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Suite à la censure du commentaire de Bon Pote sur le réseau social Instagram sous un post de Gabriel Attal concernant la loi Duplomb, Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS, a souhaité répondre aux arguments avancés par Gabriel Attal.
Argument 1 : la loi Duplomb est dangereuse pour les Français

Monsieur le Député,
Cette loi prévoit pourtant plusieurs dispositions dangereuses pour les français (et au premier chef pour les agriculteurs), comme j’ai eu l’honneur de vous en informer, ainsi que tous vos collègues députées et députés, en vous adressant une tribune écrite avec 9 collègues scientifiques de l’Académie des Sciences et du CNRS et publiée par le journal Le Monde :
- La réautorisation pour 3 ans de plusieurs substances pesticides, Acétamipride et Flupyradifurone : l’acétamipride en particulier présente de multiples risques pour la santé humaine, en particulier en regard du développement du système nerveux chez les enfants, qui ont suscité une interrogation grave en 2013, restée pour l’instant sans réponse scientifique au niveau européen mais nécessitant de baisser les doses résiduelles admissibles.
- Cette substance passe en outre la barrière placentaire et hémato-méningée et on l’a retrouvée par exemple dans le liquide céphalo-rachidien d’enfants en Suisse
D’autres effets commencent à être documentés, de type cancérogène (avec des effets en regard du stress anti-oxydant) ou perturbateur endocrinien et demanderaient pour le moins la mise en place d’un fort principe de précaution et d’un plan d’évaluation scientifique.
Ce problème de toxicité pour les humains est aggravé par les caractéristiques de l’acétamipride, molécule restant présente après administration dans l’environnement (la moitié de la substance est toujours présente 79 jours après son administration) et très soluble dans l’eau et voyageant donc avec en dehors des parcelles agricoles traitées, augmentant très fortement l’exposition humaine (l’acétamipride a été retrouvé dans l’eau de pluie au Japon)
- Des contraintes levées sur la taille des élevages industriels, alors que l’on connait aujourd’hui toutes les conséquences directes en termes de sélection de la virulence ou de l’antibiorésistance chez les pathogènes mais aussi l’effet extrêmement nocif et durable des effluents d’élevage (euthrophisation et marées vertes, 30 ou 40 ans de temps de purge des sols en zone littorale après pollution)
Argument 2 : la réalité sur l’acétamipride

Le débat médiatique s’est focalisé sur l’acétamipride alors que la même possibilité de réautorisation inclut aussi le buténolide flupyradifurone.
Dans les deux cas, je m’étonne que votre réponse ne prenne en compte que la dangerosité pour les humains, alors que les deux produits sont très toxiques pour les insectes et tous les autres animaux (notamment oiseaux consommateurs d’insectes agresseurs des cultures, et mammifères dont les humains).
L’argument parfois mentionné d’une faible toxicité sur l’abeille domestique relève d’une interprétation erronée des études toxicologiques. Elle est faible de manière aigüe par rapport à d’autre néonicotinoïdes mais très forte par rapport à d’autres substances et en particulier en termes de toxicité chronique. Elle est extrêmement forte sur des abeilles sauvages également indispensables à la pollinisation de certaines cultures. Enfin, elle gagne encore en toxicité (cent fois) en présence de traces de fongicide dans le milieu de culture, ce qui est trop souvent le cas d’après les analyses réalisées par les équipes scientifiques.
Au-delà des aspects éthiques d’effondrement de la biodiversité impliqués par ces effets, il faut rappeler que la baisse des pollinisateurs sauvages et domestiques causée par les pesticides diminue la productivité de 5 à 60% en plein champ dans des grandes cultures, ainsi qu’il a été démontré par de nombreuses études scientifiques menées en collaboration avec des agriculteurs.
Faut-il brader la production dans de nombreuses filières (sans parler de l’apiculture directement mise en danger de cessation d’activité sur une bonne part du territoire) pour plaire à celles qui ne sont pas pollinisées par des insectes (environ 400000 ha de betteraves à sucre et 7000 ha de noisettes) ?
Argument 3 : la productivité avant la santé

