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Texte d’Alain Grandjean, docteur en économie de l’environnement, président de The other economy et co- fondateur associé de carbone 4.
Un article de Julien Lefournier paru dans le site de Bon Pote et titré Changer de banque pour sortir des énergies fossiles ? vient de susciter des échanges sur Linkedin. Carbone 4 est mentionné dans une des réponses. Je me permets donc quelques précisions.
1/ Carbone 4 est une entreprise de conseil et de fourniture de données ; nous ne sommes donc que des prestataires de service et non des partenaires de nos clients. Nous nous abstenons de les juger et nous n’avons pas pour vocation, sauf mention expresse explicite, ce qui n’est pas le cas ici, de valider un business model ou une activité.
2/ Nous n’avons pas de conseil à donner aux citoyens sur leur banque.
3/ Sur la question des métriques carbone, comme l’écrit très justement Julien Lefournier, ce sont bien les activités de l’économie réelle qui sont sources de GES. Les acteurs financiers sont des acteurs de second rang en la matière. Leur rôle principal (financement, arrangement, conseil, facilitation, assurance etc.) est donc indirect, ce qui ne veut pas dire nul (un projet réel doit bien être financé et assuré). Par ailleurs, leurs émissions directes – dues à l’informatique, aux bâtiments – sont assez faibles en général.
4/ Il n’est donc pas correct méthodologiquement de mettre sur le même plan les émissions associées à un financement et encore moins à l’épargne financière et celles d’une activité réelle (produire, consommer etc.). Au plan méthodologique, il est évident que l’action d’un citoyen sur son épargne n’est pas de même nature que son action sur son chauffage ou sa nourriture.
5/ L’émission qui résulte de la combustion du charbon par exemple fait intervenir l’exploitant de la centrale, son financeur, l’actionnaire majoritaire, le consommateur de l’électricité produite… Attribuer plus particulièrement l’émission à l’un de ces acteurs repose sur une convention et il y en a plusieurs possibles. Mais on ne peut pas les utiliser simultanément sans créer de confusion, semblable à celle qui est exposée au point ci-dessus. Le terme empreinte carbone devrait être réservé à l’attribution au consommateur pour caractériser son mode de vie : l’empreinte carbone ce sont les émissions de l’ensemble des consommations nécessaires pour le maintenir. Parler d’empreinte carbone de l’épargne ou du compte courant est donc un abus de langage source de confusion. Nous utilisons dans la suite le terme « bilan carbone » pour caractériser les émissions directes et indirectes d’une entreprise (financière – dont bancaire- ou non) nécessaires à son activité.
6/ La question de l’attribution des émissions de GES à un compte-courant ou un dépôt dans une « vraie[1] Une « vraie » banque dispose d’un agrément bancaire, licence délivrée avec parcimonie et sous de nombreuses conditions par la BCE dans la zone Euro et, en France, sur proposition de l’ … Continue reading » banque pose de nombreux problèmes évoqués à juste titre par Julien Lefournier. Insistons sur le plus important : il n’y a pas de fléchage entre le passif et l’actif d’une banque. Les émissions « financées » par une banque, telles qu’on peut les évaluer dans son bilan carbone[2]Qui inclut aussi les émissions issues de son activité de conseil ou d’arrangeur.
sont calculées à partir de son actif et pas de son passif. On ne peut pas les attribuer à un élément spécifique de son passif. De la même manière, il n’est pas possible d’attribuer les émissions d’une entreprise de manière indiscutable à un élément spécifique de son financement, même fléché ou dédié[3]Comme des financements immobiliers, ou d’actifs comme des avions, des trains, des flottes de véhicules. C’est la plupart du temps, parce qu’ainsi la banque bénéficie d’une garantie … Continue reading . Comme le rappelle la parabole du manteau de vison de Claude Riveline, citée dans l’article de Julien Lefournier, une entreprise voit arriver sur son compte bancaire tous ses financements, qui lui servent à financer l’ensemble de ses projets et des actions qui lui sont nécessaires (achats, personnel et autres) dont les émissions sont comptabilisées dans le bilan carbone.
C’est la même chose pour une banque, qui a en plus le pouvoir de création monétaire ce qui rend l’attribution au passif collecté encore plus discutable (la création monétaire génère un compte courant, ex nihilo, mais qui ne naît que parce qu’il est contrepartie d’un actif, un prêt bancaire le plus souvent).
7/ Une « néobanque » n’est en général pas une banque mais un prestataire de services financiers ; elle est adossée à une banque. Son activité de collecte de l’épargne des ménages sur son compte-courant est un service commercial pour le compte de cette banque. La remarque précédente s’applique donc à elle, même si elle prétend que ces comptes courants sont affectés à des projets dénommés et cantonnés. Elle ne peut faire mieux au plan du carbone que sa banque d’adossement.
Références[+]
↑1 | Une « vraie » banque dispose d’un agrément bancaire, licence délivrée avec parcimonie et sous de nombreuses conditions par la BCE dans la zone Euro et, en France, sur proposition de l’ ACPR. Cette licence permet de collecter des dépôts, d’accorder des crédits et de réaliser les diverses opérations d’une banque. Seules les banques ont le pouvoir de création monétaire. |
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↑2 | Qui inclut aussi les émissions issues de son activité de conseil ou d’arrangeur. |
↑3 | Comme des financements immobiliers, ou d’actifs comme des avions, des trains, des flottes de véhicules. C’est la plupart du temps, parce qu’ainsi la banque bénéficie d’une garantie spécifique, plus facile à exercer. |
2 Responses
Merci pour ces précisions ! Mais dans ce cas là, pouvons nous faire un récapitulatif plus holistique ?
1) Est-ce qu’il y a quoi que ce soit de positif, ou négatif, si UNE personne change de “banque” pour aller chez une banque qui se veut verte ?
2) Et dans le cas où il y a, je sais pas, 100.000 personnes qui vont vers cette banque “verte” ?
Est-ce que à grande échelle, cela peut mener à davantage d’actions positives pour l’environnement si ces banques qui se veulent vertes ont plus de clients ? Peut-être que ça donnerait plus de poids politique à leurs “bonnes intentions”?
Et à l’inverse, s’il y a exode et départ en masse de clients qui quittent une banque polluante, est-ce qu’il y aurait une possibilité de dégâts en moins sur l’environnement ? Peut-être car cette banque aurait plus de mal à avoir la confiance d’autres grosses structures ?
Bref, pour moi maintenant c’est clair que beaucoup d’arguments des néobanques sont très vacillants, mais concrètement, est-ce juste totalement inutile d’aller vers elles ?
Merci !
La distinction des responsabilités entre les entreprises, leurs actionnaires majoritaires et les autres financeurs est effectivement importante.
Tous les financeurs ont une responsabilité, mais le majoritaire et le management ont un rôle prépondérant. (En cohérence avec ce propos notre fonds de decarbonation, toujours majoritaire, assume 100% des émissions des entreprise dans lesquelles il investit).
Ce n’est pas le principe actuel de la SFDR, qui répartit les émissions sur tous les financeurs au prorata des capitaux. À reconsidérer dans le futur, à mon avis.