Les liens historiques entre santé et climat

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©Crédit Photographie : Représentation de d’une épidémie de fièvre jaune datant des environs de 1900 (© Bettmann Archive)
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Texte de Jean-David Zeitoun, docteur en médecine, docteur en épidémiologie clinique et auteur de La grande extension : histoire de la santé humaine

En 2006, le British Medical Journal écrivait que « le changement climatique en lien avec le réchauffement global est le problème de santé publique le plus urgent dans le monde ». En novembre 2019, le Lancet, dans son rapport sur le changement climatique, titrait : « faire en sorte que la santé d’un enfant né aujourd’hui ne soit pas définie par un climat changeant ». Entre ces deux publications, les émissions de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter et le monde s’est déjà un peu plus réchauffé. Mais beaucoup de données suggèrent que les opinions publiques se sont sensibilisées au problème et qu’elles s’en inquiètent.

Le climat a toujours conditionné la santé humaine. Ce qui aurait pu être une simple intuition a été montré par des travaux historiques. Il a fallu – surtout pour les périodes les plus anciennes – croiser deux types d’informations : celles concernant les climats du passé et celles rattachées à la vie et la santé humaines. Deux sciences ont dû se parler, la paléoclimatologie et l’archéologie. Elles se sont rendues compte que les événements et les tendances climatiques avaient souvent été à l’origine de répercussions sur la santé des humains. Fusionner après coup les données de deux disciplines comporte deux limites qui incitent à la prudence quant aux conclusions qu’on en tire. Premièrement, c’est une méthode rétrospective. Il y a toujours de la délicatesse à reconstituer ce qui s’est passé il y a des centaines ou des milliers d’années. Les données sont fragmentaires. Leur signification est incertaine et il est facile de se tromper.

Deuxièmement, les analyses ne peuvent être qu’observationnelles. Il n’y a pas d’expérimentation possible en matière de climat (en dehors de l’expérimentation de réchauffement artificiel induit par l’Anthropocène). Les études observationnelles sont associées à une question majeure qu’on appelle l’inférence causale. C’est-à-dire la capacité à présumer d’un lien de cause à effet entre deux événements associés. Il est toujours possible que la coexistence de ces deux événements soit un fait du hasard ou soit déterminée par un troisième événement qui relie les deux premiers. Pour qualifier ce troisième intervenant, les scientifiques parlent de facteur confondant.

Méthode scientifique et impact sanitaire du climat

Pour surmonter ces deux limites méthodologiques, les chercheurs ont eu recours à au moins trois types d’arguments afin de renforcer la causalité entre climat et santé. D’abord, il y a la temporalité. Le fait qu’une perturbation climatique précède la survenue d’un événement épidémiologique est un premier indice. Ensuite, il y a la plausibilité. Les chercheurs doivent pouvoir raconter une histoire scientifiquement logique. Il leur faut reconstruire une chaîne d’événements qui se tiennent les uns les autres. Ils peuvent alors raisonner par analogie avec ce que l’on sait aujourd’hui de l’impact du climat sur la santé humaine. Le troisième type d’argument est la cohérence. Les différentes histoires reconstituées doivent aller dans le même sens. Plus ces histoires nous disent à peu près la même chose et plus il est probable qu’elles soient déterminées et non pas aléatoires.

En amassant tous les travaux historiques disponibles, on observe justement ces trois éléments : temporalité, plausibilité et cohérence. Les faits rassemblés par les historiens et les autres chercheurs montrent que les problèmes climatiques ont provoqué des dommages épidémiologiques souvent massifs. Le climat a pu affecter la santé humaine de façon directe ou indirecte. L’impact direct est celui qui nous est le plus évident : les canicules, les vagues de froid, les événements extrêmes (tsunamis ou incendies) sont des exemples. Mais ces événements – qui sont probablement les plus impressionnants – sont  ponctuels, ce qui limite leur impact.

Le plus gros problème : les effets indirects du climat

Ce sont surtout les effets indirects du climat qui ont fait le plus de mal car ils s’étalent sur de plus longues périodes et leurs répercussions encore plus. Trois mécanismes dominent largement : l’effet du climat sur les récoltes et donc sur la nutrition, l’effet sur les microbes et les épidémies, et les relations des humains entre eux et donc les troubles sociaux. Au passage, ces trois éléments – nutrition, infection et violence – sont les trois causes historiquement majoritaires de mortalité humaine. Avant la transition industrielle c’est-à-dire avant la fin du 18ème siècle, la plupart des humains mourrait de l’une des trois. Les maladies chroniques qui sont aujourd’hui la première cause mondiale de mortalité (y compris dans les pays pauvres), étaient alors relativement marginales. Le climat a donc souvent été à la source de la majorité des causes de décès avant l’avènement des sociétés industrielles. Et les travaux des historiens suggèrent que les humains en avaient conscience.