Au mieux, il s’agit d’un raisonnement par l’absurde. Doit-on diminuer une distorsion de concurrence si les risques pour la santé humaine et la production agricole sont avérés.
Les filières demandeuses d’acétamipride et d’un sursis en matière de moyens de lutte contre les agresseurs des cultures n’ont pas montré de baisse de production par attaque d’agresseurs depuis l’interdiction définitive des néonicotinoïdes ; la filière betteraves connait cette situation depuis le début des années 2000 et a eu plusieurs décennies pour s’adapter.
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Argument 4 : un raisonnement en % de territoire qui n’a aucun sens

Au plan scientifique, ce raisonnement en % de territoire n’a malheureusement aucun sens.
L’exposition aux polluants n’est pas fonction de la surface de traitement mais de sa distribution spatiale et de la mobilité des substances polluantes.
La filière la plus importante et demandeuse d’utilisation de l’acétamipride est celles des betteraves à sucre (utilisée pour la nourriture transformée, les agrocarburants et la nourriture pour les élevages industriels de bétail).
En France, il y a environ 23500 exploitations agricoles cultivant la betterave de surface moyenne de 14 (taille de parcelle) à 20 ha (taille de l’exploitation). Cela implique 23500 situations d’exposition potentielle à un produit toxique avec un périmètre linéaire d’exposition en limites de parcelles de 56400 km, exposant ainsi une partie importante du territoire national métropolitain.
L’acétamipride étant très soluble dans l’eau, son utilisation sera donc potentiellement contaminante pour une énorme surface de territoire en voisinage immédiat et plus lointain des parcelles de culture.
Argument 5 : la baisse de tonnage de vente des produits CMR1 n’est pas grâce à l’action du gouvernement

La baisse de tonnage de vente des produits CMR1 est une bonne chose. Mais elle n’est pas liée à une action gouvernementale récente mais à des interdictions automatiques au niveau européen au fil du réexamen des dossiers d’autorisation.
En outre, cette baisse est mesurée en tonnage alors qu’elle devrait être mesurée en risque toxique, comme le gouvernement français s’y est engagé lors de la COP15 Biodiversité.
Et ce risque est mal mesuré, en termes de toxicité aigüe, alors qu’il devrait être mesuré en termes de toxicité chronique. Pour les substances récentes, moins bien évaluées, ce risque est très fortement sous-estimé.
Argument 6 : encourager de vrais changements transformateurs, non par des subventions contestables

Plutôt que réautoriser au niveau français certaines substances toxiques, il faut effectivement aider notre production agricole à se transformer pour être plus durable et plus vivrière.
Réduire une distorsion de concurrence sur des produits non vivriers et nocifs au plan sociétal ne devrait pas être un objectif sur le moyen ou long terme. Et cela fait plus de 20 ans que les filières concernées trainent les pieds.
Il faut donc encourager de vrais changements transformateurs, non par des subventions contestables notamment au niveau européen, mais par la participation des parties prenantes comme le dernier rapport de l’IPBES l’a expliqué.
4 Responses
L’analyse est très intéressante mais l’absence totale de sources est extrêmement décevant. Être directeur de recherche CNRS ne dispensent pas de justifier son propos. Merci pour l’analyse.
Merci pour ces explications et arguments extrêmement clairs et factuels.
Et contrairement à cet article extrêmement bien écrit, tant sur le fond que sur la forme, le nombre de fautes de français dans le texte de Gabriel Attal (ou son copywriter) est tout de même assez affolant… 😳
Merci beaucoup, c’est essentiel d’avoir de tels éclairages pour comprendre,
Et vous faîtes ça tellement bien, un grand merci
Merci pour cet exposé extrêmement éclairant sur la politique gouvernementale et les mensonges qu’elle véhicule sans scrupules.