Il est impossible de comprendre le changement climatique sans comprendre le rôle joué par la variabilité interne du climat.
Vous la retrouverez partout : dans les modèles climatiques, dans les négociations climatiques, dans l’Accord de Paris… même les climatosceptiques aiment en parler, notamment lors du ralentissement du réchauffement observé au début des années 2000.
Cet article définit la variabilité naturelle, explique comment cela peut booster les températures, et comment il faut éviter de communiquer trop vite car cette dernière peut avoir bien plus d’importance que vous ne pourriez le penser…
Qu’est-ce que la variabilité naturelle et comment a-t-elle influencé les changements climatiques récents ?
Selon le GIEC, la variabilité naturelle désigne les variations du climat causées par des processus autres que l’influence humaine. Elle comprend la variabilité générée en interne par le système climatique et la variabilité induite par des facteurs externes naturels.
La variabilité naturelle est une cause majeure des changements annuels dans le climat mondial de surface et peut jouer un rôle important dans les tendances sur plusieurs années, voire décennies. Mais l’influence de la variabilité naturelle est généralement faible lorsque l’on considère les tendances sur des périodes de plusieurs décennies ou plus.
Un bon exemple pour illustrer cela est de regarder les différents scénarios synthétisés dans le dernier rapport du GIEC.
Le GIEC explique qu’entre ces scénarios contrastés, des différences discernables commenceraient à émerger de la variabilité naturelle sur une vingtaine d’années pour les tendances de la température à la surface du globe, et sur des périodes plus longues pour de nombreux autres facteurs climatiques générateurs d’impact (degré de confiance élevé) :
Une variabilité interne plus clairement observée sur le court terme, et régionalement
Pour le voir autrement, sur l’ensemble de la période historique (1850-2020), la contribution de la variabilité naturelle au réchauffement de la surface de la planète se situe entre -0,23 °C et +0,23 °C, mais est bien plus faible par rapport au réchauffement d’origine humaine d’environ 1,1 °C observé au cours de la même période.
“La variabilité interne s’exprime à toutes les échelles de temps“, de l’heure à plusieurs décennies, précise Christophe Cassou, climatologue et auteur principal du dernier rapport du GIEC.
Point important à retenir : la variabilité naturelle interne correspond à une redistribution de l’énergie au sein du système climatique (par exemple via des changements de la circulation atmosphérique similaires à ceux qui déterminent le temps quotidien) et est plus clairement observée sous la forme de fluctuations régionales, plutôt que globales, de la température de surface.
Comment la variabilité interne du climat peut aider à battre des records de température
Dans le résumé pour décideurs du dernier rapport du GIEC (groupe 1), nous apprenons que la fourchette probable de l’augmentation de la température à la surface du globe due à l’ensemble des activités humaines entre 1850–1900 et 2010–201911 est de 0,8 °C à 1,3 °C, avec une meilleure estimation de 1,07 °C. Dans le détail du calcul :
- la fourchette probable du réchauffement dû aux GES bien mélangés est de 1,0 °C à 2,0 °C, celle de l’effet refroidissant des autres facteurs humains (principalement les aérosols) est de 0,0 °C à 0,8 °C ;
- l’effet des facteurs naturels se situe entre –0,1 °C et +0,1 °C ;
- et l’effet de la variabilité interne entre –0,2 °C et +0,2 °C.
El Niño, booster des températures mondiales
El Niño est le principal modulateur de la température de surface mondiale d’une année sur l’autre c’est-à-dire à l’échelle interannuelle (Pan et Oort, 1983 ; Trenberth et al., 2002). Selon le GIEC, il est d’ailleurs virtuellement certain que l’ENSO restera le mode dominant de variabilité interannuelle dans un monde plus chaud.
Cela signifie que la variabilité d’une année sur l’autre est dominée par les phénomènes comme El Niño et La Niña sur le Pacifique ou l’Oscillation Nord Atlantique, que cela affecte la température mondiale et est suffisant pour faire exploser certains records de température.
Les canicules, toujours plus de canicules…
Les canicules que nous constatons en Europe et notamment en France ces dernières années sont le résultat de l’effet combiné de l’influence humaine et de la variabilité interne qui s’exprime par des circulations/dynamiques atmosphériques favorisant des conditions chaudes, précise Christophe Cassou.
Ainsi, la variabilité interne est une condition nécessaire à l’établissement d’une canicule. Mais sans influence humaine, il serait virtuellement impossible d’atteindre de tels niveaux de température lors de ces phases de variabilité interne/circulation atmosphérique favorisant le chaud.
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Objectif +1.5°C : comment la variabilité interne du climat est-elle prise en compte dans les négociations climatiques ?
Dans un article Bon Pote intitulé “Quand allons-nous dépasser l’objectif +1.5°C ?“, nous rappelions que la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) définit le “changement climatique” comme des changements causés par l’activité humaine, sans tenir compte de la variabilité naturelle.
Pour les négociations, on ne tient pas compte des effets de la variabilité interne même si les scientifiques la simule. En effet, la réponse anthropique et la variabilité interne peuvent s’estimer à partir d’observations ou de l’estimation des modèles selon certaines hypothèses et cadre conceptuel.
Qu’est-ce que cela signifie ? Si les émissions humaines de gaz à effet de serre sont à l’origine de la tendance au réchauffement à long terme, la variabilité d’une année sur l’autre est dominée par les phénomènes comme El Niño et La Niña sur le Pacifique ou l’Oscillation Nord Atlantique qui affecte le continent Européen.
