“Une marée noire ferait moins de morts que si les barils de pétrole avaient été consommés”

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©Crédit Photographie : Deepwater_Horizon en 2010 / Wikipédia
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“Les dégâts climatiques quotidiens devraient être davantage perçus comme une catastrophe”. Voici le titre d’un texte du scientifique David Ho et l’économiste Gernot Wagner que nous traduisons ici avec leur accord.

Ce texte permet de voir le changement climatique sous un autre angle, une autre perspective.

Les dégâts climatiques quotidiens devraient être davantage perçus comme une catastrophe.

Les événements ponctuels comme Deepwater Horizon laissent une impression durable, mais la combustion normale des énergies fossiles a un impact encore plus grave.

La marée noire provoquée par la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique il y a une douzaine d’années a été une tragédie humaine et environnementale. Elle a coûté la vie à 11 personnes, déversé des millions de barils de pétrole dans le golfe et coûté à BP Plc plus de 65 milliards de dollars en frais de nettoyage et en indemnités.

Mais si tout ce pétrole avait été vendu et utilisé, il aurait été encore plus mortel et dévastateur pour l’environnement.

C’est ce qu’a récemment affirmé le co-auteur de la newsletter d’aujourd’hui, le climatologue David Ho, dans un tweet qui a été largement partagé :

Parfois, je pense au fait que Deepwater Horizon a été une catastrophe environnementale majeure qui a coûté la vie à 11 personnes et plus de 65 milliards de dollars à BP, mais si ce pétrole avait été récupéré, vendu et utilisé, cela aurait été pire pour l’environnement, aurait tué plus de personnes et BP aurait gagné de l’argent.

David Ho (@david_ho) 28 janvier 2022

Au début, j’étais sceptique (Gernot). Mais le calcul de base est correct, et c’est même probablement sous-estimé.

La marée noire a provoqué le déversement d’environ 200 millions de gallons de pétrole dans le golfe du Mexique. Brûler autant de gallons de pétrole et de diesel dans des moteurs à combustion aurait émis plus de 1,4 million de tonnes de CO₂, sans compter, par exemple, les émissions liées au raffinage et au transport du pétrole. Traduit en nombre moyen de vies perdues en raison du changement climatique qui en résulte, cela implique environ 325 décès au cours du siècle, liés uniquement à la hausse des températures. Cela n’inclut pas les décès dus aux particules fines générées par la combustion de ce carburant, qui pourraient représenter 350 décès prématurés supplémentaires par an.

Twitter étant Twitter, les réponses ont nécessité une réponse de David : « Je ne dis pas qu’il faut déverser du pétrole brut. » Nous ne devrions pas. Il existe de nombreux autres coûts environnementaux qui ne sont pas pris en compte dans les 11 décès et les 65 milliards de dollars. L’impact dévastateur sur la faune sauvage ne peut être que partiellement reflété dans les chiffres des dommages financiers. Une partie du pétrole déversé a brûlé de manière incontrôlable, libérant à nouveau du CO₂. Le pétrole qui n’est pas brûlé mais qui finit par s’évaporer cause également de nombreux dommages environnementaux.

Hélas, il existe une grande différence entre un calcul statistique basé sur des estimations globales des dégâts et la possibilité d’associer des visages et des noms aux décès, comme dans le cas de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon. Onze décès constituent une tragédie, tandis que 325 décès estimés statistiquement ne sont que cela, une statistique.

Il existe une autre différence, ce que l’on appelle en termes juridiques la “cause immédiate”. Cary Coglianese, professeur de droit et de sciences politiques à la Carey Law School de l’université de Pennsylvanie, décrit cela comme « une version juridique de la possibilité d’associer des visages et des noms aux décès ». Tout tribunal raisonnable conviendrait que les 11 décès survenus sur Deepwater Horizon étaient directement liés à l’explosion et à l’incendie de la plate-forme.

Grâce aux progrès rapides réalisés dans le nouveau domaine de la science de l’attribution, les décès liés au climat et autres dommages peuvent désormais être liés plus directement aux tonnes de CO₂ émises. En effet, un nombre croissant de poursuites judiciaires visent à établir un lien de causalité direct entre les dommages climatiques et les décès, mais aucune compagnie pétrolière n’a jusqu’à présent été contrainte de payer des dommages-intérêts liés à la combustion de ses produits vendus à ses clients.

Il existe une autre raison, trop humaine, pour laquelle 11 décès lors d’un événement ponctuel pèsent plus lourd que 325 décès futurs. M. Coglianese, de l’université de Pennsylvanie, compare la différence entre le changement climatique et la marée noire de BP à celle entre la pandémie de Covid-19 et les attentats terroristes du 11 septembre 2001 : « Le 11 septembre a tué environ 3 000 personnes », dit-il. « Nous avons eu environ autant de décès liés au Covid rien qu’hier aux États-Unis. » Plus de 900 000 Américains sont morts du Covid au cours des deux dernières années, et bien plus de 5,5 millions dans le monde, et ce ne sont là que les décès directement attribués à la maladie. « Nous semblons devenir insensibles à cette catastrophe quotidienne », ajoute M. Coglianese.

