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Ces dernières années, le développement exponentiel de la pratique du vélo (+ 37% en 3 ans) s’explique en grande partie par une action commune de l’Etat, des collectivités territoriales et des acteurs économiques. Le vélo a en effet été soutenu par tous les gouvernements depuis 2017.
Cette dynamique est aujourd’hui sous la menace du gouvernement Barnier qui proposerait un arrêt pur et simple du soutien de l’Etat via la suppression des crédits du Plan Vélo hérités du gouvernement d’Élisabeth Borne.
Ce serait une grave erreur pour les finances publiques, pour le climat, pour notre indépendance énergétique, pour le budget des ménages et pour la confiance entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Sommaire
Toggle1/ Une politique cyclable ne coûte pas d’argent, elle en rapporte (beaucoup)
ll serait mal venu de présenter les politiques cyclables comme une politique coûteuse. Comparé aux autres modes de déplacement, le coût d’une politique cyclable reste faible.
Un kilomètre de piste cyclable coûte entre 300 000 d’euros et 1 million d’euros selon le contexte (voie verte sur un chemin existant ou intégration dans un milieu urbain avec des problématiques techniques de réseau, d’aménagement des intersections…).
Ce coût est évidemment significatif à l’échelle du citoyen et à l’échelle de certaines collectivités. Il l’est beaucoup moins à l’échelle de l’ensemble du secteur des transports (450 milliards d’euros en 2023). En comparaison, un kilomètre de route simple coûte au minimum 2 millions d’euros. Un kilomètre d’autoroute A69 ? 8,5 millions d’euros.
Et pourtant, la France compte plus d’un million de kilomètres de routes contre environ 57 000 km de voies cyclables (au niveau de sécurité et confort très hétérogènes). Ainsi, les financements du Plan Vélo et Marche 2023-2027 proposaient d’atteindre 100 000 km d’aménagements cyclable grâce à un soutien de l’Etat de 250 millions d’euros par an (en complément des investissements portés par les collectivités locales).
Ce montant est dérisoire face à l’ensemble des dépenses publiques pour le secteur des transports (au total 58 milliards d’euros en 2021).
Rappelons que les modes s’opposent entre eux en termes de vitesse, de portée, de sécurité, d’occupation de l’espace mais aussi en termes de financements, dans leur capacité à capter des investissements publics. Ainsi, on oublie souvent que 55% à 70% des coûts d’usage de la voiture, soit 46 milliards d’euros par an, sont portés par la collectivité.
Mais il serait mal venu de présenter les politiques cyclables comme une politique coûteuse même si ce coût reste faible par rapport aux autres modes. Les investissements publics dans le développement de la pratique du vélo sont avant tout rentables.
Il paraît complètement absurde de vouloir mettre à l’arrêt le vélo pour faire des économies, alors que c’est une formidable machine à sauver des vies, à économiser de l’argent, à créer des emplois et de la valeur économique.
En France, la part modale vélo actuelle de 3% permet déjà d’éviter 2 000 décès par an, et de gagner 5 milliards d’économies sur la santé publique chaque année, d’après une étude publiée par le CNRS, le CNAM et le CIRED dans The Lancet en avril 2024, appuyée par l’Institut Pasteur. L’ambition du Plan vélo d’Elisabeth Borne est de porter cette part modale à 9% d’ici à 2030.
En termes de pratique physique, un trajet A/R de 15 minutes à vélo 5 jours par semaine, permet de réduire de 10% le taux de mortalité chez les adultes (par la réduction des risques de contracter : maladies cardio-vasculaires, cancer du sein, diabète de type 2).
En somme : 1 km réalisé en vélo = 1 euro économisé pour la société. Aux Pays-Bas, il a été prouvé que les décennies de politiques cyclables volontaristes ont permis d’économiser 19 milliards d’euros en frais de santé publique, et de rallonger de 6 mois l’espérance de vie du Pays (source : © American Public Health Association 2015 https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC4504332/)
Ces données ne prennent pas en compte les économies liées aux réductions de gaz à effets de serre, au bruit (qui coûte 81 milliards d’euros par an), aux réductions de pollutions de l’air (40 000 décès par an en France selon Santé Publique France) ou à la baisse de l’accidentalité routière (3 000 morts par an en France).
Aujourd’hui, il y a urgence à inventer un système de mobilité alternatif à la voiture individuelle (premier poste d’émissions avec 16% des émissions françaises actuelles, ou 1,2 tonnes de CO2 par personne, soit déjà plus que la moitié du budget carbone individuel à atteindre en 2050). Le gouvernement Barnier serait-il prêt à renier les engagements climatiques de la France ?