Notons également que dans l’estimation des budgets carbone résiduels pour respecter l’objectif +1.5°C, le réchauffement planétaire décrit par le GIEC dans le tableau ci-dessous fait référence à l’augmentation de la température à la surface du globe due aux activités humaines, ce qui exclut l’effet de la variabilité naturelle sur la température à l’échelle globale au cours d’années individuelles.
Comment communiquer en limitant les erreurs avec la variabilité interne du climat ?
Communiquer sur la variabilité interne du climat n’est pas chose facile. Pour donner quelques pistes, voici quelques cas concrets qui pourraient permettre de mieux comprendre certaines communications fallacieuses qui pourraient vous induire en erreur…
Premièrement, les climatosceptiques ont un grand plaisir à rappeler que le GIEC ne prend pas en compte la variabilité interne du climat. C’est bien sûr faux. La variabilité interne est centrale dans le rapport du GIEC. Elle permet notamment de quantifier l’influence humaine sur le climat. Elle est par ailleurs prise en compte par les modèles climatiques, qui sont bien plus fiables que ce que peuvent prétendre les climatosceptiques.
L’antarctique, cas d’école de communication (et de risque d’erreur)
Un autre cas concret de communication risquée est l’Antarctique. Au début de l’été 2023, un graphique représentant l’étendue de la glace de mer en Antarctique a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux, avec des personnes (probablement bien intentionnées) qui pointaient du doigt le rôle du changement climatique.
L’image est très impressionnante, mais avant de communiquer, nous avions consulté Catherine Ritz, directrice de recherche CNRS à l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE) et co-autrice de cet article sur l’Antarctique sur Bon Pote. Sa réponse appelle à la prudence :
“la variabilité de la glace de mer en antarctique est grande ce qui rend difficile la détection des tendances. Je pense que c’est pour cela que les scientifiques ne cherchent pas à sur médiatiser“
Le GIEC précise également cela dans son résumé pour les décideurs : l’étendue de la glace de mer de l’Antarctique ne montre pas de tendance significative entre 1979 et 2020, en raison de tendances régionales de signe opposé et d’une forte variabilité interne.
Prudence, prudence…
Aussi, pour éviter de donner raison aux climatosceptiques qui disent “que les écolos exagèrent”, il vaut mieux toujours redoubler de prudence en voyant un graphique, aussi impressionnant qu’il soit, et se demander quelle est la part réelle du changement climatique anthropique dans ce que vous observez.
Ce que nous vivrons jusqu’en 2050 et jusqu’à la fin du siècle, ce ne sera pas que le réchauffement climatique anthropique : ce sera le réchauffement climatique anthropique avec la variabilité interne du climat, qui viendra de façon naturelle permettre de battre certains records de température.
Pour aller plus loin
Si vous souhaitez aller plus loin, 8 modes de variabilité ont été évalués de manière systématique dans le dernier rapport du GIEC, avec à chaque fois une présentation de leur structure spatiale, leur temporalité observée et leur téléconnexion (Annex IV : Modes of Variability)
5 Responses
Salut, juste pour signaler une coquille sur une date dans le chapitre “Comment la variabilité interne du climat peut aider à battre des records de température”
… entre 1850–1900 et 2010–201911…
Merci pour ton travail !
Bonjour Thomas,
La distinction principalement effectuée par la très grande majorité des physiciens du climat est effectivement celle entre variabilité naturelle et variabilité forcée, ou anthropique. Evidemment, ça n’est pas sans intérêt pour la compréhension du phénomène du Changement Climatique.
Mais est-ce qu’une séparation entre variabilité aléatoire et variabilité organisée (temporellement, voire spatio-temporellement) ne serait pas plus fructueuse en terme de description des trajectoires climatiques en cours ?
Il se pourrait bien que les potentialités associées soient très significatives pour la conformité (ou conformisation plutôt) des trajectoires simulées avec les trajectoires observées. Il existe certes quelques publications (plutôt confidentielles) sur le sujet mais, comme vous êtes désormais à temps plein sur votre site, je suggère que vous vous y intéressiez, pour produire de l’information de vulgarisation et aussi pour interpeller les modélisateurs physiciens du climat que vous côtoyez. Car les 2 distinctions ne n’excluent pas mutuellement et, si elles sont combinées astucieusement, elles pourraient à la fois bénéficier à une meilleure compréhension et à une meilleure description du changement climatique en cours.
Veuillez noter qu’il ne s’agit pas d’une critique de votre article et soyez assuré de mon soutien dans votre tâche de diffusion de l’information climatique au plus grand nombre.
Je tiens à réagir sur un autre sujet : les attaques sur le réseau TGV aujourd’hui.
C’est lamentable de priver de vacances ceux qui prennent le train alors que ceux qui ont de gros SUV peuvent partir sans problème
Tout cela est fort intéressant et c’est très bien que ce genre d’article existe.
Mais, pour moi, bien que je pense comprendre assez bien ce dont il retourne, cela ne m’apporte pas grand-chose de plus.
J’ai compris que le GIEC établit des résultats et des projections qui sont confirmées par un très grand nombre de scientifiques, et cela me suffit pour asseoir ma conviction : je ne peux pas rester les bras croisés en attendant que ça se passe. J’essaie donc d’adopter des règles de vie conformes aux objectifs fixés, et je soutiens les politiques locales et générales qui vont dans le même sens.
Quand même, bravo Bon Pote.
Merci pour votre retour. Toujours mieux qu’un article explique la variabilité sans mentir comme le font certains sites climatosceptiques 😉