Fermer Fessenheim, c’est transformer la France en Venezuela ? C’est ce que semble indiquer de nombreux experts Facebook et Twitter depuis deux mois, à l’instar de l’expert en énergie-géopolitique-IA-économie-lettres modernes et transhumanisme, Olivier Babeau :
Malheureusement, ce n’est pas aussi simple. C’est ce que nous dit Nicolas Goldberg, Senior Manager dans un cabinet de conseil. A ce titre, il accompagne les grandes entreprises énergétiques dans leur projet de transformation pour faire face aux mutations du marché de l’énergie, l’avènement des Smart Grids et la mise en place de la transition énergétique. C’est sous son expertise des réseaux d’électricité et de la politique énergétique qu’il nous éclaire.
Texte de Nicolas Goldberg
Bien habitué à toujours avoir de la lumière chez soi, on en vient à oublier qu’être alimenté en permanence en électricité est le résultat d’un grand numéro d’équilibriste où la production électrique doit à tout moment être égale à la consommation qui varie à chaque instant. En effet, l’électricité ne se stocke pas : à chaque fois que la consommation augmente ou diminue, il faut ajuster la production électrique en amont pour répondre à la demande. Sans cela, des risques de coupures et d’incidents techniques apparaissent.
Pour cet hiver, cet équilibre risque de tanguer : notre ministre de l’écologie a ainsi lancé le premier pavé dans la marre sur BFM TV.
Il serait tentant de faire comme souvent et de se dire que BFM et nos politiques racontent n’importe quoi. Toutefois, ici, la nouvelle a rapidement été confirmée par l’entité responsable de l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité : RTE. RTE (Réseau de Transport Electricité) est l’entité qui gère les grandes lignes de transport électrique. C’est aussi elle qui est chargée de vérifier que la production d’électricité est bien égale à tout instant à la consommation. Cette responsabilité est appelée « l’équilibre système ».
Ainsi, Le directeur de l’exploitation et le président de RTE ont confirmé que l’hiver ne serait pas facile à passer, en particulier au mois de février.
Alors à qui la faute ? Nos dirigeants ? Les écolos ? Le nucléaire ? EDF ? Le chauffage électrique ? L’éolien qui sert à rien ? La fermeture de Fessenheim ?
Suivant votre bord politique, vous pouvez facilement chercher des coupables dans cette liste… Mais la réalité est comme souvent plus complexe qu’une punchline sur plateau télé car tout cela résulte en fait de choix politiques et industriels.
Les tensions cet hiver : une fausse surprise… qui devrait perdurer dans les prochaines années !
Tout d’abord, ôtons-nous un mythe de la tête : les tensions sur le réseau n’ont rien d’une surprise. La France a fermé ces dernières années l’équivalent de 10 réacteurs nucléaires en moyens de production fossile (charbon et fioul), certes pour lutter contre le réchauffement climatique, mais aussi parce que ces moyens de production commençaient à coûter cher vu qu’ils n’étaient que très peu utilisés. Nous sommes ainsi passés d’un réseau avec beaucoup de marges de production électrique à un réseau « dimensionné au plus juste ».
La conséquence de cela, combinée aux retards de l’EPR et aux visites décennales du nucléaire, est une situation à risque qui, avant le COVID, avait déjà été signalée par RTE. Nous devrions donc parler des tensions sur le réseau… jusqu’en 2024 !
Comme bien souvent en 2020, le COVID est venu envenimer la situation. Avec des maintenances décalées, EDF a dû revoir ses plannings au mieux pour faire fonctionner ses réacteurs cet hiver. Il y a ainsi eu du mieux par rapport à la situation telle qu’elle avait été signalée cet été… sans toutefois être idéale non plus.
Le problème de notre système électrique est ainsi clair : une situation sans marge d’un réseau dimensionné au plus juste et un COVID qui a ajouté de nouvelles contraintes dans la disponibilité du parc nucléaire.
Quels sont les impacts pour mon électricité ?