2/ On n’a jamais autant eu besoin de se mettre au vélo
C’est une histoire bien connue, lors des crises pétrolières des années 1970 face à la montée des prix de l’énergie, et à la suite d’un accident mortel très médiatisé, les Pays-Bas ont décidé de mettre la marche et le vélo au cœur de leurs politiques de mobilité et d’aménagement.
Quarante ans de politiques publiques plus tard, le vélo est le mode de déplacement le plus utilisé. Il ne s’agit pas de miracle ou d’une “culture hollandaise” mais bien d’une construction issue d’une politique volontariste soutenue pendant de nombreuses années.
Puisqu’il permet de se déplacer rapidement de manière très efficace sur le plan énergétique, il s’agit d’un allié de poids pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, qui reste le secteur le plus dépendant des énergies fossiles et le plus lent à atteindre ses objectifs climatiques.
Le vélo est également un formidable allié pour aménager un territoire sobre en ressources. Là où les politiques du tout voiture ont favorisé l’augmentation des distances et les besoins en infrastructures (routes, parkings…) et en artificialisation des sols, le vélo est un mode sobre qui favorise l’économie locale, la courte distance et la préservation des ressources.
Historiquement, le report d’une mobilité majoritairement à pied vers une mobilité dominée par la voiture s’est faite en remplaçant des trajets de l’ordre de 1 km à pied en moyenne par des trajets d’environ 10 km en voiture. Cela a entraîné une explosion du nombre de kilomètres parcourus par personne et ce qu’on appelle aujourd’hui “une dépendance à la voiture“.
Alors que la mobilité est le premier poste de dépense des ménages, le vélo est aussi un amortisseur de crise et un vecteur d’équité sociale car il permet à tout le monde de se déplacer à moindre coût.
Contrairement à une idée reçue, plus on est riche plus on profite du système voiture : on est davantage motorisé, on roule plus et plus loin. C’est assez logique quand on sait que le coût global de l’usage de la voiture est estimé à 4 500€ par an et qu’il est souvent sous-estimé
Enfin, le vélo est le principal allié des transports en commun tant il propose une solution efficace et économique de rabattement vers les réseaux de transports lourds. Il n’y aura pas de système de transport alternatif à la voiture sans un développement important des infrastructures et services nécessaires à la pratique du vélo.
Le gouvernement Barnier assumerait-il une politique qui enterre toutes les alternatives à la voiture ?
3/ Le potentiel du vélo est plus important que ce que vous pensez
Contrairement aux idées reçues, il n’existe pas de relation entre la densité d’un territoire (nombre d’habitant par km²) et l’importance des déplacements réalisés (nombre de déplacements, distances parcourues).
Le potentiel du vélo est donc aussi important dans les métropoles que dans les territoires ruraux ou péri-urbains où il est moins exploité. Les chiffres l’attestent : 30% de la population pratique l’ensemble de ses activités dans un rayon de 9 km, soit environ 30 minutes à vélo.
Depuis près de 200 ans, le nombre de déplacements par personne et par jour est compris entre 3 et 4 quels que soient les modes de déplacement. Même si les modes de transport ont évolué, la constante est le temps nécessaire pour effectuer ses déplacements quotidiens : en moyenne entre 15 et 20 minutes par déplacement quel que soit le mode et de l’ordre d’une heure de transport par jour et par personne en moyenne tous déplacements confondus.
Quel que soit le type de territoire, de la commune isolée en zone rurale, à la grosse agglomération, au moins 20 % des déplacements font moins de 1 km et au moins plus de la moitié font moins de 5 km. En moyenne, sur l’ensemble du territoire, 35 % des déplacements font moins de 1 km et 73 % moins de 5 km.
Quel que soit le type de territoire, plus de la moitié des déplacements font moins de 5 km. Sur l’ensemble du territoire, 73 % des déplacements font moins de 5 km.
En fonction des types de territoires, seulement 5 % à 25 % des déplacements font plus de 10 km.
9 élèves d’école primaire sur 10 habitent à moins de 8 minutes à vélo d’une école. 4 collégiens sur 5 habitent à moins de 20 minutes à vélo d’un collège. 2 lycéens sur 3 sont situés à moins de 20 minutes d’un lycée. Les 3/4 de la population française habite à moins de 10 minutes à vélo d’un hypermarché ou d’un supermarché et 4 Français sur 5 habitent à moins de 5 minutes d’une boulangerie à vélo.
Ainsi, on peut comprendre le potentiel énorme du vélo pour les déplacements de courte distance : 5 km représentent environ 15 à 25 minutes de trajet avec un vélo classique, 10 km se parcourent en 25 minutes en vélo à assistance électrique.
