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En 2023, en France, l’aérien représentait 14 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, et 25 % de son empreinte carbone en intégrant les effets “hors CO2”. Si les objectifs cibles de la Stratégie Nationale Bas Carbone sont respectés, ces chiffres grimperont respectivement à 20 % et 34 % en 2030[1]CITEPA, Données par secteur, Rapport Secten édition 2024. Le secteur aérien a émis 20,8 Mt CO2e en 2023 en France, contre 146,5 Mt CO2e pour l’ensemble du secteur des transports (avec soutes … Continue reading . C’est d’ailleurs une des alertes lancées par le Haut Conseil pour le Climat dans son 7e rapport annuel, publié hier.
Le report modal de l’avion vers le train, notamment pour les destinations européennes, est un des leviers pertinents pour réduire les émissions du secteur aérien. Un trajet Paris-Barcelone a un impact sur le climat 55 fois supérieur en avion qu’en TGV. Pourtant, sur cette liaison comme sur beaucoup d’autres, les billets de train sont plus chers que les billets d’avion.

Le nouveau rapport du Réseau Action Climat cherche à objectiver ce constat, à en comprendre les ressorts et à lister des recommandations pour que le prix du train soit plus compétitif que celui de l’avion.
En France, le train moins cher…quand il existe une liaison directe
Dans un rapport sorti hier également, l’UFC-Que Choisir a comparé le prix le plus bas en avion et en train sur les 48 liaisons aériennes hexagonales ayant transporté plus de 50 000 passagers en 2023. Résultat : lorsqu’il existe une alternative ferroviaire directe, le prix d’entrée du train est nettement moins cher (-40 %).
En revanche, quand une correspondance est nécessaire, le prix des billets de train double presque (113€ contre 64 € pour un train direct), et le train devient alors plus cher que l’avion (+10 %).

Ce constat démontre que le manque de liaisons ferroviaires directes entre les régions françaises est corrélé à une augmentation du prix des billets de train. La ligne entre Nantes et Marseille en est un bon exemple. Depuis le Covid, la SNCF a supprimé le TGV direct sur cette liaison.
Corrélation étrange, le trafic aérien a augmenté entre 2019 et 2024 sur cette même ligne Marseille-Nantes (+11 %), à rebours de la tendance globale sur les vols internes (-25 %). C’est aujourd’hui la principale liaison aérienne transversale en France (ça n’était que la cinquième en 2019), avec plus de 400 000 passagers aériens en 2024
Sur les liaisons européennes, le train est en moyenne 2.5 fois plus cher que l’avion
Dans un rapport dont les premiers résultats ont été publiés hier, Greenpeace Central and Eastern Europe a comparé le prix d’entrée des billets d’avion et de train sur 21 liaisons entre la France et l’Europe. En pondérant par le nombre de passagers aériens, le train est en moyenne 2,5 fois plus cher que l’avion.
Par exemple : sur la liaison entre Paris et Rome, qui transporte plus de 2 millions de passagers aériens chaque année, le billet d’avion le plus bas se trouve autour de 70 € en moyenne, contre 210 € pour un billet de train.

Outre la question de la connectivité (Paris-Rome nécessite un changement à Turin ou Milan) la situation s’explique par le prix extrêmement bas de certains billets d’avion, ainsi que la rareté des billets de train bon marché sur les liaisons internationales. La conjugaison de ces deux facteurs peut donner des différences de prix considérables : il n’est pas rare de trouver pour un même jour, comme l’a relevé Greenpeace entre Marseille et Londres, un billet d’avion à 15 € quand le billet de train le moins cher coûtait 188 €.
Cet écart de prix sur les liaisons européennes est d’autant plus préjudiciable que les vols européens sont plus émetteurs que les vols internes.
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La compétitivité du train bridée par les niches fiscales aériennes et les péages ferroviaires
Le prix des billets payé par les voyageurs est à différencier du coût pour les compagnies (aériennes ou ferroviaires). Le prix d’un billet peut ainsi être inférieur ou supérieur au coût pour transporter un passager, selon la stratégie tarifaire de l’entreprise. Le cabinet d’étude Carbone 4 s’est justement intéressé à ce qu’une compagnie doit dépenser pour transporter un passager entre Paris et Barcelone, pour mieux comprendre ces écarts de prix de vente des billets.
L’analyse de coûts a permis de dégager deux facteurs explicatifs :
- Les exonérations fiscales aériennes (aucune taxe sur le kérosène,
etTVA à 0 % sur les vols internationaux et 10% sur les vols internes hors correspondance). Sur un vol entre Paris et Barcelone, ces exonérations représentent entre 30 et 40 € par passager selon les compagnies, selon les estimations de Carbone 4. Cette situation est d’autant plus incompréhensible que le transport automobile est lui bien soumis à une taxe sur le carburant, et que le transport ferroviaire paye une TVA sur certains trajets internationaux (ex : près de 10 % sur un Perpignan-Madrid).
- Le poids des péages ferroviaires (ou redevances), qui représentent plus de la moitié des coûts pour la SNCF sur un trajet Paris-Barcelone selon Carbone 4. A noter que pour les autres liaisons ce chiffre se situe plutôt entre 30 et 40 %. Ce surcoût s’explique par la présence du tunnel du Perthus sous les Pyrénées qui non seulement est payant à l’usage (6 € par passager environ), et surtout ne permet pas le passage de TGV à double rame, dont les péages par passager sont moins élevés sur le réseau ferré français.