Coupons court au discours anxiogène : une situation tendue sur le réseau ne veut pas dire blackout électrique ! « Ne pas exclure des coupures » ne veut pas dire qu’elles auront forcément lieu. Il est même d’ailleurs plus probable qu’elles n’aient pas lieu que l’inverse.
Les situations tendues sur le réseau apparaîtront en cas de vague de froid (merci les chauffages électriques inefficaces et le manque d’isolation des bâtiments) et s’il y a peu de vent (car oui, peu de vent dans une situation de forte consommation, cela commence à devenir un sujet).
Mais bien avant de couper l’électricité, il y aura les éco gestes, les coupures chez les gros industriels, les effacements et les baisses de tension. Si tout cela ne suffit pas, ce n’est que là qu’il y aura des coupures que ne dureront que quelques minutes : en coupant 5 minutes 200 000 foyers, puis en tournant sur 200 000 autres toutes les 5 minutes pendant une heure, on coupe l’équivalent de 200 000 foyers pendant une heure alors que personne n’aura été coupé plus de 5 minutes. Habile non ? Ainsi, pas de quoi hurler : c’est temporaire et improbable.
Rejoignez les 40000 abonné(e)s à notre newsletter
Chaque semaine, nous filtrons le superflu pour vous offrir l’essentiel, fiable et sourcé
Peut-on accuser la fermeture de Fessenheim, les retards de l’EPR, les retards dans l’efficacité énergétique ou le développement des renouvelables ?
Oui, vous pouvez accuser tout cela mais s’arrêter à un seul élément relèverait du cherry picking et d’une vision étriquée du problème.
Prenons la fermeture de Fessenheim par exemple : oui, comme en atteste le graphique ci-dessous, cela a consommé des marges sur le réseau.
Toutefois, si nous regardons l’ensemble du graphe et celui du dessus sur la disponibilité du parc nucléaire, nous voyons que Fessenheim n’est pas le seul facteur de cette perte de marge, ni même le plus gros facteur. La fermeture des autres moyens de production fossile, pour le plus grand bien du climat, est clairement LA cause du manque de marge de cet hiver. L’enjeu est d’apprendre à faire sans ces moyens de production qui condamnent à terme notre climat. Le COVID est également venu s’ajouter à cette cause principale avec des dizaines de GW nucléaire qui ne sont pas disponibles.
Alors bien sûr certain.es diront « oui mais on aurait dû construire plus de nucléaire pour anticiper » et clairement, c’est ce que nous avons voulu faire… mais il ne vous aura pas échappé que le chantier EPR de Flamanville rencontre quelques difficultés et qu’il était dans ces conditions difficiles de lancer de nouvelles constructions qui ne seront de toutes façons pas en service avant 10 ans. Les écolos et les politiques sont ainsi des cibles faciles… mais pas les responsables ici.
D’autres avanceront que dans ces conditions, il n’était pas malin de fermer Fessenheim et que le politique avait la main sur ce levier : ce serait effectivement vrai, mais il ne faut pas croire que c’est la cause de la situation.
Et pour l’avenir, comment faire ?
Un système électrique se construit sur le long terme ! A terme, il faudra que l’EPR de Flamanville puisse (enfin) entrer en service et que les interconnexions nous aident à stabiliser l’approvisionnement en hiver.
L’efficacité énergétique jouera également un rôle clé pour diminuer la « thermosensibilité » française, un degré de moins au thermomètre entraînant aujourd’hui l’équivalent de 1,5 EPR en appel de puissance sur le réseau.
Enfin, il sera nécessaire de progresser sur la « flexibilité de la consommation » pour que la consommation s’adapte mieux à la production disponible. C’est déjà le cas aujourd’hui avec les ballons d’eau chaude qui se déclenchent la nuit. Cela le sera également demain avec des industriels qui pourront décaler leurs processus de production… ou par exemple des véhicules électriques qui ne se rechargeront qu’en heure creuse.