Même si certains modèles spéciaux comme les vélos cargo ou les véhicules intermédiaires permettent d’emporter des charges lourdes ou de réaliser de longues distances plus rapidement, certains déplacements resteront évidemment difficilement transposables à vélo.
Cependant, la question n’est pas de savoir si le vélo peut constituer un mode de déplacement unique et exclusif, pour tout le monde et pour tous les déplacements, quel que soit le motif et la portée de ces déplacements. Elle est plutôt de prendre conscience qu’il pourrait constituer une alternative très sérieuse pour une grande partie de nos déplacements.
Enfin, le vélo est également un transformateur des modes de vies. Les ménages qui adoptent le vélo comme mode de déplacement principal commencent par repenser leurs déplacements pour favoriser l’usage du vélo. Exit les courses à l’hypermarché à 15 km si le supermarché ou le marché à 5 km est accessible à vélo (avec des infrastructures sécurisées et du stationnement adapté).
Inversement, un territoire qui propose le vélo comme mode de déplacement à ses habitants va favoriser la création et la pérennisation de commerces et de services de proximité moins dépendants de l’usage de la voiture. Ainsi, le vélo a le pouvoir de réduire les distances à parcourir et d’augmenter son propre potentiel.
Le gouvernement Barnier serait-il opposé à des modes de vies plus sobres et au développement de l’économie locale ?
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4/ La fin du plan vélo aura plus d’impact dans les territoires qui en ont le plus besoin
La plupart des grandes collectivités (les métropoles comme Paris, Grenoble, Strasbourg, Rennes…) n’ont, pour certaines, pas attendu le plan vélo pour développer une politique cyclable. Ces grandes agglomérations, où la voiture n’est ni pratique ni dominante, vont très certainement continuer sur leur lancée, stimulées de plus en plus par de nombreux usagers qui ont adopté le vélo comme mode de déplacement et dont les associations de représentants réclament plus de confort et de sécurité.
Par ailleurs, dans ces villes, il y a d’autres moyens de se déplacer : la marche (premier mode de déplacement en zone urbaine, bien que souvent le parent pauvre des politiques publiques) et les transports en commun (bien que l’efficacité et le niveau de service du réseau varie beaucoup d’une agglomération à l’autre).
Ailleurs, les alternatives crédibles à l’usage de la voiture sont beaucoup moins présentes et la culture vélo beaucoup moins développée. Ainsi, ce n’est pas uniquement dans les grandes villes que le potentiel du vélo est le plus intéressant. Les financements du plan vélo profitaient surtout aux collectivités rurales et péri-urbaines qui disposent de moins de moyens pour ce genre de politiques publiques.
Ce sont aussi des territoires où le vélo apparait moins facilement comme une solution de mobilité capable de remplacer l’usage de la voiture car la culture du vélo y est moins développée.
Pour beaucoup d’entre eux, les financements apportés par le plan vélo ont permis de lancer ou de rehausser les ambitions cyclables locales en permettant de les doter d’une expertise et de moyens humains essentiels pour animer le territoire et mettre en avant son potentiel.
Le plan vélo finançait, par exemple, des postes de “chargé de mission vélo” indispensables pour l’élaboration, la coordination et le suivi des politiques en faveur du vélo. En 2023, près de 1 200 emplois à temps plein étaient mobilisés pour les politiques cyclables au sein des collectivités. C’est encore loin des besoins estimés à 5 000 par l’Institut de l’économie et du Climat.
Grace à ces financements, de nombreux territoires se sont dotés d’un schéma directeur pour planifier les aménagements, les services ou encore le stationnement vélo à déployer. L’ambition initiale du plan vélo était de doter chaque ville, chaque intercommunalité, chaque département et chaque région de son plan vélo. Les progrès sont certains, mais nous en sommes encore loin.
Certains territoires se sont fixés des objectifs et des moyens ambitieux : ces schémas sont souvent associés à une programmation pluriannuelle d’investissement qui détaille sur une dizaine d’années les financements à mobiliser pour construire des pistes cyclables ou déployer des services vélo essentiels au développement des usages.
Ces programmations budgétaires s’appuyaient évidemment sur les financements de l’Etat et sur la visibilité apportée par un engagement de long terme via le plan vélo et marche national (qui porte une promesse de financements jusqu’en 2027 au moins).
