chercheurs et chercheuses du Stockholm Resilience Center, ” il paraît plus judicieux et prudent de définir des frontières planétaires (soit la valeur basse de l’incertitude, qui équivaut à un risque accru de perturbation du processus de régulation) que des limites (point de basculement ou tipping point) car les points de rupture sont imprévisibles [Zimmer, 2009], voire pratiquement inexistants dans la plupart des cas (CNRS, 2020)” .
- Aspect systémique : les processus de régulation interagissent et la perturbation de l’un affecte la régulation et/ou la résilience des autres. L’infographie ci-dessous permet de visualiser les interactions. Exemple : le changement climatique qui a une relation directe de cause à effet avec l’acidification des océans.
- Les limites planétaires sont encore un sujet de recherche pour les scientifiques. Elles font l’objet de critiques par des spécialistes des sciences naturelles et sociales, des chercheurs en sciences humaines, ainsi que par le grand public et la communauté politique.
- C’est un parfait rappel que les enjeux environnementaux ne concernent pas uniquement le climat et le CO2. C’est important de le répéter, à l’heure où l’immense majorité des débats sur l’énergie en France se focalisent sur le mix électrique français et la guerre nucléaire vs ENR.
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La 6e limite planétaire : ‘le cycle de l’eau douce’
Jusqu’à présent, la limite du cycle de l’eau douce était encore partiellement dans l’espace sûr, en vert ci-dessous. Mais après réévaluation et la prise en compte des travaux sur les “nouvelles entités” (novel entities) et la limite de l’eau verte officiellement dépassée en 2022, la limite de l’eau bleue a également été franchie.
D’après les auteurs de l’étude, la distinction entre les zones à risque “croissant” et “élevé” ne peut être définie avec précision. De plus en plus d’éléments indiquent que le niveau actuel de transgression des limites a déjà entraîné le système terrestre au-delà d’une zone “sûre”. Toutefois, nous ne disposons toujours pas d’une théorie globale et intégrée, étayée par des observations et des études de modélisation, qui permette de déterminer le moment où l’on passe d’un niveau de risque croissant à un niveau de risque très élevé et dangereux de perte d’un état du système terrestre semblable à celui de l’Holocène.
C’est pourquoi les auteurs ont adopté l’approche des “braises ardentes” (burning embers), introduite par GIEC pour représenter les transitions progressives d’un risque modéré (jaune) à un risque élevé (rouge), puis à un risque très élevé (violet).
Notons également que les auteurs ont ici une nouvelle façon d’évaluer la limite de la biosphère et celle du changement climatique (ici en 2 parties avec la concentration en CO2 et le forçage radiatif). Ils rappellent que de plus en plus d’éléments suggèrent que le franchissement de la limite planétaire du changement climatique ou de l’intégrité de la biosphère peut potentiellement conduire à une augmentation plus importante du risque dans l’autre. Nous ne le rappellerons jamais assez : changement climatique et biodiversité, même combat.
Comment faire la distinction à l’intérieur de la 6e limite planétaire ?
- Eau bleue : part de l’eau issue des précipitations atmosphériques qui s’écoule dans les cours d’eau jusqu’à la mer, ou qui est recueillie dans les lacs, les aquifères ou les réservoirs. Jusqu’ici, les études ne prenaient en compte que les prélèvements d’eau des rivières, des lacs et des eaux souterraines;
- Eau verte : part de l’eau issue des précipitations atmosphériques qui est absorbée par les végétaux. Cette nouvelle étude prend bien plus en compte le rôle de cette dernière, en particulier l’humidité du sol, dans la résilience de la biosphère, dans la sécurisation des puits de carbone terrestres et dans la régulation de la circulation atmosphérique.
Actuellement, environ 18% des eaux bleues et ~16% des eaux vertes de la surface terrestre mondiale subissent des écarts d’eau douce humide ou sèche. Pour savoir si la limite de l’eau bleue avait été franchie, les scientifiques ont comparé ces variations avec la période pré-industrielle. Le cycle de l’eau connaissait alors des variations de l’ordre de 10% pour les eaux bleus et 11% pour les eaux vertes. Les scientifiques ont alors établi des limites à respectivement 10,2% pour l’eau bleue et 11,1% pour l’eau verte, ces limites étant plus que largement dépassées aujourd’hui.