Sans oublier qu’il faudra travailler à une meilleure intégration des énergies renouvelables et trancher le débat de la construction de nouveaux EPR, tout cela dans un contexte où la consommation d’électricité devrait augmenter pour décarboner notre système électrique… De quoi alimenter les débats pour de nombreuses années !
12 Responses
À lire les commentaires, beaucoup sont dubitatifs sur ses conclusions. C’est depuis Jospin que notre politique énergétique c’est dégradé, le monde politique n’a obéi qu’aux injonction de Bruxelles sur la privitasation de l’électricité qui est e sera une catastrophe pour tout le monde pour le profit d’une ultra minorité. Comment est possible que nous ayons construit 58 réacteurs nucléaire en 25 ans et que depuis 25 ans seul le malheureux EPR soit programmé e que 12 ans après le début des travaux pas de production ? D’ailleurs pourquoi avoir fait un prototype alors que nous avions les anciennes génération qui avaient fait leurs preuves. D’ailleurs les chinois ont mis 5 ans à faire fonctionner leurs EPR, alors que nous championne de l’excellence nucléaire nous nous plantons. À qui tiennent tous ces errements ? N’y a-t-il pas de une manipulation étrangère contre nos intérêts ? Si on met la façon do t l’éolien allemand s’implante chez nous à notre détriment, on peut légitimement se poser la question ? Et le plus grave c’est que c’est cautionner par nos politiques. En 2000 l’Europe et don euro devait amener prospérité et croissance. 20 ans plus tard le chômage explose et depuis 30 ans augmente toujours plus et constat les riches de p’us en plus riche. Je ne peux pas m’empêcher de lier tous ces événements !
L’analyse est excellente mais, pardon, peu convaincante en ce qu’elle tente de nous démontrer que la fermeture de Fessenheim n’est en rien responsable –dans le fond– de la situation critique (pas vraiment nouvelle en plus !) que nous allons affronter cet hiver. Fermer des capacités de production émetteur de GES, quand on est sûr de ne pas en avoir besoin, … d’accord. Fermer des capacités nucléaires propres, alors que le système est depuis quelque temps au bord de la crise de nerfs (capacités qui au pire, si on n’est sûr de ne pas en avoir besoin l’hiver suivant, nous permettront d’exporter plus à nos voisins imprévoyants – et sans doute à des prix de marché élevés) et avant la fin de la construction de nouvelles capacités, ce n’est pas malin du tout – et donne des forces aux anti-nucléaires dont ils n’ont pas besoin pour continuer à être destructeurs de notre sécurité électrique. Je me souviens d’un heureux temps, sous d’autres latitudes, où le 1er souci électrique était de s’assurer qu’au delà du base load nécessaire au marché électrique, le système pouvait bien sûr démarrer de nouvelles capacités pour faire face à la demande des peaks quotidiens et au delà, s’assurer que les situation exceptionnelles de l’hiver ou de l’été (exceptionnelles mais en réalité statistiquement régulières) le système possédait des capacités supplémentaires de génération électrique. La France, qui a accepté de ne plus penser en termes de sécurité, semble donc avoir oublié tout cela pour s’en remettre au vent (instable au mieux, et souvent nul l’hiver), à la sobriété (théorique) des consommateurs et à quelques recettes de poches qu’on visera à mettre en place avec quelques solutions élégantes d’ingénieurs (les batteries la nuit, comme les ballons, le stockage “intelligent” …) dont la réalité physique nous échappe encore largement. Oui, conserver quelques années de plus les capacités de Fessenheim, dont la fermeture certes n’est pas directement liée à la crise possible de l’hiver prochain — mais il s’agit là d’un mauvais un peu spécieux– aurait permis au pays d’envisager la saison prochaine plus sereinement et à divers officiels de se taire plutôt que d’essayer de nous faire croire que le système électrique français est bien géré.
Il y a d’un côté ce qu’on subit et de l’autre ce qu’on décide.
Fessenheim est une décision appliquée en connaissance de tout ce qu est dit.