Nous ne devons bien sûr pas devenir insensibles aux milliers de décès quotidiens liés au Covid, ni aux centaines de décès liés, selon des estimations prudentes, à la quantité de pétrole brûlée, équivalente à celle déversée lors de la marée noire de BP. Les liens entre la vente et la combustion des combustibles fossiles, d’une part, et les dommages directement attribuables aux émissions qui en résultent, d’autre part, sont on ne peut plus clairs. Il est grand temps que nos lois et nos tribunaux se mettent au diapason de cette réalité.


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Vous pourriez être surpris en lisant ce texte. Vous dire “attendez, il dit qu’une marée noire c’est moins pire qu’autre chose ?”. David Ho a été attaqué sur les réseaux sociaux après avoir publié ce texte, et a tout de suite précisé le fond de sa pensée :

“je ne dis pas qu’il faut déverser du pétrole brut. Je souligne simplement l’ironie du fait que la combustion des énergies fossiles nuit beaucoup plus à l’environnement et tue beaucoup plus de personnes, mais comme il s’agit d’émissions de scope 3, les entreprises comme BP ne sont pas tenues responsables et engrangent au contraire des milliards de dollars.”

Il est prévisible que certaines personnes répondent que les énergies fossiles sont géniales. Vous savez ce qui est génial aussi ? Une planète habitable.”

Le coeur du texte est bien dans le titre : il y a des morts quotidiennes du changement climatique dans le monde sans que cela choque outre mesure. C’est un fait : les morts du changement climatique sont des morts silencieuses. Même s’il peut y en avoir 100 fois plus de morts à cause du changement climatique, cela n’aura jamais l’impact médiatique d’un crash d’avion ou d’une marée noire. Dernier exemple en date, la canicule de juin 2025 a fait environ 500 morts en France selon Santé Publique France. Avez-vous vu un seul responsable politique en parler ? Un journaliste interroger un membre du gouvernement ?

Cet article appelle à juste titre à changer d’angle, à aller plus loin dans la réflexion sur le changement climatique. The Onion (une sorte de Gorafi américain) a parfaitement compris l’ironie de la situation avec ce titre : “des millions de barils de pétrole arrivent à bon port malgré une catastrophe environnementale majeure“.

“Ouf”, on a évité la marée noire, qui aurait été une catastrophe. La réalité, c’est qu’on aurait évité une catastrophe si le pétrole avait été remis sous terre, là où il devrait rester.

Autre point important, les progrès réalisés dans le domaine de la science de l’attribution, dont nous avons dédié un article entier sur Bon Pote. Si “aucune compagnie pétrolière n’a jusqu’à présent été contrainte de payer des dommages-intérêts liés à la combustion de ses produits vendus à ses clients”, cela pourrait bientôt ne plus être le cas.

La science a permis de clarifier le lien sans équivoque entre les activités humaines et le réchauffement climatique et c’est désormais un argument clef dans les procès. La Cour Internationale de Justice a par ailleurs récemment publié un avis notamment basé sur le dernier rapport du GIEC. Grâce à cet avis, il est à prévoir que les procès vont se multiplier contre les Etats et les entreprises qui savent que leurs activités tuent et ne font rien ou pas assez pour arrêter ce phénomène.

Comme le rappelle David Ho, “les liens entre la vente et la combustion des combustibles fossiles, d’une part, et les dommages directement attribuables aux émissions qui en résultent, d’autre part, sont on ne peut plus clairs. Il est grand temps que nos lois et nos tribunaux se mettent au diapason de cette réalité“.

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  1. c’est intellectuellement intéressant de réfléchir aux coûts environnementaux cachés mais ici le raisonnement est complètement biaisé :
    – est-ce que suite à la catastrophe il y a eu moins de consommation de produits pétroliers (essence…) ? Non, au contraire, les gens ont utilisé un autre pétrole et en plus il a fallu de l’énergie pour gérer et rattraper partiellement la catastrophe. Le bilan écologique et humain est donc pire suite à la catastrophe.
    – l’énergie utilisée suite à la catastrophe (incendie, nettoyage, assurances…) et le fait que le pétrole ait brûlé sans filtre ne semblent pas avoir été pris en compte

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Auteur
Thomas Wagner
Prendra sa retraite quand le réchauffement climatique sera de l’histoire ancienne

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  1. c’est intellectuellement intéressant de réfléchir aux coûts environnementaux cachés mais ici le raisonnement est complètement biaisé :
    – est-ce que suite à la catastrophe il y a eu moins de consommation de produits pétroliers (essence…) ? Non, au contraire, les gens ont utilisé un autre pétrole et en plus il a fallu de l’énergie pour gérer et rattraper partiellement la catastrophe. Le bilan écologique et humain est donc pire suite à la catastrophe.
    – l’énergie utilisée suite à la catastrophe (incendie, nettoyage, assurances…) et le fait que le pétrole ait brûlé sans filtre ne semblent pas avoir été pris en compte

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