Traité sur la Charte de l’Energie : Emmanuel Macron tiendra-t-il son engagement ?

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Yamina Saheb explique dans un brief les arcanes du vote à venir du compromis de modernisation du Traité sur la Charte de l’Energie et ses implications potentielles pour l’UE et pour la France.

Alors que le Président de la République a décidé de mettre fin à la participation de la France au Traité sur la Charte de l’Energie (TCE), la France s’apprête à donner son accord pour que la Commission Européenne vote en faveur du texte proposé pour moderniser le TCE. Ce vote aura lieu à l’occasion de la réunion annuelle des parties prenantes du traité, qui est prévue le 22 novembre 2022. Pourtant, la décision du retrait de la France du TCE fut motivée, selon le Président de la République, par l’incompatibilité du texte proposé pour moderniser ce traité avec les objectifs climatiques de la France et de l’Union Européenne. Cette incohérence au sommet de l’Etat, si elle se confirme, est pour le moins troublante et pourrait mettre à risque la cohésion de l’UE et le marché commun de l’énergie.

ARTICLE PRÉ-REQUIS

Un petit article à lire avant afin de mieux comprendre le sujet dans sa globalité.

Le traité sur la Charte de l’énergie est un accord multilatéral de 1994, ratifié par la France en 1999, qui protège les investissements étrangers dans le secteur de l’énergie par le biais du règlement des différends investisseurs-Etats dans des tribunaux d’arbitrage privés. A ce jour, le TCE a été invoqué dans au moins 150 litiges et les compensations demandées par les investisseurs aux Etats sont de l’ordre de plusieurs milliards d’euros.

La multiplication des litiges intra-européens a amené la Commission Européenne (CE) à imposer aux autres parties prenantes une réforme du texte. Après 15 cycles de négociations entre les 52 parties prenantes du traité, y compris tous les pays de l’UE (sauf l’Italie qui s’en est retirée en 2016), les négociateurs sont arrivés à un compromis que les parties prenantes sont appelées à approuver le 22 novembre prochain. La CE a proposé au Conseil Européen de soutenir l’adoption du compromis de modernisation. 

Le TCE est un accord mixte ratifié à la fois par les Etats membres et l’Union Européenne (UE) et qui comprend un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats. Par conséquent, l’approbation par la CE au nom de l’UE du compromis de modernisation nécessite un vote à la majorité qualifiée au Conseil Européen. Deux conditions sont nécessaires pour un vote à la majorité qualifiée.

Premièrement, 55% des Etats membres (soit 15/27) doivent voter en faveur de la proposition de la CE d’adopter le compromis de modernisation. Deuxièmement, cette proposition doit être soutenue par des Etats membres représentant au moins 65% de la population totale de l’UE. Par ailleurs, en vertu des règles de vote à la majorité qualifiée, il suffit d’une coalition de quatre Etats membres pour bloquer la proposition de la CE et l’abstention d’un Etat membre compte comme un vote contre la proposition de la CE.

Par souci de cohérence, la France devrait a minima s’abstenir de voter en faveur de la proposition de la CE d’approuver le compromis de modernisation. Toutefois, l’issue du vote au Conseil dépendra du vote des autres Etats membres. En effet, l’abstention de la France ne conduira pas nécessairement au rejet de la proposition de la CE d’approuver le compromis de modernisation.

La France a plutôt intérêt à constituer une coalition avec l’Italie et les 5 autres pays qui ont déjà annoncé leur décision de retrait du TCE, à savoir la Pologne, l’Espagne, les Pays-Bas, la Slovénie et l’Allemagne. Ces pays réunis représentent plus de 65% de la population totale de l’UE. En effet, seul un blocage de la proposition de la CE d’approuver le compromis de modernisation conduirait au retrait de l’UE. Ce dernier étant indispensable pour éviter de répéter ce qui se produit avec l’Italie, qui n’est plus partie prenante du TCE comme Etat membre, mais à laquelle les obligations du TCE s’appliquent en tant que pays membre de l’UE.

Par ailleurs, le retrait de l’UE permettra peut-être l’entrée en vigueur du compromis de modernisation dans les parties prenantes qui en sont satisfaites, à supposer qu’il y en ait un ! En effet, l’entrée en vigueur du compromis de modernisation, s’il est approuvé le 22 novembre, nécessitera la ratification du texte par les trois quarts des parties prenantes du TCE, soit 39 pays si l’UE et les Etats membres approuvent le texte. Or, étant donné la vague de retraits annoncés par les pays de l’UE, ces derniers ne procèderont pas à la ratification du texte. Il est aussi peu probable que le parlement européen ratifie le texte au nom de l’UE. Ce qui signifie que le traité actuel continuera à s’appliquer dans toutes les parties prenantes présentes et à venir.

En outre, la proposition d’appliquer provisoirement les dispositions du compromis de modernisation relative à l’exclusion de la protection des investissements étrangers faits après août 2023 dans les pays de l’UE dans les énergies fossiles n’est pas applicable. Fort heureusement, court-circuiter les parlements, qui doivent ratifier le TCE, n’est pas autorisé dans les démocraties.

Il y a un fort risque de détricoter l’UE et le marché commun en raison de l’entêtement de la Commission Européenne et des négociateurs à essayer de faire de la modernisation du TCE un succès alors que la vague de retrait des Etats membres s’amplifie de jour en jour en raison de leur insatisfaction du compromis de modernisation. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Pas sûr, d’autant plus que la guerre en Ukraine fournit des preuves supplémentaires sur l’obsolescence de la raison d’être du TCE, qui était de garantir l’approvisionnement de l’UE en énergies fossiles provenant de Russie. Pays, qui soit dit en passant, s’est retiré du TCE dès 2009.

L’avenir nous dira si Emmanuel Macron aura été un Président visionnaire ou un homme enfermé dans les instruments politiques du passé…

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Yamina Saheb

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