Sans les financements et l’engagement de l’Etat, les territoires ruraux et péri-urbains n’auront plus les moyens ni financiers ni humains de leurs ambitions. De nombreux territoires ont déjà mis 400 projets d’études ou d’investissement à l’arrêt faute de visibilité sur les financements disponibles. Pour les territoires qui attendaient les prochaines vagues de financement pour se lancer, ce sera très certainement impossible d’engager seuls les dépenses et de convaincre les oppositions de le faire.
Pour tous ces territoires, le signal est catastrophique et le risque n’est rien de moins que la perte de confiance dans les engagements de l’Etat et sa capacité à gérer le temps long, délétère pour d’autres projets essentiels (réindustrialisation, rénovation énergétique de l’habitat, alimentation, accès aux soins…).
Comment l’Etat compte-t-il embarquer toutes les collectivités dans la transition écologique s’il revient sur ses propres engagements à la première crise venue ?
5/ L’arrêt pur et simple des financements du plan vélo menace toute une filière économique essentielle à la transition écologique
Au-delà des collectivités directement concernées par ce coup de rabot financier, c’est toute la filière économique du vélo qui est menacée. Car tous les acteurs s’accordent à dire que pour que l’usage du vélo se développe, il faut des infrastructures. Pas de financement, pas d’infrastructure. Pas d’infrastructure, pas de filière économique.
Depuis quelques années, toute une filière s’est structurée. Il y a les fabricants industriels de vélo et de matériel, les fournisseurs de services ou de données, les réparateurs et vendeurs locaux, les associations, les aménageurs ou encore les bureaux d’études et les filières d’enseignement.
Cette nouvelle économie est un vivier d’innovation, de croissance économique et d’emplois non délocalisables.
Ce revirement brutal en termes de financement risque de vider les carnets de commande, menace de nombreux emplois et remet en cause les efforts d’une filière qui pèse aujourd’hui 30 milliards d’euros et 78 000 emplois
Bien que florissante, la filière économique vélo reste fragile et n’a pas encore montré tout son potentiel de création de valeur, d’emploi et de souveraineté économique. Son potentiel d’emploi total en France est estimé à 200 000 équivalents temps plein (soit à peu près le nombre d’emploi dans l’industrie automobile, 229 000 emplois en 2020). Comment vont s’en sortir toutes les entreprises qui avaient recruté, formé et investi depuis 5 ans pour accompagner la montée en charge de la filière soutenue par le gouvernement ?
Là encore, l’Etat manque de cohérence car il s’est engagé conjointement avec cette filière en juillet dernier reconnaissant que le vélo « avait démontré qu’il permettait de répondre aux crises économique, énergétique, sanitaire et sociale de ces dernières années ».
A l’époque pas moins de 6 ministres (un record) s’étaient empressés de soutenir cette filière et se sont engagés aux côtés des acteurs économiques dans la signature d’un contrat de filière. Où sont aujourd’hui les ministères censés défendre les arbitrages financiers essentiels à la survie de cette filière ? Car a priori, les crises économiques, énergétiques, sanitaires ou sociales sont toujours là, elles.
Conclusion : Prenons un peu de recul et dépassons les clivages politiques
Cet abandon de l’Etat aura une dernière conséquence dramatique. Les territoires où la voiture est perçue comme la seule solution de déplacement sont aussi ceux qui souffrent du manque d’accès et de la dégradation des services publics (comme l’accès aux soins) et ceux où le vote en faveur du Rassemblement National prospère le plus. Rien d’étonnant à ce que les députés d’extrême droite s’empressent de soutenir le gouvernement en votant contre les différents amendements portés par la gauche pour rétablir le soutien au plan vélo.
Pourtant, loin d’être un avatar de la gauche, les plans vélos successifs depuis 2017 avaient permis de dépasser les clivages politiques et idéologiques. Il parait invraisemblable que tout cela soit, aujourd’hui, balayé par des calculs économiques court-termistes.
Au contraire, les retombées économiques, écologiques, sanitaires et sociales devraient permettre de proposer une action politique transpartisane au service du bien commun. Il s’agit là d’un sujet normalement consensuel y compris dans une Assemblée nationale divisée.
2 Responses
Il y a autant de différence entre la voiture et le vélo, que entre le vélo et la marche.
Pas de fabrication inutile de vélo ni de route spécifiques ou route pour véhicule et tout ce qui en découle. De simple sentier suffise.
Pour savoir si une logique est bonne il faut la pousser à l’extrême. Et la voiture ainsi que le vélo n’on rien de bien comparé à la marche
Pour avoir acheté un vélo il y a un peu plus d’un an, les prix des vélos a largement augmenté suite aux aides de l’état. Comme dans mon cas je n’avais pas droits aux aides, me concernant les conséquences de cet aide ont été négative.