Anthony McMichael (1942-2014) était un épidémiologiste australien ayant travaillé à la fin de sa carrière sur les effets sanitaires du climat. Il a rassemblé dans plusieurs articles et dans un livre les nombreuses données historiques témoignant des liens forts entre climat et santé.

santé et climat avec AJ. McMichael
Anthony J. McMichael

Les histoires racontées par McMichael se ressemblent même si leur temporalité et leur géographie diffèrent. A l’origine, il y a toujours un fait climatique, en général un changement de température qui peut être une baisse ou une hausse. Ensuite, il y a un impact sur ce que McMichael appelle un système naturel (récolte de nourriture ou microbe) et/ou un système social. Cet impact peut d’ailleurs impliquer des interactions entre les systèmes. Un déficit nutritionnel peut par exemple rendre les humains plus vulnérables aux microbes ou provoquer des désordres sociaux et de la violence. Alternativement, une épidémie affaiblit les humains sur le plan nutritionnel. Elle détériore ceux qui sont malades et aussi les autres car les humains malades ne peuvent pas participer à la récolte de nourriture. Ces problèmes provoquent des tensions qui peuvent se traduire en violence interhumaine. On devine facilement l’impact sanitaire de ces conséquences du climat.

Ainsi, McMichael nous parle d’événements d’ancienneté et de profils très différents : le Dryas récent, l’extinction des Mayas, la régression des Aztèques, la peste noire, la dilution de la dynastie Ming, la peste de Justinien, la Grande famine, l’éruption du Tambora, la fièvre jaune de Philadelphie et encore d’autres. Au départ de tous ces épisodes qui ont été des drames épidémiologiques, il y a une variation ou un effet de température. Après tout s’enchaine mais très souvent, une sécheresse inhabituelle s’installe. Elle pénalise les cultures et affame les humains. Comme l’avait écrit McMichael, « le lien entre sécheresse, famine et faim a été le principal impact climatique négatif grave sur la santé au cours des douze mille dernières années ».

santé et climat, Morens et Fauci, Cell 2020
Agents infectieux, hôte et environnement: déterminants de l’émergence et de la persistance des maladies. Les maladies, comprenant les maladies émergentes, résultent des interactions entre les agents infectieux, les hôtes et l’environnement. 
D’après David Morens et Anthony Fauci, Cell 2020

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Les complications causent d’autres complications

En parallèle ou après encore, des épidémies surviennent pour exagérer l’impact du climat. Un trait fréquent de toutes ces histoires est que les conséquences du fait climatique initial sont elles-mêmes causées les unes par les autres. La cascade est une figure importante des effets du climat. Par exemple, une sécheresse détériore le rendement des récoltes et provoque une famine et donc une sous-nutrition des populations. Cette défaillance nutritionnelle les rend plus vulnérables aux microbes normalement environnants (les endémies) ou facilite les épidémies car les humains se déplacent pour trouver de la nourriture ailleurs. Ces mouvements provoquent des troubles et de la violence qui aggravent encore plus le bilan humain total de l’événement déclencheur.

Pris ensemble, ces travaux historiques font émerger quelques tendances supplémentaires. Les changements de climat à moyen et long terme assèchent les populations en eau et en alimentation et provoquent leur déclin voire leur extinction. Inversement, les épidémies ont plus souvent accompagné les épisodes plus courts, qui peuvent eux aussi contenir de l’aridité et de la famine. Une autre remarque est que les sociétés ont mieux appris à comprendre et faire face aux événements récurrents des cycles climatiques, typiquement des phénomènes comme El Niño.

Par ailleurs, trois types d’asymétrie se dessinent dans nos connaissances. Premièrement, nous en savons plus sur l’impact des périodes froides (ou de refroidissement) que sur le réchauffement. Il est possible que ces périodes froides aient été plus fréquentes et plus brutales. L’effet sur les épidémies en est un exemple. Des chercheurs ont analysé les archives impériales chinoises pour reconstituer le taux d’épidémies au cours du Petit Age de Glace (1300-1850). En comparant ces données aux données de température, ils ont ainsi observé que les périodes froides étaient associées à un surrisque de 35% d’épidémie et de 40% d’épidémie étendue.