Il est intéressant de noter également sur ce graphique la capacité des compagnies aériennes low cost à réduire leurs “autres coûts” (amortissement de l’appareil et personnel de bord, principalement). Cela passe notamment par une rotation intensive des aéronefs, et des conditions de travail moins-disantes par rapport aux compagnies traditionnelles comme Air France (heures de vol plus importantes, moins de formations internes, etc.).
Enfin notons que la SNCF n’offre aujourd’hui que 1 000 sièges à la vente sur la liaison Paris-Barcelone (2 rames simples par jour), contre près de 8 000 pour les compagnies aériennes. Associé à la tarification dynamique, ce manque d’offre conduit à faire grimper le prix des billets de train entre Paris et Barcelone.
Comment inverser la situation et encourager financièrement les Français à prendre le train ?
Fort de cette analyse, le Réseau Action Climat recommande la fin des niches fiscales aériennes (hors Outre-mer). Sur les lignes intérieures (hors Outre-mer), cela passe par l’instauration d’une TICPE sur le kérosène (au même niveau que le diesel, soit environ 0,6 € / litre) et d’une TVA à 20 % (contre 10 % aujourd’hui)
Sur les liaisons européennes, régies par différents traités internationaux, la fin de ces exonérations passerait par l’augmentation de la taxe sur les billets d’avion à un niveau qui permette de compenser les exonérations fiscales aériennes (soit environ 30 € par passager sur un vol européen en classe éco). Le barème suivant, largement inspiré de la proposition de la Convention citoyenne pour le climat, permettrait de se rapprocher de cet objectif:

Cette proposition permettrait de financer 3 mesures en faveur du ferroviaire :
- Relancer (vraiment) le train de nuit, en priorité les lignes entre les régions (ex : Marseille-Nantes, Lyon-Bordeaux) et vers l’international (ex : Paris-Barcelone). Cette mesure a un coût très modeste (de l’ordre de 60 millions d’euros par an à partir de 2030).
- Offrir un billet de train à tarif réduit à tous les Français. Il s’agit de revaloriser le “billet de congés annuel” créé par le Front Populaire en 1936, en proposant une fois par an un aller-retour en train à 29 €. Avec les hypothèses retenues, cela coûterait 1,6 milliard d’euros par an à l’Etat
- Financer la rénovation d’un réseau ferré vieillissant, puis baisser les péages ferroviaires du TGV, à commencer par les liaisons internationales et transversales (région-région).
Autrement dit, l’écart de prix entre les billets d’avion et de train n’est pas une fatalité qui viendrait de traités internationaux ou d’une différence structurelle de coût entre les modes de transports. Il s’agit d’abord de résultats de décisions politiques (le maintien des niches fiscales en faveur de l’aérien, l’absence de subvention pour le TGV en France) qui peuvent être modifiées par… d’autres décisions politiques plus favorables au climat.
Article d’Alexis Chailloux, responsable Transports au Réseau Action Climat
Références[+]
↑1 | CITEPA, Données par secteur, Rapport Secten édition 2024. Le secteur aérien a émis 20,8 Mt CO2e en 2023 en France, contre 146,5 Mt CO2e pour l’ensemble du secteur des transports (avec soutes internationales). Selon l’ADEME, les effets « hors CO2 » sont équivalents, en ordre de grandeur, à ceux liés aux émissions de CO2. En appliquant ce facteur 2, l’empreinte climatique totale du secteur aérien est de 25 % de celles transports en 2023 (20,8*2 / (146,5 + 20,8)). La SNBC fixe un objectif de 22,8 Mt CO2e au secteur aérien d’ici 2030. La cible pour le secteur des transports dans son ensemble (avec soutes internationales) est de 113 Mt CO2e. Source : SGPE, Revue d’avancement de la planification écologique dans les transports, avril 2025. |
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One Response
Merci pour cet explications. Je pensais que le prix bas des avions, surtout sur les lignes internes, était aussi lié à des subventions accordées par les régions ou l’État aux compagnies lowcost, pour le maintien des lignes. Ce n’est pas le cas ?