Cela vient compléter les travaux du dernier rapport du GIEC et les chapitres qui concernent le cycle de l’eau. Ce cycle est d’ores et déjà modifié et à un rythme supérieur à tout ce que nous avons connu au cours de l’ère géologique de l’Holocène, c’est-à-dire plusieurs milliers d’années.
Regarder la réalité en face
Chaque jour d’inaction climatique est une chance en plus d’avoir une mauvaise nouvelle. C’est le cas avec cette officialisation d’une 6e limite planétaire franchie.
Sortir progressivement des énergies fossiles n’est pas une option. Non seulement c’est la seule solution pour respecter nos engagements climatiques et espérer limiter le réchauffement à +1.5°C, mais c’est également une question de survie pour une partie de l’humanité.
“À la lumière de ces nouvelles désastreuses concernant le franchissement des limites planétaires, nous devons faire face à la responsabilité et aux changements nécessaires”, explique Farhana Sultana, chercheuse en justice climatique et autrice dans le dernier rapport du GIEC. Elle rappelle à juste titre que certains pays sont plus responsables que d’autres et que nous payons au prix fort l’idéologie de la croissance verte :
La géopolitique de l’injustice environnementale planétaire démontre la nécessité de changer de système pour faire face à la dégradation du climat et à la croissance économique non durable. En centrant les perspectives du Sud, les idéologies dominantes qui promeuvent l’hyperconsommation, la surproduction et le gaspillage sont remises en question, soulignant l’incompatibilité de la justice socio-écologique avec les paradigmes de croissance extractive et d’exploitation. Les violations des frontières planétaires et leurs conséquences socio-écologiques néfastes soulignent en outre l’urgence de décoloniser les idéologies et les pratiques coloniales-capitalistes, ce qui nécessite une reformulation fondamentale des paradigmes pour envisager un avenir plus juste et plus durable qui démantèle les systèmes oppressifs et favorise une praxis axée sur la justice.
Pour aller plus loin :
- Le dossier très bien documenté du CERDD sur les limites planétaires
- Whose growth in whose planetary boundaries? Decolonising planetary justice in the Anthropocene
- L’économie du Donut : définition et analyse critique
- Les 10 actions simples pour passer à l’action
- The Boundaries of the Planetary Boundary Framework : A Critical Appraisal of Approaches to Define a “Safe Operating Space” for Humanity
10 Responses
Les limites ont été dépassées et il ne c’est rien passé… bizarre, non?
Il ne c’est rien passé pendant l’été 2023 à travers le monde, aucun phénomène hors de contrôle et inhabituel ?
Quelques petits incendies par-ci par-là, trois fois rien.
Dans mon entourage, j’ai remarqué 2 changements cet été.
1 – tout le monde parle d’écologie, tout le monde a compris
2 – le rejet énorme de l’extrême gauche depuis les émeutes
Ca aurait du être le grand été de l’écologie politique, et au lieu de ça, on se retrouve avec Le Pen en tête de tous les sondages.
Y a une stratégie à revoir
Et comment, et par qui sont fixées les limites? ??
C’est écrit dans l’article et dans l’article source…
Arrêtons avec: Si la Terre va-t-elle sortir de la “zone de sécurité” ? le mal est fait.
Les limites planétaires sont dépassées depuis l’année 2000. L’économie passe avant tout, on va tous subir des catastrophes, on peut encore réduire le temps mais il faudrait éteindre la lumière et planter des millions d’arbres pour ralentir… la finance est notre ennemi, il faut stopper tout… comme s’il y avait un nouveau virus très dangereux, je crois qu’il est bientôt là…
Bonjour et merci Bon Pote
Les limites peuvent elles être déclinées à petit échelle – une communauté de communes en France par exemple – pour servir de base à une méthodologie de planification écologique dont pourrait se saisir la collectivité ?
Ca me parait assez complexe et aléatoire.
Combien d’écrans, de box Internet, de téléphone portables, d’ordinateurs sur une communauté de communes ?
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Aucun de ces trucs n’est assemblé en France, aucun des composants nécessaires à l’assemblage de ces trucs n’est fabriqué en France. Aucune matière première pour ces composants n’est extraire en France. Et il y a de grandes chances que le recyclage ou la mise au rebut ne soit pas fait non plus en France.
Et je ne parle même pas d’une communauté de communes, mais France entière.
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Même la conceptions des logiciels système est délocalisée.
Du coup, ça me fait poser une question: dans combien de limites franchies donnerez-vous enfin raison aux doomistes ?