C’est donc bien la décision de fermer Fessenheim qui est la cause des problèmes rencontrés.
Un degré de moins, c’est 1,5 Fessenheim besoin d’électricité en plus. Fessenheim aurait apporté des marges et le politique avait la main dessus… mais ça n’aurait pas suffi. L’article dit ni plus ni moins.
Un monsieur expert en énergie, IA, économie, lettres modernes, macramé aussi peut-être ? Est donc expert en rien en fait. Comme beaucoup de gens qui s’expriment aujourd’hui sous couvert de leur fameuse expertise. On voit bien aux conneries qu’il raconte que son expertise en carton-pâte est du même niveau que tous ces glands des conseils scientifiques et consorts. Des gens imbus d’eux-mêmes qui s’autodéclarent experts, un peu comme en Afrique quand tous les diplômés du secondaire se déclarent ministres…C’est à pleurer ce qu’Internet et les réseaux ont pu générer comme flots de dégénérescence ces dernières années…
La fermeture de Fessenheim n’est peut-être pas l’unique cause, mais admettons que dans le style « je me mets des battons dans les roues », c’est réussi.
Quant à l’isolation des bâtiments, si on se fie à l’expérience allemande, l’investissement est probablement contre-productif : https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/10/04/en-allemagne-les-renovations-energetiques-des-batiments-n-ont-pas-fait-baisser-la-consommation_6054715_3234.html
L’exemple allemand est différent de la France oour le chauffage. En France ce n’est pas tant la température que l’inefficacité de certains modes de chauffage qui est en causd
Bonsoir,
L’analyse propsée est juste, à un gros bémol près ! Imputer une part de responsabilité à l’effet Covid sur la disponibilité du parc nucléaire est faux. Ça, ce sont les salades de Mme Pompili. Le nombre de tranches en fonctionnement est plus élevé en 2020 qu’à la même période des années précédentes, malgré l’arrêt de FSH. Les équipes EDF ont fait un travail formidable qui mérite d’être salué
J’ai toujours trouvé cela franchement bizarre, pour ne pas dire irresponsable, que le virus du moment puisse soi-disant empêcher la maintenance du parc nucléaire. Même si en matière de COVID, on est plus à une bêtise près…
C’est simple ! La maintenance se fait par des équipes d’hommes, et la mise en place de “gestes barrières” pour travailler dans un milieu souvent confiné ralentit les opérations, qu’il faut parfois faire en série au lieu de les faire en parallèle.
EDF et ses prestataires ont dû s’adapter, ce qui a pris un peu de temps, puis ils ont trouvé des sources de productivité ce qui fait que la plupart du retard a été rattrapé.
Pour Fessenheim c’est une autre histoire et le mal est fait, l’arrêt est irrémédiable.
Si l’on a des coupures (comme après la dernière guerre) ce sera probablement parce qu’il nous manquera un peu de marges, que l’arrêt volontaire (politique) de ces réacteurs a consommées. Pompili et Macron aurait pu annuler cette décision électoraliste de Hollande, il ne l’ont pas fait : il faudra les en tenir pour seuls responsables et les sanctionner lors des élections.
Merci pour cet article. Il me semble qu’il y a un léger contresens. La figure 14 liste les impacts marges/déficit de capacité sur la période 2019 – 2023. C’est donc en grande partie prospectif. La deuxième colonne “fermeture du parc charbon” n’a pas encore eu lieu, elle n’explique donc pas la situation actuelle. Pour le développement des énergie renouvelables vous savez comme moi qu’on ne peut pas compter dessus (de manière certaine j’entends) en cas de pic de conso. Du coup il apparait quand même que sur la seule période 2019-2020 la principale cause de perte de capacité sur laquelle les politiques français ont la main est la fermeture de Fessenheim …
Cordialement
La situation actuelle est bien décrite en début de graphe. Le reste est prospectif.
10 GW de fossile ont déjà fermé comme l’indique l’autre graphique