Deuxièmement, il y a beaucoup plus de données sur les effets indirects du climat que sur ses effets directs. Par exemple l’impact des canicules est pratiquement inconnu alors qu’il y en a forcément eu et qu’elles ont certainement été problématiques. Mais on ne peut pas le prouver. On a en revanche quelques données sur les dommages et la mortalité des périodes d’extrême froid. Là encore, ces données sont nettement moins abondantes que celles qui relatent les effets indirects sur la nutrition et les infections.

Troisièmement, les travaux examinables rapportent les effets négatifs des changements climatiques mais peu de données attestent des effets bénéfiques de périodes de stabilité, alors que nous avons tendance à penser que c’est le cas. C’est l’adversité climatique qui a le plus attiré l’attention et donc provoqué de la documentation. On sait tout de même que la production de nourriture, la fécondité et la croissance démographique ont augmenté pendant les périodes durablement stables et plutôt chaudes.

L’Histoire comme matériel d’anticipation

Ces travaux historiques ne peuvent pas tout prédire mais ils nous informent. Le contexte actuel est très différent des périodes mentionnées : l’état de santé des populations n’est pas le même, le changement de climat en cours n’a pas de précédent, nos sociétés sont différentes. Ces différences ne jouent pas forcément à notre avantage et il existe de sérieuses raisons de penser qu’elles opéreront à notre détriment. Mais certaines règles restent valables, comme cela a déjà été observé. Une variation de température de 2°C ou même 1°C est à même de dégrader l’agriculture et de majorer le risque microbien. Le changement actuel est supérieur en ampleur et en rapidité d’installation.

Changements de capacité vectorielle mondiale pour les vecteurs du virus de la dengue depuis 1950
D’après le rapport du Lancet Countdown de 2019

Un problème majeur que nous avons est que nos sociétés sont grosses et complexes, et donc elles ne sont pas flexibles. D’autres travaux ont bien montré que les sociétés du passé ont très souvent répondu (et se sont sauvegardées) aux changements de climat par leur flexibilité. Par ailleurs, le monde est vieux et chargé de maladies chroniques, ce qui le rend plus vulnérable d’une autre façon. L’Europe est de ce point de vue le continent le plus à risque car sa population est particulièrement âgée.

Et la pandémie de Covid-19 dans tout ça ?

La pandémie de Covid-19 a généré des questionnements légitimes et des parallèles plus ou moins vrais avec le changement de climat. On essayera sans ordre particulier de rappeler quelques faits avérés

Nombre de maladies infectieuses émergentes par décennie et par type de pathogène (maladies infectieuses définies par le cas originel ou le cluster de cas originel)
D’après Kate E Jones et coll, Nature 2008
  • Les nouveaux microbes émergents sont donc un symptôme d’une manipulation excessive de l’environnement par les activités humaines
  • Le SARS-CoV-2 n’est pas causé par le changement climatique ni par les émissions de gaz à effet de serre mais les nouveaux pathogènes émergents trouvent leur origine sur les mêmes causes, à savoir là encore les activités humaines et le développement des sociétés industrielles en particulier. Le SARS-CoV-2 est un autre produit de l’Anthropocène
  • L’effet du changement climatique sur les pathogènes émergents est excessivement complexe et ambigu. Parfois le réchauffement aggrave les émergences et la dissémination des microbes, parfois il exerce un effet plus positif en atténuant leurs cycles de vie
  • L’impact de la pandémie sur les sociétés et l’économie a montré à quel point nos sociétés étaient vulnérables aux chocs systémiques. La pandémie a souligné aussi la fréquence très élevée des maladies chroniques puisque le Covid-19 est disproportionnellement plus dangereux chez les humains âgés et malades, c’est-à-dire typiquement le « patient industriel » (le malade d’aujourd’hui). Beaucoup de militants du climat se sont appuyés sur ces faits pour rappeler qu’un changement climatique trop dramatique nous exposerait régulièrement à des chocs différents d’une pandémie mais à l’impact similaire ou du moins tout aussi problématique
  • Il semble que la pandémie ait provoqué un choc de conscience large, notamment chez les gouvernements, qui les amène à envisager une réaction qui la dépasse et qui corresponde plus à un plan de transition environnementale qu’à une « simple » meilleure préparation à de futures pandémies. Il est beaucoup trop tôt pour dire si ce sera vraiment le cas et si ce sera suffisant.

Pour revenir au climat, son changement est en cours et il va falloir faire avec. Son impact sanitaire est plus que probable même s’il est difficile d’en préciser les contours. Les scientifiques ne préconisent pas seulement d’atténuer le changement climatique futur mais donc de se préparer à celui qui est déjà inévitable (le fameux adaptation and mitigation). Parce qu’il n’y a pas de doute à avoir. Un monde qui se réchauffe sera un monde plus dur.

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